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Arrêt
publié le 24 août 2009

Extrait de l'arrêt n° 122/2009 du 16 juillet 2009 Numéros du rôle : 4664 et 4665 En cause : les recours en annulation totale ou partielle des articles 4, 2°, 3°, 4°, 6° et 7°, 10,(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 122/2009 du 16 juillet 2009 Numéros du rôle : 4664 et 4665 En cause : les recours en annulation totale ou partielle des articles 4, 2°, 3°, 4°, 6° et 7°, 10, 11, § 1er, 12, § 1er, 20, § 1er, et 21 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 4 septembre 2008 relative à la lutte contre la discrimination et à l'égalité de traitement en matière d'emploi, introduits par la « Landelijke Bediendencentrale - Nationaal Verbond voor Kaderpersoneel » et Ferdinand Wyckmans et par la « Centrale nationale des employés », Raymond Coumont et Anne-Thérèse Destrebecq.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen et J.-P. Snappe, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des recours et procédure a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 16 mars 2009 et parvenue au greffe le 17 mars 2009, un recours en annulation totale ou partielle des articles 4, 2°, 3°, 4°, 6° et 7°, 10, 11, § 1er, 12, § 1er, 20, § 1er, et 21 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 4 septembre 2008 relative à la lutte contre la discrimination et à l'égalité de traitement en matière d'emploi (publié au Moniteur belge du 16 septembre 2008) a été introduit par la « Landelijke Bediendencentrale - Nationaal Verbond voor Kaderpersoneel », dont le siège est établi à 2000 Anvers, Sudermansstraat 5, et Ferdinand Wyckmans, demeurant à 2530 Boechout, Lange Kroonstraat 20.b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 16 mars 2009 et parvenue au greffe le 17 mars 2009, un recours en annulation totale ou partielle des mêmes dispositions a été introduit par la « Centrale nationale des employés », dont le siège est établi à 1400 Nivelles, avenue Schuman 18, Raymond Coumont, demeurant à 6230 Buzet, chaussée de Nivelles 695, et Anne-Thérèse Destrebecq, demeurant à 1030 Bruxelles, rue Paul Devigne 100. Ces affaires, inscrites sous les numéros 4464 et 4465 du rôle, ont été jointes.

Le 2 avril 2009, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, les juges-rapporteurs L. Lavrysen et J.-P. Snappe ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de rendre un arrêt de réponse immédiate. (...) II. En droit (...) B.1. L'ordonnance attaquée vise à transposer des directives européennes en matière de lutte contre la discrimination (article 2).

Elle a également pour objectif de créer un cadre général pour promouvoir l'égalité des chances dans le cadre de la politique régionale de l'emploi (article 3).

B.2. L'ordonnance interdit la discrimination fondée sur « l'âge, l'orientation sexuelle, l'état civil, la naissance, la fortune, les convictions religieuses, philosophiques ou politiques, la langue, l'état de santé actuel ou futur, un handicap, une caractéristique physique ou génétique, le sexe, la grossesse, l'accouchement, la maternité, le changement de sexe, la nationalité, une prétendue race, la couleur de peau, l'ascendance, l'origine nationale, ethnique ou sociale » (article 4, 2° et 3°, et article 7).

B.3.1. Les parties requérantes font valoir en premier lieu que l'ordonnance est elle-même contraire au principe d'égalité et de non-discrimination en ce qu'elle s'applique uniquement en cas de discrimination fondée sur un des motifs précités et non en cas de discrimination fondée sur d'autres motifs (première branche du premier moyen dans les deux affaires).

B.3.2. Même lorsqu'il s'agit de relations entre personnes privées, le législateur ne pourrait déroger à l'interdiction générale des discriminations, expressément garantie par les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L'adoption d'une liste fermée ne pourrait donc en aucun cas être interprétée comme autorisant des discriminations pour des motifs ne figurant pas dans la liste.

Lorsque le législateur, pour se conformer aux exigences de directives européennes, organise une procédure spécifique qui déroge aux règles ordinaires du droit judiciaire, il peut réserver cette procédure dérogatoire aux discriminations visées par les directives précitées et y ajouter celles contre lesquelles il estime devoir organiser la même protection. En effet, il relève du pouvoir d'appréciation du législateur de lutter expressément avec le plus d'intensité contre les discriminations fondées sur des motifs qu'il considère comme étant les plus abjects (arrêt n° 17/2009, B.14.5; arrêt n° 41/2009, B.9; arrêt n° 64/2009, B.7.5).

Le fait qu'un motif de discrimination ne figure pas dans la liste a certes pour effet que la protection spécifique offerte par l'ordonnance en cause ne s'applique pas, mais ceci ne signifie pas que les victimes d'une discrimination fondée sur un tel motif soient privées de toute protection juridique. En effet, tout traitement inégal dans les rapports entre les citoyens auquel aucune justification ne peut être donnée constitue une discrimination et, dès lors, un comportement fautif qui peut donner lieu à une sanction civile, notamment à une indemnisation. En outre, le juge peut annuler une clause contractuelle discriminatoire sur la base des articles 6, 1131 et 1133 du Code civil au motif qu'elle est contraire à l'ordre public. Ces sanctions ne sont certes pas identiques aux mesures spécifiques prévues pour les motifs de discrimination particulièrement protégés, mais cette différence de nature des sanctions n'est pas disproportionnée et ne permet dès lors pas de conclure à une discrimination (arrêt n° 17/2009, B.14.7; arrêt n° 41/2009, B.11; arrêt n° 64/2009, B.7.7).

B.3.3. En sa première branche, le premier moyen dans les deux affaires n'est pas fondé.

