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Arrêt
publié le 29 août 2008

Extrait de l'arrêt n° 86/2008 du 27 mai 2008 Numéro du rôle : 4285 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 7, § 1 er , 2°, c), du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instan La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et M. Bossuyt, et des juges P. Ma(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 86/2008 du 27 mai 2008 Numéro du rôle : 4285 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 7, § 1er, 2°, c), du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et M. Bossuyt, et des juges P. Martens, R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels et T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 6 septembre 2007 en cause de Arthur De Crucq contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 13 septembre 2007, le Tribunal de première instance de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 7, § 1er, 2°, c) du Code des impôts sur les revenus 1992 qui prévoit la taxation des revenus des biens immobiliers sur la base, en principe, du montant total du loyer et des avantages locatifs (en d'autres termes, des revenus locatifs réels) lorsque le bien donné en location est affecté (en tout ou en partie) à l'exercice de l'activité professionnelle du locataire est-il ou non conforme aux principes consacrés par les articles 11 et 172 de la Constitution si l'on considère qu'il doit s'appliquer de manière identique d'une part au propriétaire qui donne en location son bien en parfaite connaissance du fait que son locataire l'affectera ou pourra l'affecter en tout ou en partie à l'exercice de son activité professionnelle et d'autre part au propriétaire qui donne son bien en location en interdisant son affectation à l'exercice d'une activité professionnelle quelconque ou qui donne son bien en location dans l'ignorance qu'une activité (de surcroît délictueuse) pourrait y être exercée par son locataire ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur la compatibilité avec les articles 11 et 172 de la Constitution de l'article 7, § 1er, 2°, c), du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : CIR 1992).

L'article 7 du CIR 1992 dispose : « § 1er. Les revenus des biens immobiliers sont : [...] 2° pour les biens immobiliers qui sont donnés en location : a) pour les biens sis en Belgique donnés en location à une personne physique qui ne les affecte ni totalement ni partiellement à l'exercice de son activité professionnelle : - le revenu cadastral lorsqu'il s'agit de biens immobiliers non bâtis; - le revenu cadastral majoré de 40 p.c. lorsqu'il s'agit d'autres biens; [...] c) le montant total du loyer et des avantages locatifs, sans pouvoir être inférieur au revenu cadastral, quand il s'agit d'autres biens immobiliers non bâtis sis en Belgique, ou au revenu cadastral majoré de 40 p.c. lorsqu'il s'agit d'autres biens immobiliers bâtis sis en Belgique; [...] ».

B.2. Le juge a quo interroge la Cour sur une éventuelle discrimination entre les contribuables, si l'article 7, § 1er, 2°, c), du CIR 1992 est interprété comme s'appliquant de manière identique, d'une part, au propriétaire qui donne en location son bien en parfaite connaissance du fait que le locataire l'affecte ou pourra l'affecter en tout ou en partie à son activité professionnelle, et, d'autre part, au propriétaire qui donne en location son bien en interdisant son affectation à l'exercice d'une activité professionnelle ou qui donne son bien en location dans l'ignorance qu'une activité (de surcroît délictueuse) pourrait y être exercée par son locataire.

B.3. Il ressort de la motivation du jugement et des faits de la cause que la question préjudicielle concerne la situation d'un contribuable propriétaire qui avait loué un bien immobilier bâti - en l'espèce, un appartement - en excluant expressément dans le bail, qui avait fait l'objet d'un enregistrement, l'affectation du bien loué à une activité professionnelle.

B.4.1. Lorsque les revenus immobiliers proviennent d'un bien immobilier bâti sis en Belgique et donné en location à une personne physique qui ne l'affecte ni totalement ni partiellement à son activité professionnelle, l'article 7, § 1er, 2°, a), du CIR 1992 prévoit que le montant imposable est le revenu cadastral majoré de 40 p.c.

Lorsque, par contre, les revenus immobiliers proviennent d'un bien bâti sis en Belgique et donné en location à une personne physique qui l'affecte totalement ou partiellement à son activité professionnelle, l'article 7, § 1er, 2°, c), du CIR 1992 prévoit que le montant imposable est le montant total du loyer et des avantages locatifs, sans pouvoir être inférieur au revenu cadastral majoré de 40 p.c.

Lorsque le locataire affecte le bien donné en location en partie à son activité professionnelle et en partie à des fins privées, l'article 8 du CIR 1992 prévoit que, lorsque les loyers et les avantages locatifs sont déterminés, dans un contrat de location soumis à la formalité d'enregistrement, séparément pour la partie professionnelle et pour la partie privée, les revenus afférents à chacune des parties sont déterminés séparément conformément à l'article 7, § 1er, 2°, a) ou c), selon le cas.

