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Arrêt
publié le 25 mars 2016

Extrait de l'arrêt n° 17/2016 du 3 février 2016 Numéro du rôle : 6114 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 42, § 2, 2°, du décret flamand du 22 décembre 1995 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1996 La Cour constitutionnelle, composée du juge A. Alen, président faisant fonction, du président J.(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 17/2016 du 3 février 2016 Numéro du rôle : 6114 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 42, § 2, 2°, du décret flamand du 22 décembre 1995 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1996, posée par le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée du juge A. Alen, président faisant fonction, du président J. Spreutels, et des juges J.-P. Snappe, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le juge A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 31 octobre 2014 en cause de An Ruyters contre la Région flamande, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 10 décembre 2014, le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 42, § 2, 2°, du décret flamand du 22 décembre 1995 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1996, tel qu'il a été modifié par l'article 7 du décret du 8 juillet 1997, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il prévoit uniquement une exonération de la taxe pour les propriétaires en pleine propriété, usufruitiers, emphytéotes et superficiaires de bâtiments et/ou habitations qui sont classés comme monuments en vertu du décret du 3 mars 1976 réglant la protection des monuments et des sites urbains et ruraux et pour lesquels un dossier de prime de restauration déclaré recevable a été introduit auprès de l'autorité compétente (auquel cas l'exemption est limitée à la période de traitement du dossier) ou pour lesquels l'autorité compétente atteste que le bâtiment et/ou l'habitation classé peut être préservé dans l'état existant, alors que, conformément à l'article 4, dernier alinéa, du décret du 19 avril 1995 portant des mesures visant à lutter contre et à prévenir la désaffectation et l'abandon de sites d'activité économique, les sites d'activité économique désaffectés et/ou inoccupés ne sont pas repris dans l'inventaire lorsque ceux-ci sont classés comme monuments dans le cadre du décret du 3 mars 1976, sans que d'autres conditions soient imposées, ce qui s'assimile, pour les propriétaires de ces sites d'activité économique, à une exonération illimitée dans le temps de la taxe ? ».

Le 6 janvier 2015, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs E. Derycke et P. Nihoul ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de mettre fin à l'examen de l'affaire par un arrêt rendu sur procédure préliminaire. (...) Par ordonnance du 4 février 2015, la Cour a décidé de poursuivre l'examen de l'affaire suivant la procédure ordinaire. (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur l'article 42, § 2, 2°, du décret flamand du 22 décembre 1995 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1996 (ci-après : le décret du 22 décembre 1995), tel qu'il a été modifié par l'article 7 du décret du 8 juillet 1997 contenant diverses mesures d'accompagnement de l'ajustement du budget 1997 (ci-après : le décret du 8 juillet 1997), et avant son abrogation par l'article 12.1.10 du décret du 12 juillet 2013 relatif au patrimoine immobilier.

L'article 42, § 2, 2°, tel qu'il était applicable au litige soumis au juge a quo, disposait : « Est exempt de la redevance, le titulaire d'un droit réel, tel que visé à l'article 27, sur un des bâtiments et/ou des habitations visés ci-après : [...] 2° les bâtiments et/ou habitations classés comme monument en vertu du décret du 3 mars 1976 réglant la protection des monuments et des sites urbains et ruraux et pour lesquels : a) soit un dossier de restauration recevable a été introduit auprès de l'autorité compétente pendant le délai de traitement;b) soit l'autorité compétente atteste que le bâtiment et/ou l'habitation classé peut être préservé dans l'état existant. L'attestation mentionne le délai et les listes comportant les bâtiments et/ou habitations, pour lesquels l'exemption est accordée ».

