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Arrêt
publié le 31 juillet 2014

Extrait de l'arrêt n° 84/2014 du 22 mai 2014 Numéro du rôle : 5692 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 13 et 14 de la section 2bis du livre III, titre VIII, chapit(...) La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges L. Lavr(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 84/2014 du 22 mai 2014 Numéro du rôle : 5692 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 13 et 14 de la section 2bis (« Des règles particulières aux baux commerciaux ») du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil, posées par le Tribunal de commerce de Tongres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 28 juin 2013 en cause de la SA « Lepaco » et de la SA « Coenen Holding » contre la SA « Jadir », dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 3 juillet 2013, le Tribunal de commerce de Tongres a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 14 de la loi sur les baux commerciaux viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 1.1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que le locataire commercial qui n'a pas demandé le renouvellement du bail commercial conformément à l'article 14 précité se voit automatiquement dépouillé de la propriété de son fonds de commerce, ou en voit tout au moins considérablement baisser la valeur, alors que le fait qu'un renouvellement du bail soit demandé ou non n'a pas de conséquences semblables pour le bailleur (en tant que partie contractante à la même convention) ? 2. Les articles 13 et 14 de la loi sur les baux commerciaux, combinés ou non avec l'article 1736 du Code civil, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 1.1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que le bail commercial prend automatiquement fin à l'expiration du terme (stipulé), alors que la loi sur le bail à ferme (article 4) et la loi sur les baux d'habitation (article 3, § A [lire : art. 3, § 1er, alinéa 3]) dérogent expressément au principe de droit commun contenu dans l'article 1736 du Code civil et prévoient une prolongation automatique du bail ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 13 de la section 2bis (« Des règles particulières aux baux commerciaux ») du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil (ci-après : la loi sur les baux commerciaux) dispose : « Le preneur a le droit d'obtenir, par préférence à toute autre personne, le renouvellement de son bail pour la continuation du même commerce, soit à l'expiration de celui-ci, soit à l'expiration du premier ou à l'expiration du deuxième renouvellement, pour une durée de neuf années, sauf accord des parties constaté par un acte authentique ou par une déclaration faite devant le juge. Ce droit est limité à trois renouvellements.

Toutefois, si le bailleur ou l'un des bailleurs est mineur au moment du renouvellement du bail, la durée de celui-ci peut être restreinte à la période restant à courir jusqu'à sa majorité ».

L'article 14 de la loi sur les baux commerciaux dispose : « Le preneur désireux d'exercer le droit au renouvellement doit, à peine de déchéance, le notifier au bailleur par exploit d'huissier de justice ou par lettre recommandée dix-huit mois au plus, quinze mois au moins, avant l'expiration du bail en cours. La notification doit indiquer, à peine de nullité, les conditions auxquelles le preneur lui-même est disposé à conclure le nouveau bail et contenir la mention qu'à défaut de notification par le bailleur, suivant les mêmes voies et dans les trois mois, de son refus motivé de renouvellement, de la stipulation de conditions différentes ou d'offres d'un tiers, le bailleur sera présumé consentir au renouvellement du bail aux conditions proposées.

A défaut d'accord entre parties, le sous-locataire qui, en vue de sauvegarder ses droits à l'égard du bailleur, comme prévu à l'article 11, II, alinéa 2, lui a dénoncé sa demande, cite le locataire principal et le bailleur dans les trente jours de la réponse négative reçue de l'un d'entre eux, ou si l'un ou l'autre se sont abstenus de répondre, dans les trente jours qui suivent l'expiration du délai de trois mois. Le bailleur qui n'a pas pris attitude à l'égard du sous-locataire peut, en cours d'instance, dans les délais qui lui sont impartis par le juge, invoquer son droit de reprise ou subordonner le renouvellement à des conditions différentes.

Si le preneur, forclos du droit au renouvellement, est, après l'expiration du bail, laissé en possession des lieux loués, il s'opère un nouveau bail d'une durée indéterminée, auquel le bailleur pourra mettre fin moyennant un congé de dix-huit mois au moins, sans préjudice du droit, pour le preneur, de demander le renouvellement.

Dès le début du dix-huitième mois qui précède l'expiration du bail en cours, le preneur doit autoriser la visite des lieux par les amateurs éventuels conformément aux usages ».

B.2. Les dispositions précitées confèrent au preneur le droit d'obtenir, par préférence à toute autre personne, le renouvellement du bail (article 13) et règlent la façon dont ce droit doit être exercé (article 14). Si le preneur s'abstient d'exercer son droit dans le délai fixé par la loi, le bail commercial prend fin à l'expiration de la durée convenue et le preneur, aux termes de la première question préjudicielle, « se voit automatiquement dépouillé de la propriété de son fonds de commerce » ou verrait, tout au moins, considérablement baisser la valeur de ce dernier.

Le juge a quo demande à la Cour si ce fait viole les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. Il compare la situation du preneur, d'une part, avec celle du bailleur (première question préjudicielle) et, d'autre part, avec celles du preneur d'une habitation et du preneur d'un bail à ferme (seconde question préjudicielle), pour lesquels le fait de demander ou non le renouvellement du bail n'a pas d'effets similaires.

B.3. Selon la règle de droit commun, un bail cesse de plein droit à l'expiration du terme fixé, sans qu'il soit nécessaire de donner congé (article 1737 du Code civil).

En matière de bail à loyer et de bail à ferme, le législateur a prévu une exception à cette règle : à défaut d'un congé notifié dans les délais, le bail à loyer et le bail à ferme sont prorogés, selon le cas, pour une durée de trois ans (article 3, § 1er, alinéa 3, de la loi du 20 janvier 1991 relative aux baux à loyer) ou de neuf ans (article 4 de la loi du 4 novembre 1969 sur le bail à ferme).

