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Arrêt
publié le 29 mai 2018

Extrait de l'arrêt n° 16/2018 du 7 février 2018 Numéro du rôle : 6563 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 23 du Code de la nationalité belge, posées par la Cour d'appel d'Anvers. La Cour constitutionnelle, comp après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédu(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 16/2018 du 7 février 2018 Numéro du rôle : 6563 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 23 du Code de la nationalité belge, posées par la Cour d'appel d'Anvers.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt du 14 décembre 2016 en cause du procureur général près la Cour d'appel d'Anvers contre F.B., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 23 décembre 2016, la Cour d'appel d'Anvers a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « L'article 23 du Code de la nationalité belge viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il n'excepte de la déchéance de la nationalité belge que les Belges qui tiennent leur nationalité d'un auteur qui était belge au jour de leur naissance et les Belges qui se sont vu attribuer leur nationalité en vertu de l'article 11 du Code précité et n'excepte pas de cette déchéance les Belges qui sont nés en Belgique et ont toujours eu leur résidence principale en Belgique, et auxquels la nationalité belge a été attribuée sur la base de l'article 12 (ancien) du même Code, parce qu'un auteur qui exerce l'autorité sur la personne d'un enfant qui n'a pas atteint l'âge de 18 ans ou n'est pas émancipé avant cet âge a acquis volontairement la nationalité belge ? »;2. « L'article 23, § 1er, du Code de la nationalité belge, interprété en ce sens qu'il pourrait toucher/sanctionner des personnes qui sont déjà punies de sanctions pénales (de nature répressive) pour, en substance, les mêmes faits, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, avec l'article 4 du Protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14, paragraphe 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec le principe général de droit non bis in idem, dès lors qu'on constate que dans d'autres domaines du droit où il est possible d'infliger des sanctions de nature répressive pour des faits qui en substance sont les mêmes, le cumul de telles sanctions et de sanctions pénales est interdit ? »;3. « L'article 23, § 1er, du Code de la nationalité belge viole-t-il l'article 22 de la Constitution, combiné ou non avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (ainsi qu'avec l'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne), dans la mesure où un Belge qui n'a acquis la nationalité belge qu'au cours de sa vie (et qui n'est donc pas un Belge de naissance) peut être déchu de cette nationalité belge, avec le risque qu'il soit extradé vers un autre pays (nota bene : pas un Etat membre de l'Union européenne), la possibilité d'extradition ayant pour conséquence que l'intéressé serait physiquement éloigné de tous ses proches qui résident légalement dans le pays dont l'intéressé perdrait la nationalité et qui, en outre, ont aussi cette nationalité dont l'intéressé serait déchu ? »;4. « L'article 23, § 1er, du Code de la nationalité belge viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que l'article 23/1, § 1er, 1°, du même Code soumet la déchéance à la stricte condition que les personnes à l'égard desquelles la déchéance est demandée aient commis les faits mis à leur charge (pour lesquels elles sont condamnées, comme auteur, coauteur ou complice, à une peine d'emprisonnement d'au moins cinq ans sans sursis, pour les infractions mentionnées et énumérées dans cet article) dans les 10 ans à compter de la date d'obtention de la nationalité belge, à l'exception des infractions visées aux articles 136bis, 136ter et 136quater du Code pénal, alors que cette condition spécifique n'est pas d'application pour les personnes à l'égard desquelles la déchéance est demandée en vertu de l'article 23, § 1er, du Code de la nationalité belge, sur la base du critère général/générique de ' manquements graves à leurs devoirs de citoyen belge ', aucune condamnation pour les faits punissables visés à l'article 23/1, 1°, du Code de la nationalité belge n'étant même requise ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La Cour est interrogée sur l'article 23 du Code de la nationalité belge, qui dispose : « § 1er. Les Belges qui ne tiennent pas leur nationalité d'un auteur ou adoptant belge au jour de leur naissance et les Belges qui ne se sont pas vu attribuer leur nationalité en vertu de l'article 11 peuvent être déchus de la nationalité belge : 1° s'ils ont acquis la nationalité belge à la suite d'une conduite frauduleuse, par de fausses informations, par faux en écriture et/ou utilisation de documents faux ou falsifiés, par fraude à l'identité ou par fraude à l'obtention du droit de séjour;2° s'ils manquent gravement à leurs devoirs de citoyen belge. La Cour ne prononce pas la déchéance au cas où celle-ci aurait pour effet de rendre l'intéressé apatride, à moins que la nationalité n'ait été acquise à la suite d'une conduite frauduleuse, par de fausses informations ou par dissimulation d'un fait pertinent. Dans ce cas, même si l'intéressé n'a pas réussi à recouvrer sa nationalité d'origine, la déchéance de nationalité ne sera prononcée qu'à l'expiration d'un délai raisonnable accordé par la Cour à l'intéressé afin de lui permettre d'essayer de recouvrer sa nationalité d'origine. § 2. La déchéance est poursuivie par le ministère public. Les manquements reprochés sont spécifiés dans l'exploit de citation. § 3. L'action en déchéance se poursuit devant la Cour d'appel de la résidence principale en Belgique du défendeur ou, à défaut, devant la Cour d'appel de Bruxelles. § 4. Le premier président commet un conseiller, sur le rapport duquel la Cour statue dans le mois de l'expiration du délai de citation. § 5. Si l'arrêt est rendu par défaut, il est, après sa signification, à moins que celle-ci ne soit faite à personne, publié par extrait dans deux journaux de la province et au Moniteur belge.

