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Arrêt
publié le 17 août 2012

Extrait de l'arrêt n° 76/2012 du 14 juin 2012 Numéro du rôle : 5184 En cause : le recours en annulation du décret de la Région wallonne du 6 octobre 2010 « modifiant le décret du 10 novembre 2004 instaurant un système d'échange de quotas d'ém La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges E. De(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 76/2012 du 14 juin 2012 Numéro du rôle : 5184 En cause : le recours en annulation du décret de la Région wallonne du 6 octobre 2010 « modifiant le décret du 10 novembre 2004 instaurant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, créant un Fonds wallon Kyoto et relatif aux mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto », introduit par le Conseil des ministres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président R. Henneuse, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 7 juillet 2011 et parvenue au greffe le 8 juillet 2011, le Conseil des ministres a, à la suite de l'arrêt de la Cour n° 33/2011 du 2 mars 2011, introduit un recours en annulation du décret de la Région wallonne du 6 octobre 2010 « modifiant le décret du 10 novembre 2004 instaurant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, créant un Fonds wallon Kyoto et relatif aux mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto » (publié au Moniteur belge du 22 novembre 2010). (...) II. En droit (...) Quant au contexte du décret attaqué B.1.1. La directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 « établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil » vise à réduire les émissions anthropiques de gaz à effet de serre dans le cadre du protocole de Kyoto en instaurant un système d'allocation et d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre au sein de l'Union européenne.

La directive 2008/101/CE du 19 novembre 2008 du Parlement européen et du Conseil « modifiant la directive 2003/87/CE afin d'intégrer les activités aériennes dans le système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre » tend notamment à soumettre le secteur de l'aviation au système européen d'allocation et d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre élaboré par la directive 2003/87/CE précitée.

L'annexe I de la directive 2003/87/CE, telle qu'elle a été modifiée par l'annexe I de la directive 2008/101/CE, détermine les catégories d'activités aériennes auxquelles la directive s'applique. Le point 2, deuxième alinéa, de l'annexe I de la directive 2003/87/CE dispose à cet égard : « A compter du 1er janvier 2012, tous les vols à l'arrivée ou au départ d'un aérodrome situé sur le territoire d'un Etat membre soumis aux dispositions du traité seront couverts ».

B.1.2. Tel qu'il a été modifié par la directive 2008/101/CE, l'article 3 de la directive 2003/87/CE précitée dispose : « Aux fins de la présente directive, on entend par : a) ' quota ', le quota autorisant à émettre une tonne d'équivalent-dioxyde de carbone au cours d'une période spécifiée, valable uniquement pour respecter les exigences de la présente directive, et transférable conformément aux dispositions de la présente directive;b) ' émissions ', le rejet dans l'atmosphère de gaz à effet de serre, à partir de sources situées dans une installation, ou le rejet, à partir d'un aéronef effectuant une activité aérienne visée à l'annexe I, de gaz spécifiés en rapport avec cette activité; [...] o) ' exploitant d'aéronef ', la personne qui exploite un aéronef au moment où il effectue une activité aérienne visée à l'annexe I ou, lorsque cette personne n'est pas connue ou n'est pas identifiée par le propriétaire de l'aéronef, le propriétaire de l'aéronef lui-même; [...] q) ' Etat membre responsable ', l'Etat membre chargé de gérer le système communautaire eu égard à un exploitant d'aéronef, conformément à l'article 18bis;r) ' émissions de l'aviation attribuées ', les émissions de tous les vols relevant des activités aériennes visées à l'annexe I au départ d'un aérodrome situé sur le territoire d'un Etat membre ou à l'arrivée dans un tel aérodrome en provenance d'un pays tiers; [...] ».

B.1.3. L'allocation par chaque Etat membre de quotas d'émission aux exploitants d'aéronefs a lieu de deux manières. Une grande partie de ceux-ci leur sont attribués gratuitement, tandis que les quotas résiduaires sont vendus aux enchères par l'Etat membre responsable.

