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Arrêt
publié le 21 mai 2008

Extrait de l'arrêt n° 59/2008 du 19 mars 2008 Numéro du rôle : 4267 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 149 du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, posée par La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges R. He(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 59/2008 du 19 mars 2008 Numéro du rôle : 4267 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 149 du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, posée par le Tribunal de première instance de Turnhout.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges R. Henneuse, E. De Groot, J.-P. Snappe, E. Derycke et T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 26 juin 2007 en cause du ministère public contre N.B. et F.W. et en cause de l'inspecteur urbaniste à Anvers, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 17 juillet 2007, le Tribunal de première instance de Turnhout a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 149 du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire viole-t-il les règles répartitrices de compétences, consacrées dans la Constitution et dans les lois spéciales, entre les communautés, les régions et l'autorité fédérale, ainsi que les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en tant qu'il constitue un fondement juridique suffisant pour permettre à l'inspecteur urbaniste - dès que l'action en réparation est pendante auprès des cours et tribunaux - de se manifester comme partie au procès dans une procédure pénale, alors qu'il n'est ni tiers ni victime personnelle et que le Code d'instruction criminelle ne lui procure aucun fondement valable pour maintenir formellement son accès à la justice, alors que l'octroi du pouvoir d'intervenir dans la procédure pénale est une compétence du législateur fédéral, et en tant que l'autorité qui demande réparation comparaît deus ex machina comme partie au procès, sans devoir se conformer aux règles de procédure relatives à l'intervention en matière pénale, et viole de ce fait l'égalité des armes en ce que cette comparution ne sert pas d'autre but que celui de se rallier à l'action du ministère public, de sorte que le prévenu est privé du droit à une défense sereine sur un pied d'égalité avec la partie poursuivante ? ». (...) III. En droit (...) Quant à la disposition en cause B.1.1. La question préjudicielle porte sur l'article 149 du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire (ci-après : le décret relatif à l'aménagement du territoire). Cette disposition, telle qu'elle a été modifiée par l'article 8 du décret du 4 juin 2003 « modifiant le décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire en ce qui concerne la politique de maintien » et par l'article 48 du décret du 21 novembre 2003 « modifiant le décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire et le décret relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996 », et telle qu'elle a été partiellement annulée par l'arrêt de la Cour n° 14/2005 du 19 janvier 2005, énonce : « § 1er. Outre la peine, le tribunal peut ordonner de remettre le lieu en son état initial ou de cesser l'utilisation contraire, et/ou d'exécuter des travaux de construction ou d'adaptation et/ou de payer une amende égale à la plus-value acquise par le bien suite à l'infraction. Ceci se fait sur requête de l'inspecteur urbaniste, ou du Collège des bourgmestre et échevins de la commune sur le territoire de laquelle les travaux, opérations ou modifications visés à l'article 146 ont été exécutés. Lorsque ces infractions datent [...], un avis conforme préalable du Conseil supérieur de la Politique de Réparation est requis.

L'avis du Conseil supérieur de la Politique de Réparation doit être émis dans les 60 jours après la demande d'avis envoyée en recommandé.

Lorsque le Conseil supérieur de la Politique de Réparation n'a pas émis d'avis dans le délai imposé, l'obligation en matière d'avis n'est plus requise.

Pour les infractions dont le propriétaire peut démontrer qu'elles ont été commises [...], le moyen de la plus-value peut en principe toujours être utilisé, sauf dans un des cas suivants : 1° en cas de non-respect d'un ordre de cessation;2° lorsque l'infraction provoque des nuisances urbanistiques inadmissibles pour les voisins;3° lorsque l'infraction constitue une violation grave et irréparable des prescriptions urbanistiques essentielles en matière de destination en vertu du plan d'exécution spatial ou du plan d'aménagement. Lorsque les actions de l'inspecteur urbaniste et du collège des bourgmestre et échevins sont divergentes, l'action du premier cité est prioritaire.

Pour l'exécution des mesures de réparation, le tribunal fixe un délai et peut, sur requête de l'inspecteur urbaniste ou du Collège des bourgmestre et échevins, également déterminer une astreinte par journée de retard dans la mise en oeuvre de la mesure de réparation. § 2. L'action en réparation est introduite auprès du parquet par lettre ordinaire, au nom de la Région flamande ou du collège des bourgmestre et échevins, par les inspecteurs urbanistes et les préposés du collège des bourgmestre et échevins. § 3. Lorsque l'action porte sur une demande de travaux de construction ou d'adaptation et/ou le paiement d'un montant égal à la plus-value, cette action doit être explicitement motivée du point de vue de l'aménagement du territoire, de la compatibilité avec l'environnement immédiat et de la gravité de l'infraction.

