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Arrêt
publié le 17 avril 2014

Extrait de l'arrêt n° 12/2014 du 23 janvier 2014 Numéro du rôle : 5610 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 232 et 240 du Code bruxellois de l'aménagement du territoire, posée par le Tribunal de première instance de Brux La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, des juges E. De Groo(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 12/2014 du 23 janvier 2014 Numéro du rôle : 5610 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 232 et 240 du Code bruxellois de l'aménagement du territoire, posée par le Tribunal de première instance de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût et T. Giet, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite M. Bossuyt, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 8 février 2013 en cause de la SA « Compagnie Immobilière de Lotissements » et autres contre la Région de Bruxelles-Capitale et la commune de Berchem-Sainte-Agathe, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 13 mars 2013, le Tribunal de première instance de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 232 et 240 du Code bruxellois de l'aménagement du territoire violent-ils l'article 16 de la Constitution, lu isolément ou en combinaison avec les articles 10 et 11 du même texte et l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, en ce qu'ils n'allouent aucune indemnité au propriétaire d'un terrain frappé d'une interdiction de bâtir résultant d'un arrêté de classement, alors que le propriétaire d'un bien frappé d'une interdiction de bâtir résultant d'un plan d'aménagement revêtu de la force obligatoire mettant fin à l'usage auquel ce bien est affecté ou normalement destiné au jour précédant l'entrée en vigueur dudit plan, dispose d'un droit à indemnisation des moins-values sur la base de l'article 81 du même code ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La Cour est interrogée sur les articles 232 et 240 du Code bruxellois de l'aménagement du territoire (ci-après : CoBAT).

Situé dans la section II intitulée « Effets du classement » du chapitre IV du CoBAT consacré au classement, l'article 232 du Code précité dispose : « Il est interdit : 1° de démolir en tout ou en partie un bien relevant du patrimoine immobilier classé;2° d'utiliser un tel bien ou d'en modifier l'usage de manière telle qu'il perde son intérêt selon les critères définis à l'article 206, 1°;3° d'exécuter des travaux dans un tel bien en méconnaissance des conditions particulières de conservation;4° de déplacer en tout ou en partie un bien relevant du patrimoine immobilier classé, à moins que la sauvegarde matérielle du bien l'exige impérativement et à condition que les garanties nécessaires pour son démontage, son transfert et son remontage dans un lieu approprié soient prises. Toutefois, le Gouvernement peut autoriser la démolition partielle d'un site archéologique classé dans la limite rendue nécessaire par les fouilles à réaliser dans ce site ».

Situé dans le chapitre V du CoBAT intitulé « Gestion, travaux et subsides », l'article 240 du Code précité, dans sa version applicable au litige devant le juge a quo, disposait : « § 1er. Lorsque des travaux de conservation, au sens de l'article 206, 2°, d'un bien classé relevant du patrimoine immobilier sont nécessaires, la Région et la commune concernées peuvent intervenir dans les frais de ces travaux, suivant des conditions à fixer par le Gouvernement.

Il en va de même lorsque des travaux visés par un plan de gestion patrimoniale au sens des articles 98, § 2/2, et 206, 10° sont nécessaires sur un bien classé. § 2. Dans le cas où le propriétaire refuse de faire exécuter les travaux nécessaires visés au § 1er, la Région ou la commune peut se substituer à lui. La commune recueille les subventions accordées par la Région.

A défaut d'accord avec le propriétaire, la Région ou la commune peuvent récupérer les frais engagés.

Le remboursement de ces frais est sollicité par l'Administration, par lettre recommandée à la poste.

