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Arrêt
publié le 23 avril 2008

Extrait de l'arrêt n° 29/2008 du 28 février 2008 Numéro du rôle : 4198 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 2 du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996, posée pa La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges L. La(...)

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Extrait de l'arrêt n° 29/2008 du 28 février 2008 Numéro du rôle : 4198 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 2 du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996, posée par le Conseil d'Etat.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 169.627 du 30 mars 2007 en cause de Marcel Duyvejonck et André Vermoortele contre la Région flamande, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 25 avril 2007, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 2 du décret coordonné relatif à l'aménagement du territoire (l'ancien article 87, alinéa 4, de la loi organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, inséré par le décret du 23 juin 1993 et modifié par le décret du 13 juillet 1994) viole-t-il les articles 10, 11 et 16 de la Constitution ainsi que l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme en supprimant la règle du comblement (article 23, 1°, de l'arrêté royal du 28 décembre 1972) sans qu'ait été organisée préalablement une enquête publique et en excluant l'indemnisation des dommages résultant du plan, alors que, comme le fait apparaître le témoignage du Prof. Marc Boes (M. Boes et S. Verbist, ' Plannen en verordeningen in de rechtspraak van het Arbitragehof ', in S. Lust (éd.), Het Arbitragehof en het ruimtelijke ordeningsrecht, Bruges, La Charte, 2006, (41), 52) en qualité de personne étroitement associée à l'établissement des plans de secteur, il s'avère que la règle du comblement est une règle écrite du plan de secteur, qui a la même force réglementaire que les règles graphiques et qui, ensemble donc avec les règles graphiques, détermine la destination, de sorte que, comme pour toute modification de plan de secteur, il y a lieu d'effectuer une enquête publique et d'accorder une indemnité en compensation des dommages résultant du plan, tandis qu'il n'existe pas de critère objectif pour réserver aux propriétaires de terrains dont la destination est aussi déterminée par la règle du comblement, lors de la modification de cette destination, un autre traitement que celui qui est réservé aux propriétaires de terrains dont la destination est uniquement déterminée par les prescriptions graphiques du plan, que le critère selon lequel l'administration fait une application abusive de la règle du comblement ne constitue en l'espèce tout au moins pas un critère de distinction pertinent, cependant que l'exclusion de l'indemnité pour les dommages résultant du plan, lors de la suppression de la règle du comblement, a des effets disproportionnés pour les propriétaires des biens auxquels cette règle a été appliquée, parce qu'au moment de la suppression de la règle du comblement, la possibilité de demander une indemnité pour les dommages résultant du plan est, comme en l'espèce (plan de secteur Roulers-Tielt, arrêté royal du 17 décembre 1979), prescrite et que, pour cette suppression, le propriétaire concerné, eu égard à la validité de la règle du comblement, ne justifiait pas de l'intérêt requis pour demander une indemnité pour les dommages résultant du plan ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La juridiction a quo demande à la Cour si l'article 2 du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996, viole les articles 10, 11 et 16 de la Constitution et l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme en abrogeant la « règle du comblemen » qui était prévue à l'article 23, 1°, de l'arrêté royal du 28 décembre 1972, sans organiser au préalable une enquête publique et en excluant l'indemnité du chef de dommages résultant du plan.

B.2. L'article 87, alinéa 4, de loi organique de l'urbanisme, tel qu'il a été introduit par l'article 2 du décret du 23 juin 1993 « complétant par un article 87 la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme » et remplacé par l'article 2 du décret du 13 juillet 1994 « modifiant l'article 87 de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme », figurant actuellement à l'article 2, § 1er, alinéa 4, du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996, dispose : « Lors de l'instruction d'une demande de permis de bâtir ou de lotir, autre que pour des équipements collectifs et des services publics, aucune application ne peut être faite des règles en matière de la présentation et de la mise en oeuvre des projets de plan de secteur et des plans de secteur qui créent la possibilité de déroger à ces plans ou d'autoriser des exceptions permettant de bâtir ou de lotir. La non-application des règles ne peut donner lieu au paiement d'une indemnité telle que visée à l'article 37 [actuellement 35] ».

