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Arrêt
publié le 22 septembre 2017

Extrait de l'arrêt n° 65/2017 du 1 er juin 2017 Numéros du rôle : 6304 et 6308 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 171, 6°, deuxième tiret, du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par le Tribunal de La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 65/2017 du 1er juin 2017 Numéros du rôle : 6304 et 6308 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 171, 6°, deuxième tiret, du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par le Tribunal de première instance de Liège, division Liège, et par le Tribunal de première instance du Brabant wallon.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Moerman, F. Daoût et T. Giet, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure a. Par jugement du 9 novembre 2015 en cause de Cédric Sacré et Julie Andernack contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 20 novembre 2015, le Tribunal de première instance de Liège, division Liège, a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1.L'article 171, 6° [deuxième tiret] du C.I.R./92, tel qu'interprété par l'Etat belge, SPF Finances, Administration des Contributions directes, viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce que : - Bénéficient du régime de taxation distincte les arriérés d'honoraires perçus dans le cadre de l'aide juridique de seconde ligne et se rapportant à des prestations accomplies pendant une période d'une durée supérieure à 12 mois (' les indemnités pro deo ') par des avocats stagiaires; - Bénéficient du régime de taxation distincte les arriérés d'honoraires perçus dans le cadre de l'aide juridique de seconde ligne et se rapportant à des prestations accomplies pendant une période d'une durée supérieure à 12 mois par des avocats ayant terminé leur stage et inscrits à la liste des avocats du Barreau dont ils dépendent pour des prestations effectivement accomplies alors qu'ils étaient encore inscrits à la liste des stagiaires; - Ne bénéficient pas du régime de taxation distincte les arriérés d'honoraires perçus dans le cadre de l'aide juridique de seconde ligne et se rapportant à des prestations accomplies pendant une période d'une durée supérieure à 12 mois par des avocats ayant terminé leur stage et inscrits à la liste des avocats du Barreau dont ils dépendent ? 2. L'article 171, 6° [deuxième tiret] du C.I.R./92, tel qu'interprété par l'Etat belge, SPF Finances, Administration des Contributions directes, viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la constitution en ce que : - Bénéficient du régime de taxation distincte les arriérés d'honoraires perçus par des titulaires de professions libérales, versés par l'Etat belge et se rapportant à des prestations accomplies pendant une période d'une durée supérieure à 12 mois alors que le système de provision est possible; - Ne bénéficient pas du régime de taxation distincte les arriérés d'honoraires perçus dans le cadre de l'aide juridique de seconde ligne, versés par l'Etat belge et se rapportant à des prestations accomplies pendant une période d'une durée supérieure à 12 mois par des avocats alors que le système de provision est impossible ? ». b. Par jugement du 29 juin 2015 en cause de David Straet contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 8 décembre 2015, le Tribunal de première instance du Brabant wallon a posé la question préjudicielle suivante : « Interprétée en ce sens qu'elle réserve le bénéfice de la taxation, au taux afférent à l'ensemble des autres revenus imposables, des profits visés à l'article 23, § 1er, 2°, du Code des impôts sur les revenus, qui se rapportent à des actes accomplis pendant une période d'une durée supérieure à 12 mois et dont le montant n'a pas, par le fait de l'autorité publique, été payé au cours de l'année de prestation mais a été réglé en une seule fois et ce exclusivement pour la partie qui excède proportionnellement un montant correspondant à 12 mois de prestations, aux seuls profits dont la tardiveté du paiement est due à une faute ou une négligence de l'autorité publique, la disposition du deuxième tiret du 6° de l'article 171 du Code des impôts sur les revenus, viole-t-elle les articles 10, 11, 23, alinéa 3, 2°, et 172 de la Constitution, le cas échéant, combinés aux articles 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et/ou 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ? ». Ces affaires, inscrites sous les numéros 6304 et 6308 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) Quant à la disposition en cause et son contexte B.1. Tel qu'il était applicable aux exercices d'imposition 2010 et 2011, l'article 171, 6°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : CIR 1992) - qui fait partie de la sous-section II (« Impositions distinctes ») de la section II (« Régimes spéciaux de taxation ») du chapitre III (« Calcul de l'impôt ») du titre II (« Impôt des personnes physiques ») de ce Code - disposait : « Par dérogation aux articles 130 à 168, sont imposables distinctement, sauf si l'impôt ainsi calculé, majoré de l'impôt afférent aux autres revenus, est supérieur à celui que donnerait l'application desdits articles à l'ensemble des revenus imposables : [...] 6° au taux afférent à l'ensemble des autres revenus imposables : - le pécule de vacances qui est acquis et payé au travailleur ou au dirigeant d'entreprise occupé dans le cadre d'un contrat de travail, durant l'année où il quitte son employeur; - les profits visés à l'article 23, § 1er, 2°, qui se rapportent à des actes accomplis pendant une période d'une durée supérieure à 12 mois et dont le montant n'a pas, par le fait de l'autorité publique, été payé au cours de l'année des prestations mais a été réglé en une seule fois, et ce exclusivement pour la partie qui excède proportionnellement un montant correspondant à 12 mois de prestations; - les rentes visées à l'article 90, 4°; - les rémunérations visées à l'article 31, alinéa 2, 1° et 4°, du mois de décembre qui sont, pour la première fois, payées ou attribuées par une autorité publique au cours de ce mois de décembre au lieu du mois de janvier de l'année suivante suite à une décision de cette autorité publique de payer ou d'attribuer les rémunérations du mois de décembre dorénavant au cours de ce mois de décembre au lieu d'au cours du mois de janvier de l'année suivante ».

