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Arrêt
publié le 26 mai 2000

Extrait de l'arrêt n° 44/2000 du 6 avril 2000 Numéro du rôle : 1674 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 223, 1°, et 225, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992 La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et G. De Baets, et des juges H. Boel, (...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 44/2000 du 6 avril 2000 Numéro du rôle : 1674 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 223, 1°, et 225, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (dans la version applicable à l'exercice d'imposition 1992), posée par la Cour d'appel de Liège.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et G. De Baets, et des juges H. Boel, P. Martens, J. Delruelle, A. Arts et E. De Groot, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt du 5 mai 1999 en cause de l'a.s.b.l. OEuvres des soeurs de Saint-Charles contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 12 mai 1999, la Cour d'appel de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « Selon les articles 223, 1°, et 225, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992, applicables à l'exercice d'imposition 1992, l'impôt des personnes morales est calculé au taux de 200 % sur les dépenses visées à l'article 57, 2°, du même Code, à savoir, notamment, les rémunérations payées aux membres du personnel qui ne sont pas justifiées par des fiches individuelles et un relevé récapitulatif.

Ces dispositions légales ne violent-elles pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elles ne distinguent pas entre les catégories de personnes qui, d'une part, faute d'avoir respecté à temps leur obligation d'établir les documents requis dans les formes légales, empêchent effectivement voire volontairement l'administration de procéder à la taxation des bénéficiaires et qui, d'autre part, n'auraient pas empêché, voire voulu empêcher la taxation des bénéficiaires ? Ces dispositions ne violent-elles pas non plus les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elles aboutissent à sanctionner le contribuable coupable d'une simple négligence, au demeurant réparée par la suite, non seulement autant qu'un fraudeur ayant versé véritablement des commissions secrètes (article 225, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992), mais encore bien plus que le contribuable qui n'aurait pas rentré sa déclaration ou aurait rédigé une déclaration inexacte ou incomplète, avec intention d'éluder l'impôt (accroissements d'impôts : article 444 du Code des impôts sur les revenus 1992 et échelle de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992, articles 225 et suivants) ? » (...) IV. En droit (...) Quant aux dispositions en cause B.1. La Cour est interrogée au sujet des articles 223, 1°, et 225, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (C.I.R. 1992), tels qu'ils étaient applicables à l'exercice d'imposition 1992.

L'article 223, 1°, (actuellement 223, 5°) disposait : « Les personnes morales visées à l'article 220, 2° et 3°, sont également imposables à raison : 1° des dépenses visées aux articles 57 et 195, § 1er, alinéa 1er, qui ne sont pas justifiées par des fiches individuelles et un relevé récapitulatif ». L'article 225, alinéa 2, 4°, (actuellement 225, alinéa 2, 2°) disposait : « L'impôt est calculé : [...] 4° au taux de 200 p.c. sur les dépenses non justifiées visées à l'article 223, 1° ».

L'article 57 du C.I.R. 1992 vise entre autres les « rémunérations, pensions, rentes ou allocations en tenant lieu, payées aux membres du personnel, aux anciens membres du personnel ou à leurs ayants droit ».

Quant aux questions préjudicielles B.2. La Cour examine ensemble les deux questions posées par la Cour d'appel de Liège, qui l'invitent à comparer, d'une part, la situation des contribuables qui sont soumis à l'impôt des personnes morales et qui, par suite d'une négligence, n'ont pas remis les fiches individuelles et les relevés récapitulatifs dans le délai prescrit par l'article 57 du C.I.R. 1992, mais qui n'ont ni eu l'intention, ni effectivement empêché l'administration de taxer les bénéficiaires des revenus professionnels visés et, d'autre part, la situation des contribuables qui, volontairement, empêchent l'administration de procéder à cette taxation. Les premiers comme les seconds sont soumis à la cotisation spéciale sur commissions secrètes qui, selon le taux applicable à l'exercice d'imposition 1992, s'élevait à 200 p.c. du montant des sommes payées non justifiées.

