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Arrêt
publié le 25 septembre 2013

Extrait de l'arrêt n° 90/2013 du 13 juin 2013 Numéro du rôle : 5430 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 2, 2°, du décret de la Région wallonne du 10 décembre 2009 d'équité fiscale et d'efficacité environnementale pour le La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges A. Al(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 90/2013 du 13 juin 2013 Numéro du rôle : 5430 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 2, 2°, du décret de la Région wallonne du 10 décembre 2009 d'équité fiscale et d'efficacité environnementale pour le parc automobile et les maisons passives, posée par le Tribunal de première instance de Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges A. Alen, J.-P. Snappe, J. Spreutels, T. MerckxVan Goey et F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président R. Henneuse, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 18 avril 2012 en cause de Lahbib El Anabi contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 19 juin 2012, le Tribunal de première instance de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 2, 2°, du décret wallon du 10 décembre 2009 d'équité fiscale et d'efficacité environnementale pour le parc automobile et les maisons passives (MB 23.12.2009), viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il refuse la réduction du précompte immobilier prévue par l'article 257, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992 à partir de l'exercice d'imposition 2009 lorsque l'immeuble est resté inoccupé en dehors de la volonté du propriétaire pendant plus de douze mois, compte tenu de l'exercice d'imposition précédent, s'il s'agit d'un immeuble qui, comme en l'espèce, ne sert pas d'habitation mais est à destination commerciale et dont l'inoccupation a un caractère involontaire ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 257, alinéa 1er, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 1992), tel qu'il a été modifié par l'article 2, 2°, du décret de la Région wallonne du 10 décembre 2009 d'équité fiscale et d'efficacité environnementale pour le parc automobile et les maisons passives, dispose : « Sur la demande de l'intéressé, il est accordé : [...] 4° remise ou modération du précompte immobilier dans une mesure proportionnelle à la durée et à l'importance de l'inoccupation, de l'inactivité ou de l'improductivité du bien immeuble : a) dans le cas où un bien immobilier bâti, non meublé, est resté inoccupé et improductif pendant au moins 180 jours dans le courant de l'année; b) dans le cas où la totalité du matériel et de l'outillage, ou une partie de ceux-ci représentant au moins 25 p.c. de leur revenu cadastral, est restée inactive pendant 90 jours dans le courant de l'année; c) dans le cas où la totalité soit d'un bien immobilier bâti, soit du matériel et de l'outillage, ou une partie de ceux-ci représentant au moins 25 p.c. de leur revenu cadastral respectif, est détruite.

Les conditions de réduction doivent s'apprécier par parcelle cadastrale ou par partie de parcelle cadastrale lorsqu'une telle partie forme, soit une habitation séparée, soit un département ou une division de production ou d'activité susceptibles de fonctionner ou d'être considérés séparément, soit une entité dissociable des autres biens ou parties formant la parcelle et susceptible d'être cadastrée séparément.

L'improductivité doit revêtir un caractère involontaire. La seule mise simultanée en location et en vente du bien par le contribuable n'établit pas suffisamment l'improductivité.

A partir du moment où il n'a plus été fait usage du bien depuis plus de douze mois, compte tenu de l'année d'imposition précédente, la remise ou la réduction proportionnelle du a) ci-avant ne peut plus être accordée dans la mesure où la période d'inoccupation dépasse douze mois, sauf dans le cas d'un immeuble dont le contribuable ne peut exercer les droits réels pour cause de calamité, de force majeure, d'une procédure ou d'une enquête administrative ou judiciaire empêchant la jouissance libre de l'immeuble, jusqu'au jour où disparaissent ces circonstances entravant la jouissance libre de l'immeuble. Est notamment considéré comme tel, l'immeuble qui constitue un logement non améliorable, au sens de l'article 1er, 14°, du Code wallon du Logement, reconnu comme tel par un délégué du Ministre du Logement ou par un arrêté du bourgmestre ».