Si le propriétaire demeure en défaut de payer les frais, le recouvrement de ceux-ci est poursuivi par le receveur de l'administration de la Région de Bruxelles-Capitale. § 3. Lorsque le bien relevant du patrimoine immobilier appartient à une personne physique ou morale de droit privé, celle-ci peut, au lieu d'exécuter les travaux qui sont indispensables au maintien de l'intégrité du bien, exiger que la Région procède à l'expropriation de son bien. Sauf convention contraire intervenue entre les parties intéressées, l'expropriation porte sur le bien relevant du patrimoine immobilier tout entier, même s'il n'est inscrit sur la liste de sauvegarde ou classé que pour partie, à la condition que la partie inscrite sur la liste de sauvegarde ou classée constitue un élément essentiel du patrimoine immobilier et sur le terrain qui en est l'accessoire indispensable. § 4. Dans les limites des crédits budgétaires, la Région peut intervenir dans les frais visant la conservation du petit patrimoine selon les conditions fixées par le Gouvernement ».

B.2.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité de ces dispositions avec l'article 16 de la Constitution lu isolément ou en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, et avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'aucune indemnisation n'est prévue au profit du propriétaire d'un terrain frappé d'une interdiction de bâtir résultant d'un arrêté de classement, alors qu'une indemnisation est prévue par l'article 81 du CoBAT au profit du propriétaire d'un terrain frappé d'une interdiction de bâtir résultant d'un plan d'aménagement revêtu de la force exécutoire.

B.2.2. Situé dans la section V « Indemnisation des moins-values » du chapitre VI « Des expropriations et indemnités » du CoBAT, l'article 81 du Code précité dispose : « § 1er. II y a lieu à indemnité à charge, suivant le cas de la Région ou de la commune, lorsque l'interdiction de bâtir ou de lotir résultant d'un plan revêtu de la force obligatoire met fin à l'usage auquel un bien est normalement destiné au jour précédent l'entrée en vigueur dudit plan dans la mesure où ses dispositions ont valeur réglementaire et force obligatoire.

La diminution de valeur qui est prise en considération pour l'indemnisation doit être estimée en tant que la différence entre, d'une part, la valeur du bien au moment de l'acquisition, actualisée jusqu'au jour où naît le droit à l'indemnité, majorée des charges et des frais supportés avant l'entrée en vigueur du projet de plan ou du plan et, d'autre part, la valeur du bien au moment où naît le droit à l'indemnisation après l'entrée en vigueur du plan. Seule la diminution de valeur résultant du plan peut être prise en considération pour l'indemnisation.

Le droit à l'indemnisation naît soit lors du refus d'un permis d'urbanisme ou de lotir, soit lors de la délivrance d'un certificat d'urbanisme négatif, qui ne sont plus susceptibles de faire l'objet des recours prévus par le présent Code. Il peut également naître au moment de la vente du bien.

Le Gouvernement arrête les modalités d'exécution de cet article, notamment en ce qui concerne la fixation des valeurs du bien ainsi que l'actualisation de celles-ci.

Toutefois, la diminution de la valeur du bien résultant de l'interdiction de bâtir ou de lotir doit être subie sans indemnité jusqu'à concurrence de vingt pour cent de cette valeur.

L'indemnité est réduite ou refusée si et dans la mesure où il est établi que le demandeur est propriétaire sur le territoire de la Région, d'autres biens qui tirent avantage de la mise en vigueur d'un plan ou des travaux exécutés aux frais des pouvoirs publics.

II peut être satisfait à l'obligation d'indemnisation par un arrêté motivé du Gouvernement qui décide ou autorise la modification ou l'abrogation partielle ou totale dudit plan qui a pour effet de mettre un terme à l'interdiction de construire, de reconstruire ou de lotir.

La commune ne pourra pas procéder à une telle abrogation partielle ou totale si cette interdiction est également prévue par un plan supérieur. § 2. Lorsqu'en vertu d'un plan revêtu de la force obligatoire, une interdiction de bâtir peut être opposée à celui qui a acquis une parcelle dans un lotissement, la Région ou la commune peut s'exonérer de son obligation d'indemniser en rachetant cette parcelle à l'intéressé moyennant remboursement du prix, des charges et des frais qu'il a payés.