B.2.1. L'« aide juridique de deuxième ligne » est « accordée à une personne physique sous la forme d'un avis juridique circonstancié », d'une « assistance juridique dans le cadre ou non d'une procédure » ou d'une « assistance dans le cadre d'un procès » (article 508/1, 2°, du Code judiciaire, inséré par l'article 4 de la loi du 23 novembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/11/1998 pub. 22/12/1998 numac 1998009936 source ministere de la justice Loi relative à l'aide juridique type loi prom. 23/11/1998 pub. 20/02/1999 numac 1999009088 source ministere de la justice Loi modifiant l'article 867 du Code judiciaire type loi prom. 23/11/1998 pub. 11/02/1999 numac 1999022038 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi portant confirmation et modification de l'arrêté royal du 22 février 1998 instaurant une déclaration immédiate de l'emploi, en application de l'article 38 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions fermer « relative à l'aide juridique »).

Elle est assurée par les avocats « désireux d'accomplir » des prestations à ce titre, et organisée par le bureau d'aide juridique établi au sein de chaque barreau (article 446bis, alinéa 2, du Code judiciaire, inséré par l'article 2 de la loi du 23 novembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/11/1998 pub. 22/12/1998 numac 1998009936 source ministere de la justice Loi relative à l'aide juridique type loi prom. 23/11/1998 pub. 20/02/1999 numac 1999009088 source ministere de la justice Loi modifiant l'article 867 du Code judiciaire type loi prom. 23/11/1998 pub. 11/02/1999 numac 1999022038 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi portant confirmation et modification de l'arrêté royal du 22 février 1998 instaurant une déclaration immédiate de l'emploi, en application de l'article 38 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions fermer; article 508/7, alinéas 1er et 3, du Code judiciaire, inséré par l'article 4 de la loi du 23 novembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/11/1998 pub. 22/12/1998 numac 1998009936 source ministere de la justice Loi relative à l'aide juridique type loi prom. 23/11/1998 pub. 20/02/1999 numac 1999009088 source ministere de la justice Loi modifiant l'article 867 du Code judiciaire type loi prom. 23/11/1998 pub. 11/02/1999 numac 1999022038 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi portant confirmation et modification de l'arrêté royal du 22 février 1998 instaurant une déclaration immédiate de l'emploi, en application de l'article 38 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions fermer, avant sa modification par l'article 3 de la loi du 6 juillet 2016 « modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne l'aide juridique »).

Ces avocats sont tenus de faire régulièrement rapport au bureau d'aide juridique (article 508/11, alinéa 1er, du Code judiciaire, inséré par l'article 4 de la loi du 23 novembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/11/1998 pub. 22/12/1998 numac 1998009936 source ministere de la justice Loi relative à l'aide juridique type loi prom. 23/11/1998 pub. 20/02/1999 numac 1999009088 source ministere de la justice Loi modifiant l'article 867 du Code judiciaire type loi prom. 23/11/1998 pub. 11/02/1999 numac 1999022038 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi portant confirmation et modification de l'arrêté royal du 22 février 1998 instaurant une déclaration immédiate de l'emploi, en application de l'article 38 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions fermer).