B.2. L'objectif poursuivi par le législateur décrétal a été précisé comme suit : « Le présent projet de décret contient donc les propositions de mesure suivantes : 1° En vue de garantir l'accès à un logement décent, abordable et durable : a) lutter contre les logements inoccupés et contre le maintien en l'état de sites d'activités économiques désaffectés, par une modification des conditions d'application de la réduction proportionnelle du précompte immobilier en cas d'inoccupation/d'improductivité » (Doc.parl., Parlement wallon, 2009-2010, n° 118/1, p. 2). « Ensuite, concernant l'article 257, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992, qui prévoit une réduction du précompte immobilier en cas d'inoccupation, d'inactivité ou d'improductivité de l'immeuble durant l'exercice d'imposition (voy. art. 15, CIR 1992), il convient de rapporter cet avantage aux objectifs réels de ne pas taxer le possesseur d'un bien immobilier qui vient d'être mis temporairement dans l'impossibilité de percevoir des revenus de son immeuble, pour des causes indépendantes de sa volonté; de plus, de manière supplémentaire par rapport à l'objectif d'équité fiscale de ne pas octroyer d'avantage fiscal onéreux pour la Région en contrariété avec d'autres politiques régionales, telle la lutte contre la taudisation, l'on remarquera que l'avantage actuel octroyé peut également provoquer un effet pervers de finalement désavantager le propriétaire qui répare et améliore l'immeuble en cause, avec à la clé occupation de l'immeuble et, partant, débition du précompte immobilier (avec même peut-être une augmentation du revenu cadastral de l'immeuble à la suite de ses travaux), par rapport au propriétaire spéculant sur la valeur du terrain en laissant se dégrader l'immeuble qui ne doit pas payer le précompte immobilier durant cette période de spéculation.

Dans la situation actuelle, il paraît quelque peu paradoxal d'octroyer, au niveau du précompte immobilier, un avantage fiscal au propriétaire d'un immeuble inoccupé, alors que l'ancrage communal et le mode de calcul du financement régional des communes incitent les communes à établir une taxe sur les logements abandonnés, dès lors qu'un immeuble a fait l'objet de deux constats d'inoccupation séparés de plus de six mois; de même, la limitation dans le temps de cet avantage fiscal paraît cohérente avec l'objectif de la taxe régionale sur les sites d'activité économique désaffectés, destinée à redynamiser les parcelles immobilières affectés aux activités économiques et à les remettre dans le circuit économique.

Il est donc proposé [...] : - d'une part, d'allonger la condition de durée minimale d'inoccupation de l'immeuble pour bénéficier de l'allègement, en passant d'un minimum de 90 jours à un minimum de 180 jours; en effet, il convient de limiter le bénéfice de la mesure aux inoccupations suffisamment importantes pour entraîner une perte substantielle de revenus durant l'année, et non pas seulement aux inoccupations assez limitées dans le temps; - d'autre part, de consacrer légalement la position administrative, et partant de la sécuriser, selon laquelle l'inoccupation doit être involontaire; cette précision avait d'ailleurs été prévue dans l'article 15 du Code des impôts sur les revenus 1992 par une loi du 12 avril 1995, mais cette loi ayant été annulée par un arrêt de la Cour constitutionnelle n° 74/1996 du 11 décembre 1996 (par cause d'excès de compétence du pouvoir fédéral, une telle mesure ayant une influence en matière de précompte immobilier devant en réalité être établie par l'Etat fédéral en concertation avec les Régions, à l'époque), il est proposé que la Région wallonne reprenne expressément cette idée dans l'article 257, CIR 1992; - enfin, de limiter dans le temps le bénéfice de la réduction du précompte immobilier, en la supprimant à partir du moment où la durée de l'inoccupation excède un an, à dater du début de l'inoccupation (ainsi, dans le cas d'une inoccupation dépassant un an, à cheval sur deux années, la réduction pourra être appliquée la première année où l'inoccupation est, par exemple, de 182 jours, et la réduction pourra également être appliquée l'année suivante, mais alors seulement à concurrence du solde de 183 jours admissibles de l'inoccupation totale dépassant un an) : toutefois, compte tenu de la jurisprudence actuelle de la Cour constitutionnelle en cette matière, il est également proposé que cette limitation dans le temps de l'avantage de la réduction, ne joue pas dans le cas où le propriétaire ne peut de toute façon pas jouir librement de son immeuble, et ce de manière involontaire, tel que d'ailleurs la législation de la Région flamande le prévoit » (ibid., pp. 3 et 4).

Il a été également déclaré : « Garantir l'accès à un logement décent, abordable et durable vise bien entendu les logements inoccupés. Depuis une dizaine d'années, la Région, avec parfois des erreurs, des errements, a lancé une opération de lutte contre les logements inoccupés et abandonnés. D'abord en la confiant aux communes, puis en la rapatriant au niveau régional, puis en la retransférant au niveau local : il s'agit de la taxe sur les logements inoccupés et abandonnés au mètre courant façade.

