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Arrêt
publié le 21 octobre 2016

Extrait de l'arrêt n° 113/2016 du 22 septembre 2016 Numéros du rôle : 6153 et 6294 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 162bis du Code d'instruction criminelle, posées par le Tribunal de première instance de Liège, di La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 113/2016 du 22 septembre 2016 Numéros du rôle : 6153 et 6294 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 162bis du Code d'instruction criminelle, posées par le Tribunal de première instance de Liège, division Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure a. Par jugement du 13 janvier 2015 en cause de M.G. (partie civile), J.B. (prévenu) et le Fonds commun de garantie belge (partie intervenante volontaire), dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 11 février 2015, le Tribunal de première instance de Liège, division Liège, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 162bis du Code d'instruction criminelle viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'il prévoit que le prévenu acquitté a droit à une indemnité de procédure à charge de la partie civile qui a introduit à son encontre une citation directe mais qu'il exclut que le prévenu acquitté en instance ait droit à une indemnité de procédure d'appel à charge de la partie civile qui bien que n'ayant pas introduit de citation directe à son encontre, a néanmoins interjeté appel en l'absence de tout recours du ministère public ? ». b. Par jugement du 6 octobre 2015 en cause de la SA « Kuehne + Nagel » et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 12 novembre 2015, le Tribunal de première instance de Liège, division Liège, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 162bis du Code d'instruction criminelle viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'il prévoit que le prévenu acquitté et son civilement responsable ont droit à une indemnité de procédure à charge de la partie civile qui a introduit à leur encontre une citation directe alors qu'il exclut que le prévenu acquitté en instance et son civilement responsable aient droit à une indemnité de procédure d'appel à charge de la partie civile qui, bien que n'ayant pas introduit de citation directe à leur encontre, a néanmoins interjeté appel en l'absence de tout recours du ministère public ? ». Ces affaires, inscrites sous les numéros 6153 et 6294 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) B.1.1. L'article 162bis du Code d'instruction criminelle, inséré par l'article 9 de la loi du 21 avril 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/04/2007 pub. 31/05/2007 numac 2007009497 source service public federal justice Loi relative à la répétibilité des honoraires et des frais d'avocat type loi prom. 21/04/2007 pub. 11/10/2007 numac 2007000845 source service public federal interieur Loi relative à la répétibilité des honoraires et des frais d'avocat fermer « relative à la répétibilité des honoraires et des frais d'avocat », et modifié par l'article 3 de la loi du 21 février 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/02/2010 pub. 11/03/2010 numac 2010009184 source service public federal justice Loi modifiant les articles 1022 du Code judiciaire et 162bis du Code d'instruction criminelle et abrogeant l'article 6 de la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales type loi prom. 21/02/2010 pub. 23/06/2010 numac 2010000374 source service public federal interieur Loi modifiant les articles 1022 du Code judiciaire et 162bis du Code d'instruction criminelle et abrogeant l'article 6 de la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales. - Traduction allemande d'extraits fermer « modifiant les articles 1022 du Code judiciaire et 162bis du Code d'instruction criminelle », dispose : « Tout jugement de condamnation rendu contre le prévenu et les personnes civilement responsables de l'infraction les condamnera envers la partie civile à l'indemnité de procédure visée à l'article 1022 du Code judiciaire.

La partie civile qui aura lancé une citation directe et qui succombera sera condamnée envers le prévenu ainsi qu'envers le civilement responsable à l'indemnité visée à l'article 1022 du Code judiciaire.

L'indemnité sera liquidée par le jugement ».

B.1.2. L'article 3, précité, de la loi du 21 février 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/02/2010 pub. 11/03/2010 numac 2010009184 source service public federal justice Loi modifiant les articles 1022 du Code judiciaire et 162bis du Code d'instruction criminelle et abrogeant l'article 6 de la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales type loi prom. 21/02/2010 pub. 23/06/2010 numac 2010000374 source service public federal interieur Loi modifiant les articles 1022 du Code judiciaire et 162bis du Code d'instruction criminelle et abrogeant l'article 6 de la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales. - Traduction allemande d'extraits fermer, insérant les mots « ainsi qu'envers le civilement responsable » dans l'article 162bis, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle, n'est pas encore entré en vigueur.