L'opposition doit, à peine d'irrecevabilité, être formée dans le délai de huit jours à compter du jour de la signification à personne ou de la publication, sans augmentation de ce délai en raison de la distance.

L'opposition est portée à la première audience de la chambre qui a rendu l'arrêt; elle est jugée sur le rapport du conseiller commis s'il fait encore partie de la chambre, ou, à son défaut, par le conseiller désigné par le premier président, et l'arrêt est rendu dans les quinze jours. § 6. Le pourvoi en cassation n'est recevable que s'il est motivé et pour autant que, d'une part, devant la Cour d'appel ait été admis ou soutenu que la nationalité belge du défendeur à l'action en déchéance résultait de ce que, au jour de la naissance du défendeur, l'auteur de qui il tient sa nationalité était lui-même belge et que, d'autre part, ce pourvoi invoque la violation ou la fausse application des lois consacrant le fondement de ce moyen ou le défaut de motif de son rejet.

Le pourvoi est formé et jugé comme il est prescrit pour les pourvois en matière criminelle. § 7. Le délai pour se pourvoir en cassation et le pourvoi sont suspensifs de l'exécution de l'arrêt. § 8. Lorsque l'arrêt prononçant la déchéance de la nationalité belge est devenu définitif, son dispositif, qui doit mentionner l'identité complète de l'intéressé, est transcrit sur le registre indiqué à l'article 25 par l'officier de l'état civil de la résidence principale de l'intéressé en Belgique ou, à défaut, par l'officier de l'état civil de Bruxelles.

En outre, l'arrêt est mentionné en marge de l'acte contenant la transcription des agréments de l'option ou de la déclaration par laquelle l'intéressé avait acquis la nationalité belge ou de la naturalisation du défendeur ou de l'acte de naissance dressé ou transcrit en Belgique si sur cet acte un émargement de l'acquisition de la nationalité belge a été apposé.

La déchéance a effet à compter de la transcription. § 9. La personne qui a été déchue de la nationalité belge ne peut redevenir belge que par naturalisation. Dans le cas visé au § 1er, 1°, l'action en déchéance se prescrit par cinq ans à compter de la date de l'obtention de la nationalité belge par l'intéressé ».

