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Arrêt
publié le 08 avril 2005

Extrait de l'arrêt n° 38/2005 du 16 février 2005 Numéro du rôle : 3007 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 171, 6°, du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par le Tribunal de première instance de Mons. L composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, M. Bossuyt, A. Alen, J.-P.(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 38/2005 du 16 février 2005 Numéro du rôle : 3007 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 171, 6°, du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par le Tribunal de première instance de Mons.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, M. Bossuyt, A. Alen, J.-P. Moerman et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 21 avril 2004 en cause de G. Piette contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 28 mai 2004, le Tribunal de première instance de Mons a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « L'article 171, 6°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (C.I.R.), en prévoyant une imposition distincte au taux afférent à l'ensemble des autres revenus imposables pour les profits de profession libérale dont le montant a été payé tardivement par le fait d'une autorité publique viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, alors que l'article 171, 5°, du Code des impôts sur les revenus réserve aux rémunérations de travailleur salarié perçues dans les mêmes circonstances le bénéfice d'une imposition distincte, au taux moyen afférent à l'ensemble des revenus imposables de la dernière année antérieure pendant laquelle le contribuable a eu une activité professionnelle normale, lorsque l'application de l'article 171, 6°, du C.I.R. aboutit à une charge fiscale plus lourde que celle résultant de l'application de l'article 171, 5°, du C.I.R. ? » 2. « L'article 171, 6°, du Code des impôts sur les revenus 1992 viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où, pour obtenir le bénéfice d'une imposition distincte des profits de profession libérale payés tardivement par le fait d'une autorité publique, il exige la réunion de trois conditions supplémentaires par rapport à un contribuable percevant des rémunérations de travailleur salarié dans les mêmes circonstances ? » (...) III. En droit (...) B.1. L'article 171 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après dénommé C.I.R. 1992), dont le 6° fait l'objet des questions préjudicielles et tel qu'il était applicable à l'exercice d'imposition 2001, disposait : « Par dérogation aux articles 130 à 168, sont imposables distinctement, sauf si l'impôt ainsi calculé, majoré de l'impôt afférent aux autres revenus, est supérieur à celui que donnerait l'application desdits articles à l'ensemble des revenus imposables : [...] 5° au taux moyen afférent à l'ensemble des revenus imposables de la dernière année antérieure pendant laquelle le contribuable a eu une activité professionnelle normale : [...] b) les rémunérations, pensions, rentes ou allocations visées aux articles 31 et 34, dont le paiement ou l'attribution n'a eu lieu, par le fait d'une autorité publique ou de l'existence d'un litige, qu'après l'expiration de la période imposable à laquelle elles se rapportent effectivement;6° au taux afférent à l'ensemble des autres revenus imposables : - le pécule de vacances acquis et payé à l'employé qui quitte l'entreprise; - les profits visés à l'article 23, § 1er, 2°, qui se rapportent à des actes accomplis pendant une période d'une durée supérieure à 12 mois et dont le montant n'a pas, par le fait de l'autorité publique, été payé au cours de l'année des prestations mais a été réglé en une seule fois, et ce exclusivement pour la partie qui excède proportionnellement un montant correspondant à 12 mois de prestations; [...]. » B.2.1. L'article 171 précité accorde le bénéfice d'un taux d'imposition distinct aux contribuables, travailleurs salariés, qui déclarent les rémunérations qu'il vise et qui n'ont été payées, notamment par le fait d'une autorité publique, qu'après l'expiration de la période imposable à laquelle ces sommes se rapportent (article 171, 5°, b) et aux contribuables, travailleurs indépendants, qui déclarent les profits qu'il vise et qui, par le fait d'une autorité publique, n'ont pas été payés au cours de l'année des prestations (article 171, 6°, deuxième tiret).

