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Arrêt
publié le 08 octobre 2003

Extrait de l'arrêt n° 52/2003 du 30 avril 2003 Numéro du rôle : 2375 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 206, § 1 er , alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 et à l'article 10, alinéa 2, d La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges L. François, R(...)

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Extrait de l'arrêt n° 52/2003 du 30 avril 2003 Numéro du rôle : 2375 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 206, § 1er, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 et à l'article 10, alinéa 2, de la loi du 4 avril 1995 portant des dispositions fiscales et financières, posées par le Tribunal de première instance de Bruxelles.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges L. François, R. Henneuse, L. Lavrysen, J.-P. Snappe et E. Derycke, assistée du greffier P.-Y Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par jugement du 21 février 2002 en cause de la S.A. Bunge contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 27 février 2002, le Tribunal de première instance de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. La disposition de l'article 206, § 1er, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, introduite originairement dans l'article 114 du Code des impôts sur les revenus 1964 par l'article 34, 1o, de la loi du 20 juillet 1991 portant des dispositions budgétaires, abrogée à partir de l'exercice d'imposition 1998 par l'article 4, 1o, de la loi du 4 avril 1995 portant des dispositions fiscales et financières, violait-elle les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'elle faisait varier la déduction des pertes antérieures de la base imposable à l'impôt des sociétés entre 100 et 50 % du bénéfice selon l'importance de ce dernier, - sans avoir égard au rapport existant entre le bénéfice et les pertes accumulées, - sans avoir égard au fait que la limitation de la déduction des pertes antérieures était appelée à s'appliquer en proportion inverse de l'importance du bénéfice et partant de la capacité contributive, - et en soumettant les sociétés dont la liquidation est en cours, comme les autres sociétés, à cette limitation de déduction ? 2. Les dispositions combinées de l'article 10, alinéa 2, de la loi du 4 avril 1995 portant des dispositions fiscales et financières et de l'article 206, § 1er, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, violaient-elles les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'elles faisaient varier pour l'exercice d'imposition 1997 la déduction des pertes antérieures de la base imposable à l'impôt des sociétés entre, d'une part, 100 % du bénéfice pour les seules pertes éprouvées au cours d'exercices sociaux se rattachant à l'exercice d'imposition 1996 et, d'autre part, 100 à 50 % du bénéfice pour les pertes éprouvées au cours d'exercices sociaux se rattachant à des exercices d'imposition antérieurs à l'exercice d'imposition 1996 ? » (...) IV. En droit (...) Les dispositions en cause B.1.1. Les questions préjudicielles portent sur l'article 206, § 1er, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 (en abrégé C.I.R. 1992), tel qu'il disposait avant son abrogation par l'article 4, 1o, de la loi du 4 avril 1995, ainsi que sur l'article 10 de cette dernière loi, qui précise la date d'entrée en vigueur de cette abrogation.

B.1.2. L'article 206, § 1er, alinéa 2, du C.I.R. 1992 a été introduit par l'article 34, 1o, de la loi du 20 juillet 1991 portant des dispositions budgétaires.

L'article 206, § 1er, - dont seul l'alinéa 2 est en cause - disposait : «

Art. 206.§ 1er. Les pertes professionnelles antérieures sont successivement déduites des revenus professionnels de chacune des périodes imposables suivantes.

La déduction ne peut en aucun cas dépasser, par période imposable, 20 millions de francs ou, lorsque le montant des bénéfices après application des articles 202 à 205 excède 40 millions de francs, la moitié de ce montant. » B.1.3. L'article 206, § 1er, alinéa 2, a été abrogé par l'article 4, 1o, de la loi du 4 avril 1995 portant des dispositions fiscales et financières. L'article 10 de cette même loi dispose : «

Art. 10.L'article 4, 1o, entre en vigueur à partir de l'exercice d'imposition 1998.

Pour l'exercice d'imposition 1997, la limitation de la déduction des pertes antérieures prévue par l'article 206, § 1er, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, n'est pas applicable aux pertes éprouvées au cours d'exercices sociaux se rattachant à l'exercice d'imposition 1996. » Quant au fond B.2.1. Les deux questions préjudicielles interrogent la Cour sur la compatibilité, dans la mesure indiquée ci-dessous, des dispositions précitées avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.2.2. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu'en soit l'origine. Ils sont également applicables en matière fiscale, ce que confirme d'ailleurs l'article 172 de la Constitution, lequel fait une application particulière du principe d'égalité formulé à l'article 10.

Quant à la première question préjudicielle B.3. La Cour est interrogée sur la constitutionnalité de l'article 206, § 1er, alinéa 2, du C.I.R. 1992, considérée sur deux plans.

D'une part, en ce qu'il avait pour effet de faire varier la déductibilité des pertes antérieures en fonction de l'importance du bénéfice des sociétés - dans une fourchette allant de 100 à 50 p.c. de ce bénéfice -, sans avoir égard à la capacité contributive des sociétés.

D'autre part, en ce que les sociétés en cours de liquidation étaient soumises à la même limite de déductibilité des pertes antérieures, au même titre que celles qui n'étaient pas dans cette situation.