B.2.2. L'Etat alloue des indemnités aux avocats en raison des prestations accomplies au titre de l'aide juridique de deuxième ligne, « aux conditions visées à l'article 508/19 » (article 446bis, alinéa 3, du Code judiciaire, inséré par l'article 2 de la loi du 23 novembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/11/1998 pub. 22/12/1998 numac 1998009936 source ministere de la justice Loi relative à l'aide juridique type loi prom. 23/11/1998 pub. 20/02/1999 numac 1999009088 source ministere de la justice Loi modifiant l'article 867 du Code judiciaire type loi prom. 23/11/1998 pub. 11/02/1999 numac 1999022038 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi portant confirmation et modification de l'arrêté royal du 22 février 1998 instaurant une déclaration immédiate de l'emploi, en application de l'article 38 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions fermer).

L'article 508/19 du Code judiciaire, inséré par l'article 4 de la loi du 23 novembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/11/1998 pub. 22/12/1998 numac 1998009936 source ministere de la justice Loi relative à l'aide juridique type loi prom. 23/11/1998 pub. 20/02/1999 numac 1999009088 source ministere de la justice Loi modifiant l'article 867 du Code judiciaire type loi prom. 23/11/1998 pub. 11/02/1999 numac 1999022038 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi portant confirmation et modification de l'arrêté royal du 22 février 1998 instaurant une déclaration immédiate de l'emploi, en application de l'article 38 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions fermer, disposait, avant sa modification par l'article 9 de la loi du 6 juillet 2016 : « § 1er. L'avocat perçoit l'indemnité de procédure accordée au bénéficiaire. § 2. Les avocats chargés de l'aide juridique de deuxième ligne partiellement ou complètement gratuite font rapport au bureau sur chaque affaire pour laquelle ils ont accompli des prestations à ce titre. Ce rapport mentionne également l'indemnité de procédure perçue par l'avocat.

Le bureau attribue des points aux avocats pour ces prestations et en fait rapport au bâtonnier.

Le bâtonnier communique le total des points de son barreau aux autorités visées à [l']article 488, lesquelles communiquent le total des points de tous les barreaux au ministre de la Justice. § 3. Dès réception de l'information visée au § 2, le ministre de la Justice peut faire effectuer un contrôle selon les modalités qu'il détermine après concertation avec les autorités visées à l'article 488. Il ordonne le paiement de l'indemnité à ces autorités qui en assurent la répartition par le biais des Ordres des avocats ». Les « autorités visées à l'article 488 » du Code judiciaire sont l'Ordre des barreaux francophones et germanophone et l'« Orde van Vlaamse balies ».

B.2.3. Les conditions d'octroi, le tarif et les modalités de paiement de l'indemnité précitée sont fixés par l'article 2 de l'arrêté royal du 20 décembre 1999 « contenant les modalités d'exécution relatives à l'indemnisation accordée aux avocats dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne et relatif au subside pour les frais liés à l'organisation des bureaux d'aide juridique ».

Sur la base du rapport remis par l'avocat, le bureau d'aide juridique attribue, en principe, des points à celui-ci lorsqu'il justifie avoir accompli des prestations effectives au cours de l'année judiciaire écoulée ou des années antérieures (article 2, 1°, de l'arrêté royal du 20 décembre 1999, avant sa modification par l'article 1er de l'arrêté royal du 21 juillet 2016).

Avant le 31 octobre de chaque année, les bâtonniers des Ordres des avocats informent l'« Orde van Vlaamse balies » ou l'Ordre des barreaux francophones et germanophone du nombre total des points attribués aux avocats ayant accompli de telles prestations par les bureaux d'aide juridique (article 2, 2°, du même arrêté royal). Avant le 1er février de l'année suivante, ces deux Ordres font au ministre de la Justice une proposition concernant le calcul de la valeur d'un point (article 1er, premier tiret, et article 2, 3°, du même arrêté royal). Après vérification, le ministre détermine le montant total des indemnités, établit la valeur d'un point, et verse aux deux Ordres le montant des indemnités (article 2, 4°, du même arrêté royal). Ceux-ci versent ensuite les montants auxquels les avocats ont droit sur un compte spécial, ouvert à cet effet par chaque barreau (article 2, 5°, du même arrêté royal) qui répartit ces montants entre ses avocats (article 2, 6°, du même arrêté royal), étant entendu que chaque dossier confié à un avocat par le bureau d'aide juridique ne donne lieu au paiement que d'une seule indemnité (article 2, 7°, du même arrêté royal).

