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Arrêt
publié le 24 mai 2016

Extrait de l'arrêt n° 33/2016 du 3 mars 2016 Numéro du rôle : 6144 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 2, 9°, et 15, § 2, du décret de la Région flamande du 19 avril 1995 portant des mesures visant à lutter con La Cour constitutionnelle, composée du juge A. Alen, faisant fonction de président, du président(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 33/2016 du 3 mars 2016 Numéro du rôle : 6144 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 2, 9°, et 15, § 2, du décret de la Région flamande du 19 avril 1995 portant des mesures visant à lutter contre et à prévenir la désaffectation et l'abandon de sites d'activité économique, posées par la Cour d'appel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée du juge A. Alen, faisant fonction de président, du président J. Spreutels, et des juges J.-P. Snappe, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le juge A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt du 24 septembre 2014 en cause de la Région flamande contre Guido De Palmenaer et Frank De Palmenaer, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 19 janvier 2015, la Cour d'appel de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « L'article 15, § 2, du décret du 19 avril 1995 [portant des mesures visant à lutter contre et à prévenir la désaffectation et l'abandon de sites d'activité économique] viole-t-il la Constitution, et en particulier l'article 134 de la Constitution juncto l'article 6 de la loi spéciale de réformes institutionnelles, en ce sens que la Région flamande est incompétente pour régler une matière fédérale exclusive, à savoir la responsabilité solidaire ? »;2. « L'article 1er [lire : 2], 9°, juncto l'article 15, § 2, du décret du 19 avril 1995 portant des mesures visant à lutter contre et à prévenir la désaffectation et l'abandon de sites d'activité économique viole-t-il le principe d'égalité inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution en ce que les nus-propriétaires dont le bâtiment à usage professionnel est par définition désaffecté pour des raisons indépendantes de leur volonté sont taxés, alors que le décret du 22 décembre 1995 taxe les usufruitiers et que les nus-propriétaires sont traités, en l'occurrence, de la même manière que les autres propriétaires d'habitations désaffectées (qui peuvent quant à eux remédier à la désaffectation) ? ». (...) III. En droit (...) Quant à la première question préjudicielle B.1. L'article 15, § 2, du décret de la Région flamande du 19 avril 1995 portant des mesures visant à lutter contre et à prévenir la désaffectation et l'abandon de sites d'activité économique (ci-après : le décret relatif à l'inoccupation de sites d'activité économique), dans sa version applicable au litige soumis au juge a quo, dispose : « Cette perception est à charge de celui qui au premier janvier de l'année d'imposition est propriétaire des biens immobiliers assujettis à la redevance. S'il y a plusieurs propriétaires des mêmes biens immobiliers, ceux-ci sont responsables solidairement de l'intégralité de la redevance ».

B.2. La Cour est interrogée sur la conformité de la disposition en cause à l'article 134 de la Constitution, combiné avec l'article 6 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, en ce qu'elle introduit la solidarité entre les propriétaires d'un même immeuble quant au paiement de la taxe d'inoccupation.

B.3.1. La taxe visant à lutter contre la désaffectation et l'abandon de sites d'activité économique, prévue par le décret relatif à l'inoccupation de sites d'activité économique, a été instaurée par la Région flamande en vertu de la compétence fiscale générale attribuée aux régions par l'article 170, § 2, de la Constitution.

B.3.2. Dans son avis relatif à l'avant-projet de décret devenu le décret en cause, la section de législation du Conseil d'Etat avait clairement affirmé que l'adoption du décret relevait de la compétence de la Région flamande : « La matière réglée dans le projet cadre [...] avec les compétences attribuées aux Régions par l'article 6, § 1er, I, 1°, 4°, 5° et 6°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Aux termes de ces dispositions, les Régions sont compétentes pour l'urbanisme et l'aménagement du territoire (1°), la rénovation urbaine (4°), la rénovation des sites d'activité économique désaffectés (5°) et la politique foncière (6°).

Les travaux préparatoires apportent la précision suivante, notamment quant au 4° : ' Cette matière comprend les travaux se rapportant à l'assainissement des sites industriels désaffectés et la rénovation des sites d'activité économique désaffectés, aussi bien pour les entreprises artisanales et les entreprises de services, que pour les entreprises industrielles ' (Doc. parl., Sénat, 1979-1980, n° 434/1, p. 12).

Il ne fait pas de doute que le régime en projet relève donc bien des compétences décrites » (Doc. parl., Conseil flamand, 1993-1994, n° 591/1, p. 53).

B.4. Il convient toutefois de vérifier si la compétence fiscale générale précitée de la Région flamande lui permet d'édicter des règles relatives à la solidarité, étant donné que cette matière relève du droit civil et par conséquent de la compétence résiduaire du législateur fédéral.

