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Arrêt
publié le 22 février 2007

Extrait de l'arrêt n° 198/2006 du 13 décembre 2006 Numéro du rôle : 3940 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 58 du décret flamand du 19 décembre 1998 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1999, posée pa La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, M.(...)

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Extrait de l'arrêt n° 198/2006 du 13 décembre 2006 Numéro du rôle : 3940 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 58 du décret flamand du 19 décembre 1998 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1999, posée par le Tribunal de première instance de Bruges.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, M. Bossuyt, E. De Groot, J.-P. Snappe et J.-P. Moerman, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 6 mars 2006 en cause du ministère public contre G.V., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 14 mars 2006, le Tribunal de première instance de Bruges a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 58 du décret du 19 décembre 1998 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1999 viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que, lorsque l'infraction à l'article 56 de la même loi [lire : du même décret] est commise sur une route régionale, le juge doit imposer l'obligation de verser un montant forfaitaire à titre de cotisation au « Vlaams Infrastructuurfonds », alors que cette obligation ne doit pas être imposée lorsque l'infraction a lieu sur d'autres routes en Région flamande et que sur ces dernières routes, l'auteur de l'infraction peut seulement être tenu de payer quelque montant que ce soit s'il est prouvé que la surcharge a causé des dégâts au revêtement routier ou, tout au moins, que l'étendue des dégâts est prouvée ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur les articles 56 à 58 du décret flamand du 19 décembre 1998 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1999, (« Dégâts au revêtement routier à la suite de surcharges »), tels qu'ils étaient applicables avant leur modification par le décret du 24 juin 2005 contenant diverses mesures d'accompagnement de l'ajustement du budget 2005, qui disposaient : « CHAPITRE XIV. - Dégâts au revêtement routier à la suite de surcharges Section 1re. - Disposition générale

Art. 56.Il est interdit de causer des dégâts au revêtement routier en excédant les poids maximums autorisés et les poids sous les essieux maximums autorisés comme prévus par les articles 32 et 32bis de l'arrêté royal du 15 mars 1968 portant règlement général sur les conditions techniques auxquelles doivent répondre les véhicules automobiles, leurs remorques, pièces et dispositifs de sécurité. Section 2. -- Sanctions pénales et cotisation de solidarité

Art. 57.Les infractions à l'article 56 sont passibles d'une peine de prison de huit jours jusqu'à un an et d'une amende progressive ou d'une seule de ces deux sanctions.

L'amende est de : - 100 francs à 10 000 francs pour une surcharge de moins de 5 %; - 300 francs à 30 000 francs pour une surcharge de 5 % à 10 % inclus; - 500 francs à 50 000 francs pour une surcharge de 11 % à 20 % inclus; - 750 francs à 75 000 francs pour une surcharge de plus de 20 %.

Art. 58.En cas de condamnation pour une infraction à l'article 56 commise sur une route régionale, le juge impose en outre l'obligation de verser un montant forfaitaire à titre de cotisation au ' Vlaams Infrastructuurfonds ' (Fonds flamand d'Infrastructure), créé par les articles 57 et 58 du décret du 25 juin 1992 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1992.

Le montant forfaitaire est fixé à : - 50 francs pour une surcharge de moins de 5 %; - 150 francs pour une surcharge de 5 % à 10 % inclus; - 250 francs pour une surcharge de 11 % à 20 % inclus; - 375 francs pour une surcharge de plus de 20 %.

Ces montants sont soumis à l'augmentation prévue par les dispositions relatives aux décimes additionnels aux amendes pénales.

La perception de la cotisation visée par l'alinéa 1er s'effectue par l'intermédiaire de l'Administration de la Taxe sur la valeur ajoutée, de l'Enregistrement et des Domaines, selon les règles applicables à la perception des amendes pénales.

Les sommes perçues sont versées tous les trois mois au ' Vlaams Infrastructuurfonds ' par cette administration. § 2. L'employeur est civilement responsable du paiement de la cotisation à laquelle ses préposés ou mandataires ont été condamnés ».

B.1.2. Le juge a quo interroge la Cour au sujet d'une double différence de traitement : d'une part, il souhaite savoir si l'article 58 du décret du 19 décembre 1998 viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que, lorsque l'infraction à l'article 56 du même décret est commise sur une voie régionale, le juge doit imposer le versement d'un montant forfaitaire à titre de cotisation au Fonds flamand d'infrastructure, alors que ce versement ne doit pas être imposé lorsque l'infraction a été commise sur d'autres routes en Région flamande; d'autre part, il demande à la Cour si l'article 58 du décret établit une discrimination en ce qu'un régime de cotisation forfaitaire s'applique pour les voies régionales, alors que, sur d'autres voies, l'auteur de l'infraction peut seulement être tenu « de payer quelque montant que ce soit s'il est prouvé que la surcharge a causé des dégâts au revêtement routier ou, tout au moins, que l'étendue des dégâts est prouvée ».