Quant à la première question préjudicielle dans l'affaire n° 6304 B.3. La Cour est invitée à statuer sur la compatibilité, avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, de l'article 171, 6°, deuxième tiret, du CIR 1992, tel qu'il était applicable aux exercices d'imposition 2010 et 2011, en ce que cette disposition introduirait une différence de traitement entre deux catégories d'avocats percevant une indemnité en raison de prestations d'aide juridique de deuxième ligne accomplies durant une période supérieure à douze mois : d'une part, ceux qui ont accompli ces prestations lorsqu'ils étaient inscrits à la liste des stagiaires de l'Ordre des avocats, et, d'autre part, ceux qui ont accompli ces prestations après leur inscription au tableau de l'Ordre des avocats.

Seuls les avocats de la première catégorie pourraient revendiquer l'application de l'imposition distincte prévue par la disposition en cause.

B.4. Comme le relève le Conseil des ministres, la disposition en cause ne fait aucune distinction entre l'avocat qui perçoit une indemnité en raison de prestations d'aide juridique de deuxième ligne accomplies durant une période supérieure à douze mois lorsqu'il était inscrit à la liste des stagiaires de l'Ordre des avocats, et l'avocat qui perçoit une telle indemnité pour des prestations accomplies après son inscription au tableau de l'Ordre des avocats.

B.5. La première question préjudicielle dans l'affaire n° 6304 appelle une réponse négative.

Quant à la seconde question préjudicielle dans l'affaire n° 6304 B.6. La Cour est invitée à statuer sur la compatibilité, avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, de l'article 171, 6°, deuxième tiret, du CIR 1992, tel qu'il était applicable aux exercices d'imposition 2010 et 2011, en ce que cette disposition introduirait une différence de traitement entre deux catégories de titulaires de professions libérales à qui l'Etat verse, en une fois, des arriérés d'honoraires en raison de prestations accomplies durant une période supérieure à douze mois : d'une part, les avocats percevant une indemnité due en raison de prestations d'aide juridique de deuxième ligne, qui n'ont pu demander une provision, et, d'autre part, les autres titulaires de professions libérales percevant des arriérés d'honoraires de l'Etat, qui, eux, ont pu lui demander une provision.

Seuls ces derniers pourraient revendiquer l'application de l'imposition distincte prévue par la disposition en cause.

B.7. L'article 172, alinéa 1er, de la Constitution consacre le principe d'égalité et de non-discrimination en matière fiscale.

Ce principe n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'examen de la compatibilité d'une disposition législative avec ce principe suppose notamment l'identification de deux catégories de personnes qui font l'objet d'un traitement différent.

B.8. La seconde catégorie de personnes décrite en B.6 rassemble les « titulaires de professions libérales » autres que les avocats, tandis que la première catégorie de personnes décrite comprend une partie des avocats.

L'examen de la constitutionnalité de la différence de traitement évoquée par la seconde question préjudicielle suppose que la Cour soit en mesure d'identifier les règles applicables à la catégorie des « titulaires de professions libérales » (entre autres, en ce qui concerne la demande de provision sur honoraires) qui, selon la question préjudicielle, différeraient de celles qui sont applicables aux avocats précités, ainsi que les objectifs de ces règles.

La disposition en cause ne fait aucune distinction entre plusieurs catégories de « titulaires de professions libérales ».

Ni les termes de la question préjudicielle, ni les motifs de la décision de renvoi ne permettent à la Cour de circonscrire la catégorie des « titulaires de professions libérales » (autres que les avocats) ni a fortiori d'identifier les règles applicables à ces personnes.

B.9. La seconde question préjudicielle dans l'affaire n° 6304 est irrecevable et n'appelle dès lors pas de réponse.

Quant à la question préjudicielle dans l'affaire n° 6308 B.10. La Cour est invitée à statuer sur la compatibilité, avec les articles 10, 11, 23, alinéa 3, 2°, et 172 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, de l'article 171, 6°, du CIR 1992, tel qu'il était applicable aux exercices d'imposition 2010 et 2011, en ce que cette disposition réserve le bénéfice du taux particulier qu'elle instaure au contribuable qui a été payé tardivement par l'autorité publique en raison d'une faute ou d'une négligence de celle-ci.