B.1.2. L'article 4, dernier alinéa, du décret du 19 avril 1995 portant des mesures visant à lutter contre et à prévenir la désaffectation et l'abandon de sites d'activité économique (ci-après : le décret sur les sites d'activité économique) avant son abrogation par l'article 12.1.8 du décret du 12 juillet 2013 relatif au patrimoine immobilier, disposait : « Ne sont toutefois pas enregistrés dans l'Inventaire : 1° des sites d'activité économique faisant l'objet d'une décision d'expropriation ou d'une procédure d'expropriation;2° les sites d'activité économique qui, dans le cadre du décret du 3 mars 1976 réglant la protection des monuments et des sites urbains et ruraux, sont protégés comme monument ou comme site urbain ou rural, ou qui sont repris par arrêté ministériel dans un projet de liste de protection dans le cadre du décret précité ». B.2. Le juge a quo invite la Cour à examiner si la disposition en cause viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elle prévoit uniquement une exonération temporaire et conditionnelle de la taxe pour les titulaires de droits réels sur des bâtiments et/ou habitations qui sont classés comme monuments, alors que, conformément à l'article 4, dernier alinéa, du décret sur les sites d'activité économique, il est prévu une exonération définitive de la taxe pour les titulaires de droits réels sur des sites d'activité économique qui sont classés comme monuments, étant donné que les sites d'activité économique précités ne sont pas repris dans l'inventaire, sans que d'autres conditions soient imposées.

B.3.1. Les décrets mentionnés dans la question préjudicielle - à savoir, d'une part, le décret du 22 décembre 1995 et, d'autre part, le décret sur les sites d'activité économique - s'inscrivent dans le cadre de la politique menée par le législateur décrétal en vue d'améliorer la qualité de l'environnement de vie et d'habitat.

Selon le législateur décrétal, l'abandon, l'inoccupation et la qualité douteuse de certaines habitations sont « les symptômes et la cause [...] de la détérioration du climat de vie, de l'infériorisation sociale des occupants et finalement du délitement du tissu social » (Doc. parl., Conseil flamand, 1995-1996, n° 147/1, pp. 15-16).

En matière d'inoccupation et d'abandon des sites d'activité économique, le législateur décrétal considère également que « de tels immeubles [...] exercent en outre une influence négative sur l'environnement, ce qui a pour effet que certains quartiers avoisinants se trouvent également entraînés dans la spirale de la taudisation. De tels sites d'activité économique inoccupés et/ou abandonnés doivent dès lors être considérés comme des zones à problèmes, tant du point de vue économique que du point de vue de la recherche d'un cadre de vie et de logement de qualité » (Doc. parl., Conseil flamand, 1993-1994, n° 591/1, p. 2).

B.3.2. En instaurant les taxes d'inoccupation, le législateur décrétal poursuit un triple objectif. Les taxes ont avant tout un effet dissuasif, elles constituent ensuite une sanction à l'égard de ceux qui, par l'inoccupation et l'abandon, contribuent à la dégradation de la qualité de vie et de l'environnement et, en troisième lieu, elles sont une source de financement d'initiatives qui améliorent la qualité de vie et de l'environnement (Doc. parl., Conseil flamand, 1995-1996, n° 147/1, p.16; Doc. parl., Conseil flamand, 1993-1994, n° 591/1, pp. 3-47).

B.3.3. Le décret du 22 décembre 1995 taxe les bâtiments inoccupés et/ou abandonnés ainsi que les habitations inoccupées, abandonnées, inadaptées ou déclarées inhabitables. Conformément à l'article 24, 6°, de ce décret, tel qu'il est applicable au litige soumis au juge a quo, l'habitation est « tout bien immeuble ou partie de celui-ci destiné principalement à servir de logement d'une famille ou d'une personne vivant seule ».

Le décret sur les sites d'activité économique taxe les sites d'activité économique inoccupés et/ou abandonnés. En vertu de l'article 2 de ce décret, un site d'activité économique est « l'ensemble de toutes les parcelles sur lesquelles se trouve au moins un bâtiment à usage professionnel, à considérer comme une seule entité où des activités économiques ont eu lieu ou ont lieu. Cet ensemble a une superficie minimale de cinq ares. Est exclu, le site d'activité économique dans lequel l'habitation du propriétaire constitue une partie intégrante, ne pouvant en être dissociée, du bâtiment à usage professionnel et est encore effectivement utilisée comme résidence ».

Les deux décrets peuvent être considérés comme complémentaires en ce sens que toute inoccupation et/ou tout abandon d'un bien immeuble est en principe soumis à une taxe d'inoccupation (voy. aussi Doc. parl., Conseil flamand, 1995-1996, n° 147/1, p. 17).

