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Arrêt
publié le 28 février 2005

Extrait de l'arrêt n° 32/2005 du 9 février 2005 Numéro du rôle : 3001 En cause : le recours en annulation des articles 8, 10, § 1 er , 5°, 42, § 1 er , et 46, § 1 er , du décret de la Région flamand La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R.(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 32/2005 du 9 février 2005 Numéro du rôle : 3001 En cause : le recours en annulation des articles 8, 10, § 1er, 5°, 42, § 1er, et 46, § 1er, du décret de la Région flamande du 18 juillet 2003 relatif à la politique intégrée de l'eau, introduit par l'a.s.b.l. Vlaams Overleg voor Ruimtelijke Ordening en Huisvesting et l'a.s.b.l. Landelijk Vlaanderen, vereniging van Bos-, Land- en Natuureigenaars.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot et J.-P. Snappe, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 14 mai 2004 et parvenue au greffe le 17 mai 2004, l'a.s.b.l. Vlaams Overleg voor Ruimtelijke Ordening en Huisvesting, dont le siège est établi à 1000 Bruxelles, rue du Lombard 42, et l'a.s.b.l. Landelijk Vlaanderen, vereniging van Bos-, Land- en Natuureigenaars, dont le siège est établi à 1000 Bruxelles, Galerie du Centre, Bloc 2, ont introduit un recours en annulation des articles 8, 10, § 1er, 5°, 42, § 1er, et 46, § 1er, du décret de la Région flamande du 18 juillet 2003 relatif à la politique intégrée de l'eau (publié au Moniteur belge du 14 novembre 2003). (...) II. En droit (...) B.1. Le décret de la Région flamande du 18 juillet 2003 entend créer le cadre juridique d'une « politique intégrée de l'eau » en Flandre.

Il vise aussi à transposer la directive européenne 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau.

Selon l'article 4 du décret, la politique intégrée de l'eau est la politique orientée sur le développement coordonné et intégré, la gestion et la restauration de systèmes hydrologiques afin d'atteindre les conditions connexes nécessaires à conserver ce système hydrologique en tant que tel, et en vue de l'utilisation polyvalente, compte tenu des besoins des générations actuelles et futures. A cette fin sont créés différents instruments, parmi lesquels l'« évaluation aquatique », qui impose aux autorités d'avoir égard aux incidences de leurs décisions sur la politique de l'eau (article 8), ainsi qu'un régime particulier pour les zones de rive (articles 9 et 10).

La politique de l'eau est organisée à différents niveaux géographiques (bassins hydrographiques et districts hydrographiques, sous-bassins et parties de sous-bassins), pour chacun desquels des plans de gestion doivent être établis.

Quant à l'intérêt des parties requérantes B.2.1. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Cet intérêt n'existe que si les dispositions attaquées sont de nature à affecter directement et défavorablement les parties requérantes.

B.2.2. Lorsqu'une association sans but lucratif se prévaut d'un intérêt collectif, il est requis que son objet social soit d'une nature particulière et, dès lors, distinct de l'intérêt général; que l'intérêt collectif ne soit pas limité aux intérêts individuels des membres; que la norme entreprise soit susceptible d'affecter l'objet social; enfin, qu'il n'apparaisse pas que l'objet social ne soit pas ou plus réellement poursuivi.

B.2.3. Le Gouvernement flamand conteste que les dispositions attaquées puissent affecter directement et défavorablement les parties requérantes.

B.2.4. L'a.s.b.l. Landelijk Vlaanderen a pour objet, aux termes de l'article 3 de ses statuts, de « promouvoir et défendre les intérêts communs de tous ses membres en ce qui concerne leurs droits en matière immobilière au sens le plus large du terme ». Selon cette même disposition, l'association peut poser à cette fin tout acte qui concourt directement ou indirectement à cet objectif.

B.2.5. L'article 8 du décret du 18 juillet 2003 instaure l'« évaluation aquatique » comme instrument de la « politique intégrée de l'eau ». Les autorités qui doivent décider d'un permis, d'un plan ou d'un programme doivent veiller, en refusant le permis ou en refusant l'approbation du plan ou du programme, ou en imposant des conditions ou des adaptations adéquates du plan ou du programme, à ce qu'il n'y ait aucune incidence négative ou à ce que celle-ci soit limitée au maximum et, si cela est impossible, à ce qu'elle soit réparée ou, en cas de diminution de l'infiltration des eaux pluviales ou de diminution de l'« espace pour le système d'eau », à ce qu'elle soit compensée.

En vertu de l'article 10, § 1er, 5°, du décret, aucune construction nouvelle au-dessus du sol ne peut être édifiée dans les zones de rive d'une « masse d'eau de surface », à l'exception des constructions nécessaires à la gestion de celle-ci ainsi qu'à l'accomplissement de la ou des fonctions qui lui sont attribuées, et à l'exception des travaux d'intérêt général et des constructions qui sont compatibles avec la ou les fonctions des zones de rive.