B.11.1. Par son arrêt n° 30/2016 du 25 février 2016, la Cour a répondu à la question préjudicielle suivante : « L'article 171, 60, 2e tiret [lire : article 171, 6°, deuxième tiret], du Code des impôts sur les revenus 1992 viole-t-il les articles 10, 11, 23, alinéa 3, 2°, et 172 de la Constitution, le cas échéant combinés aux articles 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et/ou 7 du Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, dans la mesure où, pour bénéficier d'une imposition distincte des profits de professions libérales payés tardivement par le fait d'une autorité publique, il exige que la tardiveté du paiement ou de l'attribution de rémunération doit être imputable à une faute ou à une négligence de l'autorité publique ? ».

Cette question est, en substance, identique à celle de l'affaire n° 6308.

Par son arrêt n° 30/2016, la Cour a dit pour droit : « - Interprété comme exigeant que la tardiveté du paiement soit imputable à une faute ou à une négligence de l'autorité publique pour que le contribuable puisse bénéficier d'une imposition distincte des profits de professions libérales payés tardivement par le fait d'une autorité publique, l'article 171, 6°, deuxième tiret, du Code des impôts sur les revenus 1992 viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution. - Interprétée comme n'exigeant pas que la tardiveté du paiement soit imputable à une faute ou à une négligence de l'autorité publique pour que le contribuable puisse bénéficier d'une imposition distincte des profits de professions libérales payés tardivement par le fait d'une autorité publique, la même disposition ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution ».

B.11.2. Les motifs de cet arrêt se lisent comme suit : « B.2.1. Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, il apparaît de la question préjudicielle et des motifs de la décision de renvoi que la juridiction a quo invite la Cour à comparer la situation des contribuables qui perçoivent les profits visés par la disposition en cause tardivement en raison d'une faute ou d'une négligence des pouvoirs publics débiteurs et celle des contribuables qui perçoivent les mêmes profits tardivement, sans qu'une faute ou une négligence puisse être mise à charge des pouvoirs publics débiteurs. Dans l'interprétation de l'article 171, 6°, deuxième tiret, retenue par la juridiction, les premiers bénéficient du traitement fiscal favorable établi par la disposition en cause, alors que les seconds n'en bénéficient pas.

B.2.2. La différence de traitement en cause dans la question préjudicielle repose sur le critère de la faute ou de la négligence commise par les pouvoirs publics débiteurs des revenus, faute ou négligence ayant causé la tardiveté du paiement.

Un tel critère est objectif. La Cour doit examiner s'il est pertinent par rapport à l'objectif poursuivi par la disposition en cause.

B.3. L'article 171 du CIR 1992 déroge, pour les revenus qu'il énumère, au principe de la globalisation, en vertu duquel le revenu imposable à l'impôt des personnes physiques est constitué de l'ensemble des revenus nets, soit la somme des revenus nets des catégories énumérées dans l'article 6 du CIR 1992, à savoir les revenus des biens immobiliers, les revenus des capitaux et biens mobiliers, les revenus professionnels et les revenus divers, diminuée des dépenses déductibles mentionnées aux articles 104 à 116 du CIR 1992. L'impôt est calculé sur cette somme selon les règles fixées aux articles 130 et suivants.

L'article 171 du CIR 1992 fixe un mode de calcul particulier de l'impôt et des taux d'imposition spéciaux pour certains revenus, à condition toutefois que le régime de l'addition de tous les revenus imposables, en ce compris ceux qui peuvent être imposés distinctement, ne s'avère pas plus avantageux pour le contribuable.

B.4. Par l'article 23 de la loi du 20 novembre 1962 portant réforme des impôts sur les revenus, qui est devenu plus tard l'article 93 du CIR 1964 et l'article 171 du CIR 1992, le législateur a voulu éviter les conséquences sévères que l'application rigoureuse de la progressivité de l'impôt des personnes physiques entraînerait pour les contribuables qui recueillent certains revenus ayant un caractère plutôt exceptionnel. Selon les travaux préparatoires de l'article 23, qui a instauré les impositions distinctes, le législateur a voulu ' freiner la progressivité de l'impôt, lorsque le revenu imposable comprend des revenus non périodiques ' (Doc. parl., Chambre, 1961-1962, n° 264/1, p. 85; ibid., n° 264/42, p. 126).