En cas d'action en paiement d'un montant égal à la plus-value, l'inspecteur urbaniste ou le collège des bourgmestre et échevins mentionne si le bien pourra encore faire l'objet de travaux de maintenance ou d'entretien ayant trait à la stabilité, tels que visés à l'article 195bis, 3°. § 4. La requête mentionne au moins les prescriptions applicables, et une description de la situation préalable à l'infraction. Un extrait récent du registre des plans sera joint à la requête.

Le Gouvernement flamand peut déterminer des conditions supplémentaires auxquelles la lettre, visée au § 2, alinéa premier, ainsi que le dossier joint à ce courrier doivent répondre. § 5. Le tribunal détermine le montant de la plus-value.

En cas de condamnation au paiement d'un montant égal à la plus-value, la personne condamnée peut s'acquitter valablement en remettant les lieux dans l'état initial ou en mettant fin à l'utilisation contraire, dans l'année suivant le jugement.

Le Gouvernement flamand détermine le mode de calcul du montant à réclamer et de paiement de la plus-value. [...] ».

B.1.2. Le juge a quo demande si cette disposition viole les règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'Etat, des communautés et des régions et si elle est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, « en tant qu' [elle] constitue un fondement juridique suffisant pour permettre à l'inspecteur urbaniste dès que l'action en réparation est pendante auprès des cours et tribunaux - de se manifester comme partie au procès dans une procédure pénale ».

Quant à la recevabilité B.2.1. Selon le Gouvernement flamand, la question préjudicielle n'appelle pas de réponse, étant donné qu'elle reposerait sur une lecture erronée de la disposition en cause. En effet, le juge a quo partirait à tort du principe que l'inspecteur urbaniste agit comme partie au procès qui intervient dans le litige et qu'il n'existerait aucun fondement légal pour cette intervention.

B.2.2. Lorsqu'une exception d'irrecevabilité concerne également la portée qu'il y a lieu de donner à la disposition en cause, l'examen de la recevabilité se confond avec l'examen du fond de l'affaire.

Quant au fond B.3. L'examen de la conformité de la disposition en cause aux règles répartitrices de compétence doit en principe précéder l'examen de la compatibilité avec le principe d'égalité et de non-discrimination.

En ce qui concerne les règles répartitrices de compétence B.4.1. Dans les affaires qui ont donné lieu aux arrêts nos 57/2002 du 28 mars 2002 et 152/2002 du 15 octobre 2002, il était demandé à la Cour si l'article 149 du décret relatif à l'aménagement du territoire était compatible avec les règles répartitrices de compétence en tant que cette disposition permettait à l'inspecteur urbaniste et au collège des bourgmestre et échevins d'intervenir volontairement en tant que partie au procès pénal. Dans les arrêts précités, la Cour a considéré qu'« une telle autorisation donnée par un décret ne modifie pas les règles de la procédure concernant l'intervention volontaire, mais désigne seulement une catégorie supplémentaire de parties intervenantes qui est en rapport avec la matière attribuée au législateur décrétal » (arrêt n° 57/2002, B.8.3; arrêt n° 152/2002, B.8.3).

B.4.2. Postérieurement aux arrêts précités, la Cour de cassation a toutefois considéré que l'inspecteur urbaniste ne peut intervenir comme partie intervenante volontaire, étant donné que « l'action en rétablissement exercée au pénal par le ministère public à la demande de l'inspecteur urbaniste concerne l'action même de l'inspecteur urbaniste, qui reprend ainsi l'intérêt général légalement soutenu par ce dernier » (Cass., 24 février 2004, Arr. Cass., 2004, p. 289, concl.

De Swaef, M. et Pas., 2004, p. 313).

B.4.3. Dans le prolongement de cette jurisprudence, le juge a quo interprète l'article 149 du décret relatif à l'aménagement du territoire en ce sens qu'il autoriserait l'inspecteur urbaniste à intervenir en tant que partie au procès pénal en qualité de « demandeur en réparation ». C'est dans cette interprétation que la Cour examine si la disposition en cause est compatible avec les règles répartitrices de compétence.

B.5.1. En vertu de l'article 6, § 1er, I, 1°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, les régions sont compétentes en matière d'urbanisme et d'aménagement du territoire.

Aux termes de l'article 11 de la même loi spéciale, les décrets peuvent ériger en infraction les manquements à leurs dispositions et établir les peines punissant ces manquements.

B.5.2. Le Constituant et le législateur spécial, dans la mesure où ils n'en disposent pas autrement, ont attribué aux communautés et aux régions toute la compétence d'édicter les règles propres aux matières qui leur ont été transférées. Sauf dispositions contraires, le législateur spécial a transféré aux communautés et aux régions l'ensemble de la politique relative aux matières qu'il a attribuées.

B.5.3. Leur compétence en matière d'aménagement du territoire ne permet pas aux régions d'édicter des règles relatives à la compétence des juridictions et à la procédure applicable devant celles-ci. En vertu des articles 145 et 146 de la Constitution, c'est au législateur fédéral seul qu'il appartient de définir les compétences des juridictions. Le pouvoir de fixer les règles de procédure devant les juridictions appartient à ce dernier en vertu de sa compétence résiduelle.

