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Arrêt
publié le 25 juin 2015

Extrait de l'arrêt n° 28/2015 du 12 mars 2015 Numéro du rôle : 5697 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 19quater du décret de la Communauté flamande du 27 mars 1991 relatif au statut de certains membres du personnel de l La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges E. De G(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 28/2015 du 12 mars 2015 Numéro du rôle : 5697 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 19quater du décret de la Communauté flamande du 27 mars 1991 relatif au statut de certains membres du personnel de l'enseignement subventionné et des centres subventionnés d'encadrement des élèves, posée par le Conseil d'Etat.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 224.262 du 4 juillet 2013 en cause de Marianne de Moffarts contre la Communauté flamande, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 11 juillet 2013, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 19quater du décret du 27 mars 1991 relatif au statut de certains membres du personnel de l'enseignement subventionné et des centres subventionnés d'encadrement des élèves, tel qu'il a été inséré par le décret du 8 mai 2009 relatif à l'enseignement XIX, viole-t-il l'article 129, § 2, de la Constitution en ce que cette disposition s'applique indistinctement dans la région de langue néerlandaise, en ce compris les communes à statut linguistique spécial ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle concerne l'article 19quater du décret du 27 mars 1991 relatif au statut de certains membres du personnel de l'enseignement subventionné et des centres subventionnés d'encadrement des élèves (ci-après : « le décret sur le statut du personnel de l'enseignement subventionné »), tel qu'il a été inséré par l'article VIII.34 du décret du 8 mai 2009 relatif à l'enseignement XIX et complété par l'article VII.18 du décret du 9 juillet 2010 relatif à l'enseignement XX. L'article 19quater dispose : « Si la langue administrative n'est pas la même langue que la langue d'enseignement, le membre du personnel appartenant à une fonction de sélection ou de promotion du personnel directeur et enseignant, à un service d'encadrement pédagogique, à la fonction de collaborateur administratif ou à une fonction du personnel administratif, doit maîtriser la langue administrative au niveau B1 du Cadre européen commun de Référence pour Langues.

Si la langue administrative n'est pas la même langue que la langue d'enseignement, le membre du personnel n'étant pas visé à l'alinéa premier doit maîtriser la langue administrative au niveau A2 du Cadre européen commun de Référence pour Langues.

Un membre du personnel remplit les exigences linguistiques en matière de langue administrative, s'il est porteur d'un titre obtenu dans la langue administrative auprès d'un établissement d'enseignement néerlandophone agréé, financé ou subventionné par la Communauté flamande ».

B.2. La juridiction a quo interroge la Cour sur la question de savoir si l'article 19quater du décret sur le statut du personnel de l'enseignement subventionné viole l'article 129, § 2, de la Constitution, en ce que cette disposition est applicable à l'ensemble de la région de langue néerlandaise, en ce compris aux communes à statut linguistique spécial.

Il résulte de l'arrêt de renvoi que la partie requérante devant le Conseil d'Etat est une enseignante, membre du personnel d'une école francophone fondamentale relevant de l'enseignement libre subventionné située dans une commune à statut linguistique spécial, à savoir Wezembeek-Oppem. La Cour limite son examen à la situation du personnel de l'enseignement libre subventionné, telle qu'elle est réglée par l'alinéa 2 de la disposition en cause.

B.3.1. L'article 129, § 1er, 1° et 2°, et § 2, de la Constitution dispose : « § 1er. Les Parlements de la Communauté française et de la Communauté flamande, chacun pour ce qui le concerne, règlent par décret, à l'exclusion du législateur fédéral, l'emploi des langues pour : 1° les matières administratives;2° l'enseignement dans les établissements créés, subventionnés ou reconnus par les pouvoirs publics; [...] § 2. Ces décrets ont force de loi respectivement dans la région de langue française et dans la région de langue néerlandaise, excepté en ce qui concerne : - les communes ou groupes de communes contigus à une autre région linguistique et où la loi prescrit ou permet l'emploi d'une autre langue que celle de la région dans laquelle ils sont situés. Pour ces communes, une modification aux règles sur l'emploi des langues dans les matières visées au § 1er ne peut être apportée que par une loi adoptée à la majorité prévue à l'article 4, dernier alinéa; [...] ».

