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Arrêt
publié le 10 septembre 2008

Extrait de l'arrêt n° 91/2008 du 18 juin 2008 Numéro du rôle : 4221 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 449 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel de Liège. La Cour constitutionnelle, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédu(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 91/2008 du 18 juin 2008 Numéro du rôle : 4221 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 449 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel de Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et M. Bossuyt, et des juges P. Martens, R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels et T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 1er juin 2007 en cause du ministère public contre P.D. et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 13 juin 2007, la Cour d'appel de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 449 du Code des impôts sur les revenus viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus séparément ou en combinaison avec l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, l'article 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le principe général de droit non bis in idem, en ce qu'il permet le cumul de sanctions fiscales à caractère répressif et de sanctions pénales, alors que nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ou pour laquelle il a été sanctionné d'une amende administrative à caractère répressif et alors que dans les autres domaines du droit permettant d'imposer des sanctions administratives, le cumul de telles sanctions et de sanctions pénales est prohibé ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus séparément ou en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec le principe général de droit non bis in idem, de l'article 449 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : CIR 1992) en ce qu'il permettrait le cumul de sanctions fiscales à caractère répressif et de sanctions pénales, alors que nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ou pour laquelle il a été sanctionné d'une amende administrative à caractère répressif et alors que dans les autres domaines du droit permettant d'imposer des sanctions administratives, le cumul de telles sanctions et de sanctions pénales est prohibé. B.2. L'article 445 du CIR 1992 dispose : « Le fonctionnaire délégué par le directeur régional peut appliquer pour toute infraction aux dispositions du présent Code, ainsi que des arrêtés pris pour leur exécution, une amende de 50 euros à 1250 euros.

Cette amende est établie et recouvrée suivant les règles applicables en matière d'impôt des personnes physiques ».

L'article 449 du CIR 1992 dispose : « Sans préjudice des sanctions administratives, sera puni d'un emprisonnement de huit jours à deux ans et d'une amende de 250 euros à 12.500 euros ou de l'une de ces peines seulement, celui qui, dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire, contreviendra aux dispositions du présent Code ou des arrêtés pris pour son exécution ».

B.3.1. D'après le Conseil des ministres, le juge a quo fonderait sa question sur une prémisse inexacte en ce qu'il partirait du postulat selon lequel, dans d'autres domaines du droit, le cumul de sanctions administratives et de sanctions pénales serait absolument prohibé. Or, d'après le Conseil des ministres, un tel cumul ne serait prohibé que s'il est contraire au principe non bis in idem et non dans l'hypothèse où il ne serait pas porté atteinte à pareil principe.

La troisième partie intimée devant le juge a quo relève, dans son mémoire, que dans les nombreux domaines où le législateur a prévu la possibilité d'imposer des sanctions administratives, il a mis en place un système de « sanctions alternatives » permettant d'imposer soit une sanction administrative soit une sanction pénale mais pas les deux.

Elle cite, à titre d'exemple, l'article 4 de la loi du 30 juin 1971Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/06/1971 pub. 12/05/2009 numac 2009000304 source service public federal interieur Loi relative aux amendes administratives applicables en cas d'infraction à certaines lois sociales. - Coordination officieuse en langue allemande fermer relative aux amendes administratives applicables en cas d'infraction à certaines lois sociales, l'article 119bis, §§ 3, 7 et 8, de la Nouvelle loi communale, la législation en matière d'urbanisme et d'aménagement du territoire, celle sur la réglementation économique et les prix, celle relative à la protection de la santé des consommateurs ou encore celle qui concerne les denrées alimentaires et les autres produits ainsi que la loi du 21 décembre 1998 relative à la sécurité lors des matches de football.

B.3.2. Ainsi que cela ressort des termes de la question préjudicielle et des mémoires introduits par les parties, la différence de traitement soumise à la Cour concerne de manière générale, d'une part, les personnes qui, pour les mêmes faits, se voient infliger une amende administrative - payée dans l'intervalle - et font ensuite également l'objet de poursuites pénales, et, d'autre part, les personnes pour lesquelles le paiement d'une amende administrative éteint l'action publique.

B.4. La disposition en cause a été introduite par l'article 1er de la loi du 10 février 1981Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/02/1981 pub. 30/01/2014 numac 2014000049 source service public federal interieur Loi de redressement relative aux pensions du secteur social. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer relative au redressement en matière de répression pénale de la fraude fiscale (Moniteur belge , 14 février 1981), pour les motifs qui suivent : « Le nouveau système répressif, qui fait l'objet du présent projet, s'inspire de la nécessité, généralement reconnue, d'accentuer la répression de la fraude fiscale, afin de permettre à l'Etat de disposer pleinement des ressources fiscales que la loi met à sa disposition et d'assurer, en même temps, une plus juste répartition de la charge fiscale entre tous les contribuables.

