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Arrêt
publié le 09 janvier 2012

Extrait de l'arrêt n° 162/2011 du 20 octobre 2011 Numéro du rôle : 5077 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 70 du Code des droits de succession, posée par le Tribunal de première instance de Liège. La Cour constituti composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, E. Derycke, J(...)

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Extrait de l'arrêt n° 162/2011 du 20 octobre 2011 Numéro du rôle : 5077 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 70 du Code des droits de succession, posée par le Tribunal de première instance de Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, E. Derycke, J. Spreutels et P. Nihoul, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président R. Henneuse, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 29 décembre 2010 en cause de Marie Xhayet et autres contre l'Etat belge et contre Déborah Hubert et Pierre Sterckmans, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 5 janvier 2011, le Tribunal de première instance de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 70 du Code des droits de succession, lu en combinaison avec l'article 8 du même Code, viole-t-il les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, et l'article 1er du Premier Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'Homme en ce que notamment : - il crée une discrimination en traitant de manière identique les héritiers en concours avec des légataires particuliers et les héritiers en concours avec un bénéficiaire d'une assurance vie alors que, dans le premier cas, le légataire particulier doit solliciter la délivrance de son legs, ce qui permet aux héritiers de s'assurer, au préalable, du paiement des droits de succession par le légataire, tandis que, dans le second cas, le bénéficiaire de l'assurance peut directement obtenir le paiement du capital assuré en s'adressant uniquement à la compagnie d'assurance, sans le concours des héritiers, qui ne peuvent donc aucunement s'assurer du paiement effectif des droits de succession; - il crée une discrimination entre les héritiers selon que le défunt est ou n'est pas habitant du Royaume, l'article 70, alinéa 2, du Code des droits de succession n'imposant aux héritiers légaux le paiement des droits dus par le légataire à titre particulier que si le défunt était un habitant du Royaume, alors que cette même obligation ne pèse pas sur les mêmes héritiers dès lors que le défunt n'était pas habitant du Royaume; - la mise en oeuvre de l'article 70, alinéa 2, du Code des droits de succession aboutit en pratique à une expropriation et une ingérence dans le droit de propriété de l'héritier légal, [...] qui in fine sera arbitrairement privé de sa propriété sans que cette privation ne soit justifiée par un but d'intérêt général ? ». (...) II. En droit (...) B.1.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité, avec les articles 10, 11 et 16 de la Constitution et avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 70, lu en combinaison avec l'article 8, du Code des droits de succession.

B.1.2. La Cour n'est pas compétente pour contrôler directement des normes législatives au regard de dispositions conventionnelles.

Toutefois, parmi les droits et libertés garantis par les articles 10 et 11 de la Constitution figurent les droits et libertés résultant de dispositions conventionnelles liant la Belgique.

Tel est le cas de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme vis-à-vis duquel la compétence de la Cour est contestée par le Conseil des ministres. En ce qu'elle se réfère à cette disposition conventionnelle, combinée avec les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, la question préjudicielle est recevable.

B.1.3. Les articles 8 et 70 du Code des droits de succession disposent : «

Art. 8.Sont considérées comme recueillies à titre de legs les sommes, rentes ou valeurs qu'une personne est appelée à recevoir à titre gratuit au décès du défunt en vertu d'un contrat renfermant une stipulation à son profit par le défunt ou par un tiers.

Sont de même considérées comme recueillies à titre de legs les sommes, rentes ou valeurs qu'une personne a été appelée à recevoir à titre gratuit dans les trois ans précédant le décès du défunt ou qu'elle est appelée à recevoir à titre gratuit à une date postérieure au décès, en vertu d'une stipulation faite à son profit dans un contrat conclu par le défunt.

Le présent article est également applicable aux sommes ou valeurs qu'une personne est appelée à recevoir à titre gratuit au décès de celui qui a contracté une assurance sur la vie à ordre ou au porteur.

Lorsque le défunt était marié sous un régime de communauté, les sommes, rentes ou valeurs que le conjoint est appelé à recevoir en vertu d'un contrat d'assurance sur la vie ou d'un contrat constitutif d'une rente, conclu par lui, ou les sommes, rentes ou valeurs qu'il est appelé à recevoir à titre gratuit en vertu d'une stipulation faite à son profit dans un contrat conclu par le défunt ou par un tiers, sont considérées comme recueillies à titre de legs par le conjoint pour la totalité si les sommes, rentes ou valeurs sont la contrepartie de biens propres au défunt, et à concurrence de la moitié seulement dans les autres cas. Le droit n'est pas dû s'il est établi que les sommes, rentes ou valeurs sont la contrepartie de biens propres au conjoint survivant. La circonstance que la stipulation est réciproque n'enlève pas à celle-ci le caractère de libéralité.

Le bénéficiaire de la stipulation est présumé recevoir à titre gratuit, sauf preuve contraire.

