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Arrêt
publié le 19 octobre 2004

Extrait de l'arrêt n° 136/2004 du 22 juillet 2004 Numéros du rôle : 2796 et 2839 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 146, alinéa 3, et 149, §§ 1 er et 5, du décret de la Région flamande du 18 La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R.(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 136/2004 du 22 juillet 2004 Numéros du rôle : 2796 et 2839 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 146, alinéa 3, et 149, §§ 1er et 5, du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 « portant organisation de l'aménagement du territoire », tels qu'ils ont été insérés ou remplacés par le décret du 4 juin 2003, posées par le Tribunal correctionnel de Gand et le Tribunal correctionnel de Termonde.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure a. Par jugement du 23 septembre 2003 en cause du ministère public contre R.Vergauwen et M. Avontroodt, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 3 octobre 2003, le Tribunal correctionnel de Gand a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 146, alinéa 3, du décret [de la Région flamande] du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, modifié par le décret du 4 juin 2003, viole-t-il le principe de légalité en matière répressive, garanti par les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution ainsi que par l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ? 2. L'article 146, alinéa 3, du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, modifié par le décret du 4 juin 2003, en instaurant une incrimination incertaine, viole-t-il le principe d'égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution ? 3.L'article 149, §§ 1er et 5, du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, modifié par le décret du 4 juin 2003, en établissant une distinction qui est uniquement subordonnée au fait de savoir si l'infraction en matière d'urbanisme a été commise avant ou après le 1er mai 2000 ou si la plus-value a été réclamée et payée avant ou après le 1er mai 2000, viole-t-il le principe d'égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution ? » b. Par jugement du 20 octobre 2003 en cause du ministère public contre A.Vanacker et G. de Cauwer, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 21 novembre 2003, le Tribunal de première instance de Termonde a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 146, alinéa 3, du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, inséré par l'article 4 [lire : 7] du décret du 4 juin 2003, viole-t-il le principe de légalité en matière répressive garanti par les articles 12 et 14 de la Constitution ? 2. L'article 146, alinéa 3, du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, inséré par l'article 4 [lire : 7] du décret du 4 juin 2003, viole-t-il le principe d'égalité garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que le caractère punissable de la persistance d'une infraction en matière d'urbanisme est subordonné à la présence de voisins et à la provocation de nuisances urbanistiques inadmissibles pour ces voisins, en sorte qu'il existe un traitement inégal entre les personnes ayant commis une infraction en matière d'urbanisme qui ne provoque pas de nuisances urbanistiques inadmissibles pour les voisins (et qui ne peuvent donc être sanctionnées pour la persistance de la situation illégale) et les personnes ayant commis une infraction en matière d'urbanisme qui provoque, elle, des nuisances urbanistiques inadmissibles pour les voisins (et qui peuvent donc être sanctionnées pour la persistance de la situation illégale), sans que cette différence de traitement se fonde sur un critère objectif et soit raisonnablement justifiée ? » Ces affaires, inscrites sous les numéros 2796 et 2839 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) Les dispositions soumises à la Cour B.1.1. Avant sa modification par l'article 7 du décret du 4 juin 2003, l'article 146 du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire disposait : « Est punie [lire : puni] d'un emprisonnement de 8 jours à 5 ans et d'une amende de 26 EUR à 400.000 EUR ou de l'une de ces peines, quiconque : 1° exécute, poursuit ou maintient les opérations, travaux ou modifications définis aux articles 99 et 101, soit sans permis préalable, soit en contravention du permis, soit après déchéance, annulation ou échéance du délai du permis, soit en cas de suspension du permis;2° exécute, poursuit ou maintient des opérations, travaux ou modifications contraires à un plan d'exécution spatial, tel que visé aux articles 37 jusqu'à 53, à un projet de plan d'exécution spatial pour lequel a été appliqué l'article 102 ou 103, §§ 1er, 3 et 4, ou aux règlements urbanistiques et règlements de lotissement, visés aux articles 54 jusqu'à 60 inclus;3° admet ou tolère en sa qualité de propriétaire que l'un des faits punissables visés aux 1° et 2° sont commis, poursuivis ou maintenus;4° commet une infraction à l'obligation d'information visée aux articles 137 jusqu'à 142;5° poursuit les opérations, travaux ou modifications contraires à l'ordre de cessation, à la décision de confirmation ou, le cas échéant, à la décision en référé;6° commet une infraction aux plans d'aménagement et règlements qui ont été établis conformément aux dispositions du décret relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996 et qui restent en vigueur aussi longtemps et dans la mesure où ils ne sont pas remplacés par de nouvelles prescriptions émises en vertu du présent décret, après la date d'entrée en vigueur du présent décret, ou poursuit ou maintient cette infraction, de quelque façon qu'il soit;7° exécute, poursuit ou maintient des travaux, opérations ou modifications qui constituent une infraction aux permis de bâtir et permis de lotir qui ont été accordés en vertu du décret relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996. Les peines minimales sont toutefois un emprisonnement de quinze jours et une amende de 2 000 EUR, ou l'une de ces peines, lorsque les infractions visées à l'alinéa premier sont commises par des agents instrumentants, agents immobiliers et autres personnes qui achètent, lotissent, mettent en vente ou en location, vendent ou louent, construisent ou conçoivent et/ou érigent des installations fixes ou amovibles dans l'exercice de leur profession ou activité ou les personnes qui agissent comme intermédiaire dans le cadre de telles opérations, durant l'exercice de leur profession. » B.1.2. L'article 7 du décret du 4 juin 2003 « modifiant le décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire en ce qui concerne la politique de maintien » a ajouté à l'article 146 précité des alinéas 3 et 4 libellés comme suit : « La sanction pour la perpétuation d'infractions visées à l'alinéa premier, 1°, 2°, 3°, 6° et 7°, ne s'applique pas pour autant que les opérations, travaux, modifications ou l'utilisation contraire ne sont pas situés dans les zones vulnérables du point [de] vue spatial, pour autant qu'ils ne provoquent pas de nuisances urbanistiques inadmissibles pour les voisins ou pour autant qu'ils ne constituent pas de violation grave des prescriptions urbanistiques essentielles en matière de destination en vertu du plan d'exécution spatial ou du plan d'aménagement.