D'après l'exposé des motifs du projet de décret qui a conduit au décret du 23 juin 1993, les règles de droit visées par cette disposition permettant des dérogations aux projets de plans de secteur et aux plans de secteur pour les demandes de permis de bâtir et de lotir sont les dispositions de l'article 23, 1°, de l'arrêté royal du 28 décembre 1972 relatif à la présentation et à la mise en oeuvre des projets de plans et des plans de secteur. (Doc., Conseil flamand, 1992-1993, n° 265/1, p. 1) Cet article disposait : «

Article 23.Sans préjudice de l'article 21 et de l'article 6, les règles ci-après sont d'application dans les zones autres que les zones d'habitat, à l'exclusion des zones industrielles, des zones d'extraction, des zones naturelles d'intérêt scientifique et des zones inondables. 1° A titre exceptionnel, peuvent être autorisés des lotissements et des constructions, pour autant que ceux-ci ne portent pas atteinte au bon aménagement local et ne mettent pas en péril la destination de la zone, et qu'à la date d'entrée en vigueur du plan ou du projet de plan de secteur, le terrain soit situé à l'intérieur d'un groupe d'habitations et du même côté d'une voie publique, autre qu'un chemin de terre, et suffisamment équipée, compte tenu de la situation des lieux. Cette faculté ne s'étend toutefois pas aux terrains situés à front des routes de grande voirie, exception faite soit pour un service public, soit pour l'établissement d'installations et de constructions en rapport avec le service de l'autoroute. [...] ».

L'exception incluse dans l'article 23, 1°, de l'arrêté royal du 28 décembre 1972 sera appelée ci-après, conformément à l'usage, la « règle du comblement ».

B.3. La Cour a déjà statué sur la disposition en cause par ses arrêts n° 40/95 du 6 juin 1995 et n° 24/96 du 27 mars 1996, dans lesquels elle a considéré que cette disposition est compatible avec les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, combinés avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. La juridiction a quo interroge à nouveau la Cour au sujet de la constitutionnalité de la disposition en cause, parce que, comme le prétendent les parties requérantes devant cette juridiction, selon un auteur qui aurait été étroitement lié à l'établissement des plans de secteur, la règle du comblement serait une règle écrite du plan de secteur, qui a la même valeur réglementaire que les règles graphiques et qui déterminerait donc, avec les règles graphiques, la destination, de sorte que, comme pour toute modification du plan de secteur, une enquête publique serait nécessaire et une indemnité du chef de dommages résultant du plan devrait être allouée. Il n'existerait aucun critère objectif pour que les propriétaires de terrains dont la destination a notamment été déterminée par la règle du comblement soient traités autrement lors de la modification de cette destination que les propriétaires de terrains dont la destination est uniquement déterminée par les prescriptions graphiques du plan.

B.4. L'abrogation de la règle du comblement a été justifiée comme suit dans l'exposé des motifs du projet qui est devenu le décret du 23 juin 1993 : « A l'origine, la règle du comblement était considérée comme une mesure transitoire, instaurée en raison des effets sociaux de l'entrée en vigueur des projets de plans et des plans de secteur. En effet, celui qui avait, avant l'entrée en vigueur des plans, acheté un terrain situé entre deux habitations ou à côté d'une habitation à façade orbe construite jusqu'à la limite de la parcelle pouvait à l'époque partir du principe que ce terrain était à bâtir. Il n'aurait pas été admissible, à ce moment-là, que l'application des plans entraîne pour cette personne une interdiction de bâtir.

L'expression 'à titre exceptionnel' figurant dans l'article 23.1° indique pourtant qu'étant donné qu'il s'agit de dérogations aux projets de plans et aux plans de secteur, l'application visée ne saurait ou ne pourrait avoir une portée générale. Au contraire, cette faculté doit être appliquée avec la plus grande circonspection.

La règle du comblement ne pourrait pas être appliquée dans le but d'écarter les prescriptions générales des projets de plans et des plans de secteur pour servir des intérêts purement privés. Vingt ans après l'entrée en vigueur de la règle du comblement, on constate que son application s'est généralisée. Cette règle est appliquée chaque année dans des centaines de cas pour la délivrance de permis de bâtir et de lotir. La règle du comblement est fréquemment utilisée pour réaliser une grosse plus-value sur des terrains qui ne sont pas situés dans une zone d'habitat, ce qui n'a jamais été l'intention initiale (aspect social). La mesure sociale exceptionnelle et transitoire est devenue une règle constante qui, lors de son application concrète, a reçu une interprétation à ce point large qu'elle est aujourd'hui à l'origine de permis délivrés, entre autres, pour des bâtiments industriels, des comblements entre une remise et une habitation et des comblements entre des bâtiments ou des limites de zones séparées par une distance de plus de 100 mètres.