Tel qu'il a été inséré par la directive 2008/101/CE, l'article 3quater de la même directive dispose à cet égard : « 1. La quantité totale de quotas à allouer aux exploitants d'aéronefs pour la période allant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2012 correspond à 97 % des émissions historiques du secteur de l'aviation. 2. La quantité totale de quotas à allouer aux exploitants d'aéronefs pour la période visée à l'article 11, paragraphe 2, débutant au 1er janvier 2013, et en l'absence de toute modification à la suite de l'examen prévu à l'article 30, paragraphe 4, pour chaque période ultérieure, correspond à 95 % des émissions historiques du secteur de l'aviation, multipliées par le nombre d'années de la période. Ce pourcentage peut être révisé dans le cadre du réexamen général de la présente directive. 3. La Commission réexamine la quantité totale de quotas à allouer aux exploitants d'aéronefs en application de l'article 30, paragraphe 4.4. Avant le 2 août 2009, la Commission détermine les émissions historiques de l'aviation sur la base des meilleures données disponibles, y compris les estimations fondées sur les données relatives au trafic réel.Cette décision est examinée par le comité prévu à l'article 23, paragraphe 1 ».

Tel qu'il a été inséré par la directive 2008/101/CE, l'article 3quinquies de la même directive dispose également : « 1. Pendant la période visée à l'article 3quater, paragraphe 1, 15 % des quotas sont mis aux enchères. 2. A compter du 1er janvier 2013, 15 % des quotas sont mis aux enchères.Ce pourcentage peut être accru dans le cadre de la révision générale de la présente directive. 3. Un règlement est adopté, qui contient des dispositions détaillées en vue de la mise aux enchères, par les Etats membres, des quotas qui ne doivent pas obligatoirement être délivrés à titre gratuit conformément aux paragraphes 1 et 2 du présent article ou à l'article 3septies, paragraphe 8.Le nombre de quotas que chaque Etat membre met aux enchères pendant chaque période est proportionnel à la part de cet Etat membre dans le total des émissions de l'aviation attribuées pour tous les Etats membres pour l'année de référence, déclarées conformément à l'article 14, paragraphe 3, et vérifiées conformément à l'article 15. Pour la période visée à l'article 3quater, paragraphe 1, l'année de référence est 2010, et pour chaque période ultérieure visée à l'article 3quater, l'année de référence est l'année civile se terminant vingt-quatre mois avant le début de la période à laquelle se rapporte la mise aux enchères.

Ce règlement, destiné à modifier des éléments non essentiels de la présente directive en la complétant, est arrêté en conformité avec la procédure de réglementation avec contrôle visée à l'article 23, paragraphe 3. 4. Il appartient aux Etats membres de décider de l'usage qui est fait du produit de la mise aux enchères des quotas.Ces recettes devraient servir à faire face au changement climatique dans l'Union européenne et dans les pays tiers, notamment les mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, à faciliter l'adaptation aux incidences du changement climatique dans l'Union européenne et dans les pays tiers, particulièrement les pays en développement, à financer des travaux de recherche et développement pour la limitation et de l'adaptation, notamment dans l'aéronautique et le transport aérien, à réduire les émissions au moyen du transport à faibles émissions et à couvrir les coûts de gestion du système communautaire. Il convient que le produit de la mise aux enchères serve aussi à financer les contributions au Fonds mondial pour la promotion de l'efficacité énergétique et des énergies renouvelables, ainsi que des mesures visant à éviter le déboisement.

Les Etats membres informent la Commission des actions qu'ils engagent en application du présent paragraphe. 5. L'information fournie à la Commission en vertu de la présente directive n'exonère pas les Etats membres de leur obligation de notification telle que définie à l'article 88, paragraphe 3, du traité ». B.1.4. Il ressort par ailleurs de l'article 12, paragraphe 2bis, de la directive 2003/87/CE, tel qu'il a été modifié par l'article 10, b), de la directive 2008/101/CE, que chaque exploitant d'aéronef restitue, au plus tard le 30 avril de chaque année, un nombre de quotas égal au total des émissions de l'année civile précédente résultant des activités aériennes visées à l'annexe I pour lesquelles il est considéré comme l'exploitant de l'aéronef. Les Etats membres veillent à ce que les quotas restitués soient ensuite annulés.