Si l'intéressé n'est propriétaire que de la parcelle visée ci-dessus, il pourra exiger son rachat par la Région ou la commune en signifiant sa volonté par lettre recommandée à envoyer dans les douze mois de la publication du plan prévu ci-dessus. Dans ce cas, cette parcelle devra lui être rachetée et payée dans l'année de la notification. Le Gouvernement détermine les modalités d'application de cette disposition. § 3. Aucune indemnité n'est due dans les cas suivants : 1° interdiction de bâtir ou de lotir résultant d'une prévision d'expropriation du bien, ce, sous réserve de l'application de l'article 79;2° interdiction de couvrir une parcelle de constructions au-delà de ce qui est permis par le plan ou de dépasser dans un lotissement la densité d'occupation fixée par le plan;3° interdiction de continuer l'exploitation d'établissements dangereux, insalubres et incommodes au-delà de la période pour laquelle l'exploitation a été autorisée;4° interdiction de bâtir sur un terrain ne possédant pas les dimensions minimum fixées par le plan particulier d'affectation du sol;5° interdiction de lotir un terrain n'ayant pas d'accès à une voie suffisamment équipée compte tenu de la situation des lieux, ou d'y bâtir;6° interdiction de lotir un terrain pour lequel un permis de lotir précédemment accordé était périmé à la date de l'entrée en vigueur du plan entraînant cette interdiction;7° pour les bâtiments ou installations fixes détruits par une calamité naturelle lorsque l'interdiction de leur reconstruction résulte de dispositions prescrites par la législation et réglementation relatives aux dommages causés par des calamités naturelles ». B.3. Le litige devant le juge a quo concerne des propriétaires de terrains sollicitant une indemnisation, fondée sur l'article 1382 du Code civil, en raison de l'interdiction de bâtir résultant de l'arrêté de classement de leurs parcelles, alors même que celles-ci étaient situées en zone d'habitation et avaient fait l'objet d'un permis de lotir.

Leur demande de permis d'urbanisme, après cet arrêté de classement, a été refusée et leur recours devant le Conseil d'Etat contre ce refus a été rejeté.

La Cour limite son examen à cette situation.

B.4. Les dispositions du CoBAT relatives à la protection du patrimoine immobilier sont issues de l'ordonnance du 4 mars 1993 « relative à la conservation du patrimoine immobilier » modifiée à plusieurs reprises par la suite.

B.5.1. Le « classement » est l'une des mesures qui tend à assurer la protection du patrimoine immobilier de la Région de Bruxelles-Capitale. Il est « réservé aux biens de haute valeur » (Doc. parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1992-1993, n° A-165/2, p. 18). L'usage d'une telle mesure doit rester limité aux biens qui ne peuvent être protégés par d'autres mesures (ibid., p. 20).

La décision de classement d'un bien immobilier appartient exclusivement au Gouvernement. C'est à lui seul qu'il revient de décider si un tel bien présente « un intérêt historique, archéologique, artistique, esthétique, scientifique, social, technique ou folklorique » - au sens de l'article 206, 1°, du CoBAT - qui justifie son classement (articles 222, § 1er, première phrase, et 226 du CoBAT).

B.5.2. Depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 4 mars 1993, toute personne âgée de dix-huit ans au moins et domiciliée sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale peut, par l'intermédiaire d'une association sans but lucratif ayant pour objet social la sauvegarde du patrimoine, demander au Gouvernement de classer un bien immobilier, pour autant que son souhait soit exprimé par cent quarante-neuf autres personnes remplissant les mêmes conditions.

Lorsqu'il est saisi d'une telle demande de classement d'un bien immobilier, le Gouvernement ne peut décider de classer ce bien qu'au terme d'une « procédure de classement » qu'il lui appartient d'ouvrir par l'adoption d'un arrêté (article 223, § 1er, alinéa 1er, du CoBAT).