B.2.1. Les articles 56 à 62 du décret du 19 décembre 1998, qui forment le chapitre XIV (« Dégâts au revêtement routier à la suite de surcharges ») de ce décret, visent à combattre l'endommagement de l'infrastructure routière résultant de la formation d'ornières (Doc. parl., Parlement flamand, 1998-1999, n° 1214/8, p. 5). Selon le Gouvernement flamand, le poids excessif par essieu des camions surchargés constitue la principale cause de la formation d'ornières (ibid.).

B.2.2. L'article 56 du décret prévoit une interdiction générale d'endommager le revêtement routier en excédant les masses maximales autorisées et les masses sous les essieux. Les infractions à cette interdiction sont punies d'un emprisonnement et/ou d'amendes progressives (article 57). En cas de condamnation pour une infraction à l'article 56, une cotisation forfaitaire est due au profit du Fonds flamand d'Infrastructure (article 58). Des amendes administratives peuvent également être infligées pour les infractions visées à l'article 56 (articles 59 et 60).

B.3. En ce qui concerne la cotisation forfaitaire visée à l'article 58 du décret du 19 décembre 1998, les travaux préparatoires mentionnent : « Il doit être souligné que la cotisation a un caractère sui generis et n'est pas une imposition ou une peine supplémentaire.

Il s'agit en fait d'une sorte de cotisation de solidarité à charge des personnes qui, au moyen de véhicules trop lourds, sont la cause notamment de la formation d'ornières sur les routes flamandes.

La cotisation ici visée a été instaurée par analogie avec la contribution fixée par la loi du 1er août 1985Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/08/1985 pub. 15/11/2000 numac 2000000832 source ministere de l'interieur Loi portant des mesures fiscales et autres . - chapitre III, section II. - Traduction allemande fermer en ce qui concerne l'aide de l'Etat aux victimes d'actes intentionnels de violence. La Cour de cassation a déjà décidé à plusieurs reprises à ce sujet qu'une telle cotisation avait un caractère spécifique et n'était pas une peine : la circonstance que l'obligation de payer cette cotisation aggrave matériellement la situation du prévenu ne constitue pas, vu le caractère de cette contribution, un obstacle (voir notamment Cass. 9 juin 1987, Arr. Cass., 1986-1987, nos 607 et 609). [...] Le fait que la cotisation de solidarité exigée n'a pas le caractère d'une peine justifie son recouvrement au profit de la Région » (Doc. parl., Parlement flamand, 1998-1999, n° 1214/8, p. 6).

B.4.1. La cotisation visée à l'article 58 du décret du 19 décembre 1998 vise à procurer à la Région flamande les moyens financiers qui sont nécessaires pour entretenir les voies régionales et pour réparer les dommages au revêtement routier qui sont notamment causés par des véhicules surchargés. Elle poursuit un tout autre objectif que le système de la sanction pénale visé à l'article 57 du décret, qui s'applique indistinctement aux infractions commises sur toutes les routes.

B.4.2. Le législateur décrétal emploie un critère de distinction objectif et pertinent en n'imposant la cotisation visée à l'article 58 qu'en cas d'infraction commise sur une voie régionale, dès lors que la région, en tant qu'autorité de gestion, doit se charger du bon état et de l'entretien des biens immobiliers du domaine public qui sont sa propriété, et doit veiller à ce que l'usage de ces voies ne soit pas entravé. Les manquements à ces obligations peuvent engager la responsabilité de l'autorité chargée de la gestion des voies publiques.

B.4.3. Les cotisations visées à l'article 58 du décret du 19 décembre 1998 étant imposées en sus des peines visées à l'article 57, le législateur décrétal présume, comme dans le cadre de ces dernières, que, lorsque le juge prononce une condamnation en vertu des articles 56 et 57, il admet qu'un lien de causalité existe entre le dépassement des normes fédérales concernant les limitations de charge par essieu et l'endommagement du revêtement routier. Le législateur décrétal peut donc imposer une participation au financement du Fonds flamand d'infrastructure lorsque l'infraction a lieu sur une voie régionale. A la lumière du but poursuivi par le législateur décrétal, il est aussi raisonnablement justifié que la cotisation augmente en fonction du dépassement du poids du véhicule.