Ces mots ont été insérés à la suite de l'arrêt n° 74/2009, par lequel la Cour a constaté que l'article 162bis du Code d'instruction criminelle est incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il ne permet pas au juge répressif d'accorder à la partie civilement responsable une indemnité de procédure à charge de la partie civile succombante ayant lancé une citation directe. Dès lors que le constat de la lacune qui a été fait dans cet arrêt est exprimé en des termes suffisamment précis et complets qui permettent l'application, conforme à la Constitution, de l'article 162bis, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle, tout juge peut - en attendant l'entrée en vigueur de l'article 3 de la loi du 21 février 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/02/2010 pub. 11/03/2010 numac 2010009184 source service public federal justice Loi modifiant les articles 1022 du Code judiciaire et 162bis du Code d'instruction criminelle et abrogeant l'article 6 de la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales type loi prom. 21/02/2010 pub. 23/06/2010 numac 2010000374 source service public federal interieur Loi modifiant les articles 1022 du Code judiciaire et 162bis du Code d'instruction criminelle et abrogeant l'article 6 de la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales. - Traduction allemande d'extraits fermer - mettre fin à l'inconstitutionnalité constatée par la Cour dans cet arrêt, en octroyant une indemnité de procédure à la partie civilement responsable, à charge de la partie civile succombante ayant lancé une citation directe.

B.2. Les questions préjudicielles interrogent la Cour sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution de l'article 162bis, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle en ce que cette disposition accorde une indemnité de procédure au prévenu acquitté et au civilement responsable, à charge de la partie civile qui a lancé une citation directe et qui a succombé, mais n'accorde pas une indemnité de procédure au prévenu acquitté en première instance et au civilement responsable, à charge de la partie civile qui n'a pas lancé une citation directe, mais a interjeté appel en l'absence de tout recours du ministère public.

B.3.1. L'indemnité de procédure est « une intervention forfaitaire dans les frais et honoraires d'avocat de la partie ayant obtenu gain de cause » (article 1022, alinéa 1er, du Code judiciaire, inséré par l'article 7 de la loi du 21 avril 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/04/2007 pub. 31/05/2007 numac 2007009497 source service public federal justice Loi relative à la répétibilité des honoraires et des frais d'avocat type loi prom. 21/04/2007 pub. 11/10/2007 numac 2007000845 source service public federal interieur Loi relative à la répétibilité des honoraires et des frais d'avocat fermer).

B.3.2. L'indemnité de procédure dont il est question dans la disposition en cause ne concerne que l'action civile, soit l'action pour la réparation du dommage causé par une infraction.

La disposition en cause vise donc à mettre à charge de la partie civile qui a introduit une telle action par une citation directe devant la juridiction de jugement tout ou partie des frais et honoraires d'avocat exposés par une personne qui a été, en définitive, acquittée ou par le civilement responsable, dans le cadre de l'action publique mise en mouvement par cette constitution de partie civile. En revanche, la partie civile qui n'a pas lancé de citation directe mais a greffé son action sur l'action publique introduite par le ministère public ne peut être condamnée à payer l'indemnité de procédure au prévenu acquitté et au civilement responsable.

La situation du prévenu acquitté et du civilement responsable varie donc, en matière de répétibilité, selon que les poursuites sont exercées à l'initiative de la partie civile ou du ministère public : dans le premier cas, ils peuvent bénéficier de la répétibilité, dans le second cas, non.

B.4. La disposition en cause fait partie d'un ensemble de mesures qui répondent au souci « de traiter de manière identique les justiciables qui sollicitent la réparation d'un dommage devant une juridiction civile ou une juridiction répressive » (Doc. parl., Sénat, 2006-2007, n° 3-1686/4, pp.6 et 8; ibid., n° 3-1686/5, p. 32; Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2891/002, p. 5). La condamnation prescrite par la disposition en cause est justifiée par la circonstance que c'est la partie civile, et non le ministère public, qui a « mis l'action publique en mouvement », si bien qu'elle doit être considérée comme « responsable » de cette action « à l'égard du prévenu » (Doc. parl., Sénat, 2006-2007, n° 3-1686/4, p. 8; Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2891/002, p. 6).

