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Arrêt
publié le 04 février 2009

Extrait de l'arrêt n° 175/2008 du 3 décembre 2008 Numéro du rôle : 4427 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 40, § 1 er , 2°, b), du Code des impôts sur les revenus 1964, posée par la Cour d'appel de Gan La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges R. He(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 175/2008 du 3 décembre 2008 Numéro du rôle : 4427 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 40, § 1er, 2°, b), du Code des impôts sur les revenus 1964, posée par la Cour d'appel de Gand.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges R. Henneuse, E. De Groot, A. Alen, J.-P. Snappe et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 29 janvier 2008 en cause de l'Etat belge contre Guido Delanghe et Laurette Denecker, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 6 février 2008, la Cour d'appel de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 40, § 1er, 2°, b), du Code des impôts sur les revenus 1964 viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution dans l'interprétation selon laquelle la plus-value de cessation réalisée, conformément à l'article 40, § 1er, 2°, a), du Code des impôts sur les revenus 1964, à l'occasion de l'apport d'une ou de plusieurs branches d'activité à une société existante ou à constituer dont le siège social est situé en Belgique sera purement et simplement immunisée, alors que la plus-value de cessation réalisée à l'occasion de l'apport de l'universalité des biens à une société dont le siège social est situé en Belgique est immunisée pour autant seulement que cette opération soit reconnue par le ministre des Finances, sur avis conforme du ministre des Affaires économiques ou du ministre des Classes moyennes, comme tendant à l'amélioration de la productivité, à la lutte contre le chômage ou à la rationalisation de l'économie ? Le traitement différent est-il suffisamment pertinent en fonction de la ratio legis pour distinguer ces deux catégories, sachant que la procédure de reconnaissance n'a jamais été respectée ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle concerne l'article 40, § 1er, 2°, du Code des impôts sur les revenus 1964 (ci-après : CIR 1964), tel qu'il a été remplacé par l'article 5 de la loi du 3 novembre 1976 « modifiant le Code des impôts sur les revenus », qui dispose : « § 1er. Les bénéfices et profits définis à l'article 31, 1°, sont entièrement mais temporairement immunisés : [...]; 2° lorsqu'ils sont obtenus ou constatés à l'occasion : a) de l'apport, dans les conditions à déterminer par le Roi, d'une ou de plusieurs branches d'activité à une société existante ou à constituer dont le siège social ou le principal établissement est situé en Belgique;b) de l'apport de l'université des biens à des sociétés visées à l'article 94, pour autant que cette opération soit reconnue par le Ministre des Finances, sur avis conforme du Ministre des Affaires économiques ou du Ministre des Classes moyennes, comme tendant à l'amélioration de la productivité, à la lutte contre le chômage ou à la rationalisation de l'économie ». B.2. Le juge a quo demande si le littera b) de l'article 40, § 1er, 2°, du CIR 1964 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'une plus-value de cessation qui est obtenue ou constatée à l'occasion de l'apport d'une universalité de biens dans une société n'est immunisée d'impôts que lorsque cet apport a été reconnu par le ministre des Finances, sur avis conforme du ministre des Affaires économiques ou du ministre des Classes moyennes, comme tendant à l'amélioration de la productivité, à la lutte contre le chômage ou à la rationalisation de l'économie, tandis que, selon le littera a), cette plus-value est immunisée lors de l'apport d'une ou de plusieurs branches d'activité dans une société sans qu'une telle reconnaissance soit nécessaire, en prenant en considération à cet égard le fait que la procédure de reconnaissance visée au littera b) n'a jamais été respectée.

