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Arrêt
publié le 25 octobre 2010

Extrait de l'arrêt n° 92/2010 du 29 juillet 2010 Numéro du rôle : 4795 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale et à l'article 136 du Code d'instruction criminell La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges E. De(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 92/2010 du 29 juillet 2010 Numéro du rôle : 4795 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale et à l'article 136 du Code d'instruction criminelle, posées par le Tribunal correctionnel de Courtrai.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels et P. Nihoul, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 20 octobre 2009 en cause du ministère public et autres contre Mario Marreel et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 6 novembre 2009, le Tribunal correctionnel de Courtrai a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « L'article 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale, combiné avec les articles 6.1 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, viole-t-il le principe d'égalité (articles 10 et 11 de la Constitution) en ce qu'il ne prévoit pas la possibilité pour le juge de jugement de prononcer l'extinction ou l'irrecevabilité de l'action publique pour cause de dépassement du délai raisonnable, alors qu'une telle sanction peut être prononcée lors de l'information ou dans le cadre du règlement de la procédure, et ce sur la base de l'article 235bis du Code d'instruction criminelle, combiné avec les articles 6.1 et 13 précités de la Convention européenne des droits de l'homme, selon l'interprétation donnée par la jurisprudence récente ? »; 2. « L'article 136 du Code d'instruction criminelle, combiné avec les articles 6.1 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, viole-t-il le principe d'égalité (articles 10 et 11 de la Constitution) en ce qu'il ne permet de saisir la chambre des mises en accusation d'une instruction qui dure plus d'un an que pour des instructions mais non pour des informations ? »; 3. « L'article 136 du Code d'instruction criminelle, combiné avec l'article 235bis du Code d'instruction criminelle et avec les articles 6.1 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, viole-t-il le principe d'égalité (articles 10 et 11 de la Constitution) en ce qu'il ne permet de saisir la chambre des mises en accusation d'une instruction qui dure plus d'un an que pour des instructions mais non pour des informations, ce qui a pour effet que la sanction procédurale prévue à l'article 235bis du Code d'instruction criminelle (à savoir le prononcé de la nullité de l'acte entaché de l'irrégularité et de tout ou partie de la procédure ultérieure, le cas échéant) peut être appliquée en cas de dépassement du délai raisonnable dans une instruction (et ce sur la base de l'article 235bis du Code d'instruction criminelle, combiné avec les articles 6.1 et 13 précités de la Convention européenne des droits de l'homme, selon l'interprétation donnée par la jurisprudence récente) mais ne peut être appliquée en cas de dépassement du délai raisonnable dans une information ? ». (...) III. En droit (...) Les dispositions en cause B.1.1. L'article 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale dispose : « Si la durée des poursuites pénales dépasse le délai raisonnable, le juge peut prononcer la condamnation par simple déclaration de culpabilité ou prononcer une peine inférieure à la peine minimale prévue par la loi.

Si le juge prononce la condamnation par simple déclaration de culpabilité, l'inculpé est condamné aux frais et, s'il y a lieu, aux restitutions. La confiscation spéciale est prononcée ».

B.1.2. L'article 136 du Code d'instruction criminelle porte : « La chambre des mises en accusation contrôle d'office le cours des instructions, peut demander des rapports sur l'état des affaires et peut prendre connaissance des dossiers. Elle peut déléguer un de ses membres et statuer conformément aux articles 235 et 235bis.

Si l'instruction n'est pas clôturée après une année, la chambre des mises en accusation peut être saisie par requête adressée au greffe de la cour d'appel par l'inculpé ou la partie civile. La chambre des mises en accusation agit conformément à l'alinéa précédent et à l'article 136bis. La chambre des mises en accusation statue sur la requête par arrêt motivé, qui est communiqué au procureur général, à la partie requérante et aux parties entendues. Le requérant ne peut déposer de requête ayant le même objet avant l'expiration du délai de six mois à compter de la dernière décision ».

B.1.3. L'article 235bis du Code d'instruction criminelle dispose : « § 1er. Lors du règlement de la procédure, la chambre des mises en accusation contrôle, sur la réquisition du ministère public ou à la requête d'une des parties, la régularité de la procédure qui lui est soumise. Elle peut même le faire d'office. § 2. La chambre des mises en accusation agit de même, dans les autres cas de saisine. § 3. Lorsque la chambre des mises en accusation contrôle d'office la régularité de la procédure et qu'il peut exister une cause de nullité, d'irrecevabilité ou d'extinction de l'action publique, elle ordonne la réouverture des débats. § 4. La chambre des mises en accusation entend, en audience publique si elle en décide ainsi à la demande de l'une des parties, le procureur général, la partie civile et l'inculpé en leurs observations. § 5. Les irrégularités, omissions ou causes de nullités visées à l'article 131, § 1er, ou relatives à l'ordonnance de renvoi, et qui ont été examinées devant la chambre des mises en accusation ne peuvent plus l'être devant le juge du fond, sans préjudice des moyens touchant à l'appréciation de la preuve ou qui concernent l'ordre public. Il en va de même pour les causes d'irrecevabilité ou d'extinction de l'action publique, sauf lorsqu'elles ne sont acquises que postérieurement aux débats devant la chambre des mises en accusation.