Par zones vulnérables du point [de] vue spatial, il faut entendre les zones vertes, les zones naturelles, les zones naturelles à valeur scientifique, les réserves naturelles, les zones de développement naturelles, les zones de parc, les zones forestières, les zones de vallées et de sources, les zones agricoles à valeur à valeur ou intérêt écologique, les zones agricoles à valeur particulière, les grandes entités naturelles, les grandes entités naturelles en développement et les zones y comparables, désignées sur les plans d'aménagement, ainsi que les zones dunaires protégées et les zones dunaires à intérêt agricole, désignées en vertu du décret du 14 juillet 1993 portant les mesures de protection des dunes côtières. » B.1.3. Les modifications qui ont été apportées à l'article 146 par le décret du 21 novembre 2003 n'ont pas d'incidence sur les points de droit soumis à la Cour.

B.2.1. Avant sa modification par l'article 8 du décret du 4 juin 2003, l'article 149, §§ 1er et 5, du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire disposait : « § 1er. Outre la peine, le tribunal ordonne, sur requête de inspecteur urbaniste, ou du Collège des bourgmestre et échevins de la commune sur le territoire de laquelle les travaux, opérations ou modifications visés à l'article 146 ont été exécutés, de remettre le lieu en son état initial ou de cesser l'utilisation contraire, et/ou d'exécuter des travaux de construction ou d'adaptation et/ou de payer une amende égale à la plus-value acquise par le bien suite à l'infraction.

