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Arrêt
publié le 27 novembre 2015

Extrait de l'arrêt n° 127/2015 du 24 septembre 2015 Numéro du rôle : 6044 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 33 et 171 du Code des impôts sur les revenus 1992, tels qu'ils étaient applicables à l'exercice d'imposition La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De G(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 127/2015 du 24 septembre 2015 Numéro du rôle : 6044 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 33 et 171 du Code des impôts sur les revenus 1992, tels qu'ils étaient applicables à l'exercice d'imposition 1994, posée par le Tribunal de première instance de Namur, division Namur.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 11 septembre 2014 en cause de Sylvie Defoin contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 29 septembre 2014, le Tribunal de première instance de Namur, division Namur, a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 33 et 171 du Code des impôts sur les revenus 1992, tels qu'ils étaient applicables pour l'exercice fiscal d'imposition 1994, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que 1) les indemnités de l'espèce ou similaires sont imposées distinctement pour toutes les autres catégories de redevables qui recueillent ces indemnités à savoir notamment : - les indemnités incluses dans les bénéfices des entreprises industrielles, commerciales ou agricoles (articles 25, 6°, a), et 171, alinéa 1er, 1°, c), du Code des impôts sur les revenus 1992); - les indemnités recueillies par les titulaires de professions libérales, charges ou offices, ou qui exercent une occupation lucrative (articles 27, alinéa 2, 4°, a), et 171, alinéa 1er, 1, c) du Code des impôts sur les revenus 1992); - les indemnités recueillies par les travailleurs (article 31, alinéa 2, 3°, et 171, 5°, a) du Code des impôts sur les revenus 1992); - les indemnités recueillies par les administrateurs (Cass. 19 décembre 1967, deux arrêts, Pas. 1968. I.541); 2) sans même distinguer si l'associé a une participation substantielle ou dérisoire dans le capital de la société, sans que ces discriminations au détriment des seuls associés actifs soient objectivement justifiées ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur les articles 33 et 171 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : CIR 1992), tels qu'ils étaient applicables à l'exercice d'imposition 1994.

L'article 33 précité disposait : « Les rémunérations des associés actifs sont toutes les rétributions qui constituent, pour le bénéficiaire, le produit de l'activité professionnelle exercée en qualité d'associé dans une société de personnes.

Elles comprennent notamment : 1° toutes les sommes allouées par une société de personnes, autres que des dividendes ou des remboursements de dépenses propres à la société;2° les avantages, indemnités et rémunérations d'une nature analogue à celles qui sont visées à l'article 31, alinéa 2, 2° à 5°. Lorsqu'un associé actif d'une société donne un bien immobilier bâti en location à celle-ci, le loyer et les avantages locatifs sont, par dérogation à l'article 7, considérés comme des rémunérations d'associé actif, dans la mesure où ils excèdent les cinq tiers du revenu cadastral revalorisé en fonction du coefficient visé à l'article 13.

De ces rémunérations ne sont pas déduits les frais relatifs au bien immobilier donné en location ».

L'article 31, alinéa 2, 3°, du CIR 1992 cite, parmi les rétributions qui constituent, pour le travailleur, le produit de son travail au service d'un employeur, « les indemnités obtenues en raison ou à l'occasion de la cessation de travail ou de la rupture d'un contrat de travail ». En vertu de l'article 33 en cause, les indemnités de dédit versées à un associé actif à l'occasion de la fin de ses activités au sein de la société font donc partie de sa rémunération.

L'article 171 précité disposait : « Par dérogation aux articles 130 à 168, sont imposables distinctement, sauf si l'impôt ainsi calculé, majoré de l'impôt afférent aux autres revenus, est supérieur à celui que donnerait l'application desdits articles à l'ensemble des revenus imposables : [...] 5° au taux moyen afférent à l'ensemble des revenus imposables de la dernière année antérieure pendant laquelle le contribuable a eu une activité professionnelle normale : a) les indemnités dont le montant brut dépasse 25.000 francs, payées contractuellement ou non, ensuite de la cessation de travail ou de la rupture d'un contrat de travail; [...] c) les bénéfices ou profits d'une activité professionnelle antérieure visés à l'article 28, alinéa 1er, 2° et 3°, a; [...] ».

L'article 28, alinéa 1er, 2°, vise les revenus qui sont obtenus ou constatés postérieurement à la cessation et qui proviennent de l'activité professionnelle antérieure. Le même article, alinéa 1er, 3°, a, vise les indemnités de toute nature obtenues postérieurement à la cessation en compensation ou à l'occasion d'un acte quelconque susceptible d'avoir entraîné une réduction de l'activité, des bénéfices ou des profits.

