Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 06 novembre 2017

Extrait de l'arrêt n° 78/2017 du 15 juin 2017 Numéro du rôle : 6530 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 28 de la section 2bis du livre III, titre VIII, chapitre II, du (...) La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. (...)

source
cour constitutionnelle
numac
2017204590
pub.
06/11/2017
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 78/2017 du 15 juin 2017 Numéro du rôle : 6530 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 28 de la section 2bis (« Des règles particulières aux baux commerciaux ») du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil (la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux), posée par le Juge de paix du premier canton d'Ostende.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, T. Merckx-Van Goey, F. Daoût et T. Giet, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 25 octobre 2016 en cause de Marika Van Gysegem contre la SCA « O.V.D. Invest », dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 31 octobre 2016, le Juge de paix du premier canton d'Ostende a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 28 de la loi sur les baux commerciaux, interprété en ce sens qu'il n'est pas applicable à l'action en paiement de l'indemnité visée à l'article 3, § 2, alinéa 4, de la loi sur les baux à loyer que le bailleur doit payer s'il résilie un contrat de bail à loyer par application de l'article 3, § 2, alinéa 1er, de la loi relative aux baux à loyer sans occuper le bien de façon effective et continue dans le délai et aux conditions prévus à l'article 3, § 2, alinéa 3, de la loi relative aux baux à loyer, viole-t-il le principe constitutionnel d'égalité et de non-discrimination, contenu dans les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que cet article dispose que le locataire commercial doit intenter son action en paiement d'une indemnité d'éviction fondée sur les articles 16.I.1°, juncto 25, 3°, de la loi sur les baux commerciaux dans un délai d'un an à dater du fait donnant ouverture à l'action, tandis que la loi relative aux baux à loyer ne prévoit pas de délai dans une situation analogue ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 28, de la section 2bis (« Des règles particulières aux baux commerciaux ») du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil (ci-après : la loi sur les baux commerciaux), dans l'interprétation selon laquelle cette disposition ne s'applique pas à l'action en paiement de l'indemnité due conformément à l'article 3, § 2, alinéa 4, de la section 2 (« Des règles particulières aux baux relatifs à la résidence principale du preneur »), du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil (ci-après : la loi relative aux baux de résidence principale).

B.1.2. L'article 28 de la loi sur les baux commerciaux dispose : « Les actions en payement de l'indemnité d'éviction doivent être intentées dans un délai d'un an à dater du fait donnant ouverture à l'action ».

B.1.3. Il ressort du jugement rendu par le juge a quo que ce dernier estime que l'article 28 précité ne s'applique pas au litige dont il est saisi, qui concerne un bail à loyer, et que cette inapplicabilité entraîne, selon la partie défenderesse dans l'affaire soumise au juge a quo, une discrimination à l'encontre du bailleur.

B.2.1. La partie demanderesse dans le litige soumis au juge a quo soutient que les catégories de bailleurs qui relèvent de la loi relative aux baux à loyer et de la loi sur les baux commerciaux sont à ce point différentes qu'elles ne peuvent pas être comparées.

B.2.2. La situation des bailleurs dans les baux à loyer ne diffère pas de celle des bailleurs dans d'autres sortes de baux, tels que le bail commercial, au point que ces catégories de bailleurs ne pourraient pas utilement être comparées en ce qui concerne le délai dans lequel un bailleur peut être assigné en paiement d'une indemnité réclamée en raison de la non-réalisation d'une intention qui, ainsi qu'il est dit au B.3.2 et B.5.2, rompt la continuité du bail. La circonstance que les législations distinctes en matière de bail et leurs objectifs présentent certaines différences est sans incidence.

B.3.1. Il ressort des travaux préparatoires de la loi sur les baux commerciaux que le législateur entendait assurer une certaine stabilité au preneur d'un fonds de commerce et trouver dans le même temps un point d'équilibre entre les intérêts du preneur et ceux du bailleur.