B.5. En ce qui concerne la solidarité, l'article 1202 du Code civil dispose : « La solidarité ne se présume point; il faut qu'elle soit expressément stipulée.

Cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d'une disposition de la loi ».

B.6.1. La compétence fiscale générale des régions s'étend à la fixation des modalités de recouvrement des taxes qu'elles créent. Il n'en va pas différemment de la taxe d'inoccupation. Pour fixer les modalités de recouvrement de cette taxe, le législateur décrétal peut faire usage de la possibilité prévue par l'article 1202 du Code civil et disposer que lorsque plusieurs personnes sont propriétaires du bien concerné par la taxe, elles sont tenues solidairement au paiement de celle-ci. Ce faisant, il ne règle pas la figure juridique de la solidarité.

B.6.2. En faisant usage de cette possibilité, sans modifier les règles concernées, le législateur décrétal n'empiète pas sur la compétence résiduaire du législateur fédéral.

B.7. La première question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant à la seconde question préjudicielle B.8.1. L'article 2, 9°, du décret relatif à l'inoccupation de sites d'activité économique, dans sa version applicable au litige soumis au juge a quo, dispose : « Propriétaire : toute personne en mesure de faire valoir un droit de nue-propriété entière ou partielle [lire : un droit de pleine propriété ou un droit de nue-propriété] sur le bien immeuble dont question ».

B.8.2. L'article 15, § 2, du décret relatif à l'inoccupation de sites d'activité économique a déjà été cité en B.1.

B.9. Il ressort des termes de la question préjudicielle que le juge a quo demande à la Cour si l'article 2, 9°, combiné avec l'article 15, § 2, du décret relatif à l'inoccupation de sites d'activité économique viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que les nus-propriétaires de bâtiments à usage professionnel sont redevables de la taxe, alors que dans le décret du 22 décembre 1995 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1996 (ci-après : le décret relatif aux bâtiments/habitations), ce sont les usufruitiers et les « autres propriétaires d'habitations inoccupées » qui sont désignés comme redevables de la même taxe.

La seconde question préjudicielle porte dès lors sur le traitement identique, d'une part, des nus-propriétaires de bâtiments à usage professionnel (décret relatif à l'inoccupation de sites d'activité économique) et, d'autre part, des usufruitiers de bâtiments et habitations inoccupés (décret relatif aux bâtiments/habitations) et des autres propriétaires d'habitations inoccupées, qui se trouvent cependant dans des situations différentes étant donné que les nus-propriétaires de sites d'activité économique n'ont pas la possibilité de remédier à l'inoccupation, alors que les usufruitiers et les pleins propriétaires de bâtiments ou d'habitations ont bien cette possibilité.

B.10. Contrairement à ce que soutiennent les parties défenderesses devant le juge a quo, il n'y a pas lieu d'établir une comparaison entre les nus-propriétaires de sites d'activité économique d'une superficie supérieure à 500 m2 et les nus-propriétaires de sites d'activité économique d'une superficie inférieure à 500 m2 (décret du 19 avril 1995).

En effet, les parties devant la Cour ne peuvent modifier ou étendre la portée de la question préjudicielle en désignant d'autres catégories de personnes que celles qui sont mentionnées dans la question préjudicielle, avec lesquelles il faudrait établir une comparaison supplémentaire dans le cadre du contrôle au regard des articles 10 et 11 de la Constitution.

B.11.1. Tant le décret relatif aux bâtiments/habitations que le décret relatif à l'inoccupation de sites d'activité économique s'inscrivent dans le cadre de la politique menée par le législateur décrétal en vue d'améliorer la qualité de l'environnement de vie et d'habitat.

Selon les travaux préparatoires du décret relatif aux bâtiments/habitations, l'abandon, l'inoccupation et la qualité douteuse de certaines habitations sont à la fois « les symptômes et la cause du délabrement de quartiers, de la détérioration du climat de vie, de la régression sociale des habitants et finalement de la désagrégation du tissu social et communautaire » (Doc. parl., Conseil flamand, 1995-1996, n° 147/1, p. 16).

Les travaux préparatoires du décret relatif à l'inoccupation de sites d'activité économique indiquent également : « de tels biens immeubles exercent en outre une influence négative sur l'environnement, ce qui a pour effet que certains quartiers avoisinants se trouvent également entraînés dans la spirale de la taudisation.

De tels sites d'activité économique inoccupés et/ou abandonnés doivent dès lors être considérés comme des zones à problèmes, tant du point de vue économique que du point de vue de la recherche d'un cadre de vie et de logement de qualité » (Doc. parl., Conseil flamand, 1993-1994, n° 591/1, p.2).