En vertu des articles 42, § 1er, et 46, § 1er, du décret, « les mesures contenues dans les plans de gestion des bassins et sous-bassins ne peuvent pas fixer des limitations ayant un effet absolu ou qui interdisent ou rendent impossibles des opérations qui sont conformes aux plans d'aménagement ou aux plans d'exécution spatiaux en vigueur en ce qui concerne l'aménagement du territoire, ni empêcher la réalisation de ces plans et de leurs prescriptions d'affectation, à l'exception des travaux ou opérations situés à l'intérieur de zones inondables ou dans les zones à digues [lire : zones de rive] ».

B.2.6. La deuxième partie requérante démontre qu'une partie au moins des catégories de personnes dont elle entend défendre les intérêts se verra refuser un permis sur la base d'une « évaluation aquatique » négative ou se verra imposer une restriction à l'exercice de son droit de propriété, en raison du classement du terrain en zone de rive ou en zone inondable. L'association a dès lors un intérêt à attaquer les dispositions précitées.

B.2.7. Dès lors que l'une des deux parties requérantes justifie d'un intérêt suffisant à son recours, il n'est pas nécessaire d'examiner si l'autre partie requérante justifie elle aussi d'un intérêt direct au même recours.

Quant au fond B.3. Les moyens sont pris de la violation des articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus en corrélation avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. Ils sont dirigés respectivement contre l'article 8 (premier moyen), contre l'article 10, § 1er, 5°, (deuxième moyen) et contre les articles 42, § 1er, et 46, § 1er, du décret (troisième moyen).

Les parties requérantes font valoir pour l'essentiel que les dispositions attaquées violent le droit de propriété et le principe d'égalité parce qu'elles ne prévoient pas de règles d'indemnisation.

B.4. Il découle des dispositions attaquées que certains travaux ou activités peuvent être interdits ou rendus impossibles. Bien que les propriétaires concernés ne soient pas expropriés, les dispositions constitutionnelles et conventionnelles invoquées s'opposent à ce que l'autorité publique impose à une catégorie déterminée de personnes des charges qui excèdent celles qu'un particulier peut être réputé devoir supporter dans l'intérêt général.

B.5. Il appartient au législateur décrétal de prendre les mesures nécessaires en vue d'une bonne gestion de l'eau.

Sans doute serait-il souhaitable, du point de vue de la cohérence de la réglementation, que l'affectation spatiale d'un site corresponde aux prescriptions de conservation applicables à ce site et que, lorsque l'affectation spatiale ne peut plus être réalisée en raison des prescriptions de conservation, cette affectation spatiale soit dès lors adaptée - les articles 36, § 3, et 42, § 4, du décret poursuivent d'ailleurs cet objectif. Toutefois, le contrôle exercé par la Cour se limite au respect, par le législateur décrétal, des articles 10 et 11 de la Constitution.

B.6. Il peut raisonnablement être admis que l'exercice, sans aucune restriction, du droit de propriété n'est pas conciliable en toute circonstance avec l'objectif d'une bonne gestion de l'eau.

B.7. La Cour doit encore examiner si les mesures contestées n'ont pas d'effets disproportionnés, en particulier en ce qu'elles contiennent une limitation du droit de propriété.

B.8. Il y a lieu de considérer que les mesures contestées règlent « l'usage des biens conformément à l'intérêt général », au sens du deuxième alinéa de l'article 1er du Premier Protocole additionnel. Ces mesures ne seraient discriminatoires que si elles affectaient de manière excessive les droits des propriétaires concernés.

B.9.1. L'application de l'« évaluation aquatique » ne conduit pas automatiquement à une limitation du droit de propriété. L'article 8 attaqué prévoit en premier lieu que si une incidence négative est à redouter, des conditions doivent être imposées lors de l'octroi du permis ou de l'approbation du plan ou du programme en vue d'éviter l'effet dommageable ou de le limiter autant que possible. En second lieu, si l'effet négatif ne peut être évité ou limité en posant des conditions, les conditions à imposer doivent viser à la réparation ou - en cas de diminution de l'infiltration des eaux pluviales ou de diminution de l'espace pour le système hydrologique - à la compensation de cet effet. Ce n'est qu'en dernière instance, lorsqu'il apparaît que l'effet dommageable ne peut être évité, ni limité et que la réparation ou la compensation sont également impossibles que le permis ou l'approbation du plan ou du programme est refusé.

Les autorités, lorsqu'elles prennent une décision concernant un plan ou un programme ou un permis, doivent tenir compte des plans de gestion de l'eau pertinents, établis par le Gouvernement flamand, pour autant qu'ils existent, et la décision doit être motivée, « en évaluant en tout cas les objectifs et les principes de la politique intégrée de l'eau ».