B.3.1. Le littera a) de l'article 40, § 1er, 2°, du CIR 1964 trouve sa source dans l'article 8 de la loi du 20 novembre 1962 « portant réforme des impôts sur les revenus », lequel, d'après les travaux préparatoires de celle-ci (Doc. parl., Chambre, 1961-1962, n° 264/1, p. 65), était inspiré à son tour de l'article 2 de la loi temporaire du 15 juillet 1959 « tendant à favoriser l'absorption ou la fusion de sociétés et l'apport de branches d'activité ». B.3.2. L'exposé des motifs du projet devenu la loi précitée du 15 juillet 1959 mentionne : « La concentration des entreprises contribue indiscutablement à l'amélioration de la productivité, au développement économique et au plein emploi de la main-d'oeuvre. Mais cette concentration peut se heurter à des entraves d'ordre fiscal [...].

Il n'est donc pas étonnant que, depuis 1927, plusieurs lois soient intervenues pour lever, tout au moins temporairement, ces entraves fiscales.

Depuis que la loi du 24 novembre 1953 a cessé ses effets, c'est-à-dire depuis le 1er janvier 1958, aucune mesure nouvelle n'a été prise dans ce domaine [...].

Et pourtant, les raisons qui ont motivé antérieurement les mesures fiscales tendant à favoriser les opérations susvisées sont plus valables que jamais. L'évolution économique constante et les impératifs du Marché Commun posent de nouveaux problèmes de regroupement d'entreprises, dont la réalisation doit être encouragée » (Doc. parl., Chambre, 1958-1959, n° 216/1, pp. 1-2).

L'article 2 de la loi précitée du 15 juillet 1959 a été commenté comme suit : « Si l'absorption ou la fusion de sociétés est un moyen de rationalisation des entreprises, la reprise d'une branche d'activité peut également contribuer à l'expansion de l'économie nationale.

Par analogie avec les mesures favorables prévues en cas d'absorption ou de fusion de sociétés, l'article 2 dispose que la taxe professionnelle ne sera pas applicable aux plus-values réalisées par une société qui fera apport, à partir du 1er mars 1959 jusqu'au 31 décembre 1961, d'une ou de plusieurs branches de son activité à une autre société, existante ou à constituer, à condition : 1° que la société bénéficiaire de l'apport ait son siège social ou son principal établissement administratif en Belgique;2° que l'apport soit uniquement rémunéré en parts représentatives de droits sociaux; 3° que l'apport réponde à un intérêt économique véritable » (ibid., pp. 3-4).

B.3.3. Il en résulte que le législateur a voulu favoriser l'expansion économique par le biais de l'immunisation fiscale des plus-values réalisées lors de l'apport d'une ou de plusieurs branches d'activité dans une société. Néanmoins, il ressort également de l'extrait cité des travaux préparatoires que le législateur avait estimé que l'immunisation visée ne pouvait s'appliquer que lorsque l'apport « [répond] à un intérêt économique véritable ».

B.4.1. Le littera b) de l'article 40, § 1er, 2°, du CIR 1964 a été inséré dans ce Code par l'article 11 de la loi du 25 juin 1973 « modifiant le Code des impôts sur les revenus, en ce qui concerne, notamment, la taxation des plus-values, l'assiette et le calcul de l'impôt des sociétés et de l'impôt des non-résidents, ainsi que la répression de certaines formes de fraude et d'évasion fiscales ».

B.4.2. Au cours des travaux préparatoires, cette insertion a été commentée comme suit : « Dans l'état actuel des choses, les opérations de regroupement ou de restructuration d'entreprises par la voie de l'apport de l'universalité des biens d'une société à une ou plusieurs sociétés, sans que cet apport entraîne la dissolution et la liquidation de la société apporteuse, ne sont pas neutres du point de vue des impôts sur les revenus : l'apport de toutes les branches d'activité n'est pas visé par l'article 40, § 1er, 2°, du Code des impôts sur les revenus.

Le Gouvernement avait fait adopter par la Commission de la Chambre un amendement par lequel cette lacune était comblée, mais exclusivement dans les cas où les opérations dont il s'agit sont effectuées en exonération du droit d'apport, en exécution de l'article 302bis du Code des droits d'enregistrement, de greffe et d'hypothèque.