La plus-value ne peut plus être réclamée dans les cas suivants : 1° en cas de répétition d'une infraction, rendue punissable par le présent décret;2° en cas de non-respect d'un ordre de cessation;3° lorsque l'infraction provoque des nuisances urbanistiques inadmissibles pour les voisins;4° lorsque l'infraction constitue une violation grave des prescriptions urbanistiques essentielles en matière de destination en vertu du plan d'exécution spatial ou du plan d'aménagement. Le Gouvernement flamand peut déterminer d'autres modalités pour les cas où la plus-value ne peut pas être réclamée.

Lorsque les actions de inspecteur urbaniste et du Collège des bourgmestre et échevins ne correspondent pas, l'action du premier cité est prioritaire.

Pour l'exécution des mesures de réparation, le tribunal fixe un délai qui ne peut dépasser un an et après l'expiration de ce délai d'exécution, sur requête de inspecteur urbaniste ou du Collège des bourgmestre et échevins, une astreinte par journée de retard dans la mise en ouvre de la mesure de réparation. [...] § 5. Le tribunal détermine le montant de la plus-value.

En cas de condamnation au paiement d'un montant égal à la plus-value, la personne condamnée peut s'acquitter valablement en remettant les lieux dans l'état initial ou en mettant fin à l'utilisation contraire, dans l'année suivant le jugement.

Le Gouvernement flamand détermine le mode de calcul du montant à réclamer et de paiement de la plus-value. » B.2.2. L'article 8 du décret du 4 juin 2003 « modifiant le décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire en ce qui concerne la politique de maintien » a remplacé l'article 149, § 1er, comme suit : « § 1er. Outre la peine, le tribunal peut ordonner de remettre le lieu en son état initial ou de cesser l'utilisation contraire, et/ou d'exécuter des travaux de construction ou d'adaptation et/ou de payer une amende égale à la plus-value acquise par le bien suite à l'infraction. Ceci se fait sur requête de l'inspecteur urbaniste, ou du Collège des bourgmestre et échevins de la commune sur le territoire de laquelle les travaux, opérations ou modifications visés à l'article 146 ont été exécutés. Lorsque ces infractions datent d'avant le 1er mai 2000, un avis conforme préalable du Conseil supérieur de la Politique de Réparation est requis.

L'avis conforme du Conseil supérieur de la Politique de Réparation doit être émis dans les 60 jours après la demande d'avis envoyée en recommandé. Lorsque le Conseil supérieur de la Politique de Réparation n'a pas émis d'avis conforme dans le délai imposé, l'obligation en matière d'avis n'est plus requise.

Pour les infractions dont le propriétaire peut démontrer qu'elles ont été commises avant le 1er mai 2000, le moyen de la plus-value peut en principe toujours être utilisé, sauf dans un des cas suivants : 1° en cas de non-respect d'un ordre de cessation;2° lorsque l'infraction provoque des nuisances urbanistiques inadmissibles pour les voisins;3° lorsque l'infraction constitue une violation grave et irréparable des prescriptions urbanistiques essentielles en matière de destination en vertu du plan d'exécution spatial ou du plan d'aménagement. Lorsque les actions de l'inspecteur urbaniste et du Collège des bourgmestre et échevins sont divergentes, l'action du premier cité est prioritaire.

Pour l'exécution des mesures de réparation, le tribunal fixe un délai et, sur requête de l'inspecteur urbaniste ou du Collège des bourgmestre et échevins, une astreinte par journée de retard dans la mise en oeuvre de la mesure de réparation. » La même disposition a complété l'article 149, § 5, par un alinéa 4 libellé comme suit : « Par dérogation à l'alinéa premier, les montants égaux à la plus-value, dont le paiement a été réclamé et obtenu sans condamnation préalable par le tribunal, sont censés être fixés et obtenus valablement pour autant que l'action en paiement de ces montants et le paiement total date d'avant le 1er mai 2000. » B.2.3. Les modifications qui ont été apportées à l'article 149, § 1er, par le décret du 21 novembre 2003 n'ont pas d'incidence sur les points de droit soumis à la Cour.