Le législateur n'a pas prévu de prolongation automatique du bail commercial.

B.4. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 30 avril 1951 que le législateur entendait assurer une certaine stabilité au preneur d'un fonds de commerce et trouver dans le même temps un point d'équilibre entre les intérêts du preneur et ceux du bailleur.

Il a été exposé que la loi répondait « au souci de garantir les intérêts économiques et sociaux légitimes des Classes moyennes contre l'instabilité et les sources d'abus que comporte le régime de la liberté absolue des conventions de bail » et que « son but [était] triple : 1° donner au preneur commerçant des garanties de durée et d'initiative; 2° lui assurer le renouvellement du bail quand le propriétaire n'a pas de raisons fondées de disposer autrement des lieux et, à offre égale, la préférence à tout tiers enchérisseur; 3° établir à son profit diverses indemnités sanctionnant soit la fraude à la loi, soit la concurrence illicite ou l'appropriation de la clientèle à l'occasion d'une fin de bail, soit enfin l'enrichissement sans cause » (Doc. parl., Chambre, 1947-1948, n° 20, pp. 2 et 4).

Il a été souligné qu'un « point d'équilibre [était] à trouver entre la protection du fonds de commerce, au sens large, et le respect des intérêts légitimes des propriétaires d'immeubles » et qu'il convenait « de concilier les intérêts en présence » (Doc. parl., Sénat, 1948-1949, n° 384, pp. 2 et 3).

B.5. L'intérêt du preneur consiste en la possibilité de poursuivre l'exploitation de son fonds de commerce, lequel doit être considéré comme un bien au sens de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme (voy. notamment CEDH, grande chambre, 25 mars 1999, Iatridis c. Grèce, § 54). L'intérêt du bailleur est également lié à sa propriété, plus précisément le libre usage de son bien au sens de la disposition conventionnelle précitée (voy. notamment CEDH, grande chambre, 28 juillet 1999, Immobiliari Saffi c. Italie, § 46).

Toute ingérence dans le droit de propriété doit réaliser un juste équilibre entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens. Il faut qu'existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.

B.6. Bien que le législateur n'ait pas prévu une prorogation automatique du bail commercial à l'expiration du terme, les dispositions en cause confèrent au preneur le droit d'obtenir, par préférence à toute autre personne, le renouvellement de son bail pour la continuation du même commerce, soit à l'expiration du bail, soit à l'expiration du premier ou du second renouvellement, pour une durée de neuf années, sauf accord des parties constaté par un acte authentique ou par une déclaration faite devant le juge (article 13 de la loi sur les baux commerciaux). Il suffit que le preneur désireux d'exercer le droit au renouvellement le notifie au bailleur par exploit d'huissier ou par lettre recommandée dix-huit mois au plus, quinze mois au moins, avant l'expiration du bail en cours. La notification doit indiquer, à peine de nullité, les conditions auxquelles le preneur lui-même est disposé à conclure le nouveau bail et contenir la mention qu'à défaut de notification par le bailleur, suivant les mêmes voies et dans les trois mois, de son refus motivé de renouvellement, de la stipulation de conditions différentes ou d'offres d'un tiers, le bailleur sera présumé consentir au renouvellement du bail aux conditions proposées (article 14 de la même loi).

Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail dans des conditions déterminées (article 16 de la même loi).

B.7. Compte tenu du large pouvoir d'appréciation dont il dispose dans les matières socio-économiques, le législateur a réalisé un juste équilibre entre les intérêts en cause dans le cadre d'une réglementation globale du bail commercial, d'où résultent des droits et des obligations pour les deux parties contractantes. Le législateur n'a pas excédé sa marge d'appréciation en imposant aux opérateurs économiques une attention particulière et la notification, dans les délais impartis, de leur volonté de renouveler le bail.

Par son arrêt n° 72/97 du 25 novembre 1997, la Cour a jugé : « que le droit au renouvellement, organisé par la loi du 30 avril 1951, implique dans le chef du bailleur, par rapport au droit commun des contrats, une limitation substantielle de sa liberté contractuelle, en ce qui concerne tant l'effet de son silence que les motifs qu'il peut avancer pour écarter l'offre. Compte tenu de ces conséquences, il se conçoit que le législateur ait souhaité garantir au bailleur une information certaine sur les obligations qui sont les siennes en matière de renouvellement ».

En outre, le législateur a tempéré, en faveur du preneur, la sanction de l'inobservation des formalités et délais dans le cadre d'une demande de renouvellement du bail, en précisant qu'il s'opère un nouveau bail d'une durée indéterminée si le preneur, forclos du droit au renouvellement, est laissé en possession des lieux loués après l'expiration du bail (article 14, alinéa 3, de la loi sur les baux commerciaux).

B.8. Enfin, lorsqu'elle examine la constitutionnalité des dispositions qui lui sont soumises, la Cour ne peut pas tenir compte, comme les appelantes devant le juge a quo le souhaitent, du comportement déloyal allégué et de la mauvaise foi de l'intimée dans le litige qui est à l'origine des questions préjudicielles. Il revient, le cas échéant, au juge a quo d'y donner une suite appropriée.

B.9. Les dispositions en cause ne portent pas atteinte de façon discriminatoire au droit de propriété dont dispose le preneur sur son fonds de commerce.

B.10. Les questions préjudicielles appellent une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 13 et 14 de la section 2bis (« Des règles particulières aux baux commerciaux ») du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 22 mai 2014.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Alen

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