La règle du comblement est, dans la pratique, largement appliquée dans des zones agricoles ou des zones agricoles ayant une valeur comme site. Des constructions linéaires et des noyaux d'habitation résidentiels apparaissent dans des sites restés assez homogènes. Il s'y ajoute que, par l'application de la règle du comblement, les zones déjà structurellement touchées se colmatent, sans qu'il n'existe pour ce faire une politique locale de comblement. On peut affirmer avec certitude que l'application de cette exception est l'un des éléments qui minent le plus gravement la qualité de l'environnement en Région flamande et constitue une atteinte directe aux espaces ouverts qui nous restent encore. Dans le souci de conserver ces espaces ouverts, il s'impose donc de prévoir d'urgence une réglementation visant à abroger la règle du comblement. » (Doc., Conseil flamand, 1992-1993, n° 265/1, p.3) Il ressort du texte du décret du 13 juillet 1994 et des travaux préparatoires de ce décret que le législateur décrétal a maintenu son objectif originaire, à savoir la suppression de la règle du comblement afin de sauvegarder les espaces ouverts subsistant en Flandre (Conseil flamand, Ann., n° 52 du 29 juin 1994, pp. 2213 et 2215). Sur ce point, le décret du 13 juillet 1994 contient un texte identique à celui du décret du 23 juin 1993.

B.5. Au sujet de l'abrogation de la règle du comblement, la Cour a jugé ce qui suit dans son arrêt n° 40/95 du 6 juin 1995 : « B.7.4. Il appartient au législateur décrétal d'apprécier dans quelle mesure il est nécessaire, et éventuellement urgent, de prendre des mesures en vue d'un bon aménagement du territoire.

B.7.5. Il ressort des travaux préparatoires que la règle du comblement, qui était à l'origine conçue comme une 'mesure sociale exceptionnelle et transitoire', a été appliquée avec une fréquence telle et a reçu une interprétation à ce point extensive qu'elle compromettait le bon aménagement du territoire et constituait une atteinte aux espaces ouverts subsistant sur le territoire de la Région flamande. Le législateur décrétal a donc considéré qu'il était urgent d'abroger la règle du comblement.

Il s'ensuit que l'abrogation de la règle du comblement est justifiée par l'intérêt général : la protection des espaces ouverts subsistant en Région flamande.

B.7.6. Si le législateur décrétal estime qu'un changement de politique s'impose d'urgence, il peut décider que ce changement de politique doit être réalisé avec effet immédiat et il n'est en principe pas obligé de prévoir un régime transitoire.

Si la nouvelle réglementation n'avait été applicable qu'aux seules demandes introduites après son entrée en vigueur, il en aurait résulté non seulement que l'application de la règle du comblement fût restée possible pour toutes les demandes déjà introduites, mais aussi que l'imminence de l'entrée en vigueur eût entraîné un afflux de demandes, ce qui eût compromis le résultat visé.

B.7.7. D'une manière générale, les pouvoirs publics doivent d'ailleurs pouvoir adapter leur politique aux circonstances changeantes de l'intérêt général. Tout changement de politique pour faire face à une nécessité urgente manquerait son but si l'on partait du principe que les articles 10 et 11 de la Constitution exigent que le régime antérieur soit maintenu pendant une période déterminée.

B.8.1. Les requérants reprochent en outre à la disposition contestée de violer les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elle les prive de leurs ' titres et attentes légitimes '.

B.8.2. En supprimant avec effet immédiat la possibilité d'appliquer la règle du comblement, la disposition entreprise n'affecte aucun droit acquis.

Les permis de bâtir et de lotir qui ont été délivrés avant l'entrée en vigueur du décret du 23 juin 1993 par application de la règle du comblement conservent leur valeur juridique. Par application de l'article 63, § 1er, 5°, alinéa 2, de la loi organique de l'urbanisme, il en va de même pour les certificats d'urbanisme délivrés avant l'entrée en vigueur du décret du 23 juin 1993 qui ont admis sans restriction l'application de la règle du comblement : le permis de bâtir ou de lotir devait être délivré dans la mesure où le permis avait été demandé au cours de l'année suivant la délivrance du certificat, même si l'autorité octroyant les permis devait prendre une décision après l'entrée en vigueur du décret en question (Conseil flamand, Ann., n° 55 du 7 juin 1993, p. 2.112, 2e colonne en haut).