B.1.2. Il ressort de l'arrêt de renvoi que la demande de déchéance de la nationalité belge qui a été introduite sur la base de l'article 23 précité du Code de la nationalité belge concerne une personne qui possède également une autre nationalité et qui a obtenu la nationalité belge en vertu de l'article 12 du même Code, tel qu'il était d'application avant sa modification par l'article 8 de la loi du 4 décembre 2012Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/12/2012 pub. 14/12/2012 numac 2012009519 source service public federal justice Loi modifiant le Code de la nationalité belge afin de rendre l'acquisition de la nationalité belge neutre du point de vue de l'immigration fermer « modifiant le Code de la nationalité belge afin de rendre l'acquisition de la nationalité belge neutre du point de vue de l'immigration ». La demande de déchéance est fondée sur un manquement grave aux devoirs de citoyen belge (article 23, § 1er, alinéa 1er, 2°); les faits étayant cette demande concernent des condamnations pour diverses infractions pénales, parmi lesquelles une condamnation en raison de la direction d'un groupe terroriste, telle que sanctionnée par l'article 140 du Code pénal.

Quant à la première question préjudicielle B.2. La première question préjudicielle interroge la Cour sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de la différence de traitement entre deux catégories de Belges : d'une part, ceux qui tiennent leur nationalité d'un auteur ou d'un adoptant qui était belge au jour de leur naissance ainsi que ceux qui se sont vu attribuer la nationalité belge en application de l'article 11 du Code de la nationalité belge, lesquels ne peuvent pas être déchus de la nationalité en vertu de la disposition en cause et, d'autre part, ceux qui ont obtenu la nationalité belge en application de l'article 12 du même Code, lesquels peuvent être déchus de la nationalité. Comme il est dit en B.1.2 et comme il ressort également de la question préjudicielle, il est demandé dans l'affaire devant le juge a quo de déchoir de la nationalité belge une personne qui a obtenu cette nationalité en vertu de l'article 12 précité, avant le remplacement de cet article par l'article 8 de la loi du 4 décembre 2012Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/12/2012 pub. 14/12/2012 numac 2012009519 source service public federal justice Loi modifiant le Code de la nationalité belge afin de rendre l'acquisition de la nationalité belge neutre du point de vue de l'immigration fermer. La Cour limite son examen à ce cas.

B.3.1. Les Belges qui tiennent leur nationalité d'un auteur qui était belge au jour de leur naissance se sont vu attribuer la nationalité belge en application de l'article 8 ou de l'article 9 du Code qui prévoient l'attribution de la nationalité aux enfants nés d'un parent belge ou adoptés par un Belge.

B.3.2. En vertu de l'article 11, § 1er, du Code, la nationalité belge est accordée automatiquement aux enfants nés en Belgique de parents étrangers si l'un d'eux est également né en Belgique et y a eu sa résidence principale durant cinq ans au cours des dix années précédant la naissance de l'enfant. Il en va de même pour les enfants nés en Belgique et adoptés par un étranger né lui-même en Belgique et satisfaisant à la même condition de résidence.

B.3.3. En vertu de l'article 11, § 2, du Code, la nationalité belge est également accordée aux enfants nés en Belgique et ayant, depuis leur naissance, leur résidence principale en Belgique, pour autant que les auteurs ou les adoptants fassent une déclaration à cet effet avant que l'enfant ait atteint l'âge de douze ans, qu'ils aient eu leur résidence principale en Belgique pendant les dix années précédant la déclaration et qu'au moins l'un d'entre eux soit admis ou autorisé à séjourner de manière illimitée en Belgique au moment de la déclaration.

B.3.4. L'article 12 du Code prévoit l'attribution de la nationalité belge par l'effet collectif d'un acte d'acquisition. En vertu de cette disposition, telle qu'elle était d'application avant sa modification par la loi du 4 décembre 2012Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/12/2012 pub. 14/12/2012 numac 2012009519 source service public federal justice Loi modifiant le Code de la nationalité belge afin de rendre l'acquisition de la nationalité belge neutre du point de vue de l'immigration fermer, la nationalité belge était accordée à un enfant qui n'avait pas atteint l'âge de 18 ans ou qui n'était pas émancipé avant cet âge, en cas d'acquisition volontaire ou de recouvrement de la nationalité belge par un auteur ou un adoptant qui exerce l'autorité sur la personne de l'enfant.