B.5.1. Dans la deuxième partie de la question préjudicielle, la Cour est interrogée sur la différence qui découlerait, quant à l'administration de la preuve, de ce que, contrairement au régime prévu par l'article 58 du décret du 19 décembre 1998 qui concerne les voies régionales, sur les autres voies, le contrevenant « peut seulement être tenu de payer quelque montant que ce soit s'il est prouvé que la surcharge a causé des dégâts au revêtement routier ou, tout au moins, si l'étendue des dégâts est prouvée ».

B.5.2. Il convient de préciser la question préjudicielle. Si le paiement de « quelque montant que ce soit » fait référence aux amendes pénales visées à l'article 57 du décret, qui peuvent être imposées quelle que soit la nature de la voie sur laquelle l'infraction est commise, il n'existe aucune distinction, pour ce qui est de la charge de la preuve, entre ces amendes pénales et la cotisation forfaitaire supplémentaire qui est due en cas d'infraction commise sur les voies régionales, visée à l'article 58, dès lors que celle-ci ne doit être imposée que lorsqu'une condamnation est prononcée sur la base de l'article 57 et sans que d'autres conditions doivent être réunies, de sorte qu'il n'y a pas de différence entre les deux régimes quant à l'administration de la preuve.

B.5.3. Le Gouvernement flamand estime que les termes « quelque montant que ce soit » font également référence au régime d'indemnisation de droit commun de l'article 1382 du Code civil.

B.5.4. La différence, en ce qui concerne l'administration de la preuve, entre le régime de l'article 1382 du Code civil et le régime de l'article 58 du décret du 19 décembre 1998 tient à la finalité différente de ces dispositions.

B.5.5. En vertu de l'article 1382 du Code civil, une personne peut être tenue de réparer le dommage résultant d'un acte illicite qui peut lui être imputé. La personne qui demande réparation doit prouver, dans chaque cas, qu'il existe un lien de causalité entre le fait générateur de responsabilité et le dommage causé.

B.5.6. En revanche, le dommage causé au revêtement routier par des véhicules surchargés résulte, de manière générale, non pas d'un acte illicite unique qui peut être imputé à une personne déterminée, mais d'un processus graduel qui doit être imputé à plusieurs contrevenants sans que l'on puisse déterminer précisément dans quelle mesure chacun d'entre eux a contribué à ce dommage, processus qui se manifeste par la diminution de la durée de vie de la voie et qui implique que les voies doivent être remplacées plus rapidement, ce qui entraîne des frais. La disposition litigieuse permet qu'un tel dommage, qui ne relève pas du champ d'application de l'article 1382 du Code civil, soit réparé.

B.5.7. La cotisation forfaitaire visée à l'article 58 du décret du 19 décembre 1998 ne peut être imposée sans l'administration d'une preuve du dommage. Ni le texte de la disposition en cause ni ses travaux préparatoires ne permettent de déduire qu'une présomption irréfragable de dégâts causés au revêtement routier serait établie en cas de dépassement des masses maximales autorisées sous les essieux.

B.5.8. Dès lors qu'il peut être admis qu'il existe un lien de cause à effet entre, d'une part, le dépassement des normes fédérales concernant les limitations de charge par essieu et, d'autre part, l'endommagement du revêtement routier - les travaux préparatoires font référence, sur ce point, à une étude réalisée notamment par le Centre de recherches routières (Doc., Parlement flamand, 1998-1999, n° 1214/8, p. 6) -, la surcharge du véhicule, mesurée à l'aide des critères fixés par l'autorité fédérale, est une indication pertinente de ce que l'infraction, à savoir le dégât causé au revêtement routier, a été commise. La disposition implique seulement un allégement de la charge de la preuve qui pèse sur le ministère public. Comme la Cour l'a constaté dans l'arrêt n° 81/2003 du 11 juin 2003, l'article 56 du décret du 19 décembre 1998 n'est pas inconstitutionnel s'il est interprété en ce sens qu'il n'emporte pas de présomption irréfragable.

B.5.9. Compte tenu de ce qui précède, on ne saurait soutenir que la différence de traitement qui découle du régime de la preuve de l'article 1382 du Code civil, d'une part, et de celui des articles 56 à 58 du décret du 19 décembre 1998, d'autre part, est discriminatoire.

B.6. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 58 du décret flamand du 19 décembre 1998 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1999 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 13 décembre 2006.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, A. Arts.

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