B.6.1. Dans l'interprétation mentionnée au B.4.3, l'inspecteur urbaniste agit comme partie au procès en une qualité (« demandeur en réparation ») qui diffère de celle de la partie civile et de la partie intervenante volontaire. L'inspecteur urbaniste dispose en tant que tel d'une propre action et peut l'exercer lui-même. En cette qualité, il peut, de manière autonome, introduire un recours ou former un pourvoi en cassation, même s'il ne s'est pas préalablement constitué partie civile. L'inspecteur urbaniste peut également former de manière autonome une demande d'interprétation ou de correction d'un jugement ou d'un arrêt. Son intervention n'est pas soumise aux formalités de la constitution de partie civile ou de l'intervention volontaire, à condition que l'inspecteur urbaniste ait fait connaître clairement sa volonté et ses motifs et que l'action ait été soumise à la contradiction (Cass., 7 octobre 2003, P030260N). L'administration compétente peut adapter en cours d'instance l'action en réparation et ses motifs à la modification de la situation de l'aménagement du territoire, pour autant que cette adaptation ait uniquement pour but un bon aménagement du territoire et vise à faire cesser les conséquences de l'infraction en matière d'urbanisme (Cass. 17 octobre 2006, P060712N).

B.6.2. En tant que, dans l'interprétation précitée, la disposition en cause crée une qualité de partie au procès pénal qui n'est pas prévue par la législation fédérale, elle fixe des règles de procédure devant les juridictions répressives, compétence qui revient en principe au législateur fédéral.

B.7.1. Afin de pouvoir exercer utilement sa compétence en matière d'aménagement du territoire, le législateur décrétal a cependant pu considérer, conformément à l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, qu'il était nécessaire que l'inspecteur urbaniste, qu'il estimait l'autorité la plus à même de choisir la mesure de réparation à requérir, agisse comme partie au procès en qualité de « demandeur en réparation ». Ce faisant, le législateur décrétal a pu tenir compte de ce que le ministère public, eu égard à la spécificité de la matière, n'est pas toujours aussi expérimenté pour défendre devant le tribunal la mesure de réparation requise.

B.7.2. L'incidence sur la compétence réservée au législateur pour régler la procédure devant les juridictions est marginale, dès lors que seule la manière dont l'inspecteur urbaniste acquiert la qualité de partie au procès déroge au droit commun. En revanche, les mesures de réparation requises par l'inspecteur urbaniste relèvent du concept de la restitution utilisé à l'article 44 du Code pénal et aux articles 161 et 189 du Code d'instruction criminelle. En outre, l'inspecteur urbaniste qui exerce une voie de recours comme « demandeur en réparation » doit, ce faisant, respecter les règles fédérales en matière de délais et de formalités.

B.8. Il s'ensuit que l'article 149 du décret du 18 mai 1999 ne viole pas les règles répartitrices de compétence.

En ce qui concerne le principe d'égalité et de non-discrimination B.9. Le juge a quo demande également si la disposition en cause est compatible ou non avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'intervention de l'inspecteur urbaniste violerait l'égalité des armes.

B.10. Le droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, implique l'égalité des armes pour les parties au procès, à laquelle le droit à la contradiction est étroitement lié. Il s'ensuit que chaque partie doit avoir la possibilité de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires (CEDH, 22 septembre 1993, Dombo c. Pays-Bas; 12 mars 2003, Öçalan c. Turquie; 24 avril 2003, Yvon c. France). Les parties doivent également avoir en principe la possibilité de connaître et de contredire toute pièce ou tout argument de nature à influencer la décision du juge.

B.11. L'égalité des armes n'empêche pas que l'inspecteur urbaniste appuie l'action du ministère public. En effet, ce principe n'empêche pas que deux parties défendent une même position à l'égard d'une troisième partie, pour autant que ces parties, prises isolément, soient traitées de manière égale.

B.12. Le fait que l'inspecteur urbaniste puisse intervenir comme partie au procès, sans devoir satisfaire aux formalités de la constitution de partie civile ou de l'intervention volontaire n'est pas davantage contraire aux principes précités. En effet, l'inspecteur urbaniste doit faire connaître clairement sa volonté (Cass., 7 octobre 2003, P030260N). En outre, le choix de la mesure de réparation requise doit être motivé (Cass., 4 décembre 2001, P000540N). Le prévenu doit être informé de cette action. Par conséquent, l'action intentée par l'inspecteur urbaniste peut faire l'objet d'un débat contradictoire et le juge peut contrôler la légalité tant externe qu'interne de cette action et examiner si elle est conforme à la loi ou si elle est entachée d'excès ou de détournement de pouvoir.

B.13. Par conséquent, l'article 149 du décret du 18 mai 1999 n'est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.14. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 149 du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire ne viole pas les règles répartitrices de compétence. - Cette même disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 19 mars 2008.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Bossuyt.

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