B.3.2. Il ressort de la disposition précitée que les Parlements de la Communauté française et de la Communauté flamande peuvent régler par décret, chacun pour ce qui le concerne, à l'exclusion du législateur fédéral, l'emploi des langues pour les matières précitées.

Ces décrets ont force de loi respectivement dans la région de langue française et dans la région de langue néerlandaise, excepté en ce qui concerne les communes ou groupes de communes contigus à une autre région linguistique et où la loi prescrit ou permet l'emploi d'une autre langue que celle de la région dans laquelle ils sont situés.

B.3.3. Il s'ensuit que pour ces communes, le législateur fédéral est seul compétent pour régler l'emploi des langues pour les deux matières précitées et qu'une modification aux règles sur l'emploi des langues dans ces deux matières ne peut être apportée que par une loi adoptée à la majorité prévue à l'article 4, dernier alinéa, de la Constitution.

B.3.4. Cette compétence pour régler l'emploi des langues, qu'elle appartienne à l'autorité fédérale ou aux communautés, est distincte des compétences matérielles respectives de l'autorité fédérale, des communautés et des régions, entre autres la compétence des communautés en matière d'enseignement.

B.4.1. Selon le Gouvernement flamand, l'article en cause ne règle pas l'emploi des langues au sens de l'article 129, § 1er, 1° et 2°, de la Constitution, mais l'enseignement tel qu'il est visé par l'article 127, § 1er, alinéa 1er, 2°, de la Constitution.

B.4.2. L'article 127, § 1er, alinéa 1er, 2°, et § 2, de la Constitution dispose : « § 1er. Les Parlements de la Communauté française et de la Communauté flamande, chacun pour ce qui le concerne, règlent par décret : [...] 2° l'enseignement, à l'exception : a) de la fixation du début et de la fin de l'obligation scolaire;b) des conditions minimales pour la délivrance des diplômes;c) du régime des pensions; [...] § 2. Ces décrets ont force de loi respectivement dans la région de langue française et dans la région de langue néerlandaise, ainsi qu'à l'égard des institutions établies dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale qui, en raison de leurs activités, doivent être considérées comme appartenant exclusivement à l'une ou à l'autre communauté ».

B.5.1. Lors de la révision de la Constitution du 24 décembre 1970, certaines compétences relatives à l'enseignement furent pour la première fois attribuées aux communautés culturelles. Lors de la même révision, la compétence de régler l'emploi des langues pour l'enseignement dans les établissements créés, subventionnés ou reconnus par les pouvoirs publics leur fut également attribuée. Les décrets en matière d'enseignement et les décrets en matière d'emploi des langues pour l'enseignement dans les établissements créés, subventionnés ou reconnus par les pouvoirs publics avaient dès ce moment des champs d'application territoriaux différents : alors que les premiers étaient applicables dans toute la région linguistique correspondante ainsi qu'en région bilingue de Bruxelles-capitale à l'égard des institutions qui, en raison de leurs activités, doivent être considérées comme appartenant exclusivement à la communauté correspondante, les seconds étaient seulement applicables dans la région linguistique correspondante, à l'exception des communes à statut linguistique spécial (Doc. parl., Chambre, 1970-1971, n° 10-31/5, pp. 2-3).

B.5.2. Lors de la révision de la Constitution du 15 juillet 1988, l'ensemble de la matière de l'enseignement, à l'exception des trois matières actuellement citées à l'article 127, § 1er, alinéa 1er, 2°, de la Constitution, fut attribué aux communautés. La répartition territoriale de la compétence en matière d'emploi des langues pour l'enseignement dans les établissements créés, subventionnés ou reconnus par les pouvoirs publics ne fut pas modifiée à cette occasion, mais le Constituant ajouta que les modifications à la législation linguistique relative entre autres à l'enseignement, notamment dans les six communes périphériques, ne pouvaient plus être réalisées que par des lois à majorité spéciale : « L'article 59bis, § 4, alinéa 2, soustrait au champ d'application territorial des décrets des communautés relatif à l'emploi des langues, les communes ou groupes de communes contigus à une autre région linguistique et où la loi prescrit ou permet l'emploi d'une autre langue que celle de la région où elle est située. Ainsi, la réglementation de l'emploi des langues dans ces communes ressortit à la compétence du pouvoir national.