B.2.2. L'article 171 crée, entre ces deux catégories de contribuables, deux différences de traitement : d'une part, le taux distinct dont bénéficient les travailleurs salariés est le taux moyen afférent à l'ensemble des revenus imposables de la dernière année antérieure pendant laquelle le contribuable a eu une activité professionnelle normale, alors que, pour les travailleurs indépendants, le taux distinct est celui afférent à l'ensemble des autres revenus imposables; d'autre part, en ce qui concerne cette dernière catégorie de contribuables, le taux distinct n'est octroyé que si les profits se rapportent à des actes accomplis durant une période d'une durée supérieure à douze mois, s'ils sont payés en une seule fois et si l'imposition distincte n'est relative qu'à la partie des profits qui excède proportionnellement un montant correspondant à douze mois de prestations.

B.3. Il existe des différences fondamentales entre les travailleurs indépendants et les travailleurs salariés, en ce qui concerne les régimes fiscaux qui leur sont applicables. Ces différences ne permettent pas de comparer à tous égards ces catégories de personnes.

Toutefois, il leur a été octroyé un avantage analogue en ce qui concerne le taux d'imposition de certains revenus lorsque le payement de ceux-ci intervient avec un retard qui est dû au fait de l'autorité publique. Ils peuvent, à cet égard, être considérés comme comparables.

B.4. L'article 171 du C.I.R. 1992 déroge, pour les revenus énumérés dans cet article, au principe de la globalisation, c'est-à-dire l'addition des quatre différentes catégories de revenus définies à l'article 6 du C.I.R. 1992, en vertu duquel le revenu imposable à l'impôt des personnes physiques est constitué de l'ensemble des revenus nets, soit la somme des revenus nets des catégories énumérées dans cette disposition, à savoir les revenus des biens immobiliers, les revenus des capitaux et biens mobiliers, les revenus professionnels et les revenus divers, diminuée des dépenses déductibles mentionnées aux articles 104 à 116 du C.I.R. 1992. L'impôt est calculé sur cette somme selon les règles fixées aux articles 130 et suivants, mais après l'accomplissement de quelques opérations.

L'article 171 du C.I.R. 1992 fixe un mode de calcul particulier de l'impôt et des taux d'imposition spéciaux pour certains revenus, à condition toutefois que le régime de l'addition de tous les revenus imposables, en ce compris ceux qui peuvent être imposés distinctement, ne s'avère pas plus avantageux pour le contribuable.

B.5. Par l'article 93 de l'ancien Code des impôts sur les revenus, devenu l'article 171 en cause, le législateur a voulu éviter les conséquences sévères que l'application rigoureuse de la progressivité de l'impôt des personnes physiques entraînerait pour les contribuables qui recueillent certains revenus ayant un caractère plutôt exceptionnel. Selon les travaux préparatoires, le législateur a voulu « freiner la progressivité de l'impôt, lorsque le revenu imposable comprend des revenus non périodiques » (Doc. parl., Chambre, 1961-1962, n° 264/1, p. 85; ibid., n° 264/42, p. 126).

B.6. L'article 171, 6°, alinéa 2, procède d'une intention similaire.

L'exposé des motifs de la loi de réorientation économique du 4 août 1978 (qui modifia l'article 93 précité) indique : « Dans l'état actuel de la législation, les honoraires et autres profits qui se rapportent à des prestations accomplies pendant une période d'une durée supérieure à douze mois et dont le montant n'a pas, par le fait de l'autorité publique, été payé au cours de l'année des prestations mais a été réglé en une seule fois, sont taxés comme des revenus de l'année pendant laquelle ils ont été perçus avec application du taux normal d'imposition.

Pour y pallier, il est proposé d'appliquer aux honoraires et autres profits de l'espèce un régime analogue à celui qui s'applique déjà actuellement aux ' pécules de vacances promérités ' payés aux employés.

Ceci revient en fait à appliquer aux arriérés d'honoraires, etc., le taux d'impôt applicable à ce qui correspond normalement à douze mois de prestations. » (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 415/1, pp. 33 et 34) En commission du Sénat, le Ministre a indiqué : « Les honoraires qui se rapportent à des prestations accomplies pendant une période supérieure à douze mois et qui, par le fait de l'autorité publique, ne sont pas payés pendant l'année des prestations mais liquidés en une seule fois, sont actuellement imposés au cours de l'année de l'encaissement et le taux d'imposition progressif est appliqué sans atténuation.

