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Arrêt
publié le 28 juillet 2000

Extrait de l'arrêt n° 72/2000 du 14 juin 2000 Numéro du rôle : 1756 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posées par le Conseil d'Etat. La Cour d'arbitrage,

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 72/2000 du 14 juin 2000 Numéro du rôle : 1756 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posées par le Conseil d'Etat.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et G. De Baets, et des juges H. Boel, L. François, J. Delruelle, H. Coremans et M. Bossuyt, assistée de la référendaire B. Renauld, faisant fonction de greffier, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par arrêt n° 81.885 du 20 juillet 1999 en cause de A. Grigoreva contre l'Etat belge et le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 11 août 1999, le Conseil d'Etat a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où il s'applique aussi bien à la partie requérante qui, dans le cadre du contentieux objectif introduit devant le Conseil d'Etat un recours en annulation contre une décision administrative, qu'à la partie requérante qui, dans le cadre du contentieux subjectif, introduit devant le Conseil d'Etat un pourvoi en cassation contre une décision juridictionnelle émanant d'une juridiction administrative ? 2. L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 144 et 145 de la Constitution et avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme dans la mesure où cet article prévoit que la partie requérante qui introduit devant le Conseil d'Etat un pourvoi en cassation contre une décision juridictionnelle relative à des droits politiques subjectifs, perd de plein droit, en cas d'introduction tardive d'un mémoire en réplique, son intérêt à la procédure alors qu'au contraire, selon l'article 1094 du Code judiciaire la partie requérante qui se pourvoit devant la Cour de cassation contre une décision juridictionnelle relative à des droits politiques subjectifs et fait tardivement usage de la faculté d'introduire un mémoire en réplique, n'est pas sanctionnée par la déchéance du pourvoi en cassation ? 3.L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 144 et 145 de la Constitution et avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme dans la mesure où cet article prévoit que la partie requérante qui introduit devant le Conseil d'Etat un pourvoi en cassation contre une décision juridictionnelle relative à des droits politiques subjectifs, perd de plein droit, en cas d'introduction tardive d'un mémoire en réplique, son intérêt à la procédure alors qu'au contraire l'introduction tardive d'un mémoire en réponse par la partie défenderesse n'est pas frappée d'une sanction équivalente ? Selon l'article 1094 du Code judiciaire la partie requérante qui se pourvoit devant la Cour de cassation contre une décision juridictionnelle relative à des droits politiques subjectifs et fait tardivement usage de la faculté d'introduire un mémoire en réplique, n'est pas sanctionnée par la déchéance du pourvoi en cassation. 4. L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les articles 144 et 145 de la Constitution et avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme dans la mesure où l'accès au juge et le droit de la défense ne sont pas garantis par cet article dans l'hypothèse d'un pourvoi en cassation contre une décision d'une juridiction administrative relative à des droits subjectifs alors que cette entrave au droit d'accès au juge et au droit de la défense est inexistante dans le cadre d'un pourvoi en cassation administrative devant la Cour de cassation ? » (...) IV. En droit (...) B.1. L'article 21, alinéas 1er et 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, tel qu'il était en vigueur à la date à laquelle les questions préjudicielles ont été posées, dispose : « Les délais dans lesquels les parties doivent transmettre leurs mémoires, leurs dossiers administratifs ou les documents ou renseignements demandés par la section d'administration sont fixés par arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres.

Lorsque la partie requérante ne respecte pas les délais prévus pour l'envoi du mémoire en réplique ou du mémoire ampliatif, la section statue sans délai, les parties entendues, sur l'avis du membre de l'auditorat désigné en l'affaire, en constatant l'absence de l'intérêt requis. » B.2. Le Conseil d'Etat pose quatre questions préjudicielles concernant la compatibilité de l'alinéa 2 de l'article 21 avec les articles 10 et 11 de la Constitution lus séparément ou conjointement avec les articles 144 et 145 de la Constitution et avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.3.1. La disposition en cause a été insérée dans les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat par l'article 1er de la loi du 17 octobre 1990.

Elle fait partie d'une série de mesures par lesquelles le législateur entendait réduire la durée de la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat et en résorber l'arriéré (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-1, p. 1, et n° 984-2, p. 2, et Ann., Sénat, 12 juillet 1990, pp. 2640 et s.).

Les travaux préparatoires de cette disposition précisaient que « l'intention [ . ] est de remédier à la longueur voulue ou non par les parties en cause dans les recours introduits devant le Conseil d'Etat.

Le non-respect des délais pour l'envoi des mémoires sera assimilé, d'office, à l'absence de justification de l'intérêt requis à l'article 19 » (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-1, p. 3).