B.4. Comme il ressort des travaux préparatoires, le législateur, en limitant la déductibilité dans le chef des sociétés des pertes antérieures, poursuivait un objectif de nature budgétaire : « L'article 34, 1o, est une mesure purement budgétaire. La limitation de la déductibilité des pertes jusqu'à concurrence de 50 p.c. des bénéfices est une mesure budgétaire. En fait on étale la déduction des pertes. » (Doc. parl. , Sénat, 1990-1991, no 1403-3, p. 16; cf. également Doc. parl. , Chambre, 1990-1991, no 1641/10, p. 55) B.5. En retenant des critères de déductibilité des pertes antérieures qui ont pour effet de faire dépendre le pourcentage de ces pertes annuellement déductibles de la hauteur du bénéfice net des entreprises, le législateur retient un critère objectif de différenciation.

Par ailleurs, en ce qu'il a prévu que la déductibilité des pertes antérieures ne peut, annuellement, excéder la moitié du bénéfice net de la société ou 20 millions d'anciens francs - selon que le bénéfice de celle-ci excède ou non les 40 millions de francs -, le législateur a pris une mesure qui, compte tenu de l'étalement dans le temps de la déductibilité qui en résulte, est pertinente au regard de l'objectif budgétaire, l'impact budgétaire ayant été chiffré, lors des travaux préparatoires, à un montant de 4,5 milliards d'anciens francs (Doc. parl. , Chambre, 1990-1991, no 1641/10, p. 55).

Il y a lieu toutefois de vérifier si une telle mesure n'est pas disproportionnée.

B.6. Il y a lieu de relever tout d'abord que, en fixant à 20 millions le montant maximal des pertes antérieures annuellement déductibles - lorsque le bénéfice net est inférieur à 40 millions de francs -, le législateur prive d'effet la limitation de déductibilité pour toutes les sociétés dont le bénéfice net est inférieur ou égal à 20 millions, ce qu'a expressément souligné le Gouvernement lors des travaux préparatoires (Doc. parl. , Sénat, 1990-1991, no 1403-3, p. 14); pour bon nombre de petites ou moyennes entreprises, les pertes antérieures restent dès lors intégralement déductibles.

Par ailleurs, comme le relèvent expressément les travaux préparatoires cités en B.4, la mesure a pour objet non de priver les sociétés du droit de déduire des pertes qu'elles auraient antérieurement subies mais, seulement, d'étaler dans le temps la déductibilité de ces pertes. L'avantage fiscal que représente cette déductibilité n'est donc pas réduit, mais le cas échéant - si le bénéfice net est supérieur à 20 millions - partiellement différé dans le temps.

Enfin, contrairement à ce que soutient la requérante devant le juge a quo , en établissant le revenu taxable en fonction du bénéfice de l'exercice, tout en permettant de déduire au moins la moitié des pertes des années antérieures, le législateur a tenu compte de la capacité contributive de la société mais en organisant éventuellement l'étalement dans le temps de l'avantage fiscal de cette déduction.

B.7.1. Dans la première question préjudicielle, le juge a quo interroge également la Cour sur le caractère éventuellement discriminatoire de la même disposition, en ce que la limite de déductibilité des pertes antérieures s'appliquait de façon indifférenciée aux sociétés en liquidation et à celles qui ne l'étaient pas.

B.7.2. A supposer que le siège de ce traitement identique puisse être trouvé dans la disposition soumise à la Cour, l'article 206 du C.I.R. 1992 - et non dans l'article 208, alinéa 1er, du même Code qui prévoit de façon expresse ce traitement identique, mais n'est, par contre, pas déféré à la Cour -, il y a lieu de vérifier si les sociétés en état de liquidation et celles qui ne le sont pas se trouvaient, au regard des critères retenus par l'article 206, § 1er, alinéa 2, de l'objectif que cette disposition poursuivait et des effets de sa mise en oeuvre, dans une situation à ce point différente que le législateur était tenu, sous peine de violer le principe d'égalité, de traiter différemment les premières par rapport aux secondes.

La Cour observe tout d'abord que la nécessité éventuelle de traiter différemment les sociétés en liquidation ne porte, par hypothèse, que sur une partie d'entre elles : en effet, celles qui, pour l'exercice fiscal considéré, réalisent un résultat négatif ne seront de toute façon pas redevables d'un impôt pour ledit exercice, de telle sorte que la question de savoir si leurs pertes antérieures, préalablement au calcul de l'impôt, peuvent être déduites intégralement ou seulement pour partie est sans intérêt.

En dehors de cette hypothèse - et donc en considérant la situation des sociétés en liquidation qui dégagent néanmoins un bénéfice net pour l'exercice considéré -, un tel bénéfice net ne donnera lieu à aucune restriction de déductibilité des pertes antérieures s'il reste inférieur ou égal à 20 millions, dès lors que le montant maximal de déduction est précisément fixé à 20 millions. Une telle hypothèse ne peut être considérée comme inhabituelle, s'agissant de sociétés en liquidation.