Dans l'article 51 du projet, il est suggéré un régime analogue à celui qui existe à présent pour le pécule de vacances promérité à l'employé; dorénavant donc ces honoraires seront subdivisés en deux parties : a) Une première partie qui correspond à douze mois de prestations sera ajoutée aux autres revenus de l'année pour constituer la base imposable;b) Une deuxième partie - le reste - qui sera taxée distinctement suivant le tarif appliqué aux revenus sub a).» (ibid., n° 415/2, p. 71) B.7. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'impose pas que les avantages fiscaux octroyés aux salariés et aux indépendants le soient aux mêmes conditions alors que les systèmes procèdent de conceptions différentes et que la situation des uns et des autres justifie qu'ils soient traités différemment.

B.8.1. Il y a lieu de tenir compte, à cet égard, du fait, lié au statut même de la catégorie sociale que constituent les indépendants, que leurs recettes proviennent de sources diverses et que le montant total des revenus professionnels bruts, après la déduction des frais professionnels et, le cas échéant, des pertes professionnelles, ne peut être établi qu'après l'année de perception de ces recettes.

B.8.2. Il y a lieu aussi de tenir compte de ce qu'en règle, les revenus et les rémunérations que perçoivent, respectivement, les indépendants et les salariés sont, dans le premier cas, aléatoires et susceptibles de varier fortement d'une année à l'autre et sont, dans le second cas, déterminés à l'avance et non soumis à des variations aléatoires.

B.8.3. Eu égard à ces éléments, en imposant les arriérés de salaires et d'honoraires des deux catégories professionnelles à un taux distinct, lorsque le retard est dû à l'autorité publique, le législateur a pu décider que ceux des salariés le seraient au taux moyen afférent à l'ensemble des revenus imposables de la dernière année antérieure pendant laquelle le contribuable a eu une activité professionnelle normale : en effet, les salaires font, en règle, l'objet de payements réguliers selon des échéances convenues, de sorte qu'un arriéré payé après l'expiration de la période imposable peut être tenu pour afférent à celle-ci. En revanche, il n'est pas exceptionnel indépendamment même d'un retard dû à l'autorité publique, que des honoraires, dont le montant peut être aléatoire, soient payés une fois accomplies des prestations dont la durée a pu excéder douze mois.

En dérogeant, en faveur des contribuables en cause, à la règle selon laquelle l'impôt porte sur l'ensemble des revenus perçus au cours d'une période imposable annuelle (que ces revenus se rapportent à des activités professionnelles accomplies au cours de cette période ou au cours d'une période antérieure), le législateur pouvait donc, sans créer de discrimination, limiter, lorsque les revenus ont été payés en une seule fois, le bénéfice de l'imposition distincte à la partie de ceux-ci excédant proportionnellement le montant correspondant à douze mois de prestations (deuxième question préjudicielle).

B.9.1. Il est vrai que, ce faisant, la dérogation prévue par l'article 171, 6°, deuxième tiret, donne à penser que le législateur considère que la partie des revenus excédant cette proportion se rapporte à une période imposable antérieure, alors que cette disposition soumet ces revenus au taux afférent à l'ensemble des autres revenus imposables de la même période.

B.9.2. Le législateur aurait certes pu, sans violer les articles 10 et 11 de la Constitution, soumettre ces revenus au taux moyen afférent aux revenus de l'année antérieure comme il l'a fait pour les salariés.

Toutefois, la différence de traitement qu'il crée entre les indépendants et les salariés en ne le faisant pas (première question préjudicielle) se justifie par cela que les échéances auxquelles est soumis le payement des revenus des seconds permettent de déterminer de manière incontestable la période à laquelle ces revenus se rapportent, de sorte qu'il est justifié, à l'égard de ces contribuables, de ne pas leur refuser le bénéfice du taux moyen afférent à l'ensemble des revenus de la dernière année antérieure visée à l'article 171, 5°.

B.10. Les deux questions préjudicielles appellent une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 171, 6°, deuxième tiret, du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 16 février 2005, par le juge P. Martens, en remplacement du président M. Melchior, légitimement empêché d'assister au prononcé du présent arrêt.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président f.f., P. Martens.

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