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Arrêt
publié le 26 janvier 2004

Extrait de l'arrêt n° 146/2003 du 12 novembre 2003 Numéro du rôle : 2576 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 145/1, 3 o , du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de La Cour d'arbitrage, composée du président A. Arts et du juge L. François, faisant fonction de p(...)

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26/01/2004
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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 146/2003 du 12 novembre 2003 Numéro du rôle : 2576 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 145/1, 3o, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Louvain.

La Cour d'arbitrage, composée du président A. Arts et du juge L. François, faisant fonction de président, et des juges R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe et E. Derycke, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 8 novembre 2002 en cause de R. Hertsens et D. De Graef contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 29 novembre 2002, le Tribunal de première instance de Louvain a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 145/1, 3o, du C.I.R. 1992, applicable aux exercices d'imposition 1995, 1996 et 1997, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que, lorsque des époux bâtissent ensemble une habitation familiale sur une parcelle de terrain qui est la propriété de l'un d'eux et qu'ils contractent un emprunt hypothécaire en vue de la construction de cette habitation, l'époux qui n'est pas propriétaire du terrain ne peut déduire de ses revenus imposables les sommes affectées à l'amortissement de l'emprunt ? » (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur la compatibilité de l'article 145/1, 3o, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : C.I.R. 1992) avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Cette disposition, dans la version applicable à l'instance principale, énonçait : « Dans les limites et aux conditions prévues aux articles 145/2 à 145/16, il est accordé une réduction d'impôt calculée sur les dépenses suivantes qui ont été effectivement payées pendant la période imposable : [...] 3o à titre de sommes affectées à l'amortissement ou à la reconstitution d'un emprunt hypothécaire, contracté en vue de construire, acquérir ou transformer une habitation située en Belgique et garanti par une assurance temporaire au décès à capital décroissant; ».

B.2. Les travaux préparatoires de la loi du 28 décembre 1992 portant des dispositions fiscales, financières et diverses, dont l'article 86 a inséré la disposition litigieuse, énoncent : « Le Gouvernement considère qu'il s'indique de rendre plus équitable le régime fiscal qui s'applique actuellement, en matière d'impôts directs, à l'épargne à long terme.

Il souhaite par ailleurs maîtriser l'expansion que l'on constate des dépenses fiscales, expansion qui intervient au niveau de la déduction des primes ou de l'amortissement en capital liés à l'acquisition de biens immobiliers. Le Gouvernement entend toutefois continuer à favoriser l'acquisition par les contribuables de leur propre logement, en accordant un avantage fiscal plus important pour cette habitation.

Le Gouvernement souhaite atteindre son premier objectif, en remplaçant le régime actuel de déduction ' revenu de revenu ' (régime dans lequel l'avantage fiscal croît avec le niveau des revenus), par un système dans lequel les dépenses effectuées dans le cadre de l'épargne à long terme, bénéficieront d'un avantage fiscal qui se calculera en appliquant à ces dépenses un taux moyen amélioré, assorti d'un plafond. [...] Le second objectif est réalisé en rendant plus sélectives les conditions de l'épargne-logement et en ne maintenant un avantage fiscal analogue à celui qui existe actuellement que pour les emprunts contractés à partir du 1er janvier 1993 en vue de construire, acquérir ou transformer l'unique habitation en propriété du contribuable. Pour les emprunts conclus précédemment, il suffira qu'ils aient été contractés pour une seule habitation c'est-à-dire l'habitation qui peut bénéficier de la déduction pour habitation prévue par l'article 16 CIR 1992.

Dans la mesure où l'avantage fiscal accordé pour l'épargne à long terme - autre que celui relatif à l'unique habitation en propriété ou à une seule habitation - sera désormais réduit, le Gouvernement estime qu'il convient également d'atténuer la charge fiscale pesant sur les capitaux liquidés à l'expiration du contrat. » (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, no 717/1, pp. 26-27) Le commentaire des articles énonce : « L'article 79 vise à octroyer un avantage fiscal plus élevé au contribuable qui amortit un emprunt hypothécaire ou reconstitue au moyen d'une assurance-vie individuelle un tel emprunt, affecté à la construction, l'acquisition ou la transformation de son unique habitation en propriété située en Belgique, du moins lorsqu'il s'agit d'un emprunt contracté à partir du 1er janvier 1993. La condition ' d'habitation unique ' doit s'apprécier au moment de la conclusion du contrat de prêt.