Quant à la première question préjudicielle dans les deux affaires B.3. Les juges a quo demandent à la Cour si l'article 146, alinéa 3, du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire viole les articles 12 et 14 de la Constitution et - uniquement dans l'affaire n° 2796 - l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

B.4.1. Le Gouvernement flamand conteste la pertinence de la question préjudicielle parce que la réponse ne saurait procurer un avantage aux prévenus.

B.4.2. C'est en principe au juge qui pose la question préjudicielle qu'il appartient d'apprécier si la réponse à cette question est utile à la solution du litige qu'il doit trancher. Ce n'est que lorsque ce n'est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la question n'appelle pas de réponse.

B.4.3. Il suffit, comme c'est le cas dans les affaires présentement examinées, qu'un juge ait des doutes sur la constitutionnalité de dispositions pénales qu'il doit appliquer pour qu'une question préjudicielle qui vise à écarter ces doutes ne puisse pas être considérée comme manifestement dénuée de pertinence pour la solution du litige.

B.4.4. L'exception est rejetée.

B.5.1. Le Gouvernement flamand objecte également que la Cour n'est pas compétente pour se prononcer sur la violation directe de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

B.5.2. En vertu de l'article 26, § 1er, 3°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, modifié par la loi spéciale du 9 mars 2003, la Cour est compétente pour contrôler les normes législatives, par voie de décision préjudicielle, au regard des articles du titre II « Des Belges et de leurs droits » et des articles 170, 172 et 191 de la Constitution.

B.5.3. Toutefois, lorsqu'une disposition conventionnelle liant la Belgique a une portée analogue à une ou plusieurs des dispositions constitutionnelles précitées, les garanties consacrées par cette disposition conventionnelle constituent un ensemble indissociable avec les garanties inscrites dans les dispositions constitutionnelles en cause. Par ailleurs, la violation d'un droit fondamental constitue ipso facto une violation du principe d'égalité et de non-discrimination.

B.5.4. Il s'ensuit que, lorsqu'est alléguée la violation d'une disposition du titre II ou des articles 170, 172 ou 191 de la Constitution, la Cour tient compte, dans son examen, des dispositions de droit international qui garantissent des droits ou libertés analogues.

B.5.5. Comme les articles 12 et 14 de la Constitution, l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantissent le droit au respect du principe de légalité en matière répressive.

Il s'ensuit que la Cour est compétente pour juger si la disposition en cause viole le principe de légalité tel qu'il est garanti par les dispositions constitutionnelles précitées, en tenant compte des dispositions conventionnelles précitées.

B.6.1.1. L'article 12 de la Constitution dispose : « La liberté individuelle est garantie.

Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit. [...] » L'article 14 de la Constitution dispose : « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi. » B.6.1.2. L'article 7.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 15.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques disposent : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. [...] » B.6.2. En attribuant au pouvoir législatif la compétence, d'une part, de déterminer dans quels cas et sous quelle forme des poursuites pénales sont possibles et, d'autre part, d'adopter la loi en vertu de laquelle une peine peut être établie et appliquée, les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution garantissent à tout citoyen qu'aucun comportement ne sera punissable et qu'aucune peine ne sera infligée qu'en vertu de règles adoptées par une assemblée délibérante, démocratiquement élue.

Ces dispositions constitutionnelles n'empêchent toutefois pas que la loi attribue un pouvoir d'appréciation au juge chargé de l'appliquer, pour autant qu'elle ne méconnaisse pas les exigences particulières de précision, de clarté et de prévisibilité auxquelles doivent satisfaire les lois en matière pénale.

B.6.3. Il découle des articles 12 et 14 de la Constitution, ainsi que de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que la loi pénale peut certes présenter une certaine souplesse afin de tenir compte de l'évolution des circonstances, mais qu'elle doit néanmoins être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est ou non punissable.