Il se base sur deux moyens de répression, qui peuvent d'ailleurs se cumuler : l'application, par l'administration fiscale, de sanctions exclusivement administratives et l'application, par les tribunaux correctionnels, de sanctions purement pénales. [...] Quelle que soit leur nature, [les infractions aux dispositions du CIR ou des arrêtés pris pour son exécution qui imposent une obligation de faire ou ne pas faire] sont punissables, indépendamment des sanctions administratives qui auraient été prises, d'un emprisonnement de huit jours à deux ans et d'une amende de 10 000 à 500 000 francs (montants fixés par la loi du 4 août 1978), lorsqu'il est établi qu'elles ont été commises ' dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire '.

Ces délits sont réprimés par l'article 339 nouveau [actuellement : l'article 449 du CIR 1992]. Le dol spécial, que leur répression exige, est celui que la Commission d'étude sur la répression pénale de la fraude fiscale a suggéré en vue de faciliter la répression pénale de ces infractions. L'intention frauduleuse et le dessein de nuire sont en effet des notions suffisamment larges pour englober n'importe quelle intention délictuelle, poursuivie par le contrevenant, et sont, au surplus, suffisamment connues par la doctrine et par la jurisprudence pour éviter toute controverse au sujet de leur application.

En effet, la doctrine et la jurisprudence admettent unanimement qu'il faut entendre par ' intention frauduleuse ' le dessein de se procurer à soi-même ou de procurer à autrui, par certains agissement frauduleux, un profit ou un avantage illicites. Le ' dessein de nuire ', c'est l'intention de porter atteinte aux droits et aux intérêts légitimes d'autres personnes, tant particulières que publiques » (Doc. parl., Sénat, 1980-1981, n° 566/1, pp. 2-3).

Dans son exposé introductif en commission des Finances, le ministre des Finances a fait observer : « La répression pénale de la fraude fiscale apparaît de plus en plus comme un des moyens les plus efficaces de la lutte contre cette plaie sociale. [...] La menace de sanctions pénales doit par ailleurs constituer une arme de dissuasion efficace contre les candidats fraudeurs.

Pour atteindre l'objectif, deux types de moyens doivent être mis en oeuvre : 1° des moyens légaux, c'est à dire les mesures législatives nécessaires pour assurer la répression pénale la plus efficace;2° des moyens administratifs, c'est à dire l'organisation administrative la plus efficace pour atteindre ce but » (Doc.parl., Sénat, 1980-1981, n° 566/2, p. 6).

B.5. Lorsque le législateur estime que certains manquements à des dispositions légales doivent faire l'objet d'une répression, il relève de son pouvoir d'appréciation de décider s'il est opportun d'opter pour des sanctions pénales sensu stricto ou pour des sanctions administratives. Le choix de l'une ou l'autre catégorie de sanctions ne peut être considéré comme établissant, en soi, une discrimination, mais la différence de traitement qui peut en résulter pour le même manquement n'est admissible que si elle est raisonnablement justifiée.

Ce raisonnement s'applique a fortiori lorsque, comme en l'espèce, il s'agit d'un cumul de sanctions pénales sensu stricto et de sanctions administratives pour le même manquement.

B.6. Le choix de réprimer les infractions visées par la disposition en cause au moyen de sanctions aussi bien administratives que pénales repose sur un critère objectif, à savoir la nature des infractions.

Compte tenu de l'impact que peut avoir la fraude fiscale sur le Trésor et des distorsions de concurrence qui peuvent en découler pour les entreprises qui remplissent leurs obligations fiscales et sociales (Doc. parl., Sénat, 1980-1981, n° 566/2, p. 2), la mesure incriminée est également pertinente pour atteindre le but de lutte contre la fraude fiscale.

La Cour doit cependant vérifier si la mesure n'a pas d'effets disproportionnés, en tenant compte, en particulier, du principe non bis in idem.

B.7. En vertu du principe général de droit non bis in idem, garanti également par l'article 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, nul ne peut être poursuivi ou puni une deuxième fois en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif « conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ». Ce principe est également consacré par l'article 4 du Septième Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, qui n'est pas encore ratifié par la Belgique.

B.8.1. Les amendes administratives prévues par l'article 445 du CIR 1992 ont pour but de prévenir et de réprimer les infractions au CIR 1992 commises par les contribuables qui ne respecteraient pas les obligations imposées par ledit Code. Elles présentent dès lors principalement un caractère répressif et sont pénales au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

B.8.2. En l'espèce, la troisième partie intimée devant la juridiction a quo n'a pas été condamnée une première fois par un jugement définitif mais a payé l'amende qui lui était réclamée par l'administration. Cette particularité, qui tient à ce que l'amende administrative peut être infligée par l'administration sans contrôle préalable d'un juge, n'empêche pas que le principe non bis in idem puisse être d'application puisque la disposition en cause permet qu'une personne déjà punie soit à nouveau poursuivie ou punie.

B.8.3. Dans son mémoire, le Conseil des ministres relève, à cet égard, que l'application de l'article 449 du CIR 1992 requiert un dol spécial, tandis que l'infraction sanctionnée par la voie administrative sur la base de l'article 445 du même Code existe même si le manquement aux obligations imposées par ledit Code a été commis de bonne foi. Il en résulterait que le principe non bis in idem ne souffrirait d'aucune violation dans la mesure où les sanctions pénales prévues par l'article 449 du CIR 1992 ne répriment pas la même infraction que l'article 445 du Code.

