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Arrêt
publié le 26 mars 2014

Extrait de l'arrêt n° 175/2013 du 19 décembre 2013 Numéro du rôle : 5573 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 171, 6°, deuxième tiret, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et M. Bossuyt, et des juges E. D(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 175/2013 du 19 décembre 2013 Numéro du rôle : 5573 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 171, 6°, deuxième tiret, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et M. Bossuyt, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey et P. Nihoul, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 4 février 2013 en cause de Richard Balaes contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 15 février 2013, le Tribunal de première instance de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 171, 6°, 2ème tiret, du C.I.R./92 viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce qu'il ne vise que les profits payés par une autorité publique à l'exclusion de ceux payés par des particuliers lorsqu'il s'agit de profits se rapportant à des actes accomplis pendant une période d'une durée supérieure à 12 mois et dont le montant n'a pas été payé au cours de l'année des prestations mais a été réglé postérieurement en une seule fois ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 171, 6°, deuxième tiret, du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 1992) dispose : « Par dérogation aux articles 130 à 168, sont imposables distinctement, sauf si l'impôt ainsi calculé, majoré de l'impôt afférent aux autres revenus, est supérieur à celui que donnerait l'application desdits articles à l'ensemble des revenus imposables : [...] 6° au taux afférent à l'ensemble des autres revenus imposables : [...] - les profits visés à l'article 23, § 1er, 2°, qui se rapportent à des actes accomplis pendant une période d'une durée supérieure à 12 mois et dont le montant n'a pas, par le fait de l'autorité publique, été payé au cours de l'année des prestations mais a été réglé en une seule fois, et ce exclusivement pour la partie qui excède proportionnellement un montant correspondant à 12 mois de prestations; [...] ».

B.2. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité, avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, de cette disposition en ce qu'elle ne vise que les profits payés par une autorité publique à l'exclusion de ceux payés par des particuliers, lorsqu'il s'agit de profits se rapportant à des actes accomplis pendant une période d'une durée supérieure à 12 mois et dont le montant n'a pas été payé au cours de l'année des prestations mais a été réglé postérieurement en une seule fois.

B.3. Il ressort des éléments de la cause et de la motivation de la décision de renvoi que le litige soumis au juge a quo concerne une somme qui, selon le requérant, devrait être taxée séparément, dès lors qu'elle ne représente pas des revenus de l'exercice en cours, mais rémunère des services rendus comme avocat dans le cadre d'un litige qui a duré dix-sept ans.

B.4.1. L'article 171, 6°, deuxième tiret, précité accorde le bénéfice d'un taux d'imposition distinct aux contribuables, travailleurs indépendants, qui déclarent les profits qu'il vise et qui, par le fait d'une autorité publique, n'ont pas été payés au cours de l'année des prestations.

B.4.2. L'article 171 traite ainsi différemment les contribuables, travailleurs indépendants, en ne leur octroyant le bénéfice d'un taux distinct que si les profits se rapportent à des actes accomplis durant une période d'une durée supérieure à douze mois et dont le montant n'a pas, par le fait de l'autorité publique, été payé au cours de l'année des prestations mais a été réglé en une seule fois. Le bénéfice de ce taux distinct n'est pas octroyé lorsque ces profits se rapportent à de tels actes dont le paiement a été fait de la même manière par des particuliers.

B.5. Si les contribuables, travailleurs indépendants, qui déclarent des profits dont le montant n'a pas été payé au cours de l'année des prestations, mais a été réglé en une seule fois, sont traités différemment selon que ce règlement est dû au fait de l'autorité publique ou d'un particulier, ces deux catégories de contribuables constituent toutefois des catégories suffisamment comparables. Ces contribuables se trouvent, en effet, dans des situations différentes mais non suffisamment éloignées l'une de l'autre pour conclure à leur non-comparabilité quant au taux d'imposition de leurs revenus.

B.6. L'article 171 du CIR 1992 déroge, pour les revenus qu'il énumère, au principe de la globalisation, en vertu duquel le revenu imposable à l'impôt des personnes physiques est constitué de l'ensemble des revenus nets, soit la somme des revenus nets des catégories énumérées dans l'article 6 du CIR 1992, à savoir les revenus des biens immobiliers, les revenus des capitaux et biens mobiliers, les revenus professionnels et les revenus divers, diminuée des dépenses déductibles mentionnées aux articles 104 à 116 du CIR 1992. L'impôt est calculé sur cette somme selon les règles fixées aux articles 130 et suivants, mais après l'accomplissement de quelques opérations.

L'article 171 du CIR 1992 fixe un mode de calcul particulier de l'impôt et des taux d'imposition spéciaux pour certains revenus, à condition toutefois que le régime de l'addition de tous les revenus imposables, en ce compris ceux qui peuvent être imposés distinctement, ne s'avère pas plus avantageux pour le contribuable.

B.7. Par l'article 93 de l'ancien Code des impôts sur les revenus, devenu l'article 171 en cause, le législateur a voulu éviter les conséquences sévères que l'application rigoureuse de la progressivité de l'impôt des personnes physiques entraînerait pour les contribuables qui recueillent certains revenus ayant un caractère plutôt exceptionnel. Selon les travaux préparatoires, le législateur a voulu « freiner la progressivité de l'impôt, lorsque le revenu imposable comprend des revenus non périodiques » (Doc. parl., Chambre, 1961-1962, n° 264/1, p. 85; ibid., n° 264/42, p. 126).