B.5. L'article 171, 6°, deuxième tiret, procède d'une intention similaire. L'exposé des motifs de la loi de réorientation économique du 4 août 1978 (qui modifia l'article 93 précité) indique : ' Dans l'état actuel de la législation, les honoraires et autres profits qui se rapportent à des prestations accomplies pendant une période d'une durée supérieure à douze mois et dont le montant n'a pas, par le fait de l'autorité publique, été payé au cours de l'année des prestations mais a été réglé en une seule fois, sont taxés comme des revenus de l'année pendant laquelle ils ont été perçus avec application du taux normal d'imposition.

Pour y pallier, il est proposé d'appliquer aux honoraires et autres profits de l'espèce un régime analogue à celui qui s'applique déjà actuellement aux " pécules de vacances promérités " payés aux employés.

Ceci revient en fait à appliquer aux arriérés d'honoraires, etc., le taux d'impôt applicable à ce qui correspond normalement à douze mois de prestations ' (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 415/1, pp. 33 et 34).

Le rapport de la commission du Sénat précise : ' Le chapitre II règle le problème de la taxation des honoraires payés par une autorité publique aux titulaires de professions libérales pour des prestations qui sont étalées sur une période de plus de douze mois.

Pour éviter une surtaxation due à la progressivité du taux de l'impôt, la quotité des honoraires qui excède proportionnellement un montant correspondant à douze mois de prestations sera imposée distinctement au taux afférent à l'ensemble des autres revenus imposables ' (ibid., n° 415/2, p.51).

En commission du Sénat, le ministre a indiqué : ' Les honoraires qui se rapportent à des prestations accomplies pendant une période supérieure à douze mois et qui, par le fait de l'autorité publique, ne sont pas payés pendant l'année des prestations mais liquidés en une seule fois, sont actuellement imposés au cours de l'année de l'encaissement et le taux d'imposition progressif est appliqué sans atténuation.

Dans l'article 51 du projet, il est suggéré un régime analogue à celui qui existe à présent pour le pécule de vacances promérité à l'employé; dorénavant donc ces honoraires seront subdivisés en deux parties : a) Une première partie qui correspond à douze mois de prestations sera ajoutée aux autres revenus de l'année pour constituer la base imposable;b) Une deuxième partie - le reste - qui sera taxée distinctement suivant le tarif appliqué aux revenus sub a). [...] Ce régime existe déjà pour le pécule de vacances promérité payé à l'employé qui quitte l'entreprise.

Il ne peut être appliqué aux honoraires privés, car la règle reste toujours l'annualité de l'impôt. En outre, dans le secteur privé, il est loisible de régler les paiements en fonction de la fourniture des prestations et des intérêts des deux parties. Il est superfétatoire que le législateur prévoie encore des facilités supplémentaires sur la base de commodité purement fiscale d'une des parties ' (ibid., n° 415/2, pp. 71 et 72).

Un amendement visant à supprimer les mots ' par le fait de l'autorité publique ' fut rejeté, tant au Sénat (ibid., p. 74) qu'à la Chambre des représentants (Doc. parl., Chambre, 1977-1978, n° 470/9, p. 30), pour les motifs suivants : ' Le Ministre rappelle tout d'abord que la mesure contenue dans l'article 51 est demandée depuis longtemps et qu'elle permettra de mieux réaliser l'égalité des contribuables devant l'impôt. Le Ministre s'oppose ensuite à l'amendement en soulignant qu'en matière de paiement, le secteur privé est assujetti à d'autres règles que l'autorité publique et que dès lors, le paiement peut facilement être étalé dans le temps. Le Ministre souligne enfin que l'autorité publique a été définie de manière très large (cf. rapport du Sénat, p. 73) ' (ibid., p. 30).

B.6.1. Il apparaît des travaux préparatoires cités en B.5 que le législateur a entendu prendre en compte la situation particulière des titulaires de profits qui sont payés avec retard par le fait d'une autorité publique, en raison du caractère particulier de cette autorité en tant que débiteur, des règles spécifiques qui s'appliquent aux autorités publiques en matière de paiement et des retards qui en résultent.