B.4.2. La taxation des revenus immobiliers provenant d'un même bien immobilier bâti sis en Belgique et donné en location varie donc selon que le locataire affecte ou non, ne fût-ce que partiellement, le bien loué à son activité professionnelle : l'affectation, par le locataire, du bien loué à une activité professionnelle a donc pour conséquence de modifier le montant imposable dans le chef du propriétaire bailleur du bien immobilier.

B.5.1. La différence de taxation des revenus immobiliers, selon que le bien sert ou non à l'activité professionnelle du locataire, trouve son fondement dans la volonté de tenir compte de la possibilité pour le locataire de déduire, au titre de frais professionnels visés par l'article 52, 1°, du CIR 1992, les loyers et charges locatives afférents au bien loué affecté à son activité professionnelle.

B.5.2. La différence de taxation des revenus immobiliers, selon que le locataire l'affecte ou non à son activité professionnelle, trouve son origine dans l'article 4 de la loi du 20 novembre 1962 portant réforme des impôts sur les revenus.

Afin de lutter contre la fraude fiscale, le législateur avait choisi de définir forfaitairement, dans la disposition concernant le revenu immobilier imposable, la notion de « loyer anormalement élevé », mais uniquement dans le cas où le bien donné en location est occupé par le locataire à des fins professionnelles : « Le présent projet prévoit que le revenu cadastral des immeubles donnés en location et occupés par le locataire à des fins professionnelles sera majoré de la partie nette du loyer qui dépasse 200 % du revenu cadastral » (Doc. parl., Chambre, 1961-1962, n° 264/1, p. 15). Cette disposition visait ainsi à prendre en compte la situation du « contribuable exerçant son activité professionnelle dans un immeuble loué dont le loyer et les charges locatives peuvent être comptés en frais généraux » (Doc. parl., Sénat, 1961-1962, n° 366, p. 62).

En ce qui concerne cette disposition, la section de législation du Conseil d'Etat avait d'ailleurs constaté que « l'impôt mis à charge du propriétaire sera différent selon que le locataire exercera ou non dans les lieux loués une activité professionnelle » (Doc. parl., Chambre, 1961-1962, n° 264/1, pp. 126-127).

B.5.3. Le contenu de l'article 4 de la loi du 20 novembre 1962 précité a été repris dans la version initiale de l'article 7 du CIR 1964.

L'article 7 du CIR 1964, remplacé par l'article 1er de la loi du 19 juillet 1979 « modifiant le Code des impôts sur les revenus et le Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, en matière de fiscalité immobilière », dispose : « § 1er. Le revenu net des propriétés foncières s'entend : [...] 2° pour les immeubles qui sont donnés en location : a) du revenu cadastral quand il s'agit d'immeubles sis en Belgique dont le locataire est une personne physique qui n'affecte ni totalement ni partiellement l'immeuble pris en location à l'exercice de son activité professionnelle.b) du revenu cadastral augmenté de la partie du montant net du loyer et des charges locatives qui dépasse le revenu cadastral, quand il s'agit d'immeubles sis en Belgique dont le locataire est soit une personne physique qui affecte totalement ou partiellement l'immeuble pris en location à l'exercice de son activité professionnelle, soit une personne morale de droit public ou privé belge ou étranger, soit une société, association ou groupement ne possédant pas la personnalité juridique.c) du montant net du loyer et des charges locatives, quand il s'agit d'immeubles sis à l'étranger. [...] ».

B.5.4. L'article 7, § 1er, 2°, a) et c), du CIR 1992 a donc repris les principes contenus dans l'article 7 du CIR 1964, tel qu'il a été remplacé par la loi précitée du 19 juillet 1979.

Les travaux préparatoires de la loi du 19 juillet 1979 exposent : « Comme il est évident que le revenu cadastral - qui, par définition est un revenu forfaitaire représentant le revenu moyen normal net annuel d'un bien - ne correspondra pas toujours aux réalités, il est apparu équitable et rationnel de substituer le ' revenu réel ' au ' revenu forfaitaire ' dans tous les cas où les services de taxation peuvent contrôler les loyers et charges locatives réellement supportés par le locataire, dans les écritures comptables de celui-ci » (Doc. parl., Chambre, S.E. 1979, n° 126/1, p. 7).