Le présent article n'est pas applicable : 1° aux sommes, rentes ou valeurs recueillies en vertu d'une stipulation qui a été assujettie au droit d'enregistrement établi pour les donations;2° aux rentes et capitaux constitués en exécution d'une obligation légale;3° aux capitaux et rentes constitués à l'intervention de l'employeur du défunt au profit du conjoint survivant du défunt ou, à défaut, au profit de ses enfants n'ayant pas atteint l'âge de vingt et un ans, en exécution soit d'un contrat d'assurance de groupe souscrit en vertu d'un règlement obligatoire de l'entreprise et répondant aux conditions déterminées par la réglementation relative au contrôle de ces contrats, soit du règlement obligatoire d'un fonds de prévoyance institué au profit du personnel de l'entreprise;4° aux sommes, rentes ou valeurs recueillies au décès du défunt en vertu d'un contrat renfermant une stipulation faite par un tiers au profit du bénéficiaire, quand il est établi que ce tiers a stipulé à titre gratuit au profit du bénéficiaire ». «

Art. 70.Les héritiers, légataires et donataires sont tenus envers l'Etat des droits de succession ou de mutation par décès et des intérêts, chacun pour ce qu'il recueille.

En outre, les héritiers, légataires et donataires universels dans la succession d'un habitant du Royaume sont tenus ensemble, chacun en proportion de sa part héréditaire, de la totalité des droits et intérêts dus par les légataires et donataires à titre universel ou à titre particulier. Cette règle n'est pas applicable aux droits et intérêts dus sur les déclarations nouvelles prévues à l'article 37, lorsqu'il ne leur incombe pas de déposer ces déclarations ».

B.2.1. L'article 70, alinéa 2, lu en combinaison avec l'article 8, du Code des droits de succession, traite de manière identique les héritiers, légataires et donataires universels dans la succession d'un habitant du Royaume appelés à acquitter, chacun en proportion de leur part héréditaire, les droits de succession dus par les légataires ou donataires sans distinguer suivant qu'ils sont en concours avec des légataires particuliers auxquels le legs doit être délivré et dont il est par conséquent possible de s'assurer qu'ils acquitteront les droits de succession, ou avec des bénéficiaires du capital d'une assurance-vie souscrite par le défunt, auxquels le capital est versé sans l'intervention des héritiers, légataires et donataires universels qui ne sont donc pas en mesure de s'assurer de la même garantie. La Cour doit vérifier si cette situation porte atteinte au principe d'égalité et de non-discrimination (premier et deuxième aspects de la question préjudicielle) et au droit de propriété des héritiers, légataires et donataires universels (troisième aspect de la question préjudicielle).

B.2.2. Le Conseil des ministres soutient que la différence de traitement en cause dans le premier aspect de la question préjudicielle ne relève pas du droit fiscal mais du droit civil, de sorte qu'il ne serait pas pertinent de mettre en cause la constitutionnalité des dispositions visées par la question préjudicielle.

Un tel argument ne peut être admis dès lors que le contrôle de constitutionnalité que la Cour est habilitée à exercer est indépendant des qualifications juridiques dont peuvent faire l'objet les dispositions qu'elle contrôle, les règles que celles-ci instaurent ou les notions auxquelles ces dispositions se réfèrent. Par ailleurs, les dispositions ont pour objet de déterminer la mesure dans laquelle des contribuables - en l'espèce des héritiers et légataires - peuvent être tenus au paiement d'un impôt successoral.

B.3. Le droit de succession est un impôt qui naît au décès d'un habitant du Royaume et qui est établi sur la valeur, déduction faite des dettes, de tout ce qui est recueilli dans la succession de cet habitant du Royaume (articles 1er et 15 du Code des droits de succession).

Les droits de succession sont levés sur l'universalité des biens transmis par héritage, sans distinguer si ceux-ci sont transmis ensuite de dévolution légale, de disposition testamentaire ou d'institution contractuelle (article 2 du Code des droits de succession).

B.4. L'article 8 du Code des droits de succession établit une fiction selon laquelle les sommes, rentes ou valeurs qu'une personne est appelée à recevoir à titre gratuit au décès du défunt en vertu d'un contrat renfermant une stipulation à son profit par le défunt ou par un tiers sont considérées comme recueillies à titre de legs, et font dès lors partie de l'actif de la succession. En conséquence, des droits de succession sont dus sur ces sommes.

B.5. L'article 70, alinéa 1er, du Code des droits de succession détermine la mesure de l'obligation à la dette de droits de succession des héritiers, légataires et donataires. La mesure de leur contribution à la dette est déterminée par l'article 75 du même Code, qui dispose : « Les droits de succession et de mutation par décès, s'il n'y a des dispositions à ce contraires, sont supportés par les héritiers, légataires et donataires, chacun pour ce qu'il recueille ».

B.6. Alors que l'article 75 procède du souci de répartir la charge des droits de succession en fonction de l'avantage dévolu aux bénéficiaires, l'article 70, alinéa 2, constitue, à côté notamment des sûretés réelles dont les modalités sont prévues par les articles 84 à 93 du Code des droits de succession, une garantie qui vise à assurer l'Etat du recouvrement de ces droits et qui trouve son origine dans l'article 2 de la loi du 27 décembre 1817 pour la perception des droits de succession, laquelle visait à assurer les intérêts du Trésor. Il résulte de ces dispositions que, si la dette de droits de succession est conçue comme une dette individuelle de chaque héritier, légataire ou donataire, en fonction de la part que chacun recueille dans la succession, les garanties prévues pour le recouvrement des droits de succession portent, compte tenu de ce que les héritiers et légataires universels ont vocation à recueillir toute la succession, sur les biens successoraux dans leur globalité, sans distinguer dans le patrimoine de quel successeur ces biens sont transférés ou appelés à l'être.