En dehors des deux hypothèses précitées, reste donc à considérer la situation où une société, en état de liquidation, dégagerait un bénéfice net supérieur à 20 millions : la situation d'une telle société ne se différencie pas fondamentalement, en particulier au regard de l'objectif budgétaire poursuivi par la disposition en cause, de celle d'une société qui n'est pas en liquidation et qui dégagerait un bénéfice net d'un montant analogue. Sous cet angle, il ne se justifierait pas que la limite de déductibilité joue dans un cas et non dans l'autre.

B.7.3. La première question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant à la seconde question préjudicielle B.8. Cette question préjudicielle porte sur l'article 10, alinéa 2, de la loi du 4 avril 1995, et sur l'article 206, § 1er, alinéa 2, du C.I.R. 1992.

Le juge a quo demande à la Cour s'il est compatible avec le principe d'égalité que, en vertu de ces dispositions et en ce qui concerne l'exercice d'imposition 1997, les pertes antérieures se rattachant à l'exercice 1996 puissent être déduites intégralement du bénéfice net afférent à l'exercice 1997, quel que soit le montant de ce bénéfice net, alors que, pour les pertes se rattachant à des exercices antérieurs à celui de 1996, l'application de l'article 206, § 1er, alinéa 2, du C.I.R. 1992 conduit à un pourcentage de déductibilité - rapporté au bénéfice net - qui sera fonction du montant de ce bénéfice - donc variable et, le cas échéant, inférieur à 100 p.c. de ce bénéfice.

B.9. Il résulte des travaux préparatoires que le législateur a voulu, d'une part, supprimer les limites à la déduction des pertes antérieures pour ne plus priver les entreprises d'une partie de leurs moyens d'investissement, ce qui était dommageable pour l'économie et le développement de grands projets d'investissement, et, d'autre part, tenir compte de l'impact budgétaire de cette mesure, en modulant dans le temps son entrée en vigueur. Ainsi, sur ce dernier point, a-t-il été précisé : « Le ministre fait remarquer qu'une imputation illimitée des pertes antérieures entraînerait un coût budgétaire sensible. L'amendement du Gouvernement constitue déjà une amélioration par rapport au texte initial. Pour les nouvelles pertes, subies au cours de l'exercice d'imposition 1996, il n'y aura plus de limitation à la récupération pour l'avenir.

La question était de savoir ce qu'il fallait faire des pertes antérieures à l'exercice d'imposition 1996. Le Gouvernement a prévu pour celles-ci une phase de transition. Telle est la portée de l'amendement. Les pertes antérieures à l'exercice 1996 pourront être récupérées sans distinction avec les nouvelles à partir de l'exercice d'imposition 1998. » (Doc. parl. , Sénat, 1994-1995, no 1304-2, pp. 15 à 18) B.10. C'est au législateur qu'il appartient de déterminer les objectifs qu'il entend poursuivre en matière fiscale. Il peut se soucier à la fois de promouvoir les investissements et de limiter l'impact budgétaire qui en résulte. La Cour doit cependant vérifier si la mesure prise par le législateur peut se justifier objectivement et raisonnablement au regard de ces objectifs.

B.11. La loi du 4 avril 1995, en distinguant, en ce qui concerne l'exercice d'imposition 1997, les pertes antérieures éprouvées au cours des exercices sociaux qui se rattachent à l'exercice d'imposition 1996 et celles qui se rattachent à un exercice d'imposition antérieur, a retenu un critère de différenciation objectif : les premières constituent en effet des pertes se rattachant à un exercice d'imposition (1996) qui, à la date de publication de la loi du 4 avril 1995 - le 23 mai 1995 -, n'était pas définitivement clôturé, à l'inverse des pertes qui se rattachent aux exercices d'imposition 1995 et antérieurs.

En supprimant, en ce qui concerne l'exercice d'imposition 1997, la limitation de déductibilité des pertes antérieures qui se rattachent au seul exercice d'imposition 1996, sans étendre cette mesure aux pertes qui se rattachent aux exercices 1995 ou antérieurs, le législateur a pris une mesure pertinente au regard du double objectif qu'il poursuivait, à savoir supprimer une mesure jugée « anti-économique » selon des modalités supportables sur le plan budgétaire.

Cette mesure n'apparaît pas avoir des effets disproportionnés à l'égard des sociétés dont tout ou partie des pertes auraient été éprouvées lors d'exercices sociaux qui se rattachent à l'exercice d'imposition 1995 ou à ceux qui le précèdent. Elle n'a d'effet pratique qu'à l'égard des sociétés dont le total de ces pertes antérieures (autres que celles se rattachant à l'exercice 1996) excéderait 20 millions de francs. Par ailleurs, il ressort des travaux préparatoires cités en B.9 que ces mêmes pertes antérieures à 1996, au delà de la limitation de déductibilité qui leur reste applicable pour l'exercice d'imposition 1997, pourront faire l'objet d'une déduction sans limite à partir de l'exercice d'imposition 1998.

B.12. La seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 206, § 1er, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, avant son abrogation par l'article 4, 1o, de la loi du 4 avril 1995 portant des dispositions fiscales et financières, et l'article 10, alinéa 2, de la même loi du 4 avril 1995 ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 30 avril 2003.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, M. Melchior

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