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Arrêt
publié le 05 août 2014

Extrait de l'arrêt n° 88/2014 du 6 juin 2014 Numéro du rôle : 5653 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 219 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Louvain. La Cour consti composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snapp(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 88/2014 du 6 juin 2014 Numéro du rôle : 5653 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 219 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Louvain.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 10 mai 2013 en cause de la SPRL « DVB Racing » contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 7 juin 2013, le Tribunal de première instance de Louvain a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 219 du Code des impôts sur les revenus 1992 viole-t-il les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, combinés avec l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce que, lorsqu'il est satisfait aux conditions légales de l'article 219, alinéa 1er, du CIR 1992 et que le contribuable ne démontre pas que le montant des dépenses visées à l'article 57 du CIR 1992 ou des avantages de toute nature visés aux articles 31, alinéa 2, 2°, et 32, alinéa 2, 2°, du CIR 1992 est compris dans une déclaration introduite par le bénéficiaire conformément à l'article 305 du CIR 1992, le juge ne peut pas modérer la cotisation alors que celle-ci revêt un caractère pénal et que le droit pénal commun prévoit la possibilité pour le juge d'adapter la peine à la situation individuelle du prévenu et alors qu'en vertu du principe de proportionnalité, la gravité de la peine ne peut pas être disproportionnée à l'infraction ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur la cotisation distincte à l'impôt des sociétés établie sur les « commissions secrètes ». La disposition en cause est l'article 219 du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 1992), telle que cette disposition s'appliquait à l'exercice d'imposition 2009.

L'article 219 du CIR 1992 dispose : « Une cotisation distincte est établie à raison des dépenses visées à l'article 57 et des avantages de toute nature visés aux articles 31, alinéa 2, 2°, et 32, alinéa 2, 2°, qui ne sont pas justifiés par la production de fiches individuelles et d'un relevé récapitulatif ainsi qu'à raison des bénéfices dissimulés qui ne se retrouvent pas parmi les éléments du patrimoine de la société, et des avantages financiers ou de toute nature visés à l'article 53, 24°.

Cette cotisation est égale à 300 p.c. de ces dépenses, avantages de toute nature et bénéfices dissimulés.

Ne sont pas considérées comme des bénéfices dissimulés, les réserves visées à l'article 24, alinéa 1er, 2° à 4°.

Cette cotisation n'est pas applicable si le contribuable démontre que le montant des dépenses, visées à l'article 57 ou des avantages de toute nature visés aux articles 31, alinéa 2, 2°, et 32, alinéa 2, 2°, est compris dans une déclaration introduite par le bénéficiaire conformément à l'article 305 ».

Avec l'article 219bis du même Code, cette disposition constitue la section II (« Cotisations distinctes ») du chapitre III (« Calcul de l'impôt ») du titre III (« Impôt des sociétés ») du CIR 1992.

B.1.2. L'article 57 du CIR 1992, tel qu'il était applicable à l'exercice d'imposition 2009, disposait : « Les dépenses ci-après ne sont considérées comme des frais professionnels que si elles sont justifiées par la production de fiches individuelles et d'un relevé récapitulatif établis dans les formes et délais déterminés par le Roi : 1° commissions, courtages, ristournes commerciales ou autres, vacations ou honoraires occasionnels ou non, gratifications, rétributions ou avantages de toute nature qui constituent pour les bénéficiaires des revenus professionnels imposables ou non en Belgique, à l'exclusion des rémunérations visées à l'article 30, 3°;2° rémunérations, pensions, rentes ou allocations en tenant lieu, payées aux membres du personnel, aux anciens membres du personnel ou à leurs ayants droit, à l'exclusion des avantages sociaux exonérés dans le chef des bénéficiaires;3° indemnités forfaitaires allouées aux membres du personnel en remboursement de frais effectifs propres à l'employeur ». B.1.3. L'article 305 du CIR 1992, tel qu'il était applicable à l'exercice d'imposition 2009, disposait : « Les contribuables assujettis à l'impôt des personnes physiques, à l'impôt des sociétés ou à l'impôt des personnes morales, ainsi que les contribuables assujettis à l'impôt des non-résidents, conformément aux articles 232 à 234 et 248 § 2, sont tenus de remettre, chaque année, à l'administration des contributions directes une déclaration dans les formes et délais précisés aux articles 307 à 311.