B.8.4. Il ressort de la lecture des articles 445 et 449 du CIR 1992 que l'amende administrative prévue par l'article 445 du CIR 1992 et la sanction pénale prévue par l'article 449 du même Code répriment, en des termes équivalents, le même comportement, à savoir le manquement aux dispositions du Code des impôts sur les revenus ou des arrêtés pris pour son exécution. Toutefois, l'article 449 en cause requiert, pour l'application de la sanction pénale qu'il prévoit, que soit constatée une intention frauduleuse ou un dessein de nuire.

La troisième partie intimée devant le juge a quo soutient qu'en l'absence d'intention frauduleuse ou de dessein de nuire, le contribuable qui a contrevenu aux dispositions du Code précité ou aux arrêtés pris pour son exécution n'est pas susceptible de poursuites pénales sur la base de l'article 449 en cause. Il ne pourrait, dans une telle hypothèse, être question du cumul d'une sanction administrative et d'une sanction pénale. En revanche, il y aurait violation du principe non bis in idem lorsqu'est infligée une sanction administrative et, à sa suite, une sanction pénale, en raison d'un manquement aux obligations imposées par le Code dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire.

B.9. Le principe non bis in idem est violé lorsqu'une même personne, après avoir été déjà condamnée ou acquittée en raison d'un comportement, est à nouveau poursuivie, en raison du même comportement, pour des infractions dont les éléments essentiels sont identiques (CEDH, 29 mai 2001, Franz Fischer c. Autriche, §§ 25-27;

CEDH, 7 décembre 2006, Hauser-Sporn c. Autriche, §§ 42-46).

B.10. En revanche, le principe non bis in idem n'est pas violé lorsque les éléments essentiels des deux infractions ne sont pas identiques.

Il en est ainsi lorsque l'élément moral des deux incriminations diffère (CEDH (décision), Ponsetti et Chesnel c. France, du 14 septembre 1999; CEDH (décision), Rosenquist c. Suède, du 14 septembre 2004).

B.11. La troisième partie intimée devant le juge a quo compare les dispositions fiscales en cause à d'autres dispositions qui, dans d'autres matières, organisent un système de sanctions alternatives et non cumulatives. Ce système, qui ne permet d'appliquer des sanctions dites administratives que lorsque l'autorité compétente a décidé de ne pas intenter de poursuites pénales, est celui qui permet le plus sûrement de ne pas porter atteinte au principe non bis in idem. Ainsi que l'a fait observer la section de législation du Conseil d'Etat, afin d'éviter la violation de ce principe, il est recommandé au législateur de « régler lui-même cette question de cumul, plutôt que de s'en décharger sur les autorités [judiciaires] » (Doc. parl., Parlement flamand, 1996-1997, n° 742/1, pp. 70-74, et Doc. parl., Chambre, 1998-1999, n° 1928/1 et n° 1929/1, p. 80).

B.12. Il convient d'examiner si, en ne prévoyant pas un tel système dans la matière des impôts sur les revenus, le législateur a méconnu les dispositions mentionnées en B.1.

B.13. En s'abstenant de satisfaire en temps utile aux obligations que lui imposent les lois fiscales, le contribuable retarde l'établissement et la perception de l'impôt et, par conséquent, prive l'Etat des ressources fiscales que la loi met à sa disposition pour accomplir ses missions d'intérêt général. Le législateur a pu considérer que l'amende de 50 à 1 250 euros que peut infliger l'administration en cas de simple négligence était de nature à inciter les contribuables à fournir en temps utile les indications nécessaires à l'établissement de l'impôt.

B.14. En raison de la multiplicité des infractions fiscales et du nombre considérable de dossiers dont sont déjà chargés les parquets, le législateur a pu considérer qu'un contrôle préalable effectué par ceux-ci risquerait de rendre inefficace ce système de sanctions.

B.15. Le contribuable qui se voit infliger une telle amende n'est pas privé de moyens de défense : l'administration est tenue de motiver sa décision en application de l'article 109 de la loi du 4 août 1986 portant des dispositions fiscales et, si le contribuable estime que cette décision est illégale, il peut la contester devant le juge civil.

B.16. Le législateur a également pu considérer que, si le manquement du contribuable s'expliquait, non par la simple négligence, mais par une intention frauduleuse ou le dessein de nuire, il devait faire l'objet d'une sanction plus lourde, qui peut aller jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 125 000 euros d'amende, mais entourée des garanties et du contrôle préalable d'un juge dans le cadre de la procédure pénale.

B.17. Il découle de ce qui précède que, d'une part, les éléments essentiels des infractions visées aux articles 445 et 449 du CIR 1992 ne sont pas identiques, puisque seul ce dernier article exige une intention frauduleuse ou le dessein de nuire, de telle sorte que le principe non bis in idem n'est pas violé et que, d'autre part, la spécificité de la matière des impôts sur les revenus justifie que le législateur ait organisé un système différent de celui des législations mentionnées en B.3.1.

B.18. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 449 du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec le principe général de droit non bis in idem.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 18 juin 2008.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Melchior.

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