Dans l'arrêt n° 48.624 du 13 juillet 1994, le Conseil d'Etat, après une analyse des travaux préparatoires et en particulier après constatation du rejet d'un amendement prévoyant un traitement plus souple (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-5, et Ann., Sénat, 12 juillet 1990, pp. 2646, 2648, 2650 et 2651), a abouti à la conclusion que « le législateur a entendu qu'il ne soit, à aucune condition, accepté d'excuse pour la non-transmission ou la transmission tardive d'un mémoire; en définissant la sanction qu'il inflige comme ` l'absence de l'intérêt requis ', il a indiqué qu'il regardait le dépôt d'un mémoire comme la manifestation formelle de la persistance de l'intérêt. Par conséquent, il se justifie de même à l'évidence que la partie requérante marque ainsi formellement la persistance de son intérêt lorsqu'elle estime n'avoir rien à ajouter à sa requête, par exemple parce que la partie défenderesse n'a pas déposé de mémoire en réponse, voire de dossier administratif. » B.3.2. L'article 21, alinéa 2, fait ainsi du dépôt d'un mémoire une obligation pour la partie requérante si elle veut éviter que l'absence de l'intérêt requis soit constatée.

Dès lors que cette obligation résulte de la loi, les articles 7 et 8 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat doivent être lus en ce sens que le greffier, à défaut du dépôt du dossier administratif ou d'un mémoire en réponse dans le délai prescrit, est tenu d'en aviser la partie requérante en faisant mention, conformément à l'article 14bis, § 2, de cet arrêté, de l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat.

En outre, il ressort des travaux préparatoires que le législateur avait l'intention d'attacher des conséquences sévères au non-respect des délais et qu'il entendait que le Conseil d'Etat, dans les notifications du greffier, rappelle à la partie requérante les effets légaux de son absence de réponse ou de la tardiveté de celle-ci (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-1, pp. 4 et 43).

Quant à la première question préjudicielle B.4.1. La première question requiert un contrôle de l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, « dans la mesure où il s'applique aussi bien à la partie requérante qui, dans le cadre du contentieux objectif introduit devant le Conseil d'Etat un recours en annulation contre une décision administrative, qu'à la partie requérante qui, dans le cadre du contentieux subjectif, introduit devant le Conseil d'Etat un pourvoi en cassation contre une décision juridictionnelle émanant d'une juridiction administrative ».

B.4.2. Le législateur a raisonnablement pu considérer que, tant en ce qui concerne les recours en cassation administrative qu'en ce qui concerne le « contentieux objectif », la durée de la procédure devait être raccourcie et que toutes les parties requérantes devant le Conseil d'Etat devaient démontrer la persistance de leur intérêt par l'introduction d'un mémoire dans les délais requis.

Il existe assurément des différences entre le contentieux « objectif » des recours pour excès de pouvoir et le recours « subjectif » en cassation administrative, mais ces différences ne sont pas telles qu'elles obligent le législateur à opérer aussi une distinction à cet égard en ce qui concerne la durée de la procédure et, en particulier, les délais d'introduction d'un mémoire par la partie requérante sous peine, pour celle-ci, de ne pas voir son recours pris en considération.

B.4.3. Eu égard à l'objectif poursuivi, à savoir le raccourcissement de la procédure, la mesure n'est pas manifestement déraisonnable, même en ce qui concerne les recours en cassation administrative, compte tenu aussi bien de l'avertissement préalable adressé par le greffe, concernant les effets de l'absence de réponse ou de la tardiveté de celle-ci, et de la nature de cette exigence de forme - à laquelle il peut être satisfait par l'introduction d'un mémoire confirmant simplement qu'il est persisté dans le recours - que de la possibilité pour la partie requérante d'invoquer le cas échéant devant le Conseil d'Etat la force majeure.

B.4.4. Il résulte de ce qui précède que la première question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant à la deuxième question préjudicielle B.5.1. La deuxième question nécessite un contrôle de la distinction en cause au regard des articles 10 et 11 de la Constitution lus conjointement ou non avec les articles 144 et 145 de la Constitution et avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, « dans la mesure où cet article prévoit que la partie requérante qui introduit devant le Conseil d'Etat un pourvoi en cassation contre une décision juridictionnelle relative à des droits politiques subjectifs, perd de plein droit, en cas d'introduction tardive d'un mémoire en réplique, son intérêt à la procédure alors qu'au contraire, selon l'article 1094 du Code judiciaire la partie requérante qui se pourvoit devant la Cour de cassation contre une décision juridictionnelle relative à des droits politiques subjectifs et fait tardivement usage de la faculté d'introduire un mémoire en réplique, n'est pas sanctionnée par la déchéance du pourvoi en cassation ».