B.1.5. Pour limiter les charges administratives des exploitants d'aéronefs, la directive 2008/101/CE dispose qu'il ne peut y avoir qu'un seul Etat membre responsable pour chaque exploitant d'aéronefs.

L'article 18bis de la directive 2003/87/CE, tel qu'il a été inséré par la directive 2008/101/CE, dispose à cet égard : « 1. L'Etat membre responsable d'un exploitant d'aéronef est : a) dans le cas d'un exploitant d'aéronef titulaire d'une licence d'exploitation en cours de validité délivrée par un Etat membre conformément aux dispositions du règlement (CEE) n° 2407/92 du Conseil du 23 juillet 1992 concernant les licences des transporteurs aériens, l'Etat membre qui a délivré la licence d'exploitation à l'exploitant d'aéronef en question;et b) dans tous les autres cas, l'Etat membre pour lequel l'estimation des émissions de l'aviation qui lui sont attribuées liées aux vols effectués par l'exploitant d'aéronef en question pendant l'année de base est la plus élevée. [...] ».

B.1.6. L'annexe au règlement (CE) n° 748/2009 de la Commission du 5 août 2009 « concernant la liste des exploitants d'aéronefs ayant exercé une activité aérienne visée à l'annexe I de la directive 2003/87/CE à compter du 1er janvier 2006 et précisant l'Etat membre responsable de chaque exploitant d'aéronefs » fixe la liste des exploitants d'aéronefs pour lesquels la Belgique est l'Etat membre responsable. Il s'agit d'une cinquantaine d'exploitants d'aéronefs, dont une dizaine ayant la Belgique pour Etat de l'exploitant et une trentaine ayant pour Etat de l'exploitant un Etat qui n'est pas membre de l'Union européenne.

B.1.7. Par son arrêt du 21 décembre 2011, en réponse à une question préjudicielle au titre de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, posée par la High Court of Justice (Royaume-Uni), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'examen de la directive 2008/101/CE n'a pas révélé d'éléments de nature à affecter sa validité (CJUE, 21 décembre 2011, C-366/10, Air Transport Association of America e.a.).

Quant au décret attaqué B.2.1. Conformément à son article 1er, le décret de la Région wallonne du 6 octobre 2010 « modifiant le décret du 10 novembre 2004 instaurant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, créant un Fonds wallon Kyoto et relatif aux mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto » transpose notamment la directive 2008/101/CE. B.2.2. L'article 12/4 du décret du 10 novembre 2004, inséré par l'article 22 du décret attaqué, dispose : « La Région responsable d'un exploitant d'aéronef dont la Belgique est l'Etat-membre responsable est celle à laquelle sont attribuées les émissions d'aéronef les plus élevées émises par cet exploitant d'aéronef pendant l'année de base.

Sont attribuées à la Région wallonne, pour chaque exploitant d'aéronef, les émissions d'aéronef de tous les vols : 1° au départ d'un aérodrome régional wallon;2° à l'arrivée dans un aérodrome régional wallon en provenance d'un pays non membre de l'Union européenne. Aux fins du présent article, on entend par année de base, dans le cas d'un exploitant d'aéronef ayant commencé à mener des activités dans la Communauté après le 1er janvier 2006, la première année civile pendant laquelle il a exercé ses activités et, dans tous les autres cas, l'année civile débutant le 1er janvier 2006 ».

B.2.3. Les articles 12/5 à 12/11 du décret du 10 novembre 2004, insérés par les articles 23 à 29 du décret attaqué, imposent des obligations aux exploitants d'aéronefs dont la Région wallonne est responsable en application de l'article 12/4.