B.4. Exception faite des régimes temporaires et circonstanciels antérieurs, la déchéance de la nationalité a été introduite en droit belge en 1934 et a été reprise dans le Code de la nationalité actuel dès l'adoption de celui-ci, en 1984.

Selon l'article 23, § 1er, alinéa 1er, 2°, du Code de la nationalité belge, les Belges qui ne tiennent pas leur nationalité d'un auteur ou d'un adoptant qui était Belge au jour de leur naissance et les Belges qui ne se sont pas vu attribuer leur nationalité en vertu de l'article 11 du même Code peuvent être déclarés déchus de la nationalité belge s'ils manquent gravement à leurs devoirs de citoyen belge. Ainsi, cette disposition permet d'exclure ces Belges de la communauté nationale lorsqu'ils montrent par leur comportement qu'ils n'acceptent pas les règles fondamentales de la vie en commun et portent gravement atteinte aux droits et liberté de leurs concitoyens.

B.5. Sous réserve d'une appréciation manifestement déraisonnable, il relève du pouvoir d'appréciation du législateur de décider quelles catégories de Belges peuvent faire l'objet d'une mesure de déchéance et de désigner les catégories pour lesquelles cette possibilité doit être exclue.

B.6. Les personnes qui, en vertu de l'article 23, § 1er, alinéa 1er, 2°, du Code de la nationalité belge, ne peuvent pas être déclarées déchues de cette nationalité sont en premier lieu les personnes nées en Belgique dont un auteur ou un adoptant soit était Belge au jour de leur naissance, soit est lui-même né en Belgique et y a eu sa résidence principale pendant cinq ans au cours des dix années précédant la naissance ou l'adoption de l'enfant, auxquelles la nationalité belge est automatiquement attribuée au moment de la naissance ou de l'adoption, par le seul effet qui y est attaché par la loi. Il s'agit en outre de personnes qui sont également nées en Belgique et qui, avant l'obtention de la nationalité, y ont toujours eu leur résidence principale, qui sont devenues Belges avant d'avoir atteint l'âge de douze ans par une déclaration de leurs parents, lesquels ne sont pas eux-mêmes nés en Belgique mais y ont eu leur résidence principale pendant les dix années précédant la déclaration et dont au moins l'un d'entre eux a été autorisé à séjourner pour une durée illimitée en Belgique.

Compte tenu de leur naissance en Belgique et de leur filiation établie à l'égard d'auteurs ou d'adoptants qui sont belges ou sont nés en Belgique ou de leur naissance et de la longue durée de leur résidence et de celle de leurs parents ou adoptants en Belgique, ces personnes peuvent être considérées comme entretenant des liens particulièrement forts avec la communauté nationale.

B.7. Les personnes visées dans l'article 12 du Code de la nationalité belge, tel qu'il était d'application avant sa modification par la loi du 4 décembre 2012Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/12/2012 pub. 14/12/2012 numac 2012009519 source service public federal justice Loi modifiant le Code de la nationalité belge afin de rendre l'acquisition de la nationalité belge neutre du point de vue de l'immigration fermer, n'appartiennent pas à la catégorie des citoyens qui obtiennent ou peuvent obtenir la nationalité belge par la circonstance de leur naissance en Belgique. Elles ont obtenu la nationalité belge au cours de leur minorité du seul fait de l'acquisition ou du recouvrement de la nationalité belge par un auteur, sans qu'aucune autre condition de rattachement à la collectivité nationale soit fixée à cet égard.

B.8.1. La différence de traitement qui résulte de l'article 23, § 1er, alinéa 1er, 2°, du Code de la nationalité belge, en raison du fait que les catégories de personnes mentionnées en B.6 ne peuvent pas être déclarées déchues de la nationalité belge, tandis que cette exception ne s'applique pas à la catégorie de personnes visées en B.7, repose sur un critère de distinction objectif et pertinent, qui est lié au mode d'acquisition de la nationalité belge et au lien entretenu avec la communauté nationale.