Toutefois, comme le régime linguistique applicable à ces communes intéresse les deux communautés linguistiques, il s'indique de préciser dans la Constitution que la législation linguistique applicable à ces communes ne peut être modifiée que par une loi adoptée à la majorité visée à l'article 1er, dernier alinéa, de la Constitution » (Doc. parl., Sénat, S.E., 1988, n° 100-2/1°, p. 5).

Lors des discussions relatives à cette modification constitutionnelle, le ministre des Réformes institutionnelles (N) précisa : « les dispositions qui régiront [l'école située dans une commune à facilités et dispensant un enseignement dans une autre langue que celle de la région] seront celles contenues dans la loi du 30 juillet 1963 et ce, aussi longtemps que cette législation restera inchangée » (Doc. parl., Chambre, 1988, n° 10/59b - 456/4, p. 30).

B.5.3. Ces révisions constitutionnelles qui ont transféré les compétences en matière d'enseignement aux communautés n'ont pas modifié la compétence de l'autorité fédérale de régler l'emploi des langues pour l'enseignement dans les établissements créés, subventionnés ou reconnus par les pouvoirs publics, dans les communes à statut linguistique spécial, dont les communes périphériques.

B.5.4. La compétence, visée à l'article 127, § 1er, alinéa 1er, 2°, de la Constitution, des communautés en matière d'enseignement leur permet ainsi de régler l'enseignement d'une langue déterminée en tant que matière du programme scolaire mais non l'emploi des langues pour l'enseignement dans les établissements créés, subventionnés ou reconnus par les pouvoirs publics. C'est cette dernière compétence qui est mentionnée à l'article 129, § 1er, 2°, de la Constitution.

B.6. Selon l'exposé des motifs du projet de décret relatif à l'enseignement XIX, il était nécessaire d'adapter les conditions linguistiques applicables au personnel de l'enseignement « pour diverses raisons », telles que le manque d'harmonisation par rapport au Cadre européen commun de référence pour les langues, la non-prise en compte des connaissances linguistiques acquises ailleurs par un candidat, leur caractère inapproprié par rapport aux idées modernes et l'obstacle que constitue la méthode actuelle de certification des connaissances linguistiques nécessaires dans le cadre d'un recrutement normal (Doc. parl., Parlement flamand, 2008-2009, n° 2159/1, p. 89).

B.7. L'article 19quater, en cause, du décret sur le statut du personnel de l'enseignement subventionné concerne spécifiquement le personnel des établissements d'enseignement dans lesquels la langue administrative n'est pas la même que la langue d'enseignement et impose des conditions de connaissance linguistique aux personnes désignées à titre temporaire dans un établissement d'enseignement subventionné par l'autorité flamande. Aux termes de l'article 31, alinéa 1er, du décret sur le statut du personnel de l'enseignement subventionné, cette condition de connaissance linguistique s'applique également aux membres du personnel nommés à titre définitif. La disposition en cause ne règle pas une matière relevant de l'enseignement.

B.8.1. La Cour doit examiner si le règlement de ces connaissances linguistiques pour les enseignants des écoles libres subventionnées relève de la compétence de régler l'emploi des langues pour l'enseignement dans les établissements créés, subventionnés ou reconnus par les pouvoirs publics.

B.8.2. Dans les matières pour lesquelles le Constituant n'a pas attribué la compétence de régler l'emploi des langues soit au législateur fédéral, soit aux législateurs communautaires, la compétence de régler une matière déterminée comprend celle d'imposer des connaissances linguistiques à la condition qu'existe un lien suffisamment étroit entre la matière concernée et les exigences en cause et à la condition que ces exigences n'aillent pas au-delà de ce qui peut être considéré comme nécessaire pour l'accomplissement raisonnable des tâches concernées.