L'article 12/2 du décret du 10 novembre 2004, inséré par l'article 30 du décret attaqué, dispose : « § 1er. L'article 11/1 est applicable à tout exploitant d'aéronef qui n'envoie pas la déclaration d'émissions annuelle conformément et dans le délai fixé à l'article 12/10, § 2, alinéa 2. § 2. Le nom de l'exploitant d'aéronef qui est en infraction par rapport à l'exigence de restituer suffisamment de quotas est publié au Moniteur belge. § 3. Tout exploitant d'aéronef qui, au plus tard le 30 avril de chaque année, ne restitue pas un nombre de quotas suffisant pour couvrir ses émissions d'aéronef de l'année précédente, est tenu de payer une amende sur les émissions d'aéronef excédentaires. Pour chaque tonne d'équivalent-dioxyde de carbone émise pour laquelle l'exploitant d'aéronef n'a pas restitué de quotas, l'amende sur les émissions d'aéronef excédentaires est de 100 euros.

Le paiement de l'amende sur les émissions d'aéronef excédentaires ne libère pas l'exploitant d'aéronef de l'obligation de restituer un nombre de quotas égal à ces émissions d'aéronef excédentaires lors de la restitution des quotas correspondant à l'année civile suivante.

Les amendes sont versées dans le Fonds visé à l'article 13. § 4. Au cas où un exploitant d'aéronef ne se conforme pas aux exigences du présent décret et si d'autres mesures visant à en assurer le respect n'ont pas permis de l'y contraindre, le Gouvernement peut demander à la Commission européenne d'adopter une décision imposant une interdiction d'exploitation à l'encontre de l'exploitant d'aéronef concerné.

Toute demande formulée en application de l'alinéa 1er comporte : 1° des éléments démontrant que l'exploitant d'aéronef ne s'est pas conformé aux obligations qui lui incombent en vertu du présent décret;2° des précisions sur les mesures coercitives prises pour assurer le respect du décret;3° une justification de l'imposition d'une interdiction d'exploitation au niveau communautaire;et 4° une recommandation quant à la portée d'une interdiction d'exploitation au niveau communautaire et aux conditions éventuelles qui devraient être appliquées. Lorsque la Commission européenne envisage de prendre une décision faisant suite à une demande introduite en vertu de l'alinéa 1er, elle communique à l'exploitant d'aéronef concerné les faits et considérations essentiels qui justifient cette décision. L'exploitant d'aéronef concerné a la possibilité de soumettre à la Commission européenne des observations par écrit dans un délai de dix jours ouvrables à compter de la date de la communication de ces faits et considérations ».

Quant à la recevabilité B.3.1. Le recours en annulation est introduit par le Conseil des ministres en application de l'article 4, alinéa 1er, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.

Cet article prévoit qu'un nouveau délai de six mois est ouvert pour l'introduction d'un recours en annulation lorsque « la Cour a annulé une norme qui avait, en tout ou en partie, le même objet et qui avait été prise par un législateur autre que celui qui a adopté la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 de la Constitution. Le délai prend cours à la date de la notification de l'arrêt rendu par la Cour, selon le cas, au Premier ministre et aux présidents des Gouvernements ».

B.3.2. Par l'arrêt n° 33/2011 du 2 mars 2011, la Cour a annulé le décret de la Région flamande du 8 mai 2009 « modifiant le décret REG du 2 avril 2004, en ce qui concerne l'extension relative aux activités aéronautiques ».

B.3.3. L'article 20bis du décret du 2 avril 2004 « portant réduction des émissions de gaz à effet de serre en Région flamande par la promotion de l'utilisation rationnelle de l'énergie, l'utilisation de sources d'énergie renouvelables et l'application des mécanismes de flexibilité prévus par le Protocole de Kyoto », tel qu'il avait été inséré par l'article 4 du décret annulé, disposait : « Pour l'année 2012 et la période de 2013-2020, le contrôle administratif de l'exploitant d'aéronefs relevant de la compétence administrative de la Belgique, est assuré par la Région à laquelle sont allouées le plus d'émissions CO2, émises par l'exploitant d'aéronefs pendant l'année de référence.