B.4.1. Les parties requérantes contestent en particulier l'absence « de l'affiliation à une organisation représentative des travailleurs, de la conviction syndicale et de l'activité syndicale » de la liste des motifs de discrimination (deuxième branche du premier moyen dans les deux affaires).

B.4.2. L'affiliation ou l'appartenance à une organisation syndicale et l'activité menée dans le cadre d'une telle organisation doivent être considérées comme des manifestations de l'opinion syndicale de la personne concernée. La victime d'une discrimination fondée sur son affiliation, son appartenance ou son activité syndicales est dès lors également victime d'une discrimination fondée sur ses convictions en matière syndicale, de sorte que les trois motifs de discrimination cités sont compris dans celui de la conviction syndicale.

Dans l'arrêt n° 64/2009 (B.8.15), la Cour, statuant sur un grief similaire relatif à la loi du 10 mai 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/05/2007 pub. 30/05/2007 numac 2007002099 source service public federal de programmation integration sociale, lutte contre la pauvrete et economie sociale Loi tendant à lutter contre certaines formes de discrimination fermer tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, a estimé que le législateur, en n'inscrivant pas, parmi les motifs de discrimination, celui de la conviction syndicale, a traité différemment, sans justification raisonnable, les victimes d'une discrimination fondée sur ce motif et les victimes d'une discrimination fondée sur l'un des motifs énumérés par l'article 4, 4°, de la loi précitée.

B.4.3. Pour les mêmes motifs, mutatis mutandis, que dans l'arrêt n° 64/2009, le premier moyen dans les deux affaires, en sa seconde branche, est fondé. Il convient d'annuler l'article 4, 2° et 3°, de l'ordonnance attaquée, mais uniquement en ce que la conviction syndicale ne figure pas sur la liste des motifs de discrimination.

B.4.4. La lacune étant située dans les textes soumis à la Cour et l'annulation étant exprimée de façon suffisamment précise et complète, il découle de cette annulation que dans l'attente d'une intervention législative, il appartient aux juges saisis de demandes civiles relatives à une discrimination fondée sur la conviction syndicale d'appliquer les dispositions partiellement annulées, dans le respect des articles 10 et 11 de la Constitution.

En revanche, le principe de légalité en matière pénale, selon lequel nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, interdit qu'en l'absence de modification législative, les juridictions pénales comblent la lacune en matière de conviction syndicale sanctionnée par la Cour.

B.5.1. Le deuxième moyen des parties requérantes dans les deux affaires concerne les articles 20, § 1er, et 21 de l'ordonnance attaquée. En vertu de l'article 20, § 1er, les dispositions de l'article 21 concernent « les documents émanant des organisations intermédiaires et des opérateurs d'insertion socio-professionnelle visés à l'article 5, § 1er, ainsi que les conventions conclues par celles-ci ». Sur la base de l'article 21, « les dispositions qui sont contraires à la présente ordonnance, ainsi que les clauses contractuelles qui prévoient qu'un ou plusieurs contractants renoncent par avance aux droits garantis par la présente ordonnance » sont nulles.

Selon les parties requérantes, ces dispositions violent les articles 10 et 11 de la Constitution au motif que les actes juridiques unilatéraux qui ne figurent pas dans « des documents » ne pourraient être déclarés nuls sur la base de l'article 21 et que la sanction de nullité ne pourrait trouver à s'appliquer en cas de renonciation formulée au moment de la discrimination ou après celle-ci.

B.5.2. Dans son arrêt n° 64/2009 (B.12.4), la Cour, statuant sur un grief similaire relatif à la loi précitée du 10 mai 2007, a estimé que les actes unilatéraux ou conventions non écrits sont, comme les mêmes actes quand ils font l'objet d'un écrit, entièrement soumis aux dispositions de la loi précitée, et que leurs auteurs sont passibles des sanctions qu'elle prévoit s'ils ont commis une discrimination au sens de celle-ci, de sorte que la victime d'un refus d'embauche ou d'un licenciement discriminatoire signifiés oralement n'est pas traitée différemment de la victime d'un refus d'embauche ou d'un licenciement discriminatoires signifiés par écrit.

Dès lors qu'il s'agit de dispositions d'ordre public, la Cour a toutefois estimé, dans le même arrêt (B.13.2), qu'il n'était pas justifié de limiter la nullité des clauses qui prévoient qu'une des parties renonce aux droits garantis par la loi à celles qui sont antérieures à la discrimination constatée et d'exclure de cette nullité les clauses par lesquelles une partie renoncerait à la protection de la loi concomitamment ou postérieurement à la discrimination.

B.5.3. Afin de prévenir toute insécurité juridique, il convient d'annuler les mots « par avance » dans l'article 21 de l'ordonnance attaquée, comme dans l'article 15 de la loi du 10 mai 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/05/2007 pub. 30/05/2007 numac 2007002099 source service public federal de programmation integration sociale, lutte contre la pauvrete et economie sociale Loi tendant à lutter contre certaines formes de discrimination fermer (voy. arrêt n° 64/2009), de sorte que la nullité qu'il prévoit s'applique à toute renonciation aux droits garantis par l'ordonnance, quel que soit le moment où cette renonciation intervient. Par ces motifs, la Cour - annule l'article 4, 2° et 3°, de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 4 septembre 2008 relative à la lutte contre la discrimination et à l'égalité de traitement en matière d'emploi, mais uniquement en ce qu'il ne vise pas la conviction syndicale parmi les motifs de discrimination énumérés dans cette disposition; - annule les mots « par avance » dans l'article 21 de la même ordonnance; - rejette les recours pour le surplus.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 16 juillet 2009.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux. M. Bossuyt.

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