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Arrêt
publié le 21 août 2009

Extrait de l'arrêt n° 105/2009 du 9 juillet 2009 Numéro du rôle : 4481 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 73sexies du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posée par le Tribunal correctionnel de Bruxelles. La Co composée du juge E. De Groot, faisant fonction de président, du président M. Melchior, et des juges(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 105/2009 du 9 juillet 2009 Numéro du rôle : 4481 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 73sexies du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posée par le Tribunal correctionnel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée du juge E. De Groot, faisant fonction de président, du président M. Melchior, et des juges P. Martens, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels et T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le juge E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 13 juin 2008 en cause du ministère public contre R.S. et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 24 juin 2008, le Tribunal correctionnel de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 73sexies du Code de la TVA viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans l'interprétation selon laquelle il n'est pas permis au juge pénal de statuer en pleine juridiction sur la part de chacune des personnes condamnées dans le remboursement de l'impôt éludé, en raison de circonstances atténuantes dûment motivées ou du dépassement du délai raisonnable au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ou selon laquelle ce juge [ne] peut accorder un sursis pour tout ou partie de cette condamnation d'office ou toute autre mesure visée dans la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant la suspension, le sursis et la probation ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur l'article 73sexies du Code de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : le Code de la TVA), qui dispose : « Les personnes qui auront été condamnées comme auteurs ou complices d'infractions visées aux articles 73 et 73bis seront solidairement tenues au paiement de l'impôt éludé.

Les personnes physiques ou morales seront civilement et solidairement responsables des amendes et frais résultant des condamnations prononcées en vertu des articles 73 à 73quater contre leurs préposés ou leurs administrateurs, gérants ou liquidateurs ».

B.2. Il ressort de la question préjudicielle que celle-ci vise uniquement l'alinéa 1er de cet article. Elle invite la Cour à se prononcer sur le point de savoir si cette disposition est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La Cour doit examiner cette disposition dans l'interprétation selon laquelle le juge répressif ne serait pas compétent pour statuer en pleine juridiction sur la sanction de responsabilité solidaire des auteurs et des complices qui est contenue dans cette disposition ou pour individualiser cette sanction conformément aux dispositions pénales de droit commun relatives aux circonstances atténuantes, à la suspension, au sursis et à la probation, ainsi qu'en ce qui concerne le dépassement du délai raisonnable, ou pour la tempérer en fonction de la part concrètement prise par le condamné dans les infractions fiscales établies ou en fonction des avantages qui en sont retirés par celui-ci.

B.3. Le prévenu devant le juge a quo estime que l'obligation solidaire prévue par la disposition en cause doit être considérée comme une sanction pénale visée à l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.4. Cette interprétation s'oppose à la jurisprudence de la Cour de cassation qui qualifie l'obligation solidaire en matière fiscale de sanction civile qui s'applique « de plein droit » (Cass., 20 juin 1995, Pas., 1995, I, n° 312) ou « de mesure réparatrice qui s'applique de plein droit » (Cass., 21 octobre 2008, P.08.0535.N) et qui est similaire « à l'obligation solidaire de restitution à l'égard de tous les individus condamnés pour une même infraction visés à l'article 50 du Code pénal » (Cass. 15 octobre 2002, Pas., 2002, n° 540; 21 octobre 2008, P.08.0535.N), article qui dispose : « Tous les individus condamnés pour une même infraction sont tenus solidairement des restitutions et des dommages-intérêts.

Ils sont tenus solidairement des frais, lorsqu'ils ont été condamnés par le même jugement ou arrêt.

Néanmoins, le juge peut exempter tous ou quelques-uns des condamnés de la solidarité, en indiquant les motifs de cette dispense, et en déterminant la proportion des frais à supporter individuellement par chacun d'eux.

Les individus condamnés par des jugements ou arrêts distincts ne sont tenus solidairement des frais qu'à raison des actes de poursuite qui leur ont été communs ».

La Cour de cassation a jugé que la solidarité s'applique de plein droit et ne doit pas être prononcée par le juge répressif (Cass., 15 octobre 2002, Pas., 2002, n° 540). Toujours selon la Cour de cassation, la solidarité constitue une conséquence civile que la loi elle-même attache à la condamnation pénale et elle existe même si le juge répressif ne constate pas expressément que le condamné était solidairement tenu au paiement de l'impôt éludé (Cass., 11 octobre 1996, Pas., 1996, I, n° 375).

Par conséquent, l'administration peut non seulement agir contre le redevable, mais elle peut également décerner une contrainte à l'encontre de tous ceux qui ont été condamnés en tant que coauteurs ou complices.

B.5. En vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, l'obligation solidaire pourrait être considérée comme une sanction pénale visée à l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme si elle a un caractère pénal selon la qualification en droit interne ou s'il ressort de la nature de l'infraction, à savoir sa portée générale et le caractère préventif et répressif de la sanction, qu'il s'agit d'une sanction pénale ou encore s'il ressort de la nature et de la sévérité de la sanction subie par l'intéressé qu'elle a un caractère punitif et donc dissuasif (CEDH (grande chambre), 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande).