B.8.3. L'article 23, 1°, de l'arrêté royal du 28 décembre 1972 prévoyait qu'à titre exceptionnel et moyennant le respect de certaines conditions, l'autorité délivrant les permis pouvait, en cas de demande d'un permis de bâtir ou de lotir ou d'un certificat d'urbanisme, accorder une dérogation aux projets de plans et aux plans de secteur.

Même si de telles dérogations ont été abondamment consenties, l'application de la règle du comblement ne constituait nullement un automatisme. Le fait que plusieurs requérants se sont vu refuser l'application de la règle du comblement en vertu de l'arrêté royal du 28 décembre 1972 est là pour en témoigner. En raison de la nature des conditions d'application mentionnées à l'article 23, 1°, de l'arrêté royal précité, l'autorité délivrant les permis devait examiner concrètement, cas par cas, si ces conditions étaient remplies. En outre, l'autorité disposait, pour vérifier si chacune de ces conditions était remplie, d'une liberté d'appréciation lui permettant de prendre en compte les exigences fluctuantes d'un bon aménagement du territoire.

La politique menée par l'autorité octroyant les permis ne pouvait donc pas être considérée comme étant à ce point immuable et prévisible que les justiciables pouvaient fonder sur elle des attentes légitimes quant à l'application de la règle du comblement. Par conséquent, les requérants ne peuvent pas prétendre que, par l'abrogation de la règle du comblement, le législateur décrétal aurait trompé leurs attentes légitimes. Le simple fait qu'une nouvelle disposition puisse déjouer les projets de ceux qui se sont basés sur la situation antérieure ne viole pas en soi le principe d'égalité.

De ce point de vue non plus, la disposition entreprise ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution ».

B.6. Les parties requérantes devant la juridiction a quo considèrent la règle du comblement comme une règle écrite du plan de secteur, ayant la même valeur réglementaire que les règles graphiques, déterminant donc, avec celles-ci, la destination des parcelles et conférant aux propriétaires de parcelles des droits que l'autorité compétente ne pouvait refuser que moyennant une motivation expresse, auquel cas une indemnité serait, quoi qu'il en soit, due.

B.7. En ce qui concerne le traitement inégal qui découlerait de la circonstance que la règle du comblement a été abrogée sans qu'une enquête publique ait été organisée, la Cour a déjà considéré dans l'arrêt n° 24/96 du 27 mars 1996 : « B.1.13. L'article 23, 1°, de l'arrêté royal du 28 décembre 1972 prévoyait qu'à titre exceptionnel et moyennant le respect de certaines conditions, l'autorité délivrant les permis pouvait, en cas de demande d'un permis de bâtir, de lotir ou d'un certificat d'urbanisme, accorder une dérogation aux projets de plans et aux plans de secteur.

L'autorité octroyant les permis pouvait donc autoriser la construction et le lotissement à des endroits où ceux-ci n'étaient en principe pas possibles conformément à la destination du plan de secteur. Loin de la modifier, l'abrogation de la règle du comblement confirme la destination de la zone concernée.

La suppression d'une possibilité d'exception à une règle de destination diffère objectivement d'une modification de destination, peu importe qu'elle soit la conséquence de l'établissement d'un plan de secteur, de la révision d'un plan de secteur ou de la désignation d'une zone comme zone de dunes protégée ou comme zone agricole ayant une importance pour les dunes.

Le principe d'égalité n'est pas violé en tant que l'abrogation de la règle du comblement, contrairement aux modifications de destination, n'a pas été précédée ou assortie d'une enquête publique ».

B.8. Quant à la thèse des parties requérantes devant la juridiction a quo selon laquelle l'abrogation de la règle du comblement revient à modifier la destination, il convient de renvoyer à la portée de la mesure, telle qu'elle a été précisée par la Cour dans l'arrêt n° 24/96 précité : « B.1.19. Même si la possibilité de telles dérogations, prévues à l'article 23, 1°, de l'arrêté royal du 28 décembre 1972, ont été très fréquemment consenties, le bénéfice de la règle du comblement n'était nullement automatique. En raison de la nature des conditions d'application mentionnées à l'article 23, 1°, de l'arrêté royal précité, l'autorité délivrant les permis devait examiner concrètement, cas par cas, si ces conditions étaient remplies. A cette fin, elle disposait d'une liberté d'appréciation lui permettant de prendre en compte le caractère variable des exigences d'un bon aménagement du territoire.