B.2. L'article 171 du CIR 1992 déroge, pour les revenus qu'il énumère, au principe de la globalisation, en vertu duquel le revenu imposable à l'impôt des personnes physiques est constitué de l'ensemble des revenus nets, soit la somme des revenus nets des catégories énumérées dans l'article 6 du CIR 1992, à savoir les revenus des biens immobiliers, les revenus des capitaux et biens mobiliers, les revenus professionnels et les revenus divers, diminuée des dépenses déductibles mentionnées aux articles 104 à 116 du CIR 1992. L'impôt est calculé sur cette somme selon les règles fixées aux articles 130 et suivants.

L'article 171 du CIR 1992 fixe un mode de calcul particulier de l'impôt et des taux d'imposition spéciaux pour certains revenus, à condition toutefois que le régime de l'addition de tous les revenus imposables, en ce compris ceux qui peuvent être imposés distinctement, ne s'avère pas plus avantageux pour le contribuable.

B.3. Par l'article 23 de la loi du 20 novembre 1962 portant réforme des impôts sur les revenus, qui est devenu plus tard l'article 93 du CIR 1964 et l'article 171 du CIR 1992, le législateur a voulu éviter les conséquences sévères que l'application rigoureuse de la progressivité de l'impôt des personnes physiques entraînerait pour les contribuables qui recueillent certains revenus ayant un caractère plutôt exceptionnel. Selon les travaux préparatoires de l'article 23, qui a instauré les impositions distinctes, le législateur a voulu « freiner la progressivité de l'impôt, lorsque le revenu imposable comprend des revenus non périodiques » (Doc. parl., Chambre, 1961-1962, n° 264/1, p. 85; ibid., n° 264/42, p. 126).

B.4. La Cour est invitée à examiner la différence de traitement créée par les dispositions en cause entre les associés actifs de sociétés de personnes qui perçoivent une indemnité par suite de la cessation de leur fonction dans la société et « toutes les autres catégories de redevables » qui recueillent des indemnités semblables et qui bénéficient du taux distinct pour l'imposition de ces indemnités.

Par « toutes les autres catégories de redevables », le juge a quo vise notamment les redevables percevant des indemnités incluses dans les bénéfices des entreprises industrielles, commerciales ou agricoles, les titulaires de professions libérales, charges ou offices et les personnes exerçant une occupation lucrative, les travailleurs et les administrateurs. La question préjudicielle précise en outre qu'il pourrait être pertinent de distinguer les situations dans lesquelles l'associé actif a une participation « substantielle » dans le capital de la société des situations dans lesquelles il n'a qu'une participation « dérisoire ».

B.5. Dès lors qu'il ressort du jugement a quo que le litige pendant devant le tribunal concerne l'imposition d'une indemnité de dédit versée à un associé actif d'une société de personnes au moment où il a été mis fin à ses fonctions au sein de la société, la Cour compare la situation de cette catégorie de contribuables avec ceux qui perçoivent une indemnité « ensuite de la cessation de travail ou de la rupture d'un contrat de travail » et qui, en application de l'article 171, 5°, a), du CIR 1992, précité, voient cette indemnité imposée à un taux distinct correspondant au taux moyen afférent à l'ensemble des revenus imposables de la dernière année antérieure pendant laquelle ils ont eu une activité professionnelle normale.

B.6. L'article 171, 5°, a), du CIR 1992 est applicable aux indemnités de dédit versées aux travailleurs salariés lors de la rupture de leur contrat de travail.

Par deux arrêts du 19 décembre 1967, la Cour de cassation a jugé que l'article 35, § 1er, alinéa 2, des lois relatives aux impôts sur les revenus, coordonnées par l'arrêté du Régent du 15 janvier 1948, qui contenait une disposition semblable à l'article 171, 5°, a), du CIR 1992 en cause, était « nécessairement applicable aux indemnités de dédit payées à des administrateurs de sociétés par actions » (Cass., 19 décembre 1967, Pas., 1968, I, p. 541). Par un arrêt du 16 mars 1990, cette Cour a également décidé que l'article 93 du CIR 1964 précité « est aussi applicable à l'indemnité payée, contractuellement ou non, par une société par actions à un de ses administrateurs, ensuite de cessation du travail rémunéré effectué réellement par ce dernier au sein de la société dans le cadre d'une fonction réelle et permanente, en vertu d'une mission ou d'un contrat » (Cass., 16 mars 1990, Pas., 1990, I, n° 430). En revanche, par un arrêt du 12 octobre 1989, la même Cour avait considéré qu'en refusant d'appliquer l'article 93, § 1er, 3°, a), du CIR 1964 à une indemnité de dédit versée à un associé actif d'une société de personnes à responsabilité limitée qui était considéré comme un indépendant, de sorte qu'il ne travaillait pas dans les liens d'un contrat de travail, la cour d'appel avait légalement motivé sa décision (Cass., 12 octobre 1989, Pas., 1990, I, n° 91).