Seront allouées pour chaque exploitant d'aéronefs à la Région flamande, les émissions CO2 de tous les vols ayant trait à une activité aéronautique qui sera définie par le Gouvernement flamand, et qui : a) ont leur départ à partir des aérodromes situés sur le territoire de la Région flamande;b) arrivent à des aérodromes situés sur le territoire de la Région flamande à condition que ces vols n'ont pas leur départ dans un pays membre de l'Union européenne ». B.3.4. Les deux normes ont été prises par des législateurs distincts et règlent toutes deux l'attribution du contrôle administratif sur les différents exploitants d'aéronefs dont la Belgique est l'Etat responsable en vertu de l'article 18bis précité de la directive 2003/87/CE. B.3.5. Le recours en annulation, qui a été introduit dans le délai prévu par l'article 4, alinéa 1er, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, est dès lors recevable.

Quant au fond B.4. Le moyen unique est pris de la violation des articles 5, 39, 134 et 143 de la Constitution et des articles 2, 6 et 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, lus en combinaison avec le principe de proportionnalité et le principe de loyauté fédérale.

B.5.1. L'article 6, § 1er, II, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles dispose : « En ce qui concerne l'environnement et la politique de l'eau : 1° La protection de l'environnement, notamment celle du sol, du sous-sol, de l'eau et de l'air contre la pollution et les agressions ainsi que la lutte contre le bruit; [...] ».

B.5.2. Le Constituant et le législateur spécial, dans la mesure où ils n'en disposent pas autrement, ont attribué aux communautés et aux régions toute la compétence d'édicter les règles propres aux matières qui leur ont été transférées.

En vertu de l'article 6, § 1er, II, précité, les régions sont compétentes pour prévenir et combattre les différentes formes de pollution de l'environnement; le législateur régional trouve dans le 1° de cette disposition la compétence générale lui permettant de régler ce qui concerne la protection de l'environnement, notamment celle de l'air, contre la pollution et les agressions. B.5.3. Il ressort des travaux préparatoires de la loi spéciale du 8 août 1980 que la compétence attribuée aux régions en matière de protection de l'air porte notamment sur les matières qui étaient réglées par la loi du 28 décembre 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 28/12/1964 pub. 18/06/2010 numac 2010000336 source service public federal interieur Loi relative à la lutte contre la pollution atmosphérique fermer relative à la lutte contre la pollution atmosphérique (Doc. parl., Sénat, 1979-1980, n° 434/1, p. 13).

En vertu de l'article 2 de la loi précitée du 28 décembre 1964, on entend par « pollution de l'atmosphère » « toute émission dans l'air, quelle qu'en soit la source, de substances gazeuses, liquides ou solides, susceptibles de porter atteinte à la santé humaine, de nuire aux animaux et aux plantes ou de causer un dommage aux biens ou aux sites ».

B.5.4. Il résulte de ce qui précède que la compétence des régions en matière de protection de l'air comprend le pouvoir d'adopter des mesures afin de diminuer les émissions de gaz à effet de serre dans l'air. Ce pouvoir ne se limite pas aux installations fixes mais porte sur toutes les émissions de gaz à effet de serre, quelle que soit leur source. Eu égard à l'impact des gaz à effet de serre sur l'environnement, et particulièrement sur le climat, les régions peuvent par conséquent prendre des mesures destinées à faire diminuer les émissions de gaz à effet de serre des aéronefs, pour autant qu'elles n'excèdent toutefois pas leur compétence territoriale.

B.6. Les articles 5, 39 et 134 de la Constitution, combinés avec les articles 2 et 19, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et avec les articles 2, § 1er, et 7 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, ont déterminé une répartition exclusive des compétences territoriales.

Un tel système suppose que l'objet de toute norme adoptée par un législateur régional puisse être localisé dans le territoire de sa compétence, de sorte que toute relation ou situation concrète soit réglée par un seul législateur.