L'assiette de la garantie pour le recouvrement des droits de succession est donc indépendante de la dévolution successorale, puisqu'elle est déterminée par les droits du défunt sur les biens qu'il laisse à son décès et non par les droits des héritiers, légataires ou donataires sur les biens transmis.

B.7. Les dispositions en cause peuvent en outre se justifier par la crainte de négligences ou de fraudes aboutissant à faire échapper à l'impôt l'objet des legs particuliers; elles ne portent pas, par elles-mêmes, une atteinte disproportionnée aux droits des intéressés, les héritiers, donataires et légataires universels ayant la faculté, lorsque le legs particulier doit être délivré, de s'assurer que le bénéficiaire acquittera les droits de succession y afférents et disposant contre celui-ci du recours prévu à l'article 75 du Code.

Par elles-mêmes, les dispositions en cause ne portent donc atteinte ni au principe d'égalité et de non-discrimination, ni au droit de propriété garanti par les dispositions auxquelles la question préjudicielle se réfère.

B.8.1. Toutefois, lorsque le capital d'une assurance-vie, assimilé à un legs, est délivré au bénéficiaire sans l'intervention des héritiers tenus à la dette, ceux-ci - qui peuvent avoir accepté la succession sans avoir connaissance de l'existence de l'assurance-vie mais qui, celle-ci n'étant pas instituée par testament, ne peuvent exercer la faculté de renoncer à la succession prévue par l'article 783 du Code civil lorsqu'un legs ignoré d'héritiers qui ont accepté la succession a une valeur supérieure à celle de la moitié de cette succession - n'ont pas la possibilité de s'assurer que le bénéficiaire acquittera les droits de succession, alors pourtant que le lien familial pouvant les unir au défunt d'une manière souvent plus étroite que le lien unissant celui-ci au légataire leur permet de bénéficier de l'avantage de droits de succession relativement moins élevés.

Dans cette hypothèse, les dispositions en cause sont discriminatoires en ce qu'elles traitent de manière identique les deux catégories d'héritiers décrites en B.2 et peuvent, en ce qui concerne la seconde de celles-ci, porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété.

B.8.2. La question préjudicielle appelle, en cet aspect, une réponse positive.

B.9.1. Les dispositions en cause créent aussi une différence de traitement entre héritiers suivant que le défunt était ou non habitant du Royaume en ce que, dans le second cas, ils ne sont pas tenus au paiement des droits dus par le légataire à titre particulier (deuxième aspect de la question préjudicielle).

B.9.2. Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, les héritiers en cause constituent des catégories comparables car, même s'il est vrai que le droit de succession et le droit de mutation portent sur des biens différents et que leurs débiteurs respectifs n'ont pas les mêmes obligations en matière de déclaration et de paiement des droits, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit, en ce qui concerne les catégories de personnes visées par la question préjudicielle, de déterminer la mesure dans laquelle des héritiers peuvent être tenus au paiement de droits de succession.

B.9.3. Compte tenu du constat de violation des normes dont la Cour est chargée d'assurer le respect tel qu'il est formulé en B.8, la Cour n'a plus à examiner la différence de traitement en cause dans l'hypothèse dans laquelle les héritiers n'ont pas eu la possibilité de s'assurer du paiement, par le légataire, des droits de succession dont il est redevable.

B.10. La circonstance que les obligations pesant sur les héritiers d'un défunt qui était un habitant du Royaume sont plus lourdes que celles pesant sur les ayants droit d'un défunt qui ne l'était pas se justifie par la circonstance que ceux-ci sont, en vertu de l'article 38, 2°, du Code des droits de succession, tenus de déposer une déclaration de succession portant sur les biens immeubles situés en Belgique qui leur échoient et d'acquitter à cette occasion un droit de mutation par décès.

B.11.1. Dès lors que la déclaration de succession permet ainsi de garantir les droits du Trésor, les deux catégories d'héritiers visées par la question préjudicielle se trouvent dans des situations essentiellement différentes justifiant que seuls les héritiers d'un habitant du Royaume soient tenus à l'obligation que leur imposent les dispositions en cause.

B.11.2. La question préjudicielle appelle, en cet aspect, une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 70, lu en combinaison avec l'article 8, du Code des droits de succession viole les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, en ce qu'il prévoit que les héritiers, légataires et donataires universels dans la succession d'un habitant du Royaume sont tenus ensemble, chacun en proportion de sa part héréditaire, de la totalité des droits et intérêts dus par les légataires et donataires à titre universel ou à titre particulier, même lorsque les premiers n'ont pas eu la possibilité de s'assurer que les seconds acquitteront les droits et intérêts dont ils sont redevables.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 20 octobre 2011.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, R. Henneuse.

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