B.7.1. L'article 146, alinéa 3, du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire détermine les cas dans lesquels la persistance des infractions en matière d'urbanisme est punissable. C'est désormais le cas (a) lorsque les opérations, les travaux, les modifications ou les usages abusifs sont situés dans une « zone vulnérable du point de vue spatial », (b) lorsqu'ils provoquent « des nuisances urbanistiques inadmissibles pour les voisins » ou (c) lorsqu'ils constituent une violation grave des règles urbanistiques essentielles, en matière d'affectation, qui résultent du plan d'exécution spatial ou du plan d'aménagement.

B.7.2. Le premier cas dans lequel la persistance d'une infraction en matière d'urbanisme est punissable, à savoir lorsque l'infraction est commise dans une « zone vulnérable du point de vue spatial », remplit les exigences de précision, de clarté et de prévisibilité auxquelles doivent répondre les lois pénales. L'article 146, alinéa 4, du décret du 18 mai 1999 dispose en effet qu'il faut entendre par « zone vulnérable du point de vue spatial » : « les zones vertes, les zones naturelles, les zones naturelles à valeur scientifique, les réserves naturelles, les zones de développement naturelles, les zones de parc, les zones forestières, les zones de vallées et de sources, les zones agricoles à valeur ou intérêt écologique, les zones agricoles à valeur particulière, les grandes entités naturelles, les grandes entités naturelles en développement et les zones y comparables, désignées sur les plans d'aménagement, ainsi que les zones dunaires protégées et les zones dunaires à intérêt agricole, désignées en vertu du décret du 14 juillet 1993 portant les mesures de protection des dunes côtières ».

B.7.3. La persistance d'une infraction en matière d'urbanisme est toutefois punissable aussi lorsqu'elle provoque « des nuisances urbanistiques inadmissibles » pour les voisins.

La section de législation du Conseil d'Etat estimait que la notion de « nuisances urbanistiques inadmissibles » laissait une trop grande marge d'appréciation au juge pénal et ne constituait donc pas la définition précise du comportement punissable qu'exige le principe de légalité en matière répressive. (Doc. parl., Parlement flamand, 2002-2003, n° 1566/4, p. 10).

Le législateur décrétal n'a pas donné suite à cette observation et a justifié comme suit cette attitude dans les travaux préparatoires : « Des articles 1382 et 544 du Code civil résulte une jurisprudence constante, selon laquelle le trouble anormal de voisinage est celui qui excède la mesure des inconvénients ordinaires du voisinage. On peut renvoyer à cet égard à la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Cass. 6 avril 1960, A.C. 1960, p. 722; Cass. 19 octobre 1972, A.C. 1973, p. 178).

Il convient par ailleurs d'observer que le même critère est utilisé aujourd'hui dans l'article 149 pour déterminer dans quels cas la demande d'une plus-value est exclue. » (Doc., Parlement flamand, 2002-2003, n° 1566/5, p. 5) Selon l'un des auteurs de la proposition de décret, il y a lieu d'entendre par « nuisance urbanistique inadmissible » le fait, par exemple, de « construire - en violation du permis de bâtir accordé - un immeuble (à appartements) comportant deux étages de plus que les habitations environnantes » (Doc., Parlement flamand, 2002-2003, n° 1566/7, p. 15).

B.7.4. Enfin, la persistance d'une infraction en matière d'urbanisme est également punissable lorsqu'elle constitue « une violation grave » des règles urbanistiques « essentielles » en matière d'affectation qui résultent du plan d'exécution spatial ou du plan d'aménagement.

Cette définition du fait punissable n'a pas été soumise au Conseil d'Etat pour avis. Elle a été ajoutée par un amendement justifié comme suit : « Un troisième critère - objectif - est ajouté, à savoir le fait de ne pas violer les règles urbanistiques essentielles en matière d'affectation. L'exposé des motifs du projet de décret portant organisation de l'aménagement du territoire souligne que la ' politique en matière de maintien ' constitue la clé de voûte d'un bon aménagement du territoire. Une loi ou un décret n'a aucun sens si son application ne peut pas être poursuivie de manière efficiente et pratiquement réalisable.