B.7.1. Il découle de l'article 18bis précité de la directive 2003/87/CE que la Belgique est l'Etat responsable pour, d'une part, les exploitants d'aéronefs auxquels l'autorité belge compétente a, conformément aux dispositions du règlement (CEE) n° 2407/92 du Conseil du 23 juillet 1992 « concernant les licences des transporteurs aériens », délivré une licence d'exploitation valable et, d'autre part, les autres exploitants d'aéronefs pour lesquels l'estimation des émissions de l'aviation attribuées à l'Etat responsable et liées aux vols effectués par eux pendant l'année de base est la plus élevée.

B.7.2. La compétence d'un Etat membre responsable s'étend à tous les vols des exploitants d'aéronefs concernés au départ ou à l'arrivée d'un aérodrome situé sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne.

B.8. L'article 12/4 du décret du 10 novembre 2004, tel qu'il a été inséré par l'article 22 du décret attaqué, dispose : « La Région responsable d'un exploitant d'aéronef dont la Belgique est l'Etat-membre responsable est celle à laquelle sont attribuées les émissions d'aéronef les plus élevées émises par cet exploitant d'aéronef pendant l'année de base.

Sont attribuées à la Région wallonne, pour chaque exploitant d'aéronef, les émissions d'aéronef de tous les vols : 1° au départ d'un aérodrome régional wallon;2° à l'arrivée dans un aérodrome régional wallon en provenance d'un pays non membre de l'Union européenne. [...] ».

B.9.1. Bien que le critère inscrit à l'article 12/4 du décret du 10 novembre 2004 permettant de localiser en Région wallonne les émissions de gaz à effet de serre provenant de la navigation aérienne s'inspire fortement du critère employé à l'article 18bis de la directive 2003/87/CE pour attribuer à un Etat membre déterminé de l'Union européenne, en vue de l'application de cette directive, la compétence concernant les exploitants d'aéronefs qui ne disposent pas d'un permis d'exploitation valable d'un Etat membre de l'Union européenne, il y a lieu de vérifier si ce critère respecte la répartition de compétence territoriale exclusive entre les régions et l'Etat fédéral.

Le critère utilisé à l'article 12/4 du décret du 10 novembre 2004 a pour effet que la Région wallonne exerce une compétence sur des émissions qui ne se produisent que très partiellement dans l'espace aérien de cette Région. En ce qui concerne les vols qui atterrissent sur un aérodrome régional wallon ou qui en décollent, ces émissions auront lieu principalement dans l'espace aérien extérieur à cette Région, en raison également de la superficie restreinte de cette Région et d'une navigation aérienne intrarégionale peu développée. Une partie de ces émissions aura lieu dans l'espace aérien des autres régions ou dans l'espace aérien situé au-dessus des zones maritimes belges, qui relèvent territorialement de la compétence de l'autorité fédérale. Une partie plus importante encore desdites émissions se produira dans l'espace aérien d'autres Etats membres de l'Union européenne ou en dehors de celui-ci. Mais même les émissions de vols qui n'affectent aucunement l'espace aérien de la Région wallonne sont visées, puisque le principe selon lequel il ne peut y avoir qu'une seule région responsable par exploitant d'aéronef a pour conséquence que des émissions de certains vols qui affectent exclusivement d'autres régions ou d'autres Etats membres de l'Union européenne relèvent du champ d'application de la réglementation attaquée, dès que ces vols sont effectués par un exploitant d'aéronef qui relèverait de la responsabilité de la Région wallonne par application du critère visé.

A l'inverse, toutes les émissions qui se produisent dans l'espace aérien de la Région wallonne ne sont pas visées. Qui plus est, l'immense majorité desdites émissions échappe au champ d'application de la réglementation attaquée, parce que, bien qu'elles proviennent de vols décollant d'aérodromes situés en Région wallonne ou qui y atterrissent, les vols en question sont néanmoins effectués par des exploitants d'aéronef pour lesquels interviennent d'autres Etats membres ou régions en tant qu'autorité responsable, ou parce qu'elles proviennent de vols effectués par de tels exploitants d'aéronef sans atterrissage en Région wallonne.