Les travaux préparatoires mentionnent que la loi entend : « garantir les intérêts économiques et sociaux légitimes des Classes moyennes contre l'instabilité et les sources d'abus que comporte le régime de la liberté absolue des conventions de bail » (Doc. parl., Chambre, 1947-1948, n° 20, p. 2).

Selon les mêmes travaux préparatoires, le but est triple : « 1° donner au preneur commerçant des garanties de durée et d'initiative; 2° lui assurer le renouvellement du bail quand le propriétaire n'a pas de raisons fondées de disposer autrement des lieux et, à offre égale, la préférence à tout tiers enchérisseur; 3° établir à son profit diverses indemnités sanctionnant soit la fraude à la loi, soit la concurrence illicite ou l'appropriation de la clientèle à l'occasion d'une fin de bail, soit enfin l'enrichissement sans cause » (ibid., p. 4).

Il a été souligné qu'un « point d'équilibre [est] à trouver entre la protection du fonds de commerce, au sens large, et le respect des intérêts légitimes des propriétaires d'immeubles » et qu'il convenait « de concilier les intérêts en présence » (Doc. parl., Sénat, 1948-1949, n° 384, pp. 2 et 3).

B.3.2. Afin d'assurer l'objectif de stabilité mentionné en B.3.1, le législateur n'a pas prévu la prorogation automatique du bail commercial à l'expiration du terme initial de neuf ans, mais les articles 13 et 14 de la loi sur les baux commerciaux confèrent au preneur le droit d'obtenir, moyennant le respect de certaines formalités et prioritairement à toute autre personne, le renouvellement de son bail pour la continuation du même commerce, soit à l'expiration du bail, soit à l'expiration du premier ou du second renouvellement, pour une durée de neuf années, sauf accord des parties constaté par un acte authentique ou par une déclaration faite devant le juge.

Parallèlement, afin que le bailleur ne puisse pas porter atteinte à la stabilité voulue de la destination de fonds de commerce, le législateur a limité les possibilités de refuser le renouvellement du bail. Le bailleur ne peut refuser le renouvellement du bail du bien immeuble que pour des motifs déterminés, considérés comme « un postulat du droit de propriété » (Doc. parl., Chambre, 1947-1948, n° 20, p. 31) : l'occupation du bien loué par le bailleur ou par un membre de sa famille ou par une société de personnes; l'exécution de travaux importants; l'affectation de l'immeuble à une destination exclusive de toute entreprise commerciale; les manquements graves du preneur à ses obligations contractuelles; l'offre d'un loyer supérieur proposée par un tiers pour laquelle le preneur ne fait pas offre égale et l'absence d'un intérêt légitime du preneur (article 16, I, de la loi sur les baux commerciaux). Si les motifs précités ne sont pas réalisés par le bailleur conformément aux modalités légales, celui-ci est tenu au payement d'une indemnité (article 25, alinéa 1er, de la loi sur les baux commerciaux).

B.3.3. En ce qui concerne les baux commerciaux, le législateur a voulu attacher un délai déterminé à l'introduction d'une action en paiement de l'indemnité pour cause de non-réalisation des intentions annoncées par le bailleur (article 28 de la loi sur les baux commerciaux), afin d'éviter au bailleur une longue incertitude concernant les actions intentées contre lui (Doc. parl., Chambre, 1950-1951, n° 125, p. 5, et n° 207, p.12). Il s'agit en l'espèce d'un délai préfix, dont l'expiration entraîne non seulement la forclusion de l'action mais également celle du droit subjectif à l'indemnité (Cass., 6 novembre 1974, Pas., 1975, p. 286).