En ce qui concerne la situation du prévenu acquitté ou de l'inculpé bénéficiant d'un non-lieu, il est encore précisé dans les travaux préparatoires de la disposition en cause : « La répétibilité ne jouera par ailleurs pas dans les relations entre le prévenu et l'Etat, représenté par le ministère public, et ce toujours conformément à l'avis des ordres d'avocats et du Conseil supérieur de la Justice. Il faut ici relever que le ministère public, en exerçant les poursuites, représente l'intérêt général et ne peut dès lors être mis sur le même pied qu'une partie civile qui mettrait seule en mouvement l'action publique pour la défense d'un intérêt particulier » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2891/002, pp. 6-7).

B.5.1. Le législateur a pu raisonnablement considérer qu'il ne convenait pas, en raison de la mission qui lui est dévolue, d'étendre au ministère public un système selon lequel une indemnité de procédure serait automatiquement due chaque fois que son action reste sans effet.

B.5.2. Eu égard à ce qui précède, il est également justifié que la partie civile succombante ne soit pas condamnée à payer une indemnité de procédure au prévenu acquitté et au civilement responsable quand elle s'est limitée à greffer son action sur une action publique intentée par le ministère public.

En effet, le législateur a pu raisonnablement estimer que, dans ces hypothèses, même si la partie civile succombait dans ses prétentions, elle ne devait pas être considérée comme responsable des poursuites à l'encontre du prévenu (Doc. parl., Sénat, 2006-2007, n° 3-1686/5, p. 33).

Ces cas de figure sont différents de celui d'une procédure intentée devant le juge civil, laquelle, quelle que soit la manière dont elle est introduite, n'est jamais une action greffée sur une action publique qui a été mise en mouvement par le ministère public.

Il est donc justifié que la partie civile ne soit condamnée à payer l'indemnité de procédure au prévenu acquitté et au civilement responsable que quand c'est elle qui a mis l'action publique en mouvement.

B.6. Pour répondre aux questions préjudicielles, la Cour doit encore examiner si la disposition en cause est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elle n'accorde pas une indemnité de procédure d'appel au prévenu acquitté en première instance et au civilement responsable, à charge de la partie civile qui, bien qu'elle n'ait pas mis elle-même l'action publique en mouvement, a interjeté appel en l'absence de tout recours du ministère public.

B.7. La partie civile qui, seule, interjette appel d'un jugement d'acquittement lorsque l'action publique a été intentée par le ministère public prend l'initiative d'une nouvelle instance, même si elle n'est pas à l'origine de l'action introduite en première instance et qu'elle a greffé son action initiale sur l'action publique. Elle exerce ainsi un droit qui lui est propre, le droit de faire réexaminer sa cause par une juridiction supérieure.

Dès lors que le ministère public n'a pas interjeté appel, l'action de la partie civile en degré d'appel ne se greffe plus sur une action mue par l'intérêt général mais tend exclusivement à la défense d'un intérêt privé. Elle est donc à l'origine des frais et honoraires d'avocat exposés pour la procédure d'appel.

La disposition en cause qui met à charge de la partie civile qui introduit une action par citation directe une indemnité de procédure au bénéfice du prévenu acquitté et du civilement responsable, sans la mettre à charge de la partie civile qui, sans être précédée ou suivie à cet égard par le ministère public, interjette appel d'un jugement rendu sur une action publique introduite par le ministère public au bénéfice du prévenu acquitté et du civilement responsable, n'est pas raisonnablement justifiée.

B.8. Dès lors que le constat de la lacune qui a été fait en B.7 est exprimé en des termes suffisamment précis et complets qui permettent l'application de la disposition en cause dans le respect des normes de référence sur la base desquelles la Cour exerce son contrôle, il appartient au juge a quo de mettre fin à la violation de ces normes.

B.9. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : En ce qu'il ne permet pas au juge répressif d'accorder au prévenu acquitté et au civilement responsable une indemnité de procédure d'appel à charge de la partie civile succombante qui, en l'absence de tout recours du ministère public, a interjeté appel d'un jugement d'acquittement statuant sur une action intentée par le ministère public, l'article 162bis, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 22 septembre 2016.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels

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