B.8.3. Il n'en va pas de même dans les matières pour lesquelles le Constituant a attribué la compétence de régler l'emploi des langues à un législateur déterminé. En effet, la compétence de régler la connaissance des langues est, en principe, le corollaire de la compétence de régler l'emploi des langues. Il appartient à l'autorité compétente pour régler l'emploi des langues de déterminer également le niveau de connaissance linguistique requis pour pouvoir satisfaire aux obligations en matière d'emploi des langues et de déterminer la manière dont la preuve de la connaissance linguistique exigée peut être rapportée. Lorsque le législateur fédéral est compétent, en vertu de la Constitution, pour régler l'emploi des langues dans une matière déterminée, il l'est également pour régler la connaissance linguistique dans cette matière. De même, lorsque les communautés sont compétentes, en vertu de la Constitution, pour régler l'emploi des langues dans une matière déterminée, elles le sont également pour régler la connaissance linguistique dans cette matière.

B.9.1. Il s'ensuit que la compétence, visée à l'article 129, § 1er, 2°, de la Constitution, de régler « l'emploi des langues pour l'enseignement dans les établissements créés, subventionnés ou reconnus par les pouvoirs publics » comprend également la compétence d'imposer, en cette matière, des connaissances linguistiques aux enseignants.

B.9.2. En ce qu'elle impose la connaissance d'une langue déterminée à des enseignants, la disposition en cause relève de la compétence de régler l'emploi des langues pour l'enseignement prévue par l'article 129, § 1er, 2°, et § 2, de la Constitution. En effet, dès lors que le Constituant a désigné un législateur compétent pour régler l'emploi des langues dans les établissements créés, subventionnés ou reconnus par les pouvoirs publics sur un territoire déterminé, les conditions de connaissance linguistiques imposées aux enseignants en cette matière doivent être considérées comme un corollaire nécessaire de cette compétence.

B.10. La circonstance que, ainsi que la Cour l'a jugé par son arrêt n° 65/2006 du 3 mai 2006, certaines conditions de connaissances linguistiques puissent être imposées en sus par le législateur fédéral aux enseignants des établissements de l'enseignement communal subventionné ne porte pas atteinte au fait que les connaissances linguistiques imposées au personnel enseignant de l'enseignement libre subventionné relèvent de la compétence relative à l'emploi des langues pour l'enseignement dans les établissements créés, subventionnés ou reconnus par les pouvoirs publics.

Par cet arrêt, la Cour a jugé que ces enseignants font partie du personnel communal et, à ce titre, relèvent des obligations, en matière d'emploi des langues et de connaissances linguistiques, prescrites par les articles 23 et 27 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, dès lors que ces établissements sont situés dans une commune à statut linguistique spécial (B.13 à B.16).

En ce qu'elle vise les enseignants des établissements de l'enseignement libre subventionné, la disposition en cause n'a pas pour destinataires des personnes nommées ou promues à une fonction ou à un emploi dans les services locaux des communes périphériques au sens de l'article 27 des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative (C.E., arrêts n° 209.127 et n° 209.128 du 24 novembre 2010). Elle ne saurait dès lors relever de la compétence de régler l'emploi des langues pour les matières administrative visée par l'article 129, § 1er, 1°, et § 2, de la Constitution.

B.11. Dès lors que la compétence de régler l'emploi des langues pour l'enseignement dans les établissements d'enseignement créés, subventionnés ou reconnus par les pouvoirs publics et qui sont situés dans les communes à statut linguistique spécial revient, en vertu de l'article 129, § 2, de la Constitution, au législateur fédéral, le législateur décrétal n'est pas compétent pour adopter la disposition en cause. Cette disposition n'est dès lors pas conforme à l'article 129, § 2, de la Constitution.

B.12. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 19quater, alinéa 2, du décret de la Communauté flamande du 27 mars 1991 relatif au statut de certains membres du personnel de l'enseignement subventionné et des centres subventionnés d'encadrement des élèves viole l'article 129, § 2, de la Constitution, en ce qu'il s'applique aux membres du personnel d'une école francophone fondamentale relevant de l'enseignement libre subventionné située dans une commune à statut linguistique spécial.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 12 mars 2015.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Alen

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