Une première limitation consiste en ce que seules les règles en matière d'affectation sont concernées. Une deuxième limitation est que cela vise les règles essentielles. Enfin, une troisième limitation consiste en ce qu'il doit s'agir d'une violation grave. Ces limitations impliquent déjà dans une large mesure une appréciation. » (Doc., Parlement flamand, 2002-2003, n° 1566/5, p. 5) Selon l'un des auteurs de la proposition d'amendement, il faut entendre par « violation d'une règle urbanistique essentielle », par exemple, « le fait de construire - en violation du permis de bâtir accordé - sur une profondeur qui est sensiblement supérieure à celle fixée dans le plan particulier d'aménagement : par exemple 30 mètres au lieu de 20. Il doit s'agir d'une violation grave et donc pas d'une différence de 50 centimètres sur la profondeur de la construction par exemple, et d'une règle d'urbanisme essentielle et donc pas d'une cabane de jardin d'une hauteur de 2,10 mètres au lieu des 2 mètres imposés » (Doc., Parlement flamand, 2002-2003, n° 1566/7, p. 15).

B.7.5. Si la notion de « nuisance inadmissible » est acceptable en droit civil - bien qu'elle se prête à des définitions extensives -, elle ne peut, pas plus que la notion de « violation grave », constituer à elle seule la définition d'une infraction, sans créer une insécurité inadmissible. La condition de l'existence d'une « nuisance urbanistique » pour les voisins ne constitue pas une restriction suffisante parce qu'elle laisse subsister cette même insécurité pour tous ceux qui font naître un tel trouble. La condition selon laquelle la violation doit porter sur des règles urbanistiques « essentielles » en matière d'affectation résultant du plan d'exécution spatial ou du plan d'aménagement accroît même encore cette insécurité, étant donné que, sans autre précision, on ne peut savoir quelles règles doivent être considérées comme essentielles.

La notion de « nuisances urbanistiques inadmissibles pour les voisins » et la notion de « violation grave des prescriptions urbanistiques essentielles en matière de destination en vertu du plan d'exécution spatial ou du plan d'aménagement » n'ont dès lors pas un contenu normatif suffisamment précis pour qu'elles puissent définir une infraction.

B.8. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Quant à la deuxième question préjudicielle dans l'affaire n° 2796 B.9. Le juge a quo demande si l'article 146, alinéa 3, du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il établit une incrimination incertaine.

B.10. La constatation de la violation du principe de légalité en matière répressive entraîne la constatation d'une violation du principe d'égalité et de non-discrimination contenu aux articles 10 et 11 de la Constitution. En effet, une différence de traitement injustifiable est établie entre deux catégories de justiciables : contrairement à ceux qui sont poursuivis pour d'autres infractions, ceux qui sont poursuivis pour la persistance d'une infraction en matière d'urbanisme sont privés de la garantie en vertu de laquelle personne ne peut être soumis à une loi pénale qui ne satisfait pas aux conditions de précision, de clarté et de prévisibilité permettant à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est ou non punissable.

B.11. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Quant à la deuxième question préjudicielle dans l'affaire n° 2839 B.12. Le juge a quo demande à la Cour si l'article 146, alinéa 3, du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il fait dépendre le caractère punissable de la persistance d'une infraction en matière d'urbanisme de l'existence de voisins.

B.13. Le Gouvernement flamand conteste la pertinence de la question préjudicielle parce que la réponse à celle-ci ne pourrait procurer aucun avantage aux prévenus.

Cette exception doit être rejetée pour les motifs exposés aux B.4.2 et B.4.3.

B.14. Ainsi que le confirment également les travaux préparatoires du décret du 4 juin 2003 qui a inséré la disposition en cause, une infraction en matière d'urbanisme a « une incidence grave et persistante sur l'aménagement du territoire, lequel est d'intérêt général » (Doc., Parlement flamand, 2002-2003, n° 1566/1, p. 6).