Si le contribuable est décédé ou en état d'incapacité légale, l'obligation de déclarer incombe dans le premier cas, aux héritiers ou aux légataires ou donataires universels et dans le second cas, au représentant légal.

Pour les sociétés dissoutes sans liquidation dans le cadre d'une fusion, d'une opération assimilée à une fusion ou d'une scission visées aux articles 671 à 677 du Code des sociétés, ou d'une opération de droit des sociétés similaire en droit étranger, l'obligation de déclarer incombe selon le cas à la société absorbante ou aux sociétés bénéficiaires. Pour les autres sociétés dissoutes, cette obligation incombe aux liquidateurs.

Les contribuables ne sachant ni lire, ni signer, peuvent faire remplir leur déclaration par les agents du service de taxation compétent, à condition qu'ils donnent les indications requises. Dans ce cas, il est fait mention de ladite circonstance dans la déclaration et celle-ci est revêtue de la signature de l'agent qui l'a remplie.

Les déclarations peuvent aussi être souscrites par un mandataire, qui doit alors justifier du mandat général en vertu duquel il agit ».

B.2. Les faits de la cause dont est saisi le juge a quo, les motifs de la décision de renvoi et la formulation de la question préjudicielle permettent de déduire que le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de la disposition en cause, pour l'exercice d'imposition 2009, avec les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, combinés avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'elle instaure une différence de traitement entre les contribuables vis-à-vis desquels le juge ne peut pas modérer la cotisation distincte, « alors que celle-ci revêt un caractère pénal », et les prévenus en droit pénal commun pour lesquels le juge répressif dispose de la possibilité d'adapter la peine à la situation individuelle du prévenu « et alors qu'en vertu du principe de proportionnalité, la gravité de la peine ne peut pas être disproportionnée à l'infraction ».

B.3.1. Le Conseil des ministres objecte que la question préjudicielle ne traite pas de situations comparables, au motif que le juge a quo se fonde sur une prémisse erronée : la cotisation distincte, prévue par l'article 219 du CIR 1992, ne saurait être qualifiée de sanction pénale.

B.3.2. L'exception de non-comparabilité soulevée par le Conseil des ministres revient en fait à contester l'interprétation de la disposition que le juge soumet au contrôle de la Cour par la question préjudicielle en ce qui concerne la qualification de la mesure qu'elle instaure. Il n'y a cependant aucune raison de mettre en cause cette qualification.

B.3.3. Il apparaît de la formulation de la question préjudicielle que le juge a quo estime que la cotisation distincte de l'article 219 du CIR 1992 revêt un caractère pénal. Les motifs du jugement de renvoi précisent en quoi la cotisation distincte doit être considérée, selon le juge a quo, comme une mesure à caractère pénal au sens de la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour examine si tel est le cas.

B.3.4. La cotisation distincte à l'impôt des sociétés tend à contraindre les contribuables à respecter leur obligation de fournir à l'administration fiscale, dans la forme légale et dans le délai légal, les informations qui lui permettent de procéder à l'imposition des bénéficiaires.

Depuis la modification législative du 30 mars 1994, il s'avère qu'outre cet objectif légitime, le législateur a voulu combattre la fraude, la cotisation distincte étant appliquée sans distinction à tout contribuable et visant entre autres à sanctionner le contribuable qui ne respecte pas ses obligations, afin d'éviter la récidive des infractions (Doc. parl., Chambre, 1993-1994, n° 1290/6, pp. 45-46 et p. 86). Il peut dès lors être admis que le juge a quo considère que la cotisation distincte prévue par l'article 219 du CIR 1992 présente, à tout le moins en partie, un caractère répressif et constitue une sanction de nature pénale au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour européenne des droits de l'homme a décidé par ailleurs que le caractère général de dispositions législatives relatives à des majorations d'impôt et le but des pénalités, tout à la fois dissuasif et répressif, peuvent suffire à montrer que le contribuable a fait l'objet d'une accusation en matière pénale au sens de l'article 6.1 de la Convention (CEDH, 23 juillet 2002, Janosevic c. Suède, § 68).

B.3.5. Dès lors que les deux catégories de personnes visées par la question préjudicielle sont comparables dans la mesure indiquée en B.3.4, l'exception du Conseil des ministres est rejetée.