Tant qu'aucun plan de gestion de l'eau n'a été établi, l'autorité qui délivre le permis doit, en cas de doute concernant une éventuelle incidence négative et concernant les conditions à imposer afin de prévenir, de limiter, de réparer ou de compenser cette incidence, demander l'avis de l'instance désignée par le Gouvernement flamand.

B.9.2. Dans les zones de rive, l'article 10, § 1er, 5°, attaqué instaure par contre une interdiction automatique de bâtir. La disposition fait une exception pour les constructions qui sont nécessaires à la gestion de la masse d'eau de surface ou à l'accomplissement de la ou des fonctions attribuées à celle-ci, pour les travaux d'intérêt général et pour les constructions qui sont compatibles avec la ou les fonctions de la zone de rive. La zone de rive concerne toutefois une bande de terrain étroite qui, en principe, ne comprend que les talus des masses d'eau de surface (article 9, § 1er, alinéa 1er, du décret). Le talus est une « bande de terrain du lit d'une masse d'eau de surface qui s'étend du sol du lit jusqu'au commencement du terrain naturel ou du sommet du talus » (article 3, § 2, 42°, du décret).

Ce n'est qu'en vue du fonctionnement naturel des systèmes hydrologiques, de la conservation de la nature ou de la protection contre l'érosion ou l'apport de sédiments, de pesticides et d'engrais, qu'une zone de rive plus large peut être délimitée, de façon motivée, dans le plan de gestion du bassin ou du sous-bassin (article 9, § 1er, alinéa 2, du décret).

B.9.3. En vertu des articles 42, § 1er, et 46, § 1er, attaqués, des restrictions peuvent être établies, dans les zones de rive et les zones inondables, qui interdisent ou rendent impossibles des travaux ou des activités conformes aux plans d'aménagement ou aux plans d'exécution spatiaux en vigueur en ce qui concerne l'aménagement du territoire et qui peuvent empêcher la réalisation de ces plans et de leurs prescriptions d'affectation. Ces restrictions figurent dans les plans de gestion des sous-bassins et des parties de sous-bassins.

En ce qui concerne les zones de rive, ces dispositions confirment l'interdiction de bâtir qui résulte de l'article 10, § 1er, 5°, du décret.

Une zone inondable est une « zone délimitée par des digues capitales, des digues intérieures, des bords de vallée ou autrement, qui, à des moments réguliers, sera inondée ou pourra être inondée de façon contrôlée ou non, et qui dès lors remplit ou peut remplir une fonction d'emmagasinage d'eau » (article 3, § 2, 44°, du décret). Les zones inondables sont délimitées dans les plans de gestion des bassins hydrographiques et les plans de gestion des sous-bassins. Il résulte de la nature même de ces zones que celles-ci, en principe, n'entrent pas en ligne de compte pour des travaux de construction.

B.9.4. Il découle de ce qui précède que les articles attaqués aboutiront dans un nombre de cas limité seulement à une interdiction de bâtir ou d'exploiter. On peut considérer qu'il est conforme tant à l'intérêt général d'une bonne gestion de l'eau qu'à l'intérêt individuel des propriétaires concernés que des restrictions soient imposées, dans ces cas, à l'exercice du droit de propriété.

Le décret prévoit en outre une structure d'organisation fort développée pour l'élaboration et le suivi des plans de gestion précités aux différents niveaux géographiques. Il est tenu compte à cet égard de la nature pluridisciplinaire de la gestion globale de l'eau et du fait que celle-ci dépasse le domaine de la gestion proprement dit, ainsi que de la représentation des groupements d'intérêts sociaux et de la possibilité de participation de la population.

Enfin, tant les décisions de refus fondées sur l'« évaluation aquatique » prévue à l'article 8 que les arrêtés du Gouvernement flamand fixant les plans de gestion de l'eau peuvent être attaqués devant le Conseil d'Etat.

B.10. Sans qu'il soit nécessaire de comparer minutieusement la situation des propriétaires concernés avec celle des autres propriétaires, les dispositions attaquées doivent par conséquent être considérées comme des restrictions que l'autorité publique impose au droit de propriété dans l'intérêt général et qui n'ont pas pour effet que cette autorité serait tenue à indemnisation, dès lors qu'en raison de leur nature et des garanties offertes, on ne saurait raisonnablement considérer que ces mesures portent atteinte de manière disproportionnée aux droits des propriétaires concernés.

Quant aux griefs qui sont déduits des traitements différents réservés aux propriétaires concernés, en ce que le décret du 18 juillet 2003 prévoit une obligation d'indemnisation ou d'acquisition dans certains cas seulement (articles 10, § 2, et 17), ils ne se rapportent pas aux dispositions attaquées, de sorte que la Cour ne peut les prendre en considération.

B.11. Les moyens ne peuvent être accueillis.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 9 février 2005.

Le greffier, L. Potoms Le président, A. Arts

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