L'absence de voisins permet de conclure que la persistance d'une infraction en matière d'urbanisme ne lèse aucun intérêt particulier.

On ne peut toutefois en déduire que la persistance de cette infraction ne met pas en péril le bon aménagement du territoire.

L'existence de voisins ne constitue dès lors pas un critère pertinent en ce qui concerne le caractère punissable de la persistance d'une infraction en matière d'urbanisme.

B.15. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Quant à la troisième question préjudicielle dans l'affaire n° 2796 B.16. Le juge a quo demande à la Cour si l'article 149 du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il établit une distinction selon que l'infraction en matière d'urbanisme ( § 1er) ou la demande portant sur la plus-value ( § 5) est antérieure ou postérieure au 1er mai 2000.

B.17. Le Gouvernement flamand conteste la pertinence de la question préjudicielle parce que la réponse ne procurerait aucun avantage aux prévenus.

Etant donné que le juge a quo doit tenir compte des intérêts de toutes les parties en cause ainsi que de l'intérêt général, la pertinence de la question ne saurait dépendre de l'avantage éventuel qu'en retirerait une des parties.

Dès lors qu'il n'apparaît pas que la question préjudicielle serait manifestement sans utilité pour la solution du litige, l'exception doit être rejetée.

B.18.1. En vertu de l'article 149, § 1er, du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, le tribunal prononce la peine et ordonne en outre de remettre les lieux en leur état initial ou de cesser l'utilisation abusive, et/ou d'exécuter des travaux de construction ou d'adaptation et/ou de payer une somme d'argent égale à la plus-value acquise par le bien à la suite de l'infraction.

B.18.2. En matière d'urbanisme et d'aménagement du territoire, il est essentiel que l'appréciation soit laissée à une autorité qui décide en se fondant sur l'intérêt général. La demande visant à faire ordonner les mesures de réparation prévues à l'article 149, § 1er, du décret précité a été instaurée par le législateur décrétal en vue de sauvegarder le bon aménagement du territoire. Des mesures de réparation ne peuvent être ordonnées sur cette base qu'à la demande de l'inspecteur urbaniste et/ou du collège des bourgmestre et échevins.

Leur intervention s'appuie sur leur mission légale de défense de l'intérêt général en matière d'urbanisme.

B.19.1. En vertu du nouvel article 149, § 1er, alinéa 1er, dernière phrase, du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, les demandes de réparation relatives à des infractions antérieures au 1er mai 2000 doivent désormais faire l'objet d'un avis conforme du Conseil supérieur de la politique de réparation.

B.19.2. Le Conseil supérieur de la politique de réparation compte sept membres, dont quatre ont exercé pendant cinq ans au moins - et au moins dix ans en ce qui concerne le président - les fonctions de magistrat près les cours et tribunaux ou au Conseil d'Etat et dont les trois autres ont une expérience pertinente de cinq ans au moins en matière d'aménagement du territoire.

La création du Conseil supérieur de la politique de réparation répond au « besoin d'un organe autonome et indépendant, détaché de toute influence politique, qui évalue les décisions des inspecteurs urbanistes régionaux et les contrôle au regard du principe d'égalité et du principe du raisonnable » (Doc., Parlement flamand, 2002-2003, n° 1566/1, p.7).

B.19.3. Il relève de la liberté d'appréciation du législateur décrétal de laisser le choix de la mesure de réparation en matière d'aménagement du territoire à l'autorité jugée la plus apte à cette fin. Il doit toutefois, ce faisant, respecter les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.19.4. Si le législateur décrétal juge qu'il est nécessaire à la cohérence de la politique de réparation que la demande de réparation soit précédée d'un avis conforme du Conseil supérieur de la politique de réparation, la Cour n'aperçoit pas pourquoi cette exigence s'appliquerait à certaines infractions et non à d'autres.