La loi précitée de 1979 visait à rendre imposable, outre le revenu cadastral, la partie du loyer net et des charges « chaque fois que le loyer est ou doit être comptabilisé quelque part » (Doc. parl., Chambre, S.E. 1979, n° 126/10, p. 12).

En ce qui concerne un éventuel risque de distorsion du marché locatif résultant de la taxation différenciée des biens loués selon qu'ils sont à usage professionnel ou privé, le ministre des Finances avait considéré que « s'il est logique et équitable de prendre en considération le loyer effectif chaque fois que celui-ci apparaît dans des écritures comptables du locataire, il n'est pas opportun d'aller plus loin » (Doc. parl., Chambre, S.E. 1979, n° 126/10, p. 53), car cela nécessiterait « un système de contrôle très lourd qui n'offrirait d'ailleurs aucune garantie complète » (ibid.).

B.6.1. Il résulte de ce qui précède que la taxation, sur la base des loyers et avantages locatifs, des revenus d'un bien immobilier loué affecté à l'activité professionnelle du locataire permet à l'administration fiscale de contrôler la réalité de ces montants, à l'égard du propriétaire, en raison de l'obligation du locataire de comptabiliser ces montants, en vue d'une déduction au titre de frais professionnels.

B.6.2. Cette taxation des revenus immobiliers sur la base des loyers et avantages locatifs, lorsque le bien loué est affecté à l'activité professionnelle du locataire, a été interprétée par la jurisprudence comme s'appliquant chaque fois qu'une activité professionnelle est effectivement exercée dans les lieux loués, pour autant que l'administration démontre la réalité de cette activité professionnelle, et même si le propriétaire ignore cette activité.

B.7.1. La taxation des revenus immobiliers sur la base des loyers et avantages locatifs permet de tenir compte des revenus immobiliers réellement perçus, et la taxation sur la base du revenu cadastral ne constitue qu'une dérogation, pour des raisons principalement d'ordre pratique et administratif, au principe de taxation sur la base des revenus réels; cette dérogation ne vaut que dans les cas limitativement énumérés, dont l'article 7, § 1er, 2°, a), du CIR 1992.

Dans le système de taxation des revenus immobiliers provenant de la location, c'est l'activité professionnelle réellement exercée dans les lieux loués qui constitue le critère déterminant pour apprécier si la taxation doit se faire sur la base du a) ou du c) de l'article 7, § 1er, 2°, du CIR 1992, indépendamment du fait que cette activité viole une clause contractuelle du bail ou que l'activité professionnelle constitue une activité illicite.

B.7.2. Pour le surplus, une taxation sur la base du loyer et des avantages locatifs, en raison de l'activité professionnelle réellement exercée, se limite à prendre en considération comme montant imposable les revenus immobiliers réellement perçus, de sorte que cette taxation ne pourrait être considérée comme disproportionnée, dès lors que c'est la taxation du revenu cadastral fixé forfaitairement qui constitue une dérogation au principe de réalité en droit fiscal.

B.8. L'article 7, § 1er, 2°, c), ne crée donc pas, dans son principe, une différence de traitement entre contribuables, incompatible avec les articles 11 et 172 de la Constitution.

B.9.1. La Cour constate cependant que, dans l'espèce soumise au juge a quo, c'est l'administration qui a déduit les loyers des revenus professionnels du locataire, lequel n'avait pas déclaré ses revenus, qui provenaient d'une activité illicite, et que, par voie de conséquence, l'administration a imposé avec effet rétroactif le propriétaire sur le montant total du loyer et des avantages locatifs.

B.9.2. Si la taxation des revenus immobiliers sur la base des loyers et avantages locatifs permet de tenir compte des revenus immobiliers réellement perçus, cette taxation n'est toutefois pas justifiée, au regard de l'objectif poursuivi par la disposition en cause, lorsque la déductibilité des loyers et charges locatives, dans le chef du locataire, a été opérée par l'administration fiscale elle-même dans les circonstances décrites en B.9.1.

L'application de l'article 7, § 1er, 2°, c), dans de telles circonstances, porterait une atteinte disproportionnée au principe selon lequel tout contribuable doit pouvoir déterminer, avec un degré minimal de prévisibilité, le régime fiscal qui lui sera appliqué.

B.10. Si la disposition en cause est interprétée comme s'appliquant à la situation décrite en B.9.1, la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Interprété comme s'appliquant à la situation décrite en B.9.1, l'article 7, § 1er, 2°, c), du Code des impôts sur les revenus 1992 viole les articles 11 et 172 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 27 mai 2008.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux. M. Melchior.

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