La politique menée par l'autorité octroyant les permis ne pouvait donc pas être considérée comme étant à ce point immuable et prévisible que les justiciables pouvaient fonder sur elle des attentes légitimes quant à l'application de la règle du comblement. Pour cette autorité, l'application de la règle du comblement ne constituait qu'une possibilité, et nullement une obligation. Le refus d'un permis de bâtir ou de lotir pour non-application de la règle du comblement ne justifiait pas, à lui seul, une indemnisation ».

Par conséquent, il ressort déjà de la lecture même de la disposition réglementaire qui fondait l'application de la règle du comblement que cette disposition n'a pas la portée que les parties requérantes devant la juridiction a quo lui attribuent.

B.9. C'est à tort que les parties requérantes devant la juridiction a quo suggèrent que la Cour a considéré la règle du comblement comme une mesure sociale, alors qu'elle aurait plutôt constitué une mesure destinée à faciliter le travail de l'administration.

Ainsi qu'il ressort du B.13.5 de l'arrêt n° 40/95 et du B.1.26 de l'arrêt n° 24/96, la Cour a exclusivement relevé le but social poursuivi par le législateur décrétal lors de l'élaboration d'un régime transitoire qui a fait suite à l'abrogation de la règle du comblement. La citation en B.8 fait apparaître que la considération de la Cour selon laquelle la règle du comblement n'a pas modifié la destination de la zone concernée, mais a plutôt confirmé cette destination, était basée sur la portée de droit positif de l'article 23, 1°, de l'arrêté royal précité du 28 décembre 1972 et non sur une ratio legis, alléguée et reproduite erronément par les parties requérantes devant la juridiction a quo.

B.10. La portée que les parties requérantes devant la juridiction a quo donnent à la règle du comblement n'apparaît pas davantage, comme elles l'affirment, de la jurisprudence de la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat, invoquée par le Gouvernement flamand, relative à l'arrêté royal du 28 décembre 1972 précité (arrêts nos 21.384, 26.611, 26.911, 32.443 et 164.192).

Selon cette jurisprudence, les dispositions de cet arrêté royal constituent le cadre général et le système de référence dans lequel les plans d'aménagement doivent s'intégrer, sont reprises par voie de référence dans les projets de plans de secteur et les plans de secteur et, en ce qui concerne leurs effets concrets, sont soumises, dans les limites du plan, à l'enquête publique et aux consultations. Il découle de cette jurisprudence qu'il y a lieu de donner à ces plans une interprétation et une application qui tiennent compte de la version des dispositions du cadre général qui était applicable au moment où ces plans ont été soumis à l'enquête publique et aux consultations, et non de la version ultérieure. Elle vise dès lors à garantir l'application de ces plans conformément aux règles de destination en vigueur lors de l'enquête publique et des consultations.

Compte tenu de ce qui est dit en B.8, il ne peut toutefois être déduit de cette jurisprudence que la règle du comblement, quelle qu'eût été la version applicable de l'article 23, 1°, de l'arrêté royal du 28 décembre 1972, aurait conféré ou garanti un droit de bâtir aux propriétaires des parcelles situées dans une autre zone qu'une zone d'habitat ou une zone d'habitat à caractère rural. Cette jurisprudence n'empêche pas davantage le législateur décrétal, en vertu de sa compétence, ainsi qu'il a été mentionné en B.5, et afin de lutter contre les abus qui étaient nés de l'application très large de la règle du comblement, d'abroger par voie de décret la mesure exceptionnelle introduite par un arrêté d'exécution, ni ne l'oblige à soumettre à tout le moins cette mesure décrétale à une enquête publique préalable. Non seulement la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles ne contient-elle aucune règle obligeant le législateur décrétal à organiser une telle enquête, mais le législateur décrétal peut aussi déroger aux règles qu'il a lui-même imposées au pouvoir exécutif. L'obligation d'organiser une enquête publique aurait surtout des conséquences pratiques et administratives qui, compte tenu de la mise en balance des intérêts des propriétaires des parcelles concernées, seraient déraisonnables à la lumière du but poursuivi par le législateur décrétal et qui priveraient de tout effet utile l'abrogation de la règle du comblement.