B.6.2. A cet égard, il s'impose de relever que le retard avec lequel les indemnités d'aide juridique sont payées aux avocats par l'autorité publique est dû à la mise en oeuvre de la procédure organisée par l'article 2 de l'arrêté royal du 20 décembre 1999 contenant les modalités d'exécution relatives à l'indemnisation accordée aux avocats dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne et relatif au subside pour les frais liés à l'organisation des bureaux d'aide juridique. En application de l'article 2, 7°, de cet arrêté royal, les prestations effectuées dans le cadre de l'aide juridique sont indemnisées en une seule fois, à la clôture du dossier, et ne peuvent donner lieu au versement de provisions.

B.7. Au regard de l'objectif de corriger les effets inéquitables d'une application rigoureuse de la progressivité de l'impôt aux indemnités payées par une autorité publique au cours d'une année qui n'est pas celle des prestations, le critère de la faute ou de la négligence de l'autorité publique ayant causé le retard de paiement n'est pas pertinent pour établir une différence de traitement entre contribuables. En effet, le paiement différé et en une fois de prestations ayant été effectuées sur plus d'une année a les mêmes effets sur le calcul de l'impôt dû, quelle que soit la cause du fait que les indemnités n'ont pas été payées de manière échelonnée et au cours de l'année des prestations.

Lorsque le retard de paiement n'est pas imputable au bénéficiaire des revenus, il n'est pas justifié d'accorder le bénéfice de l'application de la disposition en cause aux contribuables qui peuvent prouver une faute ou une négligence dans le chef de l'autorité débitrice et de ne pas l'accorder à ceux qui ne peuvent prouver une telle faute ou négligence, alors même que ni les uns, ni les autres ne pouvaient en aucune manière faire en sorte que les indemnités soient payées de manière échelonnée et plus rapidement.

B.8. Dans l'interprétation selon laquelle l'article 171, 6°, deuxième tiret, du CIR 1992 exige que la tardiveté du paiement soit imputable à une faute ou à une négligence de l'autorité publique pour que le contribuable puisse bénéficier d'une imposition distincte, cette disposition n'est pas compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

L'examen de la compatibilité de la disposition en cause avec l'article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution, avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ne pourrait conduire à une autre conclusion.

B.9. La disposition en cause est toutefois susceptible de recevoir une interprétation différente, selon laquelle les termes " par le fait de l'autorité publique " indiquent que le retard ne peut pas être imputable au contribuable lui-même, mais n'impliquent pas en outre qu'une faute ou une négligence dans le chef de l'autorité puisse être prouvée. Dans cette interprétation, la disposition en cause ne crée pas la différence de traitement décrite en B.2 et, en conséquence, est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution ».

B.12. Pour les mêmes motifs que ceux qu'énonce l'arrêt n° 30/2016, la question préjudicielle dans l'affaire n° 6308 appelle la même réponse.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : 1. - Interprété comme exigeant que la tardiveté du paiement soit imputable à une faute ou à une négligence de l'autorité publique pour que le contribuable puisse bénéficier d'une imposition distincte des profits de professions libérales payés tardivement par le fait d'une autorité publique, l'article 171, 6°, deuxième tiret, du Code des impôts sur les revenus 1992, tel qu'il était applicable aux exercices d'imposition 2010 et 2011, viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution. - Interprétée comme n'exigeant pas que la tardiveté du paiement soit imputable à une faute ou à une négligence de l'autorité publique pour que le contribuable puisse bénéficier d'une imposition distincte des profits de professions libérales payés tardivement par le fait d'une autorité publique, la même disposition ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution. 2. L'article 171, 6°, deuxième tiret, du Code des impôts sur les revenus 1992, tel qu'il était applicable aux exercices d'imposition 2010 et 2011, ne viole pas les articles 10, 11 et 172, alinéa 1er, de la Constitution en ce qu'il ne fait pas de différence de traitement entre l'avocat qui perçoit une indemnité en raison de prestations d'aide juridique de deuxième ligne accomplies durant une période supérieure à douze mois lorsqu'il était inscrit à la liste des stagiaires de l'Ordre des avocats, et l'avocat qui perçoit une telle indemnité pour des prestations accomplies après son inscription au tableau de l'Ordre des avocats.3. La seconde question préjudicielle dans l'affaire n° 6304 n'appelle pas de réponse. Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 1er juin 2017.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels

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