B.4.1. La question préjudicielle requiert une comparaison entre le titulaire d'un droit réel visé à l'article 27 du décret du 22 décembre 1995 sur un bâtiment ou une habitation inoccupé et/ou abandonné qui est classé comme monument en vertu du décret du 3 mars 1976 réglant la protection des monuments et sites urbains et ruraux (ci-après : le décret du 3 mars 1976), d'une part, et le propriétaire d'un site d'activité économique inoccupé et/ou abandonné lui aussi classé comme monument, d'autre part.

L'article 2.2 du décret cité en dernier lieu définit le monument comme « un [bien] immobilier, oeuvre de l'homme, de la nature, ou de l'homme et de la nature, et présentant un intérêt général en raison de sa valeur artistique, scientifique, historique, folklorique, archéologique, industrielle ou socio-culturelle, y compris les biens culturels qui en font partie intégrante, notamment l'équipement complémentaire et les éléments décoratifs ».

B.4.2. Le régime d'exonération en faveur des biens immobiliers classés dans le cadre du décret du 3 mars 1976 est réglé différemment dans le décret sur les sites d'activité économique et dans le décret du 22 décembre 1995.

B.4.3. Conformément à l'ancien article 4, alinéa 5, 2°, du décret sur les sites d'activité économique, les biens immobiliers qui sont classés comme monuments ou comme sites urbains ou ruraux ou qui sont repris, par arrêté ministériel, dans un projet de liste de protection dans le cadre du décret ne sont pas inscrits dans l'inventaire des sites d'activité économique totalement ou partiellement inoccupés et/ou abandonnés.

Les propriétaires de sites d'activité économique classés comme monuments ne sont dès lors pas soumis à la taxe d'inoccupation.

B.4.4. L'article 42, § 2, 2°, du décret du 22 décembre 1995 prévoyait à l'origine que les bâtiments et/ou habitations classés comme monuments ou sites urbains ou ruraux en vertu du décret du 3 mars 1976 étaient exonérés de la taxe pour la durée du traitement du dossier de restauration par l'autorité compétente.

Le décret du 8 juillet 1997 contenant diverses mesures d'accompagnement de l'ajustement du budget 1997 a limité cette exonération, pour les raisons suivantes : « Le paragraphe 2, 2°, contient trois modifications : [...] - seuls les dossiers de restauration déclarés recevables, et non pas tous les dossiers de restauration, constituent encore un motif d'exonération. Cela signifie que le titulaire d'un droit réel sur un document [lire : un monument] classé est exonéré si l'autorité compétente approuve le cahier des charges de son dossier de prime à la restauration et que les travaux entrent en principe en ligne de compte pour une prime à la restauration. L'exonération s'applique, comme par le passé, à partir de l'introduction d'une demande jugée complète jusqu'à la réception définitive des travaux; - en principe, on cherche à restaurer et à réutiliser aussi les monuments classés, mais dans certains cas ceci n'est pas souhaitable du point de vue de la conservation du patrimoine. Ainsi, la restauration, pour autant qu'elle soit encore possible, et la réutilisation d'une ruine ayant une valeur historique feraient perdre à ce bien bâti sa valeur unique. Dès lors, pour de tels immeubles qui peuvent être conservés dans leur état existant, une exonération est accordée. Les services qui sont compétents en matière de monuments sont les mieux placés pour en juger, de sorte qu'une attestation est demandée de leur part » (Doc. parl., Parlement flamand, 1996-1997, n° 660/1, p. 4).

Depuis lors, la disposition en cause ne prévoit d'exonération de la taxe d'inoccupation en faveur des titulaires de droits réels sur des bâtiments ou habitations inoccupés que lorsque le bâtiment ou l'habitation est classé comme monument et s'il est satisfait à certaines conditions. L'exonération est en outre temporaire, à savoir pour la durée du traitement du dossier de restauration ou pour la durée mentionnée dans l'attestation.

Les titulaires de droits réels sur des bâtiments ou habitations inoccupés, classés comme monuments, ne bénéficient donc plus d'une exonération définitive et inconditionnelle de la taxe.

B.5.1. Il relève du pouvoir d'appréciation du législateur décrétal de déterminer, lorsqu'il lève une taxe, les exonérations et les modalités de celle-ci. Même si le décret du 22 décembre 1995 et le décret sur les sites d'activité économique ont le même objectif et utilisent à cette fin le même instrument, à savoir une taxe d'inoccupation, ceci n'oblige toutefois pas le législateur décrétal à prévoir un régime identique en tous points. Il peut en particulier tenir compte de certaines caractéristiques spécifiques respectivement des sites d'activité économique, des bâtiments et des habitations.