B.11. En ce qui concerne la violation alléguée des articles 10, 11 et 16 de la Constitution, combinés avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'abrogation décrétale de la règle du comblement n'a pas été assortie d'un régime d'indemnisation, la Cour a déjà considéré ce qui suit dans son arrêt n° 40/95 : « B.11.1. Les requérants invoquent la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 16 de la Constitution et de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que le décret entrepris dispose que ' la non-application des règles ne peut donner lieu au paiement d'une indemnité telle que visée à l'article 37 '. Le décret priverait ainsi les propriétaires du droit de jouissance, d'utilisation et de disposition sans la moindre indemnisation et instaurerait un traitement différencié à l'égard d'autres propriétaires qui, également touchés par une interdiction de bâtir inscrite dans le plan de secteur, ont effectivement droit à une indemnisation.

B.11.2. Le seul fait que l'autorité impose des restrictions au droit de propriété dans l'intérêt général n'a pas pour conséquence qu'elle soit tenue à indemnisation.

B.11.3. Ainsi qu'il est observé ci-dessus, l'application de la règle du comblement n'était qu'une possibilité et non une obligation pour l'autorité octroyant les permis. Le refus d'un permis de bâtir ou de lotir pour non-application de la règle du comblement ne donnait pas lieu, en soi et pour cette seule raison, à une indemnisation.

Le cas échéant, une indemnité pouvait cependant être accordée pour le dommage causé à un bien par une modification de destination résultant d'un plan d'aménagement, les conditions de l'article 37 de la loi organique de l'urbanisme étant remplies.

Les deux situations présentent incontestablement des différences objectives, qui justifient une différence de traitement.

La disposition litigieuse n'a pas modifié cet état de choses. La suppression de la possibilité de déroger aux projets de plans ou aux plans de secteur dans le cadre de l'octroi d'un permis de bâtir ou de lotir ou de certificats d'urbanisme a pour conséquence que - sauf autre possibilité de dérogation - les prescriptions des plans d'aménagement continuent de s'appliquer pleinement. Si l'autorité compétente refuse un permis, il reste toujours possible d'invoquer le régime des dommages résultant du plan, organisé à l'article 37 de la loi organique de l'urbanisme, dans les limites prévues par cette disposition.

La disposition entreprise ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution lorsqu'elle prévoit que la non-application des règles visées à l'article 23, 1°, de l'arrêté royal du 28 décembre 1972 ne peut pas donner lieu à l'indemnité visée à l'article 37. [...] B.11.5. La disposition litigieuse ne viole pas davantage l'article 16 de la Constitution, ni l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, lus en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Les terrains pour lesquels l'application de la règle du comblement pouvait être demandée avant l'entrée en vigueur de la disposition litigieuse étaient par définition des terrains qui, en vertu du plan de secteur, n'entraient pas en ligne de compte pour la construction ou le lotissement. Il n'était possible de bâtir ou de lotir que si l'autorité octroyant les permis accordait une dérogation, ce qu'elle ne pouvait faire, conformément à l'article 23, 1°, de l'arrêté royal précité, qu'exceptionnellement et moyennant le respect de conditions très précises. On ne saurait dès lors prétendre que l'abrogation de la règle du comblement contient une restriction du droit de propriété équivalant à une expropriation au sens des dispositions conventionnelles et constitutionnelles précitées » (Voy. également, partim, les B.1.17 à B.1.20 de l'arrêt n° 24/96).

B.12. Ce ne sont pas seulement les restrictions au droit de propriété s'assimilant à une expropriation, mais également les réglementations injustifiées de l'usage de la propriété qui sont régies par la protection inscrite à l'article 16 de la Constitution, combiné avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme (arrêt n° 67/2006 du 3 mai 2006, B.10). Toute ingérence dans le droit de propriété doit réaliser un juste équilibre entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens. Il faut qu'existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi (arrêts n° 33/2007, B.5.3, et n° 62/2007, B.5.3).

Compte tenu de ce qui précède, en particulier de la portée de la règle du comblement, et du but poursuivi par le législateur décrétal, il n'apparaît pas que l'abrogation de la règle du comblement contienne une réglementation injustifiée du droit de propriété. Les parties requérantes devant la juridiction a quo n'apportent aucun argument de nature à amener la Cour à formuler sur ce point une autre conclusion que dans ses arrêts nos 40/95 et 24/96.

B.13. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 2 du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996, ne viole pas les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, combinés avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'abrogation de la règle du comblement n'a pas été précédée ou accompagnée d'une enquête publique et en ce qu'il n'a pas été prévu d'indemnisation, sans préjudice de l'application de l'article 37 de la loi organique de l'urbanisme (actuellement l'article 35 du décret précité relatif à l'aménagement du territoire).

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 28 février 2008.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, M. Bossuyt

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