Au cours de cette procédure, le Gouvernement recueille les observations éventuelles du propriétaire du bien concerné sur le projet de classement, ainsi que l'avis du collège des bourgmestre et échevins et de la Commission royale des monuments et des sites sur ce projet (articles 224 et 225, du CoBAT). Ces observations et avis sur l'opportunité de ce classement permettent au Gouvernement de disposer d'une information adéquate et complète avant de statuer sur la demande de classement. Le Gouvernement n'est pas obligé de répondre positivement à une demande de classement introduite par une association de sauvegarde du patrimoine. Il peut, en effet, décider qu'il n'y a pas lieu d'adopter une telle mesure.

B.5.3. Il reste que, à compter de la publication au Moniteur belge de l'arrêté du Gouvernement ouvrant la procédure de classement - ou de sa notification au propriétaire, si elle est antérieure -, cette procédure produit, sur le bien immobilier qui en est l'objet, les mêmes effets qu'une décision de classement (article 236 du CoBAT).

Parmi ces effets figurent l'obligation pour le propriétaire du bien de le maintenir en bon état (article 231, lu en combinaison avec l'article 214, du CoBAT), l'interdiction de principe de démolir tout ou partie de ce bien (article 232, alinéas 1er, 1°, et 2, du CoBAT), l'interdiction de l'utiliser ou d'en modifier l'usage de manière telle qu'il perde son intérêt selon les critères définis à l'article 206, 1°, du CoBAT (article 232, alinéa 1er, 2°, du CoBAT), l'interdiction d'exécuter des travaux dans un tel bien en méconnaissance des conditions particulières de conservation (article 232, alinéa 1er, 3°, du CoBAT), l'interdiction de déplacer tout ou partie de ce bien, sauf si sa sauvegarde matérielle l'exige (article 232, alinéa 1er, 4°, du CoBAT), l'inapplicabilité éventuelle de certaines servitudes relatives à la police de la voirie et à la police des constructions (article 233 du CoBAT), l'interdiction pour le bourgmestre d'ordonner la démolition partielle ou totale du bien sans demander l'approbation du Gouvernement (article 234 du CoBAT) et la nécessité de demander l'avis préalable de la Commission royale des monuments et des sites avant la délivrance de toute autorisation exigée par les ordonnances de valeur législative adoptées dans les matières régionales (article 231, lu en combinaison avec l'article 218, du CoBAT).

Ces effets ne sont que provisoires : ils cessent à l'issue de la procédure de classement si le Gouvernement décide finalement de ne pas classer le bien. Ils ne peuvent donc, en tant que tels, constituer l'objectif d'une demande de classement soutenue par cent cinquante personnes âgées de dix-huit ans au moins et domiciliées sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.

B.6.1. L'article 232 du CoBAT s'inspire de l'article 27 de l'ordonnance du 4 mars 1993 précitée.

Cette disposition, issue d'un amendement, avait été adoptée en vue de durcir les effets du classement (Doc. parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1992-1993, n° A-165/2, p. 63).

B.6.2. L'article 240 du CoBAT s'inspire quant à lui de l'article 32 de l'ordonnance du 4 mars 1993 précitée.

Cette disposition prévoit un mécanisme de subsidiation facultative des travaux nécessaires à la conservation d'un bien classé.

B.7.1. Dans sa version initiale, le projet devenu l'ordonnance du 4 mars 1993 précitée prévoyait une indemnisation du propriétaire d'un bien classé lorsqu'une interdiction de bâtir résultant uniquement du classement mettait fin à l'usage auquel le patrimoine immobilier était affecté ou normalement destiné au jour précédant l'entrée en vigueur de l'arrêté de classement.

Les travaux préparatoires exposaient : « L'acquisition forcée de biens protégés et le droit des propriétaires à l'indemnisation sont soumis à des dispositions semblables à celles contenues dans la législation en vigueur (loi sur la conservation des monuments et des sites et ordonnance organique de la planification et de l'urbanisme).