Les dispositions du présent paragraphe ne sont pas applicables à l'égard des parties qui ne sont appelées dans l'instance qu'après le renvoi à la juridiction de jugement, sauf si les pièces sont retirées du dossier conformément à l'article 131, § 2, ou au § 6 du présent article. § 6. Lorsque la chambre des mises en accusation constate une irrégularité, omission ou cause de nullité visée à l'article 131, § 1er, ou une cause d'irrecevabilité ou d'extinction de l'action publique, elle prononce, le cas échéant, la nullité de l'acte qui en est entaché et de tout ou partie de la procédure ultérieure. Les pièces annulées sont retirées du dossier et déposées au greffe du tribunal de première instance, après l'expiration du délai de cassation ».

Quant à la première question préjudicielle B.2.1. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de l'article 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les articles 6.1 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il ne prévoit pas la possibilité pour la juridiction de jugement, lorsqu'elle constate que le délai raisonnable a été dépassé, de prononcer l'extinction ou l'irrecevabilité de l'action publique, alors qu'une telle sanction peut être prononcée lors de l'information ou dans le cadre du règlement de la procédure, par application de l'article 235bis du Code d'instruction criminelle.

B.2.2. La comparaison faite par le juge a quo provient d'une interprétation de l'article 235bis du Code d'instruction criminelle qui pouvait découler d'un arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 2008 (Pas., 2008, n° 209). Dans cet arrêt, la Cour de cassation a jugé : « 10. Conformément à l'article 235bis du Code d'instruction criminelle, lors du règlement de la procédure et dans les autres cas de saisine, la chambre des mises en accusation contrôle, d'office ou à la requête d'une des parties, la régularité de la procédure qui lui est soumise. 11. Il en résulte que, lorsqu'en application de l'article 235ter du Code d'instruction criminelle, la chambre des mises en accusation prend connaissance de la cause et, à cette occasion, est appelée par l'inculpé à se prononcer sur le dépassement du délai raisonnable et ses conséquences sur le déroulement ultérieur de la procédure, elle est tenue d'appliquer l'article 235bis, § § 1er, 2, et 3, dudit Code. Conformément à cet article, elle doit tenir un débat contradictoire sur ce point litigieux qui concerne la régularité de la procédure. En effet, la chambre des mises en accusation est une instance nationale que l'inculpé peut saisir, au sens de l'article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

Cet arrêt signifiait un revirement par rapport à la jurisprudence antérieure, selon laquelle seule la juridiction de jugement statue sur le dépassement du délai raisonnable (Cass., 8 novembre 2005, Pas., 2005, n° 578), intervenu à la suite d'une condamnation explicite de cette jurisprudence par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, 25 septembre 2007, De Clerk c. Belgique, §§ 84-85).

B.2.3. Etant donné que l'article 235bis mentionne comme seules sanctions possibles l'irrecevabilité ou l'extinction de l'action publique (article 235bis, § 5) et la nullité « de l'acte qui en est entaché et de tout ou partie de la procédure ultérieure » (article 235bis, § 6), le juge a quo pouvait raisonnablement considérer que la juridiction d'instruction qui constate le dépassement du délai raisonnable pouvait prononcer l'irrecevabilité ou l'extinction de l'action publique. C'est la raison pour laquelle il a interrogé la Cour au sujet de l'article 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale, qui ne confère pas pareille possibilité à la juridiction de jugement qui constate le dépassement du délai raisonnable.

B.2.4. Dans trois arrêts récents, la Cour de cassation a toutefois précisé sa jurisprudence : « Il s'ensuit que lorsque la juridiction d'instruction qui est appelée, en sa qualité d'instance nationale visée à l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, à octroyer un recours effectif en cas de violation de la Convention, constate que le délai raisonnable dans lequel chacun a droit au jugement de sa cause a été dépassé, elle apprécie souverainement quelle réparation en droit est adéquate. Elle peut estimer à cette fin que cette réparation en droit est obtenue, à ce stade de la procédure, par la simple constatation du dépassement du délai raisonnable, dont la juridiction de jugement devra tenir compte dans l'appréciation du fond de l'affaire » (Cass., 27 octobre 2009, P.09.0901.N). « La juridiction d'instruction qui se prononce sur le règlement de la procédure peut également statuer sur le dépassement du délai raisonnable.