Pour les emprunts contractés avant cette date la notion plus large d'' une seule habitation ' reste applicable. Elle vise l'habitation susceptible de bénéficier de la déduction pour habitation prévue par l'article 16 CIR 1992. [...] Il appartient toutefois au contribuable d'apporter la preuve qu'au moment de la conclusion du contrat d'emprunt, il est propriétaire de son unique habitation en propriété (emprunts contractés à partir du 1er janvier 1993) ou de la seule habitation qui peut bénéficier de la déduction pour habitation prévue par l'article 16 CIR 1992 (emprunts contractés avant le 1er janvier 1993). » (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, no 717/1, pp. 34-35) B.3. Le juge a quo observe que bien que la disposition litigieuse ne le prévoie pas expressément, la jurisprudence admet généralement que, pour pouvoir bénéficier de la réduction d'impôt, le contribuable doit être propriétaire de l'habitation concernée (Cass., 17 mai 1996;

Anvers, 26 avril 1993 et 8 mars 1994; Liège, 16 février 1994 et 5 février 1997). Le juge a quo, qui se rallie à cette jurisprudence, se demande ensuite s'il n'est pas discriminatoire que lorsque des conjoints construisent ensemble une habitation familiale sur une parcelle de terrain qui est la propriété d'un seul d'entre eux et qu'ils contractent ensemble un emprunt hypothécaire en vue de cette construction et le remboursent ensemble, le conjoint qui n'est pas propriétaire du terrain ne peut bénéficier de la réduction d'impôt susvisée.

Exceptions du Conseil des ministres B.4.1. Selon le Conseil des ministres, la question préjudicielle ne fait pas apparaître quelle distinction la disposition litigieuse établirait, ni à l'égard de quelles catégories de personnes cette disposition créerait une différence de traitement.

B.4.2. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que, dans la lecture que le juge a quo fait de la disposition litigieuse, la Cour se voit soumettre une différence de traitement en ce qui concerne le bénéfice de la réduction d'impôt entre des catégories de conjoints selon qu'un des conjoints ou les deux sont propriétaires de la parcelle de terrain sur laquelle l'habitation est construite.

B.4.3. Le point de vue du Conseil des ministres ne peut être admis.

B.5.1. Selon le Conseil des ministres, la catégorie des personnes qui se trouvent dans la situation des parties dans l'instance principale n'est pas comparable à la catégorie des conjoints qui acquièrent ou érigent un bien immobilier en indivision, ni à la catégorie des conjoints, même mariés sous le régime légal, qui acquièrent ensemble un bien immobilier.

B.5.2. Tant à l'égard des catégories de conjoints dont il s'agit dans la décision de renvoi qu'à l'égard des catégories que mentionne le Conseil des ministres, la question se pose de savoir si la qualité de propriétaire du bien immobilier pour lequel une réduction d'impôt peut, le cas échéant, être accordée est en rapport avec l'objectif de la mesure examinée.

B.5.3. L'exception ne peut être admise.

Quant au fond B.6.1. La disposition litigieuse prévoit, dans certaines limites et sous certaines conditions, une réduction d'impôt pour l'amortissement d'un emprunt hypothécaire contracté en vue de construire, d'acquérir ou de transformer une habitation.

B.6.2. En prenant en compte l'emprunt hypothécaire contracté pour construire, acquérir ou transformer l'habitation visée par la disposition litigieuse, le législateur a indiqué, comme le confirment les travaux préparatoires (B.2), que le contribuable doit être le propriétaire de cette habitation pour pouvoir bénéficier de cette réduction d'impôt.

B.7. Il appartient au législateur, et non à la Cour, de juger du caractère opportun d'une mesure fiscale qui, dans certaines limites et sous certaines conditions, entend octroyer une réduction d'impôt.

Lorsqu'il prend une telle mesure, le législateur doit toutefois respecter le principe d'égalité et de non-discrimination.

B.8.1. Les travaux préparatoires précités indiquent les objectifs que le législateur a entendu poursuivre en adoptant la mesure litigieuse.

Il apparaît que le législateur a voulu octroyer un avantage fiscal au contribuable qui, entre autres, amortit un emprunt hypothécaire qui a servi à construire, à acquérir ou à transformer son unique habitation sise en Belgique.

B.8.2. Pour réaliser l'objectif de favoriser l'accès à la propriété d'une habitation, le législateur a pu prendre en compte la qualité de propriétaire pour accorder la réduction d'impôt en question.

Ce critère revêt un caractère objectif et est pertinent par rapport à ce but. A cet égard, il convient de tenir compte du fait que, par suite du droit d'accession, prévu à l'article 552 du Code civil, le propriétaire de la parcelle de terrain devient, en principe, également le propriétaire de l'immeuble construit sur cette parcelle.

B.8.3. La mesure litigieuse n'est pas disproportionnée à cet objectif.

En effet, les conjoints peuvent avoir recours aux moyens qu'offre la loi pour répartir la propriété autrement que de la façon qui découlerait de l'application de l'article 552 précité du Code civil.

Le fait que ces moyens ne soient pas utilisés relève du choix des conjoints de ne pas rendre commune la propriété d'un des deux.

B.9. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 145/1, 3o, du Code des impôts sur les revenus 1992, dans la rédaction que lui a donnée l'article 86 de la loi du 28 décembre 1992 portant des dispositions fiscales, financières et diverses, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 12 novembre 2003.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, A. Arts.

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