B.6.1. L'emplacement de l'article 73sexies, alinéa 1er, du Code de la TVA, à savoir dans la section 2 du chapitre XI, ayant pour intitulé « Peines correctionnelles », ne suffit pas pour qualifier la mesure, en droit interne, de sanction pénale. En effet, tout comme l'article 50 du Code pénal, cet article tend - en l'espèce, de plein droit - à attacher une conséquence civile de par sa nature à la condamnation ou à la déclaration de culpabilité du chef d'une infraction fiscale.

B.6.2. En ce qui concerne les deuxième et troisième critères mentionnés en B.5, il convient d'observer que, bien que la mesure litigieuse soit la conséquence des condamnations qui ont été prononcées en vertu des articles 73 à 73quater du Code de la TVA, elle tend principalement à garantir à l'Etat que les revenus qui lui ont échappé en raison de la fraude fiscale qui a été rendue possible par les infractions du chef desquelles les coauteurs et les complices ont été condamnés, reviennent finalement au Trésor public. L'obligation solidaire sert à compenser le dommage causé au Trésor par la faute à laquelle ont participé les coauteurs et les complices. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l'homme a reconnu qu'une distinction doit être établie entre, d'une part, les majorations d'impôt qui, dans certains cas, peuvent être considérées comme une peine et, d'autre part, les dommages et intérêts à titre de compensation du préjudice subi par l'Etat (ibid., § 38).

B.6.3. Ainsi qu'il ressort de la disposition en cause, la solidarité à laquelle sont tenus les coauteurs ou les complices en vertu de cette disposition se limite « à l'impôt éludé ». Elle ne s'applique pas aux majorations d'impôt, aux amendes administratives, aux intérêts et aux frais.

En outre, un coauteur ou un complice n'est solidairement tenu qu'au paiement des impôts qui ont été éludés grâce à l'infraction pour laquelle l'intéressé a été condamné, de sorte qu'il est possible qu'il ne s'agisse pas de la totalité, mais seulement d'une partie, de l'impôt éludé.

B.6.4. La solidarité prévue par la disposition en cause constitue en réalité une mesure civile, dont les effets juridiques sont régis par le Code civil. L'article 1202 de ce Code dispose à cet égard : « La solidarité ne se présume point; il faut qu'elle soit expressément stipulée.

Cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d'une disposition de la loi ».

B.6.5. Il résulte de ce qui précède que l'obligation solidaire prévue par la disposition en cause n'est pas une peine au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.7.1. Les litiges qui découleraient de la fixation du montant de l'impôt éludé, du recouvrement de cet impôt ou du droit de recours du coauteur ou du complice condamné à la solidarité contre les autres condamnés doivent cependant faire l'objet d'un contrôle de pleine juridiction.

B.7.2. Il convient de souligner à cet égard qu'en matière de taxe sur la valeur ajoutée, et contrairement à ce qui est le cas pour les impôts sur les revenus, l'impôt est dû dès que les conditions fixées par la loi sont remplies. La condamnation implique dès lors la fixation du montant de l'impôt éludé. La personne tenue solidairement au paiement qui conteste le montant de l'impôt éludé peut, comme le redevable lui-même, mettre en oeuvre contre cette condamnation les voies de recours prévues par le Code d'instruction criminelle.

B.7.3. Le montant de la taxe sur la valeur ajoutée éludée étant établi par la condamnation pénale, l'administration peut, dès que cette condamnation est devenue définitive et à défaut du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, s'adresser soit au redevable, soit à la personne solidairement tenue au paiement.

B.7.4. Lorsque la personne solidairement tenue paie l'impôt éludé, elle peut, conformément aux règles du droit commun, s'adresser aux coauteurs ou aux complices afin de recouvrer leur part de l'impôt dû.

Le juge peut se prononcer en pleine juridiction sur des contestations éventuelles qui apparaîtraient entre le coauteur ou le complice qui a payé l'impôt éludé et ses coauteurs ou complices contre lesquels il se retourne.

B.7.5. Il découle de ce qui précède qu'un juge peut statuer en pleine juridiction sur toutes les contestations qui découleraient de l'obligation solidaire.

B.8.1. La juridiction a quo interroge encore la Cour sur le point de savoir si la disposition en cause empêcherait le juge répressif de prendre en compte des circonstances atténuantes, ainsi que l'article 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale, ou d'accorder les mesures fixées dans la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant la suspension, le sursis et la probation.

B.8.2. Eu égard au fait que l'obligation solidaire ne constitue pas une peine, le législateur n'a pas violé les articles 10 et 11 de la Constitution en ne prévoyant pas que le juge pénal puisse prendre en considération les circonstances et les mesures mentionnées en B.8.1.

B.9. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Compte tenu de ce qui est exposé en B.7, l'article 73sexies, alinéa 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 9 juillet 2009.

Le greffier, Le président f.f., P.-Y. Dutilleux. E. De Groot.

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