B.3. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Les mêmes règles s'opposent, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.4. Le système de taxation des commissions secrètes tel qu'il est établi par les dispositions visées par les questions préjudicielles résulte de plusieurs modifications législatives successives. Les travaux préparatoires de ces différentes adaptations montrent que le législateur entendait combattre certaines formes d'abus. Il a dès lors instauré une « corrélation entre, d'une part, la déductibilité des montants dans le chef de celui qui les paie et, d'autre part, l'imposabilité de ces montants au nom des bénéficiaires ». C'est pourquoi, par une loi du 25 juin 1973, il a établi la cotisation spéciale « compensant la perte de l'impôt qui ne peut être perçu dans le chef des bénéficiaires » (Doc. parl., Chambre, 1972-1973, n° 521/7, pp. 38-39). Par la loi du 8 août 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/08/1980 pub. 11/12/2007 numac 2007000980 source service public federal interieur Loi spéciale de réformes institutionnelles Coordination officieuse en langue allemande fermer, le législateur a introduit le délai fixe dans lequel les fiches individuelles et relevés récapitulatifs doivent être transmis à l'administration. Enfin, dans un « souci de simplification du calcul », la loi du 7 décembre 1988 a remplacé le mode de calcul antérieur par la cotisation spéciale distincte au taux de 200 p.c. (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n° 440-1, p. 26).Cette cotisation peut être déduite à titre de charge professionnelle par les contribuables soumis à l'impôt des sociétés, mais ne peut l'être par les contribuables soumis à l'impôt des personnes morales.

B.5. La mesure, qui consiste en une sanction fiscale pour les contribuables qui ne remplissent pas dans les formes et les délais légaux leur obligation de fournir à l'administration les renseignements qui lui permettront de procéder à la taxation des bénéficiaires des revenus, est pertinente par rapport aux objectifs du législateur, puisqu'elle permet de lutter contre les fraudes en décourageant la pratique des « commissions secrètes » et de compenser, par la cotisation spéciale, la perte pour le Trésor représentée par l'impôt éludé sur ces commissions. Par ailleurs, l'établissement d'un délai pour l'introduction des fiches et relevés garantit l'efficacité de la mesure.

B.6.1. S'il est légitime que le législateur se soucie de prévenir la fraude fiscale et de protéger les intérêts du Trésor, par souci de justice et pour remplir au mieux les tâches d'intérêt général dont il a la charge, il convient toutefois que les mesures prises n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire à cette fin. La Cour doit dès lors examiner si la mesure n'est pas disproportionnée, lorsqu'elle est appliquée à des contribuables au sujet desquels le juge du fond constate qu'ils n'ont pas eu l'intention de soustraire une matière imposable à l'administration, et dont la négligence n'a pas effectivement empêché celle-ci de procéder à la taxation des revenus dans le chef des bénéficiaires.

B.6.2. La sanction, à savoir la taxation des dépenses non justifiées au taux - applicable à l'exercice d'imposition 1992 - de 200 p.c., est lourde. Cette sanction s'applique aux personnes morales soumises à l'impôt des sociétés (article 219 du C.I.R. 1992) et aux personnes morales soumises à l'impôt des personnes morales (articles 223, 1°, et 225, 4°, du C.I.R. 1992). La Cour relève que les effets en sont atténués par la faculté qu'ont les contribuables assujettis à l'impôt des sociétés de déduire le montant payé à titre de cotisation spéciale sur commissions secrètes de leur base imposable au titre de charge professionnelle. Par contre, cette faculté n'existe pas pour les contribuables assujettis à l'impôt des personnes morales, puisque cet impôt n'est pas calculé sur leurs bénéfices, mais sur un certain nombre de postes qui donnent lieu à des cotisations distinctes. Pour ces contribuables, il n'existe aucune atténuation de la mesure.

B.6.3. En établissant une cotisation spéciale au taux de 200 p.c. sur les dépenses visées à l'article 223, 1°, du C.I.R. 1992 (tel qu'il était applicable à l'exercice d'imposition 1992), le législateur a pris une mesure qui a des effets disproportionnés lorsqu'elle s'applique aux contribuables qui ne peuvent déduire la cotisation spéciale au titre de charge professionnelle, et dont la négligence n'a pas mis l'administration dans l'impossibilité de procéder à la taxation des revenus dans le chef des bénéficiaires.

Dans cette mesure, la question appelle une réponse positive.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 223, 1°, et 225, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992, tels qu'ils étaient applicables à l'exercice d'imposition 1992, violent les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où ils s'appliquent à des contribuables soumis à l'impôt des personnes morales dont la négligence n'a pas effectivement empêché l'administration fiscale de taxer les bénéficiaires des revenus professionnels correspondant aux dépenses visées par les articles précités de ce Code.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 6 avril 2000.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, M. Melchior.

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