En se référant à l'article 302bis du Code précité, le Gouvernement voulait éviter de favoriser des opérations de restructuration d'entreprises qui poursuivraient des objectifs d'ordre purement financier plutôt que des objectifs d'intérêt économique général.

En fait, ce texte n'assurerait la neutralité des opérations d'apport en société de l'universalité des biens que dans la mesure où ces opérations iraient de pair avec des investissements effectués dans les zones de développement et contribueraient directement à la création de nouveaux emplois ou activités dans ces zones.

Au cours de la discussion en séance publique, certains membres de la Chambre proposèrent d'amender ce texte.

Les auteurs de l'amendement étaient d'avis que la référence à l'article 302bis du Code des droits d'enregistrement, de greffe et d'hypothèque limitait trop considérablement la portée économique du régime envisagé.

Ils proposèrent de remplacer cette référence par un texte par lequel il était renvoyé aux conditions jadis prévues par l'article 302ter du même Code, relatif aux apports de branches d'activité, à savoir : l'opération doit être reconnue par le Ministre des Affaires économiques ou par le Ministre des Classes moyennes comme tendant à l'amélioration de la productivité, à la lutte contre le chômage ou à la rationalisation de l'économie.

Le Gouvernement s'est rallié à cet amendement, qui fut adopté par la Chambre » (Doc. parl., Sénat, 1972-1973, n° 278, pp. 8-9).

Ultérieurement, le texte de l'amendement visé a de nouveau été amendé en ce sens que le pouvoir de reconnaissance revient au ministre des Finances, sur avis conforme du ministre des Affaires économiques ou du ministre des Classes moyennes (ibid., p. 28).

B.4.3. Il en ressort que le législateur considérait que l'absence d'immunisation fiscale pour les plus-values réalisées lors de l'apport d'une universalité de biens dans une société devait être considérée comme une lacune, à laquelle il voulait remédier par l'article 11 de la loi précitée du 25 juin 1973.

Il apparaît également de l'extrait cité des travaux préparatoires que la mesure contenue au littera b) de l'article 40, § 1er, 2°, du CIR 1964 était dictée, tout comme la mesure contenue au littera a), par l'objectif de favoriser l'expansion économique. Toutefois, pour éviter que les plus-values soient immunisées lorsqu'un apport dans une société n'est dicté que par des raisons financières, et ne relève donc pas de l'intérêt économique général, le législateur a considéré qu'il était indiqué de faire dépendre l'immunisation d'une reconnaissance préalable par le ministre des Finances, sur avis conforme du ministre des Affaires économiques ou du ministre des Classes moyennes.

B.5. Il résulte de ce qui précède que le législateur a poursuivi les mêmes objectifs avec les deux mesures contenues à l'article 40, § 1er, 2°, du CIR 1964, plus précisément la promotion de l'expansion économique par l'élimination des obstacles fiscaux en cas d'apport à une société, pour autant que l'apport présente un intérêt économique général.

Au regard de ces éléments, il n'est pas raisonnablement justifié que lors de l'apport d'une universalité de biens dans une société, l'accord du ministre des Finances, sur avis conforme du ministre des Affaires économiques ou du ministre des Classes moyennes, soit requis avant que la plus-value réalisée puisse bénéficier de l'immunisation fiscale prévue, alors que cet accord n'est pas requis pour l'immunisation fiscale en cas d'apport d'une ou de plusieurs branches d'activité. Bien que le législateur puisse estimer que la plus-value de cessation réalisée lors de tels apports peut uniquement être immunisée fiscalement lorsque l'apport présente un intérêt économique général, il ne peut, à cet égard, créer aucune différence de traitement insusceptible d'être raisonnablement justifiée.

B.6. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 40, § 1er, 2°, b), du Code des impôts sur les revenus 1964, tel qu'il a été remplacé par l'article 5 de la loi du 3 novembre 1976 modifiant le Code des impôts sur les revenus, viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 3 décembre 2008.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Bossuyt.

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