B.5.2. Le législateur décrétal ne pourrait cependant, sans violer le principe d'égalité et de non-discrimination, accorder des exonérations définitives ou inconditionnelles à certains redevables et les refuser à d'autres qui leur seraient comparables, si cette différence de traitement est sans justification raisonnable.

B.6.1. En vertu de l'article 11 du décret du 3 mars 1976, les propriétaires d'un bien immobilier classé comme monument ont l'obligation de le maintenir en bon état, par les travaux de conservation ou d'entretien nécessaires, et de ne pas le défigurer, l'endommager ou le détruire.

Cette obligation garantit certes que ces biens immobiliers ne soient pas abandonnés mais elle ne les préserve pas de l'inoccupation, de sorte que le fait de soumettre à la taxe d'inoccupation les titulaires de droits réels sur des biens immobiliers classés comme monuments pourrait se justifier par rapport à l'objectif du législateur décrétal, qui consiste à lutter contre l'inoccupation et à améliorer la qualité de vie et d'environnement.

B.6.2. La Cour doit toutefois examiner ce qui pourrait justifier que les titulaires de droits réels sur des bâtiments ou habitations classés comme monuments ne pouvaient être exonérés de la taxe d'inoccupation que de manière temporaire et conditionnelle, alors que les propriétaires de sites d'activité économique classés comme monuments n'étaient à l'époque jamais soumis à la taxe d'inoccupation.

Le motif avancé à cet égard par le Gouvernement flamand, à savoir que le décret sur les sites d'activité économique ne s'applique qu'aux « grandes et véritables entreprises », pour lesquelles le propriétaire, en cas de classement du site d'activité économique comme monument, se trouve « confronté » à l'inoccupation et ne peut que très difficilement trouver une réaffectation à cause du classement comme monument, ne saurait constituer une justification suffisante de la différence de traitement.

En effet, il découle de l'article 24, 6°, du décret du 22 décembre 1995 que tout bien immobilier ou une partie de celui-ci qui est principalement affecté au logement d'un ménage ou d'un isolé doit être considéré comme « habitation », de sorte que les grands biens immeubles dans lesquels aucune activité économique n'a eu ou n'a lieu peuvent au moins en partie être considérés comme des « habitations » au sens de ce décret. Les titulaires de droits réels sur des habitations classées comme monuments peuvent donc également, en raison de la taille et de la superficie, de la nature spécifique, de la localisation et, en particulier, du classement comme monument, rencontrer les mêmes difficultés lors de la réaffectation de biens immobiliers.

Il découle également de l'article 24, 2°, du décret du 22 décembre 1995 que tout bien immeuble qui n'est pas un bâtiment à usage professionnel et n'est pas destiné principalement au logement doit être considéré comme un « bâtiment », de sorte que de grands biens immeubles dans lesquels aucune activité économique n'a eu lieu ou n'a lieu sont considérés comme des « bâtiments » au sens de ce décret. Les titulaires de droits réels sur des bâtiments classés comme monument peuvent donc également, en raison de la taille et de la superficie de leur bien, de sa nature spécifique, de sa situation et, en particulier, de son classement comme monument, éprouver les mêmes difficultés lors de la réaffectation de biens immeubles.

B.7. Il ressort de ce qui précède que le législateur décrétal a, sans justification raisonnable, traité différemment les deux catégories de contribuables décrites ci-avant.

B.8. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 42, § 2, 2°, du décret flamand du 22 décembre 1995 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1996, tel qu'il a été modifié par le décret du 8 juillet 1997 contenant diverses mesures d'accompagnement de l'ajustement du budget 1997, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il permet uniquement de manière conditionnelle d'exonérer de la taxe les titulaires de droits réels, visés à l'article 27 du même décret, sur un bâtiment ou une habitation inoccupé et/ou abandonné qui est classé comme monument en vertu du décret du 3 mars 1976 réglant la protection des monuments et des sites urbains et ruraux.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 3 février 2016.

Le greffier, F. Meersschaut Le président f.f., A. Alen

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