Mais cela était insuffisant car les propriétaires de ces habitations bénéficiaient d'une réduction du précompte immobilier liée à ' l'improductivité '. Celle-ci était constatée dès lors qu'il y avait 90 jours où le bâtiment était vide. Ce délai est porté à 180 jours, et ce ne sera plus valable qu'une seule fois. En effet, il ne peut être toléré qu'à un moment où des concitoyens, parfois isolés, n'ont pas de logement, d'autres spéculent et abandonnent ces logements pour des raisons qui ne sont pas toujours acceptables. M. le Ministre fait remarquer que le Ministre des Pouvoirs locaux a repris dans sa circulaire un coefficient de 3,7 pour permettre d'intégrer cette recette. Pour la Région, il ne s'agit pas de produire des recettes - il s'agit d'une recette d'un million d'euros, ce qui est dérisoire, même si c'est le bienvenu - mais pour les communes, on est dans un ordre d'idées beaucoup plus important. Il s'agit de 27 millions d'euros. C'est donc une recette très appréciable. Mais là n'est pas l'objectif. L'objectif est la lutte contre les logements inoccupés » (Doc. parl., Parlement wallon, 2009-2010, n° 117/2, n° 118/2, n° 17 (S.E. 2009)/3, p. 3).

B.3. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 2, 2°, du décret wallon du 10 décembre 2009 d'équité fiscale et d'efficacité environnementale pour le parc automobile et les maisons passives en ce qu'il refuse la réduction du précompte immobilier prévue par l'article 257, 4°, du CIR 1992 à partir de l'exercice d'imposition 2009 lorsque l'immeuble est resté inoccupé en dehors de la volonté du propriétaire pendant plus de douze mois, compte tenu de l'exercice d'imposition précédent, s'il s'agit d'un immeuble qui, comme en l'espèce, ne sert pas d'habitation mais est à destination commerciale et dont l'inoccupation a un caractère involontaire.

B.4. Le demandeur devant le juge a quo est propriétaire d'un immeuble dont le rez-de-chaussée est à destination commerciale et qui est resté inoccupé lors des exercices d'imposition 2008 et 2009. Il a demandé une remise du précompte immobilier pour l'exercice d'imposition 2009.

B.5. Il appartient au législateur compétent d'apprécier si un régime d'immunisation fiscale doit être maintenu ou modalisé. S'il en résulte une différence de traitement entre contribuables, la Cour doit vérifier si cette différence de traitement est raisonnablement justifiée.

B.6. Par la disposition en cause, le législateur décrétal a voulu limiter dans le temps le bénéfice de la réduction du précompte immobilier, traitant dès lors ainsi de manière différente les contribuables selon que l'inoccupation de leur bien immobilier excède ou non un an. La disposition vise les biens immobiliers bâtis en général, en ce compris les immeubles à destination commerciale. Elle précise par ailleurs que l'improductivité doit revêtir un caractère involontaire.

Le critère de la durée de l'inoccupation du bien immobilier est pertinent au regard du but de la mesure, qui vise aussi bien l'équité fiscale que la lutte contre l'inoccupation et la taudisation, de manière à encourager l'accès à un logement décent, et la lutte contre le maintien en l'état de sites d'activités économiques désaffectés, comme cela ressort des travaux préparatoires du décret cités en B.2.

Le fait que le législateur décrétal ait rendu la mesure applicable à tous les immeubles bâtis, en ce compris les bâtiments industriels et commerciaux, est conforme à l'objectif poursuivi. La limite de douze mois est en rapport avec le souci du législateur décrétal d'inciter le propriétaire à exécuter dans les délais des travaux d'entretien ou de réparation ou à rechercher un locataire ou un acheteur.

B.7. La disposition en cause a par ailleurs tenu compte de la situation particulière des propriétaires qui, de manière involontaire, ne peuvent pas jouir librement de leur immeuble puisqu'elle prévoit une exception à la limitation dans le temps du bénéfice de la réduction du précompte immobilier « dans le cas d'un immeuble dont le contribuable ne peut exercer les droits réels pour cause de calamité, de force majeure, d'une procédure ou d'une enquête administrative ou judiciaire empêchant la jouissance libre de l'immeuble, jusqu'au jour où disparaissent ces circonstances entravant la jouissance libre de l'immeuble. Est notamment considéré comme tel, l'immeuble qui constitue un logement non améliorable, au sens de l'article 1er, 14°, du Code wallon du Logement, reconnu comme tel par un délégué du Ministre du Logement ou par un arrêté du bourgmestre ».

B.8. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 2, 2°, du décret de la Région wallonne du 10 décembre 2009 d'équité fiscale et d'efficacité environnementale pour le parc automobile et les maisons passives ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 13 juin 2013.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, R. Henneuse

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