Ce droit naît au moment du refus d'un permis d'urbanisme ou lors de la délivrance d'un certificat d'urbanisme négatif, motivé exclusivement par les mesures de protection dont le bien fait l'objet.

L'indemnisation est calculée sur la diminution de valeur résultant de l'interdiction » (Doc. parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1991-1992, n° A-165/1, p. 7).

L'article 32 en projet était explicité comme suit : « Les dispositions de cet article sont inspirées des articles 6 et 16 de la loi du 7 août 1931 et de l'article 37 de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme.

Afin d'éviter des problèmes d'interprétation auxquels ces dispositions ont pu donner lieu par le passé, il est précisé que subir une diminution de valeur sans indemnisation à concurrence de 20 % signifie que le demandeur peut introduire dans tous les cas une demande d'indemnisation mais qu'il ne sera indemnisé qu'à concurrence de 80 % de la moins-value.

Le droit à l'indemnisation naît au moment de la notification de la décision définitive de refus de bâtir ou de lotir, étant entendu que le demandeur doit avoir épuisé toutes les voies de recours, en ce compris le recours en annulation au Conseil d'Etat.

La fixation du montant des indemnités est laissée à l'appréciation des Cours et Tribunaux, au besoin après une expertise.

Les actions en indemnités sont prescrites un an après le jour de la naissance du droit » (ibid., pp. 14-15).

B.7.2. Un amendement introduit par le Gouvernement a proposé la suppression de l'article 32 en projet, en se fondant sur le principe de la non-indemnisation des servitudes d'utilité publique (amendement n° 121, Doc.parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1992-1993, n° A-165/2, pp. 176-177).

Cet amendement a conduit à la suppression de cet article au terme des considérations suivantes : « Le Secrétaire d'Etat fait observer que le classement est une servitude d'utilité publique et non une expropriation. Une servitude d'utilité publique ne donne en principe pas lieu à indemnisation, sauf disposition légale expresse.

Un membre se déclare fort surpris par l'amendement. Le Conseil d'Etat n'avait émis aucune observation sur l'article 32. En outre, une servitude d'utilité publique a souvent une portée limitée, alors que le classement concerne l'ensemble du bien. Il est logique que le propriétaire soit indemnisé de son préjudice au cas où le classement entraîne une moins-value du bien.

Par ailleurs, un problème se pose en cas de classement d'un immeuble faisant l'objet d'un permis ou d'un certificat d'urbanisme délivré antérieurement et valable.

Selon le Secrétaire d'Etat, il est normal que le Conseil d'Etat n'ait pas émis d'observation à propos de l'article 32 : le législateur a la faculté de prévoir une indemnisation. A titre d'exemple, une indemnisation est prévue par le décret wallon et pas par le décret flamand. La Région bruxelloise n'a pas les moyens de prévoir simultanément un mécanisme de subsidiation des travaux aux bâtiments classés et un système d'indemnisation.

Plusieurs membres soulignent que l'article 32 initial était directement inspiré de l'article 37 de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme (repris dans l'article 79 de l'ordonnance du 29 août 1991 organique de la planification et de l'urbanisme) et de l'article 26 du décret CCF du 7 juillet 1987 relatif à la protection du patrimoine culturel immobilier de la Communauté française.

D'une part, le droit à l'indemnisation prévu par ces législations n'est pas absolu et est soumis à des conditions. D'autre part, il est apparu nécessaire en matière de classement d'opter pour une prudence maximale : ouvrir un droit à l'indemnisation entraînerait des charges financières trop élevées.

Concernant le cas d'un projet de construction rendu impossible par un classement postérieur à la délivrance d'un permis de bâtir, la Cour de cassation a estimé, dans un arrêt du 16 mars 1990 en cause les S.A. ' SOBIFAC ' et ' ARER ' contre la Communauté flamande, que ' l'établissement, par une loi ou un décret, d'une servitude d'utilité publique ou d'une restriction du droit de propriété dans l'intérêt public ne confère pas un droit à une indemnité au propriétaire du fond servant à moins que la loi ou le décret n'en dispose autrement '.