B.7. Le juge a quo interprète la disposition en cause, conformément aux arrêts de la Cour de cassation précités, comme étant applicable aux indemnités de dédit versées aux administrateurs de sociétés de capitaux, mais non aux indemnités semblables versées aux associés actifs de sociétés de personnes. La Cour examine la différence de traitement mentionnée dans la question préjudicielle dans cette interprétation de la disposition et compare dès lors la situation des travailleurs salariés et des administrateurs de sociétés bénéficiant d'une indemnité ensuite de la cessation de leurs fonctions, d'une part, et celle des associés actifs de sociétés de personnes bénéficiant de la même indemnité, d'autre part.

B.8. Ainsi qu'il apparaît de l'objectif poursuivi par l'article 171 du CIR 1992 rappelé en B.3, les indemnités de dédit versées, contractuellement ou non, à un contribuable en raison de la cessation du travail ou de la rupture d'un contrat de travail échappent à la globalisation et sont imposées à un taux distinct parce qu'elles constituent des revenus non périodiques et qu'elles ont un caractère exceptionnel. Par cette mesure, le législateur évitait de désavantager les personnes recueillant en une fois une somme qui aurait dû, s'il n'avait pas été mis fin à leur travail, être perçue sur plusieurs exercices fiscaux.

B.9. Les indemnités de dédit recueillies par un associé actif d'une société de personnes, en compensation de la fin de son activité au sein de la société, sont, comme les indemnités de dédit recueillies par les salariés et celles qui sont versées aux administrateurs de société dans les mêmes circonstances, non périodiques et exceptionnelles. Il n'est dès lors pas justifié de leur appliquer un traitement fiscal différent.

Par ailleurs, il n'apparaît pas en quoi l'objectif de ne pas désavantager le contribuable recueillant ces indemnités au cours d'un seul exercice fiscal ne devrait pas être poursuivi à l'égard des associés actifs de sociétés de personnes, alors qu'il l'est en ce qui concerne les salariés ou les administrateurs de sociétés.

B.10. Le Conseil des ministres estime que la possibilité qu'elle donne lieu à des abus s'oppose à l'application de l'article 171, 5°, a), du CIR 1992 aussi bien aux administrateurs de sociétés qu'aux associés actifs de sociétés de personnes. Il évoque la circonstance que ces catégories de personnes ont un pouvoir de décision dans la société, contrairement aux salariés travaillant sous contrat de travail et donc dans un lien de subordination, sans toutefois indiquer précisément en quoi cette circonstance pourrait mener à des abus.

Un risque d'abus, non autrement spécifié, ne saurait justifier qu'une catégorie de contribuables se voie refuser le bénéfice d'une disposition visant à corriger les conséquences inéquitables de la globalisation des revenus en vue du calcul de l'impôt lorsque celle-ci s'applique à des sommes recueillies de manière exceptionnelle et non périodique, alors que les autres catégories de contribuables se trouvant dans une situation semblable en bénéficient.

B.11. Dans l'interprétation selon laquelle il ne s'applique pas aux indemnités de dédit recueillies par un associé actif lorsque la société met fin à son activité au sein de cette société, l'article 171, 5°, a), n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.12. La Cour observe toutefois que l'article 171, 5°, a), est susceptible de recevoir une autre interprétation. En effet, en visant les indemnités payées « ensuite de la cessation de travail ou de la rupture d'un contrat de travail », cette disposition ne limite pas son champ d'application aux indemnités recueillies par les salariés liés par un contrat de travail, mais vise également les indemnités versées en contrepartie de la cessation d'autres situations de travail rémunéré. Rien, dans les travaux préparatoires de la disposition, n'indique que le législateur a eu l'intention de limiter cette mesure aux seuls travailleurs liés par un contrat de travail.

Ainsi interprétée, cette disposition ne crée pas la différence de traitement en cause dans la question préjudicielle.

B.13. Dans l'interprétation selon laquelle il s'applique aux indemnités de dédit recueillies par un associé actif lorsque la société met fin à son activité au sein de cette société, l'article 171, 5°, a), est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - Interprété comme n'étant pas applicable aux indemnités de dédit recueillies par un associé actif lorsque la société met fin à son activité en son sein, l'article 171, 5°, a), du Code des impôts sur les revenus 1992, tel qu'il était applicable à l'exercice d'imposition 1994, viole les articles 10 et 11 de la Constitution. - Interprétée comme étant applicable aux indemnités de dédit recueillies par un associé actif lorsque la société met fin à son activité en son sein, la même disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 24 septembre 2015.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels

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