B.4. L'article 3, § 2, de la loi relative aux baux à loyer dispose : « Le bailleur peut toutefois mettre fin au bail, à tout moment, en donnant congé six mois à l'avance, s'il a l'intention d'occuper le bien personnellement et effectivement ou de le faire occuper de la même manière par ses descendants, ses enfants adoptifs, ses ascendants, son conjoint, les descendants, ascendants et enfants adoptifs de celui-ci, ses collatéraux et les collatéraux de son conjoint jusqu'au troisième degré. Lorsque le congé est donné en vue de permettre l'occupation du bien par des collatéraux du troisième degré, le délai de préavis ne peut expirer avant la fin du premier triennat à partir de l'entrée en vigueur du bail. [...] Les lieux doivent être occupés dans l'année qui suit l'expiration du préavis donné par le bailleur ou, en cas de prorogation, la restitution des lieux par le preneur. Ils doivent rester occupés de façon effective et continue pendant deux ans au moins.

Lorsque le bailleur, sans justifier d'une circonstance exceptionnelle, ne réalise pas l'occupation dans les conditions ou les délais prévus, le preneur a droit à une indemnité équivalente à dix-huit mois de loyer. [...] ».

B.5.1. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 20 février 1991, qui a inséré dans le Code civil les dispositions relatives aux baux à loyer, que le législateur poursuivait un nouvel équilibre « entre un laisser-faire total et un encadrement généralisé, entre la protection nécessaire du logement et la prise en compte des intérêts légitimes du bailleur » (Doc. parl., Chambre, 1990-1991, n° 1357/1, p. 3).

La loi relative aux baux à loyer a en particulier pour objectif d'assurer une meilleure protection du preneur quant à son logement familial. Les travaux préparatoires précisent que : « le toit qui abrite le preneur et sa famille exige la garantie d'une certaine sécurité pour que puisse s'inscrire en filigrane des dispositions qui y sont consacrées, l'avènement d'un ' droit au logement '.

Les conditions d'exercice de ce droit supposent que chacun puisse disposer d'un logement d'une taille suffisante et offrant des conditions de confort et de sérénité. Des règles protectrices du bail ne contribueront que partiellement à l'effectivité de ce droit, mais elles la favoriseront sûrement » (ibid., p. 3).

Cet objectif a été confirmé dans les travaux préparatoires de la loi du 13 avril 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 13/04/1997 pub. 10/11/1999 numac 1998015014 source ministere des affaires etrangeres, du commerce exterieur et de la cooperation internationale Loi portant assentiment à l'Accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République tunisienne, d'autre part, Annexes 1 à 7, Protocoles 1 à 5, et Acte final, faits à Bruxelles le 17 juillet 1995 (2) type loi prom. 13/04/1997 pub. 24/06/1997 numac 1997002050 source ministere de la fonction publique Loi modifiant la loi du 22 octobre 1990 remplaçant l'article 54 des lois sur la collation des grades académiques et le programme des examens universitaires, coordonnées par l'arrêté du Régent du 31 décembre 1949 fermer modifiant certaines dispositions en matière de baux (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 717/1, p. 2).

B.5.2. Afin de réaliser l'objectif de sécurité du logement et de continuité mentionné en B.5.1, le législateur a, à titre principal, porté la durée du bail à neuf ans et a instauré une prolongation tacite de trois ans si aucune des parties n'exprime formellement sa volonté de ne pas poursuivre le bail (article 3, § 1er, de la loi relative aux baux à loyer). Parallèlement, pour que le bailleur ne puisse pas porter atteinte à la durée du bail ainsi fixée, le législateur a limité les possibilités de résiliation unilatérale anticipée du bail. Le bailleur ne peut résilier le bail de résidence principale du preneur que pour des motifs déterminés : l'occupation des lieux loués par le bailleur ou par un membre de sa famille et la réalisation de travaux importants. Le congé pour ces motifs est donné moyennant préavis mais sans indemnité. Si les intentions ne sont pas réalisées conformément aux modalités légales, le bailleur est tenu au versement d'une indemnité équivalente à dix-huit mois de loyer au moins (article 3, § 2, alinéa 4, de la loi relative aux baux à loyer).

Le législateur n'a pas prévu de délai de forclusion pour l'introduction de l'action en paiement de l'indemnité précitée.