B.8.2. La déchéance de la nationalité fondée sur l'article 23, § 1er, alinéa 1er, 2°, du Code de la nationalité belge est une mesure exceptionnelle qui ne peut être décidée que par une juridiction en cas de manquement grave aux devoirs de tout citoyen et à condition que la déchéance n'ait pas pour effet que l'intéressé devienne apatride. La déchéance n'est pas automatique et doit être demandée par le ministère public, les manquements reprochés devant être spécifiés dans l'exploit de citation (article 23, § 2). Il appartient à la juridiction compétente d'apprécier si tel manquement est suffisamment grave pour prononcer la déchéance de la nationalité belge, en tenant compte à cet égard des circonstances concrètes de l'espèce et des obligations internationales qui reposent sur l'Etat belge.

B.8.3. Compte tenu de ce qui est dit en B.8.2, la différence de traitement en cause n'est pas dépourvue de justification raisonnable.

B.9. La première question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant à la deuxième question préjudicielle B.10. La deuxième question préjudicielle invite la Cour à examiner la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 4 du Protocole n° 7 à cette convention, avec l'article 14, paragraphe 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec le principe général de droit non bis in idem.

B.11.1. En vertu du principe général de droit non bis in idem, garanti également par l'article 14, paragraphe 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, nul ne peut être poursuivi ou puni une seconde fois en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif « conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ». Ce principe est également consacré par l'article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme, entré en vigueur à l'égard de la Belgique le 1er juillet 2012.

B.11.2. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, le principe non bis in idem interdit « de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde ' infraction ' pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes » (CEDH, grande chambre, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, § 82).

Afin de déterminer si le principe non bis in idem peut s'appliquer, il doit être établi que la mesure en cause est de nature pénale (voy.

CEDH, grande chambre, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, §§ 101-134; 31 mai 2011, Kurdov et Ivanov c. Bulgarie, §§ 35-46, grande chambre, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, §§ 52-57, 70-84).

B.11.3. En vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, une mesure constitue une sanction pénale au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme si elle a un caractère pénal selon sa qualification en droit interne ou s'il ressort de la nature de l'infraction, à savoir la portée générale et le caractère préventif et répressif de la sanction, qu'il s'agit d'une sanction pénale ou encore s'il ressort de la nature et de la sévérité de la sanction subie par l'intéressé qu'elle a un caractère punitif et donc dissuasif (CEDH, grande chambre, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, §§ 105-107; grande chambre, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, § 53; grande chambre, 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande, §§ 30-31). Cette Cour utilise les mêmes critères pour l'application de l'article 4 du Protocole n° 7 à la Convention précitée, qui a une portée analogue à celle de l'article 14, paragraphe 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (CEDH, grande chambre, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, § 107).

B.12.1. L'article 23, § 1er, alinéa 1er, 2°, du Code de la nationalité belge permet d'exclure de la communauté nationale, en les privant de la nationalité belge, les personnes qui montrent par leur comportement qu'elles n'acceptent pas les règles fondamentales de la vie en commun et portent gravement atteinte aux droits et libertés de leurs concitoyens.

B.12.2. Le principe non bis in idem n'empêche pas l'examen d'actions civiles qui reposent en tout ou en partie sur des faits passibles de poursuites pénales. Comme la Cour l'a déjà jugé par son arrêt n° 122/2015, du 17 septembre 2015, la déchéance de la nationalité belge fondée sur l'article 23, § 1er, alinéa 1er, 2°, du Code de la nationalité belge est une mesure de nature civile, qui est indépendante de toute poursuite pénale et qui est appréciée par la cour d'appel siégeant en matière civile. Cette mesure n'a pas de caractère pénal, ni au sens du droit interne, ni au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme (p. ex. CEDH, 14 juin 2011, Borisov c. Lituanie, § 116). Il en découle que les garanties dont cette disposition entoure les litiges en matière pénale, ainsi que le principe non bis in idem, tel que ce dernier est aussi garanti par les dispositions conventionnelles mentionnées dans la question préjudicielle, ne s'appliquent pas à cette mesure.