B.4. Le système de taxation des commissions secrètes résulte de plusieurs modifications législatives successives. Les travaux préparatoires de ces différentes adaptations montrent que le législateur entendait combattre certaines formes d'abus. Il a dès lors instauré une « corrélation entre, d'une part, la déductibilité des montants dans le chef de celui qui les paie et, d'autre part, l'' imposabilité ' de ces montants au nom des bénéficiaires » (Doc. parl., Chambre, 1972-1973, n° 521/7, p. 38).

Il est légitime que le législateur veille à prévenir la fraude fiscale et à protéger les intérêts du Trésor, par souci de justice et pour remplir au mieux les tâches d'intérêt général dont il a la charge.

B.5.1. Dès lors qu'il a été admis en B.3.4 que la cotisation distincte peut présenter un caractère répressif, la Cour prend en compte, dans le contrôle qu'elle exerce au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, les garanties contenues dans l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et, notamment, la garantie qu'un juge indépendant et impartial doit pouvoir exercer un contrôle de pleine juridiction sur la cotisation distincte établie par l'autorité administrative compétente.

B.5.2. Les garanties contenues à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme n'exigent pas que toute personne à charge de laquelle est établie une cotisation distincte, qualifiée de sanction pénale au sens de cette disposition, puisse se voir appliquer les mêmes mesures d'adoucissement de la peine que celles dont bénéficie la personne à laquelle est infligée une sanction qualifiée de pénale au sens du droit interne.

B.6. Lorsque le législateur estime que certains manquements à des dispositions législatives doivent faire l'objet d'une répression, il relève de son pouvoir d'appréciation de décider s'il est opportun d'opter pour des sanctions pénales sensu stricto ou pour une cotisation distincte. Le choix d'une mesure spécifique ne peut être considéré comme établissant en soi une discrimination.

Il n'y aurait discrimination que si la différence de traitement qui découle de ce choix impliquait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.

B.7. L'appréciation de la gravité d'un manquement et la sévérité avec laquelle ce manquement peut être puni relèvent du pouvoir d'appréciation du législateur. Il peut imposer des peines particulièrement lourdes dans des matières où les infractions sont de nature à porter gravement atteinte aux droits fondamentaux des individus et aux intérêts de la collectivité.

C'est dès lors au législateur qu'il appartient de fixer les limites et les montants dans le cadre desquels le pouvoir d'appréciation de l'administration et, par conséquent, celui du tribunal, doit s'exercer. La Cour ne pourrait censurer un tel système que s'il portait une atteinte disproportionnée au principe général qui exige qu'en matière de sanctions rien de ce qui appartient au pouvoir d'appréciation de l'administration n'échappe au contrôle du juge (arrêt n° 138/2006 du 14 septembre 2006, B.7.2).

B.8.1. L'article 219 du CIR 1992 est incompatible avec les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, s'il est interprété en ce sens qu'il n'autorise pas le juge à exercer un contrôle de pleine juridiction sur la cotisation distincte.

Ce contrôle doit en effet permettre au juge de vérifier si cette décision est justifiée en fait et en droit et si elle respecte l'ensemble des dispositions législatives et des principes généraux qui s'imposent à l'administration, parmi lesquels le principe de proportionnalité.

B.8.2. Ainsi, lorsqu'il est saisi d'un recours contre une cotisation distincte (article 219 du CIR 1992), le juge doit pouvoir exercer un tel contrôle.

B.9. Dans l'interprétation mentionnée en B.8.1, la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

B.10. L'article 219 du CIR 1992 peut cependant recevoir une autre interprétation, selon laquelle cette disposition ne s'oppose pas à ce que le juge, saisi d'un recours contre une cotisation distincte, exerce une compétence de pleine juridiction au sens de ce qui est mentionné en B.8.1.

Dans cette interprétation, la question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - Interprété en ce sens qu'il interdit au juge d'exercer un contrôle de pleine juridiction sur la cotisation distincte, l'article 219 du Code des impôts sur les revenus 1992 viole les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, combinés avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme. - Interprété en ce sens qu'il n'interdit pas au juge d'exercer un contrôle de pleine juridiction sur la cotisation distincte, l'article 219 du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, combinés avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 6 juin 2014.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, A. Alen

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