B.6. Une différence de traitement entre des catégories déterminées de bailleurs qui découle de l'application de réglementations différentes sur les baux et des délais qu'elles prévoient pour intenter des actions n'est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l'application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.

B.7.1. L'intérêt du preneur dans le cadre de la loi sur les baux commerciaux consiste en la possibilité de poursuivre l'exploitation de son fonds de commerce, qui doit être considéré comme un bien au sens de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme (voy. notamment CEDH, grande chambre, 25 mars 1999, Iatridis c. Grèce, § 54; 24 juin 2003, Stretch c.

Royaume-Uni, § 36), et en l'existence de garanties contre un abus de la part du bailleur. L'intérêt du preneur dans le cadre de la loi relative aux baux à loyer est lié au droit au respect du bien loué, qui constitue un domicile au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (voy. CEDH, grande chambre, 8 mars 2006, Blecic. Croatie, § 83; 13 mai 2008, McCann c. Royaume-Uni, § 47), et à l'existence de garanties contre un abus de la part du bailleur (CEDH, 27 mai 2004, Connors c. Royaume-Uni, § 83).

B.7.2. L'intérêt du bailleur est au contraire lié à la sécurité juridique qui lui est garantie en imposant des délais à l'introduction d'actions en justice (voy. notamment CEDH, grande chambre, 8 juillet 2004, Vo c. France, § 92).

B.8.1. Afin, d'une part, d'assurer les droits précités en matière de continuité du bail et de protéger effectivement les preneurs contre des abus commis par les bailleurs et afin, d'autre part, de protéger les bailleurs contre une trop longue incertitude quant aux actions en paiement d'une indemnité introduites contre eux, le législateur a, dans sa recherche d'un équilibre dans le cadre du bail commercial, attaché à l'indemnité mentionnée en B.3.2 un délai de forclusion d'un an pour l'introduction de l'action en paiement de cette indemnité. Le législateur n'a pas estimé nécessaire d'attacher un court délai de forclusion au droit à une indemnité pour parvenir à un équilibre dans le cadre du bail à loyer.

B.8.2. Compte tenu de sa préoccupation de résoudre rapidement les litiges en matière commerciale, le législateur pouvait en outre raisonnablement estimer qu'il ne fallait imposer qu'aux opérateurs économiques d'être particulièrement attentifs, en soumettant leur action en paiement d'une indemnité à un court délai de forclusion d'un an.

En revanche, compte tenu des travaux préparatoires mentionnés en B.5.1, le législateur pouvait raisonnablement estimer que, dans le cadre du bail à loyer, il n'était pas nécessaire d'imposer au preneur une attention et une urgence particulières prévoyant un délai de forclusion pour la mise en oeuvre de son droit à l'indemnité mentionnée en B.5.2. En outre, les droits du bailleur ne sont pas limités de manière disproportionnée dans le cadre d'un bail à loyer, dès lors que la prescription extinctive, prévue par l'article 2262bis, § 1er, du Code civil, fait obstacle à ce que le preneur puisse poursuivre sans limite de temps son bailleur en paiement de l'indemnité précitée.

B.8.3. A la lumière des objectifs exposés plus haut en ce qui concerne la loi sur les baux commerciaux et la loi relative aux baux à loyer, les droits du bailleur ne sont pas limités de manière disproportionnée dans le cadre de la loi relative aux baux à loyer par l'absence d'un délai de forclusion d'un an pour l'introduction de l'action en paiement de l'indemnité mentionnée en B.5.2.

B.9. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 28 de la section 2bis (« Des règles particulières aux baux commerciaux ») du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil, dans l'interprétation selon laquelle il ne s'applique pas à l'action en paiement de l'indemnité visée à l'article 3, § 2, alinéa 4, de la section 2 (« Des règles particulières aux baux relatifs à la résidence principale du preneur ») du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 15 juin 2017.

Le greffier, Le président, F. Meersschaut E. De Groot

^