B.8. L'article 171, 6°, deuxième tiret, procède d'une intention similaire. L'exposé des motifs de la loi de réorientation économique du 4 août 1978 (qui modifia l'article 93 précité) indique : « Dans l'état actuel de la législation, les honoraires et autres profits qui se rapportent à des prestations accomplies pendant une période d'une durée supérieure à douze mois et dont le montant n'a pas, par le fait de l'autorité publique, été payé au cours de l'année des prestations mais a été réglé en une seule fois, sont taxés comme des revenus de l'année pendant laquelle ils ont été perçus avec application du taux normal d'imposition.

Pour y pallier, il est proposé d'appliquer aux honoraires et autres profits de l'espèce un régime analogue à celui qui s'applique déjà actuellement aux ' pécules de vacances promérités ' payés aux employés.

Ceci revient en fait à appliquer aux arriérés d'honoraires, etc., le taux d'impôt applicable à ce qui correspond normalement à douze mois de prestations » (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 415/1, pp. 33 et 34).

Le rapport de la commission du Sénat précise : « Le chapitre II règle le problème de la taxation des honoraires payés par une autorité publique aux titulaires de professions libérales pour des prestations qui sont étalées sur une période de plus de douze mois.

Pour éviter une surtaxation due à la progressivité du taux de l'impôt, la quotité des honoraires qui excède proportionnellement un montant correspondant à douze mois de prestations sera imposée distinctement au taux afférent à l'ensemble des autres revenus imposables » (ibid., n° 415/2, p.51).

En commission du Sénat, le ministre a indiqué : « Les honoraires qui se rapportent à des prestations accomplies pendant une période supérieure à douze mois et qui, par le fait de l'autorité publique, ne sont pas payés pendant l'année des prestations mais liquidés en une seule fois, sont actuellement imposés au cours de l'année de l'encaissement et le taux d'imposition progressif est appliqué sans atténuation.

Dans l'article 51 du projet, il est suggéré un régime analogue à celui qui existe à présent pour le pécule de vacances promérité à l'employé; dorénavant donc ces honoraires seront subdivisés en deux parties : a) Une première partie qui correspond à douze mois de prestations sera ajoutée aux autres revenus de l'année pour constituer la base imposable;b) Une deuxième partie - le reste - qui sera taxée distinctement suivant le tarif appliqué aux revenus sub a). [...] Ce régime existe déjà pour le pécule de vacances promérité payé à l'employé qui quitte l'entreprise.

Il ne peut être appliqué aux honoraires privés, car la règle reste toujours l'annualité de l'impôt. En outre, dans le secteur privé, il est loisible de régler les paiements en fonction de la fourniture des prestations et des intérêts des deux parties. Il est superfétatoire que le législateur prévoie encore des facilités supplémentaires sur la base de commodité purement fiscale d'une des parties » (ibid., n° 415/2, pp. 71 et 72).

Un amendement visant à supprimer les mots « par le fait de l'autorité publique » fut rejeté, tant au Sénat (ibid., p. 74) qu'à la Chambre des représentants (Doc. parl., Chambre, 1977-1978, n° 470/9, p. 30), pour les motifs suivants : « Le Ministre rappelle tout d'abord que la mesure contenue dans l'article 51 est demandée depuis longtemps et qu'elle permettra de mieux réaliser l'égalité des contribuables devant l'impôt. Le Ministre s'oppose ensuite à l'amendement en soulignant qu'en matière de paiement, le secteur privé est assujetti à d'autres règles que l'autorité publique et que dès lors, le paiement peut facilement être étalé dans le temps. Le Ministre souligne enfin que l'autorité publique a été définie de manière très large (cf. rapport du Sénat, p. 73) » (ibid., p. 30).

B.9. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d'égalité et de non-discrimination. L'article 172 de la Constitution est une application particulière de ce principe en matière fiscale.

Le principe d'égalité en matière fiscale n'interdit pas au législateur d'octroyer un avantage fiscal à certains contribuables, pour autant que la différence de traitement ainsi créée puisse se justifier raisonnablement.

B.10. La différence de traitement décrite en B.4.2 est raisonnablement justifiée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur, tel qu'il apparaît des travaux préparatoires cités en B.8. Le législateur a, en effet, pris en compte la situation particulière des titulaires de profits qui sont payés avec retard par le fait d'une autorité publique, en raison du caractère particulier de cette autorité en tant que débiteur, des règles spécifiques qui s'appliquent aux autorités publiques en matière de paiement et des retards qui en résultent. Le législateur a par ailleurs pris en compte le fait que les paiements faits par des particuliers peuvent plus facilement être étalés dans le temps en fonction de la fourniture des prestations, selon les accords que les parties négocient entre elles et, dans le souci d'éviter des abus, il n'a pas voulu que les parties puissent retirer un avantage fiscal d'un retard de paiement. Le législateur a dès lors pu légitimement considérer qu'il ne devait fiscalement compenser un retard que lorsqu'il est imputable à une autorité publique.

B.11. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 171, 6°, deuxième tiret, du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 19 décembre 2013.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels

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