B.9.2. Bien que le critère litigieux ressemble fortement au critère subsidiaire qui, pour des raisons de limitation des charges administratives pour les exploitants d'aéronef, est utilisé par la directive 2003/87/CE afin d'attribuer à un Etat membre déterminé le contrôle des émissions d'exploitants d'aéronef hors UE, il n'est pas approprié de faire relever de la compétence territoriale de la Région wallonne les émissions de gaz à effet de serre provenant de la navigation aérienne pour lesquelles la Belgique est compétente en vertu de la directive précitée.

B.10. Le moyen unique est, dans cette mesure, fondé. Les articles 18 à 30 et 37 du décret attaqué, ainsi que l'article 38 de celui-ci, dans la mesure où il renvoie à ces articles, doivent être annulés.

Les autres branches du moyen unique ne doivent pas être examinées dès lors qu'elles ne pourraient conduire à une annulation plus ample.

B.11.1. Sur la base de l'article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, l'Etat, les communautés et les régions peuvent conclure des accords de coopération qui portent notamment sur la création et la gestion conjointes de services et institutions communs, sur l'exercice conjoint de compétences propres, ou sur le développement d'initiatives en commun. En outre, ils disposent d'autres instruments en vue de donner forme à leur coopération.

B.11.2. En règle, l'absence de coopération dans une matière pour laquelle le législateur spécial ne prévoit pas d'obligation à cette fin n'est pas constitutive d'une violation des règles répartitrices de compétence.

Toutefois, en l'espèce, les compétences de l'Etat fédéral et des régions sont devenues à ce point imbriquées, par suite, d'une part, de la nécessité en droit européen de n'avoir qu'une seule autorité responsable par exploitant d'aéronef et, d'autre part, de la nature principalement transrégionale des émissions causées pendant l'intégralité de leur vol par des aéronefs qui atterrissent dans une région ou qui en décollent, qu'elles ne peuvent plus être exercées que dans le cadre d'une coopération. Un accord de coopération entre l'Etat fédéral et les régions permettra du reste, si nécessaire, à l'exemple de la directive 2003/87/CE (article 18ter), d'associer à l'application du système les autorités aéronautiques fédérales compétentes.

B.12. L'arrêt n° 33/2011 du 2 mars 2011, qui a annulé le décret de la Région flamande du 8 mai 2009 « modifiant le décret REG du 2 avril 2004, en ce qui concerne l'extension relative aux activités aéronautiques », a maintenu les effets des dispositions annulées jusqu'à l'entrée en vigueur d'une réglementation résultant d'un accord de coopération conclu entre l'Etat fédéral et les régions en vue de la mise en oeuvre de la directive 2008/101/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 « modifiant la directive 2003/87/CE afin d'intégrer les activités aériennes dans le système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre », et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2011.

La Cour constate, d'une part, qu'un tel accord de coopération n'a pas encore été conclu. Le Gouvernement wallon a, d'autre part, fixé, par arrêté du 17 novembre 2011, les quotas d'émission de gaz à effet de serre alloués à titre gratuit aux exploitants d'aéronef pour la période 2012 et pour la période 2013-2020 (Moniteur belge, 7 décembre 2011). Afin de ne pas priver en particulier cet arrêté de son fondement légal et d'éviter que la directive 2008/101/CE ne puisse plus être exécutée dans l'attente de la conclusion d'un accord de coopération, il convient de maintenir les effets des dispositions annulées du décret attaqué, par application de l'article 8, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, ainsi qu'il est indiqué au dispositif.

Par ces motifs, la Cour - annule les articles 18 à 30 et 37, et les termes « 18 à 30 et 37 » mentionnés à l'article 38, du décret de la Région wallonne du 6 octobre 2010 « modifiant le décret du 10 novembre 2004 instaurant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, créant un Fonds wallon Kyoto et relatif aux mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto »; - maintient les effets des dispositions annulées jusqu'au 31 décembre 2011.

Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 14 juin 2012.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, R. Henneuse

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