Par les deux décrets, le législateur décrétal poursuit le même triple objectif. Les taxes ont un effet dissuasif, elles constituent une sanction à l'égard de ceux qui, par l'inoccupation et l'abandon, contribuent à la dégradation de la qualité de vie et de l'environnement et elles sont une source de financement d'initiatives qui améliorent la qualité de la vie et de l'environnement (Doc. parl., Conseil flamand, 1995-1996, n° 147/1, p. 16; Doc. parl., Conseil flamand, 1993-1994, n° 591/1, pp. 3-47).

Les deux décrets peuvent dès lors être considérés comme complémentaires en ce sens que toute inoccupation ou tout abandon d'un bien immeuble est en principe soumis à une taxe d'inoccupation (Doc. parl., Conseil flamand, 1995-1996, n° 147/1, p. 17).

B.11.2. Le décret relatif à l'inoccupation de sites d'activité économique et le décret relatif aux bâtiments/habitations poursuivent les mêmes objectifs et recourent à cette fin au même instrument, à savoir une taxe d'inoccupation.

B.12.1. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s'oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.12.2. La Cour doit examiner si le traitement identique des nus-propriétaires de sites d'activité économique, qui ne peuvent par définition remédier à l'inoccupation, et des usufruitiers et des autres propriétaires de bâtiments et d'habitations, qui peuvent quant à eux remédier à l'inoccupation, est raisonnablement justifié.

B.13.1. Les travaux préparatoires de la disposition en cause soulignent que le nu-propriétaire pourrait tenter de récupérer le coût de la taxe qu'il a été le premier à supporter, auprès de la personne qui est responsable de l'inoccupation : « La notion de propriétaire est définie comme celui qui est en mesure de faire valoir le droit de pleine propriété ou un droit partiel de nue-propriété sur le bien immeuble dont question. Si des tiers peuvent exercer des droits quelconques (usufruit, bail, ...) sur le bien dont question et s'ils sont en fait responsables de l'inoccupation et/ou du délabrement, le propriétaire peut toujours tenter de mettre en cause leur responsabilité par la procédure civile pour récupérer ainsi le montant de la taxe » (Doc. parl., Conseil flamand, 1993-1994, n° 591/1, p. 9).

B.13.2. Le nu-propriétaire redevable de la taxe doit dès lors intenter des procédures juridictionnelles avant de pouvoir récupérer la taxe d'inoccupation qu'il a payée.

B.14.1. Compte tenu de l'objectif du législateur décrétal et des compétences régionales qui découlent de l'article 134 de la Constitution et de l'article 6, § 1er, IV, de la loi spéciale du 8 août 1980, la taxe d'inoccupation sur des sites d'activité économique est une mesure pertinente.

B.14.2. Toutefois, lorsque les nus-propriétaires de sites d'activité économique inoccupés sont, sans exception, également soumis à la taxe, la mesure est disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi par la taxe d'inoccupation de sites d'activité économique. En effet, le propre de la figure juridique de la nue-propriété est que les nus-propriétaires, qui ne disposent pas du droit d'usage et de jouissance, ne peuvent pas prendre de mesures afin de mettre un terme à l'inoccupation.

En outre, le législateur décrétal reporte ainsi sur le nu-propriétaire le risque d'insolvabilité de celui à qui incombe la faute de l'inoccupation. En cas d'insolvabilité de celui qui a causé l'inoccupation, le nu-propriétaire redevable de la taxe devra de facto supporter la charge de la taxe.

B.14.3. La circonstance que le produit de la taxe d'inoccupation de sites d'activité économique serait utilisé, contrairement à celui de la taxe d'inoccupation d'habitations et de bâtiments, pour inciter des nouveaux propriétaires de sites d'activité économique désaffectés à les réhabiliter, ne saurait constituer une justification suffisante de cette identité de traitement, étant donné que l'usufruitier responsable de l'inoccupation peut également contribuer à cet objectif.

B.14.4. La disposition en cause n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elle désigne comme redevables de la taxe qu'elle impose des nus-propriétaires de sites d'activité économique qui ne peuvent être tenus pour personnellement responsables de l'inoccupation.

B.15. Il ressort de ce qui précède que l'article 2, 9°, combiné avec l'article 15, § 2, du décret relatif à l'inoccupation de sites d'activité économique, dans leur version applicable au litige soumis au juge a quo, n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.16. La seconde question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 15, § 2, du décret de la Région flamande du 19 avril 1995 portant des mesures visant à lutter contre et à prévenir la désaffectation et l'abandon de sites d'activité économique ne viole pas l'article 134 de la Constitution, combiné avec l'article 6 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. - L'article 2, 9°, combiné avec l'article 15, § 2, du même décret viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il désigne les nus-propriétaires comme redevables de la taxe d'inoccupation qu'il impose.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 3 mars 2016.

Le greffier, F. Meersschaut Le président f.f., A. Alen

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