B.12.3. La disposition en cause n'est dès lors pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec les dispositions conventionnelles mentionnées dans la question préjudicielle et avec le principe général de droit non bis in idem.

B.13. La deuxième question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant à la troisième question préjudicielle B.14. La troisième question préjudicielle interroge la Cour sur la compatibilité de la disposition en cause avec l'article 22 de la Constitution, combiné ou non avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, « dans la mesure où un Belge qui n'a acquis la nationalité belge qu'au cours de sa vie (et qui n'est donc pas un Belge de naissance) peut être déchu de cette nationalité belge, avec le risque qu'il soit extradé vers un autre pays (nota bene : qui n'est pas un Etat membre de l'Union européenne), la possibilité d'extradition ayant pour conséquence que l'intéressé serait physiquement éloigné de tous ses proches qui résident légalement dans le pays dont l'intéressé perdrait la nationalité et qui, en outre, ont aussi cette nationalité dont l'intéressé serait déchu ».

B.15.1. La juridiction a quo ne demande pas à la Cour d'apprécier si la mesure de déchéance de la nationalité belge porte atteinte, en tant que telle, au droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est garanti par les dispositions constitutionnelles et conventionnelles précitées, mais demande seulement s'il est porté atteinte à ce droit en ce que la décision de prononcer la déchéance aurait pour effet que l'intéressé court le risque d'être extradé vers un pays qui ne fait pas partie de l'Union européenne et d'être par conséquent éloigné des membres de sa famille résidant en Belgique.

B.15.2. L'article 23, § 1er, alinéa 1er, 2°, du Code de la nationalité belge permet de déclarer une personne déchue de la nationalité belge lorsque celle-ci a gravement manqué à ses devoirs de citoyen belge.

Bien que la possession de la nationalité belge fasse obstacle à l'extradition par la Belgique vers un autre pays, il n'existe pas de lien direct entre la mesure de déchéance de cette nationalité et une extradition éventuelle, de sorte que cette dernière ne peut être considérée comme la conséquence automatique de la déchéance.

L'extradition doit être demandée par un Etat tiers et doit être autorisée par le pouvoir exécutif, selon les procédures appropriées qui sont prévues à cet effet et en tenant compte des conventions bilatérales applicables qui ont été conclues avec le pays dont l'intéressé a la nationalité et des autres engagements internationaux qui reposent sur l'Etat d'exécution. Un recours contre la décision d'extradition est ouvert devant le Conseil d'Etat, de sorte que l'intéressé peut faire valoir ses moyens de défense et que c'est par conséquent devant cette juridiction qu'il pourra invoquer une éventuelle violation du droit à la protection de la vie privée et familiale, tel qu'il est garanti par les dispositions constitutionnelles et conventionnelles mentionnées dans la question préjudicielle.

B.15.3. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que ce n'est que dans des « circonstances exceptionnelles » que la vie privée et familiale d'un requérant dans un Etat partie l'emporte sur l'objectif légitime poursuivi par son extradition (CEDH, 4 septembre 2014, Trabelsi c.

Belgique, § 169; 24 juillet 2014, Calovskis c. Lettonie, § 147; 5 juin 2012, Shakurov c. Russie, §§ 196 et 202; 10 avril 2012, Babar Ahmad e.a. c. Royaume-Uni, § 252; 26 janvier 2010, King c. Royaume-Uni, § 29).