Elle ne peut prononcer le non-lieu à l'égard de l'inculpé que dans la mesure où elle décide que le dépassement du délai raisonnable a gravement et irrémédiablement porté atteinte à l'administration de la preuve et aux droits de défense de l'inculpé, rendant impossible un procès pénal équitable et l'appréciation de l'action civile.

Ainsi, conformément à l'article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, un recours effectif est octroyé à l'inculpé devant la juridiction de jugement et, éventuellement, sous la réserve susmentionnée, la juridiction d'instruction pour faire constater la méconnaissance de son droit à être jugé dans un délai raisonnable.

Cependant, la chambre des mises en accusation n'a pas la compétence de prononcer l'extinction de l'action publique purement et simplement en raison du dépassement du délai raisonnable, sans plus faire cas de l'action civile » (Cass., 24 novembre 2009, P.09.0930.N). « Lorsque la juridiction d'instruction décide que le dépassement du délai raisonnable a gravement et irrémédiablement porté atteinte à l'administration de la preuve et aux droits de défense de l'inculpé, rendant impossible un procès pénal équitable et l'appréciation de l'action civile, et prononce le non-lieu, elle doit préciser contre quels éléments de preuve et pour quelles raisons l'inculpé ne pourrait plus assurer pleinement sa défense. Cette motivation doit permettre à la Cour de contrôler si la chambre des mises en accusation a pu légalement se prononcer ainsi qu'elle l'a fait » (Cass., 24 novembre 2009, P.09.1080.N).

B.3. La portée des arrêts mentionnés en B.2.4 a pour conséquence que la différence de traitement relevée par le juge a quo n'existe plus, puisque, dans l'hypothèse d'un dépassement du délai raisonnable n'ayant pas pour effet que « l'administration de la preuve et le droit de défense de l'inculpé sont gravement et irréparablement affectés », ni les juridictions d'instruction ni les juridictions de jugement ne peuvent prononcer l'extinction ou l'irrecevabilité de l'action publique.

Même dans l'hypothèse d'un dépassement du délai raisonnable ayant effectivement pour effet que « l'administration de la preuve et le droit de défense de l'inculpé sont gravement et irréparablement affectés », il n'existe pas de différence de traitement entre l'inculpé devant la juridiction d'instruction et le prévenu devant la juridiction de jugement. En effet, si l'administration de la preuve n'est plus possible, la juridiction de jugement doit acquitter le prévenu et, si les droits de la défense sont gravement et irréparablement affectés, elle doit constater l'irrecevabilité de l'action publique.

B.4.1. Un des prévenus devant le juge a quo fait valoir que la Cour doit se prononcer sur la disposition en cause dans l'interprétation qu'en donne le juge a quo et non dans celle que donne la Cour de cassation.

B.4.2. Si, en règle, la Cour examine la norme à contrôler dans l'interprétation du juge a quo, rien ne l'empêche de tenir compte d'une interprétation postérieure de la Cour de cassation qui supprime la différence de traitement en cause.

B.5. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant aux deuxième et troisième questions préjudicielles B.6. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de l'article 136 du Code d'instruction criminelle avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les articles 6.1 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il permet de saisir la chambre des mises en accusation d'une instruction qui dure plus d'un an mais non d'une information (deuxième question préjudicielle), ce qui a pour effet que la sanction prévue à l'article 235bis du Code d'instruction criminelle peut être appliquée en cas de dépassement du délai raisonnable dans une instruction mais ne peut l'être en cas de dépassement du délai raisonnable dans une information (troisième question préjudicielle).

B.7. Il appartient en règle à la juridiction a quo d'apprécier si la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution du litige qu'elle doit trancher. Ce n'est que lorsque ce n'est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la question n'appelle pas de réponse.

B.8. L'affaire soumise au juge a quo se trouve déjà dans la phase de jugement et, par conséquent, la question de l'existence d'une voie de recours permettant de prévenir le dépassement du délai raisonnable au cours de la phase de l'information n'est pas pertinente pour trancher le litige.

B.9. Les deuxième et troisième questions préjudicielles n'appellent pas de réponse.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les articles 6.1 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme. - Les deuxième et troisième questions préjudicielles n'appellent pas de réponse.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 29 juillet 2010.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Bossuyt.

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