B.5.2. Entre les procédures de cassation devant le Conseil d'Etat d'une part et la Cour de cassation d'autre part, il existe des similitudes, bien que les deux juridictions n'aient pas la même compétence.

Toutefois, compte tenu de l'accroissement exponentiel des affaires auquel se trouve confronté le Conseil d'Etat et de l'arriéré croissant dans le traitement des affaires pendantes, il était raisonnablement justifié que le législateur prît des mesures plus rigoureuses en ce qui concerne spécifiquement cette juridiction, notamment en obligeant la partie requérante à faire connaître la persistance de son intérêt en introduisant dans les délais un mémoire en réplique ou un mémoire ampliatif.

B.5.3. La lecture conjointe des articles 10 et 11, 144 et 145 de la Constitution ne permet pas d'aboutir à une autre conclusion. En effet, la distinction constitutionnelle entre les droits civils et les droits politiques n'est pas pertinente au regard de la différence de traitement en matière de procédure qui est contestée en l'espèce.

B.5.4. A supposer que les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme s'appliquent à l'affaire pendante devant le Conseil d'Etat, il échet de constater que l'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat ne porte pas atteinte aux garanties offertes par ces dispositions conventionnelles, d'autant que le greffier du Conseil d'Etat attire expressément l'attention de la partie requérante sur les effets du non-respect de cette obligation.

B.5.5. La deuxième question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant à la troisième question préjudicielle B.6.1. La question invite à contrôler la disposition en cause au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, lus conjointement ou non avec les articles 144 et 145 de la Constitution et avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, « dans la mesure où cet article prévoit que la partie requérante qui introduit devant le Conseil d'Etat un pourvoi en cassation contre une décision juridictionnelle relative à des droits politiques subjectifs, perd de plein droit, en cas d'introduction tardive d'un mémoire en réplique, son intérêt à la procédure alors qu'au contraire l'introduction tardive d'un mémoire en réponse par la partie défenderesse n'est pas frappée d'une sanction équivalente ».

B.6.2. La distinction entre la mesure applicable à la partie requérante qui ne respecte pas les délais fixés pour l'introduction d'un mémoire en réplique et celle applicable à la partie défenderesse qui s'abstient de transmettre un mémoire en réponse dans les délais fixés est objective et raisonnablement justifiée compte tenu des principes différents qui fondent ces mesures distinctes.

L'article 21, alinéa 2, contient une règle subordonnant la poursuite de l'examen d'un recours à la manifestation, par la partie requérante, de la persistance de son intérêt. Cette mesure contribue à la résorption recherchée de l'arriéré, en ce qu'elle dispense de poursuivre l'examen d'affaires dans lesquelles la partie requérante est réputée ne plus avoir d'intérêt.

En vertu de l'article 21, alinéa 5, le mémoire tardif de la partie défenderesse est d'office écarté des débats.

Les situations objectivement distinctes de la partie requérante, qui doit justifier d'un intérêt persistant, et de la partie défenderesse, pour laquelle l'exigence d'un intérêt n'existe pas, justifient raisonnablement que des mesures distinctes soient prises en cas de non-respect des obligations respectives.

B.6.3. Pour les motifs exprimés en B.5.3 et B.5.4, la disposition en cause ne porte pas atteinte aux articles 10 et 11 de la Constitution lus conjointement avec les articles 144 et 145 de celle-ci ou avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Quant à la comparaison entre les procédures de cassation devant le Conseil d'Etat et devant la Cour de cassation, elle a été examinée aux B.5.2 et suivants.

B.6.4. La troisième question préjudicielle appelle une réponse négative.

En ce qui concerne la quatrième question préjudicielle B.7.1. La question invite à contrôler la disposition en cause au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, lus conjointement avec les articles 144 et 145 de la Constitution et avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, « dans la mesure où l'accès au juge et le droit de la défense ne sont pas garantis par cet article dans l'hypothèse d'un pourvoi en cassation contre une décision d'une juridiction administrative relative à des droits subjectifs alors que cette entrave au droit d'accès au juge et au droit de la défense est inexistante dans le cadre d'un pourvoi en cassation administrative devant la Cour de cassation ».

B.7.2. Pour les motifs exprimés en B.5.3 et B.5.4, la disposition en cause ne porte pas atteinte aux articles 10 et 11 de la Constitution lus conjointement avec les articles 144 et 145 de celle-ci ou avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.7.3. La quatrième question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus séparément ou conjointement avec les articles 144 et 145 de la Constitution ou avec les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 14 juin 2000, par le siège précité, dans lequel le juge H. Coremans est remplacé, pour le prononcé, par le juge A. Arts, conformément à l'article 110 de la même loi.

Le greffier f.f., B. Renauld Le président, M. Melchior

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