B.16. Dès lors qu'une potentielle atteinte au droit à la vie privée et familiale ne pourrait résulter que d'une éventuelle extradition, qui ne trouve pas son fondement dans la déchéance de la nationalité belge prononcée sur la base de la disposition en cause, la troisième question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant à la quatrième question préjudicielle B.17.1. La quatrième question préjudicielle interroge la Cour sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que cette disposition ne soumet pas la déchéance de la nationalité belge prononcée en raison de « graves manquements aux devoirs de citoyen belge » à la condition que les faits concernés, qui ne sont pas limités à des condamnations pénales, aient été commis dans une période bien précise à partir de la date d'obtention de la nationalité, alors que l'article 23/1, § 1er, 1°, du même Code, qui permet au juge saisi de l'action publique de prononcer la déchéance à titre accessoire, soumet la déchéance à la condition que les infractions pénales qui y sont mentionnées aient été commises dans les dix ans à compter de la date d'acquisition de la nationalité belge.

B.17.2. Les articles 23 et 23/1 du Code de la nationalité belge organisent deux procédures distinctes de déchéance de nationalité.

B.17.3. Telle qu'elle est organisée par l'article 23, § 1er, alinéa 1er, 2°, en cause, la déchéance de nationalité est une mesure exceptionnelle qui peut être demandée par le ministère public devant la cour d'appel en cas de manquement grave aux devoirs de tout citoyen belge, cette notion large permettant de viser des faits qui n'imposent pas un jugement prononcé par un juge belge et qui ne se limitent pas davantage à des condamnations pénales, ni aux condamnations pénales spécifiquement visées à l'article 23/1, § 1er, 1°, du même Code.

B.17.4. L'article 23/1, § 1er, 1°, du Code de la nationalité belge a été inséré par l'article 20 de la loi du 4 décembre 2012Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/12/2012 pub. 14/12/2012 numac 2012009519 source service public federal justice Loi modifiant le Code de la nationalité belge afin de rendre l'acquisition de la nationalité belge neutre du point de vue de l'immigration fermer « modifiant le Code de la nationalité belge afin de rendre l'acquisition de la nationalité belge neutre du point de vue de l'immigration ».

Cette disposition, telle qu'elle a été modifiée en dernier lieu par la loi du 20 juillet 2015Documents pertinents retrouvés type loi prom. 20/07/2015 pub. 05/08/2015 numac 2015009385 source service public federal justice Loi visant à renforcer la lutte contre le terrorisme type loi prom. 20/07/2015 pub. 19/01/2016 numac 2016000018 source service public federal interieur Loi visant à renforcer la lutte contre le terrorisme fermer renforçant la lutte contre le terrorisme, dispose : « § 1er. La déchéance de la nationalité belge peut être prononcée par le juge sur réquisition du ministère public à l'égard de Belges qui ne tiennent pas leur nationalité d'un auteur ou adoptant belge au jour de leur naissance et des Belges qui ne se sont pas vu attribuer leur nationalité en vertu de l'article 11, § 1er, alinéa 1er, 1° et 2° : 1° s'ils ont été condamnés, comme auteur, coauteur ou complice, à une peine d'emprisonnement d'au moins cinq ans sans sursis pour une infraction visée aux articles 101 à 112, 113 à 120bis, 120quater, 120sexies, 120octies, 121 à 123, 123ter, 123quater, alinéa 2, 124 à 134, 136bis, 136ter, 136quater, 136quinquies, 136sexies et 136septies, 331bis, 433quinquies à 433octies, 477 à 477sexies et 488bis du Code pénal et aux articles 77bis, 77ter, 77quater et 77quinquies de la loi sur les étrangers, pour autant que les faits leur reprochés aient été commis dans les dix ans à compter de la date d'obtention de la nationalité belge, à l'exception des infractions visées aux articles 136bis, 136ter et 136quater du Code pénal ». Les travaux préparatoires de la loi du 4 décembre 2012Documents pertinents retrouvés type loi prom. 04/12/2012 pub. 14/12/2012 numac 2012009519 source service public federal justice Loi modifiant le Code de la nationalité belge afin de rendre l'acquisition de la nationalité belge neutre du point de vue de l'immigration fermer mentionnent : « La présente proposition de loi modifie l'article 23 du Code de la nationalité belge [...].