Plusieurs membres posent le problème du classement des sites.

Quand un terrain repris en zone d'habitat avec un PPAS en vigueur est acheté de bonne foi par des particuliers qui souhaitent y construire un logement, qu'un certificat ou un permis d'urbanisme est délivré et que postérieurement le terrain est classé come site, la moins-value encourue par le propriétaire doit pouvoir être indemnisée. Il conviendrait au minimum que l'ordonnance habilite l'Exécutif à régler le cas en équité. Supprimer l'article est excessif.

Le Secrétaire d'Etat rappelle que la loi de 1931 prévoyait effectivement une indemnité pour les sites et pas pour les monuments.

Il faut toutefois tenir compte du caractère spécifique de la Région bruxelloise. Par ailleurs, le projet prévoit une possibilité de subvention pour les travaux à effectuer aux sites classés, ce qui n'existait pas dans la loi de 1931.

Un autre membre fait observer que la Région est complètement zonée par le plan de secteur. Le cas évoqué ci-dessus devrait donc ouvrir un droit à l'indemnité prévue par l'article 79 de l'ordonnance du 29 août 1991.

Plusieurs membres estiment que cet article ne pourra pas s'appliquer à la situation visée : en effet, l'interdiction de bâtir naît du classement du terrain et pas d'une décision urbanistique.

Un membre observe que le cas du petit propriétaire empêché de bâtir par le classement de son terrain relève des principes généraux du droit et devrait être tranché en équité par les tribunaux. La suppression de l'article 32 du projet n'entraîne pas l'abrogation des articles 11 de la Constitution et 544 du Code civil.

Le Secrétaire d'Etat souligne également la possibilité réservée au propriétaire de demander l'expropriation de son bien (article 29, § 3) ou encore les mécanismes de subsidiation. Il insiste pour qu'on n'adopte pas une disposition légale qui pourrait être utilisée contre la Région » (Doc. parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1992-1993, n° A-165/2, pp. 70-71).

B.8.1. L'article 16 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».

L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.

Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».

B.8.2. Cette disposition de droit international ayant une portée analogue à celle de l'article 16 de la Constitution, les garanties qu'elle contient forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans cette disposition constitutionnelle, de sorte que la Cour en tient compte lors de son contrôle des dispositions en cause.

B.8.3. L'article 1er du Protocole précité offre non seulement une protection contre une expropriation ou une privation de propriété (premier alinéa, deuxième phrase) mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase) et contre toute réglementation de l'usage des biens (deuxième alinéa).

La limitation du droit de propriété impliquée par une interdiction de bâtir, qui règle l'« usage des biens conformément à l'intérêt général », au sens du deuxième alinéa de l'article 1er du Premier Protocole additionnel, relève donc du champ d'application de cette disposition conventionnelle, combinée avec l'article 16 de la Constitution.

B.8.4. Toute ingérence dans le droit de propriété doit réaliser un juste équilibre entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens. Il faut qu'existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.

B.9.1. Le seul fait que l'autorité impose des restrictions au droit de propriété dans l'intérêt général n'a pas pour conséquence qu'elle soit tenue à indemnisation.

L'établissement, par une disposition légale ou en vertu d'une telle disposition, d'une servitude d'utilité publique ou d'une restriction d'un droit de propriété dans l'intérêt public ne confère pas, en principe, un droit à une indemnité au propriétaire du fonds servant (Cass., 16 mars 1990, Pas., 1990, I, n° 427).

B.9.2. Le législateur ordonnanciel a certes choisi d'instaurer un régime d'indemnisation des moins-values liées à une interdiction de bâtir « lorsque l'interdiction de bâtir ou de lotir résultant d'un plan revêtu de la force obligatoire met fin à l'usage auquel un bien est normalement destiné au jour précédent l'entrée en vigueur dudit plan dans la mesure où ses dispositions ont valeur réglementaire et force obligatoire » (article 81 du CoBAT).