Comme l'indiquent les travaux préparatoires, la date du 1er mai 2000 est certes « une date objective [...], à savoir la date à laquelle le décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire est entré en vigueur » (Doc., Parlement flamand, 2002-2003, n° 1566/7, p.16), mais cette date n'a aucun lien avec le but de la disposition en cause. On n'aperçoit pas, en particulier, pour quels motifs une politique de réparation cohérente serait plus nécessaire pour les infractions commises avant le 1er mai 2000 que pour celles commises après cette date.

B.19.5. L'article 149, § 1er, alinéa 1er, dernière phrase, n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.20.1. Le nouvel article 149, § 1er, alinéa 3, du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire dispose que, lorsque le propriétaire peut démontrer que les infractions ont été commises avant le 1er mai 2000, la mesure de la plus-value peut en principe toujours être utilisée, sauf (a) en cas de non-respect d'un ordre de cessation, (b) lorsque l'infraction provoque des « nuisances urbanistiques inadmissibles pour les voisins » ou (c) lorsque l'infraction constitue une « violation grave et irréparable des prescriptions urbanistiques essentielles en matière de destination en vertu du plan d'exécution spatial ou du plan d'aménagement ».

B.20.2. Il appartient au législateur décrétal de déterminer les modalités d'application des mesures de réparation et d'exclure dès lors que certaines mesures puissent être demandées dans des cas déterminés. Le législateur décrétal est également libre d'adapter sa politique de réparation à l'évolution des circonstances. Toutefois, lorsque, ce faisant, il utilise un critère de distinction qui ne correspond pas à la date à laquelle le décret modificatif sortit ses effets, il doit fournir pour ce critère une justification objective et raisonnable.

B.20.3. La Cour n'aperçoit pas ce qui pourrait justifier que le paiement de la plus-value est toujours possible, sous certaines conditions, si l'infraction a été commise avant le 1er mai 2000, alors que ce n'est pas le cas si l'infraction a été commise après le 1er mai 2000. La date d'entrée en vigueur du décret précité du 18 mai 1999 n'offre aucune justification à cet égard.Au contraire, à partir de cette date, l'article 149, § 1er, précisait justement que la plus-value ne pouvait être demandée dans les cas précités.

B.20.4. L'article 149, § 1er, alinéa 3, n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.21.1. Dans le passé, il existait une pratique administrative qui consistait à imposer le paiement de la plus-value comme mesure de réparation, sans intervention du tribunal.

En vertu du nouvel article 149, § 5, alinéa 4, du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, les montants égaux à la plus-value, dont le paiement a été réclamé et obtenu sans condamnation préalable par un tribunal, sont censés avoir été fixés et obtenus valablement, pour autant que l'action en paiement de ces montants et le paiement total soient antérieurs au 1er mai 2000.

B.21.2. La disposition en cause porte atteinte aux décisions judiciaires passées en force de chose jugée qui ont déclaré illégales les mesures de réparation imposées sans intervention judiciaire. Elle prive par conséquent une catégorie de personnes du bénéfice de décisions judiciaires qui sont devenues définitives, ce qu'aucune circonstance ne saurait justifier.

B.21.3. L'article 149, § 5, alinéa 4, n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.22. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 146, alinéa 3, du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, tel qu'il a été inséré par l'article 7 du décret de la Région flamande du 4 juin 2003, viole les articles 10, 11, 12 et 14 de la Constitution. - L'article 149, § 1er, du même décret, tel qu'il a été remplacé par l'article 8, 1°, du décret de la Région flamande du 4 juin 2003, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'il crée une différence de traitement selon que l'infraction en matière d'urbanisme a été commise avant ou après le 1er mai 2000. - L'article 149, § 5, alinéa 4, du même décret, tel qu'il a été inséré par l'article 8, 3°, du décret de la Région flamande du 4 juin 2003, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'il crée une différence de traitement selon que la plus-value a été réclamée et payée avant ou après le 1er mai 2000.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 22 juillet 2004.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, A. Arts.

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