La pratique a néanmoins montré que cette disposition n'avait pas de fondement juridique suffisamment clair pour engager avec succès la procédure prévue de déchéance de la nationalité à l'égard des personnes ayant été condamnées pour des actes qui étaient tellement graves qu'il ne pouvait y avoir le moindre doute concernant non seulement l'absence totale de volonté d'intégration dans la communauté d'accueil dans leur chef, mais aussi le danger manifeste qu'elles représentent pour la communauté en général.

A cet égard, la présente proposition de loi vise à étendre la déchéance aux personnes qui ont été condamnées à une peine d'emprisonnement d'au moins cinq ans sans sursis, d'une manière générale, pour des infractions dont la commission a été facilitée par la possession de la nationalité belge.

Pour ces infractions pénales, une procédure simplifiée est également prévue : le juge pénal prononcera immédiatement la déchéance, en même temps que la peine. L'on évite ainsi le détour fastidieux par la cour d'appel, qui avait en effet pour seul effet de ralentir la procédure et qui constituait une entrave supplémentaire au fonctionnement des tribunaux » (Doc. parl., Chambre, 2010-2011, DOC 53-0476/001, pp. 11-12).

Cette procédure « doit permettre au juge répressif de prononcer immédiatement la déchéance de la nationalité belge, en même temps que la peine » (ibid., p. 24) : « On évite de la sorte de se retrouver face à des situations complexes dans lesquelles, après qu'un nouveau Belge a commis des infractions graves, le ministère public est contraint d'introduire une toute nouvelle procédure devant la cour d'appel afin de faire prononcer la déchéance de la nationalité belge obtenue.

De ce fait, l'article 23 du CNB est en grande partie resté lettre morte jusqu'à présent » (ibid.).

B.17.5. Il ressort des travaux préparatoires cités que l'article 23/1 du Code de la nationalité belge vise à instaurer une procédure simplifiée permettant au juge pénal, sur réquisition du ministère public, de prononcer à titre accessoire la déchéance à l'égard de personnes qui ont récemment acquis la nationalité belge et qui ont été condamnées à une peine d'emprisonnement de plus de cinq ans sans sursis pour une des infractions exhaustivement énumérées à l'article 23/1, § 1er, 1°, qui sont considérées d'une gravité telle qu'elles révèlent l'absence de volonté d'intégration de leur auteur, ainsi que le danger que celui-ci représente pour la société.

B.18.1. La procédure de déchéance prévue par l'article 23/1 du Code de la nationalité belge coexiste avec la procédure prévue par l'article 23 en cause, leurs champs d'application respectifs et les juridictions compétentes étant différents.

B.18.2. La différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui découle de l'application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes n'est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l'application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.

B.18.3. La limitation dans le temps qui est fixée par l'article 23/1, § 1er, 1°, n'aboutit pas à un traitement plus favorable des personnes visées dans cette disposition. En effet, les personnes à l'égard desquelles la mesure de déchéance ne peut être prononcée en vertu de l'article 23/1, § 1er, 1°, parce qu'elles ont commis les faits punissables plus de dix ans après l'obtention de la nationalité belge, peuvent aussi faire l'objet d'une mesure de déchéance sur la base de l'article 23, § 1er, alinéa 1er, 2°, si ces faits constituent un manquement grave à leurs obligations de citoyen belge.

B.18.4. Pour les motifs énoncés en B.8.2, l'article 23, § 1er, alinéa 1er, 2°, en cause, du Code de la nationalité belge ne porte pas atteinte aux droits des personnes visées dans cette disposition.

B.19. La quatrième question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 23, § 1er, alinéa 1er, 2°, du Code de la nationalité belge ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 4 du Protocole n° 7 à cette convention, avec l'article 14, paragraphe 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec le principe général de droit non bis in idem. - La même disposition ne viole pas l'article 22 de la Constitution, combiné ou non avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 7 février 2018.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, E. De Groot

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