Les requérants évoquent également l'article 7 de la loi du 7 août 1931 sur la conservation des monuments et des sites, qui prévoit que les propriétaires et autres intéressés ont droit à « une indemnité à charge de l'Etat pour le préjudice que leur occasionnent les restrictions apportées à leurs droits », ou l'article 371 du Code wallon de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et du patrimoine, qui prévoit la possibilité pour les propriétaires de demander « une indemnité à charge de la Région lorsqu'une interdiction de bâtir ou de lotir résultant uniquement du classement d'un bien immobilier met fin à l'utilisation ou l'affectation de ce bien au jour précédant l'entrée en vigueur de l'arrêté de classement ».

B.9.3. L'existence de ces différents régimes d'indemnisation ne signifie cependant pas qu'une interdiction de bâtir doive toujours faire l'objet d'une indemnisation.

B.10.1. Une mesure de classement emporte, par son objet et par ses effets, une restriction de l'utilisation du bien protégé.

Pareille limitation du droit de propriété, imposée dans l'intérêt général au terme de la procédure rappelée en B.5, est justifiée au regard de l'intérêt spécifique - historique, archéologique, artistique, esthétique, scientifique, social, technique ou folklorique, au sens de l'article 206, 1°, du CoBAT - que présente le bien classé pour la conservation du patrimoine bruxellois.

La limitation du droit de propriété qu'emportent les effets de toute mesure de classement, visés par l'article 232 du CoBAT en cause, ne peut être considérée comme requérant une indemnisation que si la charge qu'elle impose au propriétaire concerné est disproportionnée par rapport à l'objectif de protection du patrimoine poursuivi par la mesure de classement (voy. e.a. CEDH, 15 juillet 2011, Varfis c.

Grèce, § § 29 et 30).

B.10.2. Dans l'hypothèse d'une interdiction de bâtir résultant d'une mesure de classement, bien que les propriétaires concernés ne soient pas expropriés, ils se trouvent néanmoins fondamentalement affectés dans leur droit de propriété portant sur un terrain destiné à être bâti, notamment quand un permis de lotir a, comme en l'espèce, été délivré antérieurement.

Si un tel permis de lotir ne confère à son titulaire aucun droit inconditionnel ou immuable de bâtir, en raison de possibles modifications de la politique immobilière, il peut néanmoins faire naître une espérance légitime de pouvoir utiliser le bien conformément à cette destination.

B.10.3. Il convient par ailleurs de souligner que le législateur ordonnanciel a choisi d'instaurer un mécanisme de subsidiation lorsque des travaux de conservation d'un bien classé relevant du patrimoine immobilier sont nécessaires (article 240 du CoBAT en cause).

Alors que ce régime de subsides traduit le souci de faire participer la collectivité aux frais inhérents à la conservation du patrimoine immobilier classé, et partant d'alléger les charges imposées dans l'intérêt général aux propriétaires concernés, il est d'autant moins justifié de refuser toute indemnisation lorsque la charge imposée aux propriétaires concernés par la mesure de classement consiste en une interdiction de bâtir.

B.10.4. En ne prévoyant pas un régime d'indemnisation de la moins-value résultant d'une interdiction de bâtir, dans l'hypothèse visée en B.3, le législateur ordonnanciel porte une atteinte disproportionnée au droit des propriétaires concernés, en méconnaissance de l'article 16 de la Constitution combiné avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. En raison de ce constat de violation, il n'est pas nécessaire de contrôler les dispositions en cause au regard des articles 10 et 11 de la Constitution.

B.11. La question préjudicielle appelle une réponse positive.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 232 et 240 du Code bruxellois de l'aménagement du territoire violent l'article 16 de la Constitution, combiné avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'ils n'organisent pas un régime d'indemnisation d'une interdiction de bâtir résultant d'une mesure de classement.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 23 janvier 2014.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels

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