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Arrêt
publié le 06 juillet 2018

Extrait de l'arrêt n° 35/2018 du 22 mars 2018 Numéro du rôle : 6565 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 479 junctis 483 et 503bis du Code d'inst(...) La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, des juges L. Lavryse(...)

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Extrait de l'arrêt n° 35/2018 du 22 mars 2018 (version résultant de l'ordonnance en rectification du 16 mai 2018) Numéro du rôle : 6565 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 479 junctis 483 et 503bis du Code d'instruction criminelle, posées par la Cour d'appel de Gand.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, des juges L. Lavrysen, T. Merckx-Van Goey, F. Daoût et T. Giet, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite E. De Groot, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président émérite E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt du 15 décembre 2016 en cause du ministère public contre T.B., J.L. et S. D.V., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 23 décembre 2016, la Cour d'appel de Gand a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « L'article 479, combiné avec les articles 483 et 503bis, du Code d'instruction criminelle, lu en lien avec les articles 127 et 130 de ce même Code, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que ces articles ne prévoient pas une procédure de règlement de la procédure pour l'inculpé d'une infraction connexe à une infraction commise par une personne ayant l'une des qualités mentionnées à l'article 479 du Code d'instruction criminelle (nonobstant le fait que l'inculpé n'occupe pas une fonction à laquelle s'applique le privilège de juridiction), alors qu'une telle procédure est prévue pour l'inculpé à l'égard duquel s'applique la procédure de droit commun ? »;2. « L'article 479, combiné avec les articles 483 et 503bis, du Code d'instruction criminelle viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que ces articles ne prévoient pas une ' procédure de filtrage ' (procédure qui est comparable au règlement de la procédure visé à l'article 127 du Code d'instruction criminelle) pour l'inculpé d'une infraction connexe à une infraction commise par une personne ayant l'une des qualités mentionnées à l'article 479 du Code d'instruction criminelle, alors qu'une telle procédure est prévue à l'égard de l'inculpé d'une infraction connexe à une infraction commise par une personne ayant l'une des qualités mentionnées à l'article 481 du Code d'instruction criminelle, la Cour de cassation devant dans ce cas se prononcer sur la saisine, conformément à l'article 482 du Code d'instruction criminelle ? »;3. « L'article 479, combiné avec les articles 483 et 503bis, du Code d'instruction criminelle viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que ces articles ne prévoient pas une ' procédure de filtrage ' (procédure qui est comparable au règlement de la procédure visé à l'article 127 du Code d'instruction criminelle) pour l'inculpé d'une infraction connexe à une infraction commise par une personne ayant l'une des qualités mentionnées à l'article 479 du Code d'instruction criminelle, alors qu'une telle procédure est prévue à l'égard des ministres fédéraux et des membres d'un gouvernement de communauté ou de région et de leurs coauteurs ou complices (article 9, 16 et 29 des lois du 25 juin 1998 réglant la responsabilité pénale) ? »;4. « L'article 479, combiné avec les articles 483 et 503bis, du Code d'instruction criminelle viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que ces articles ne prévoient pas une ' procédure de filtrage ' (procédure qui est comparable au règlement de la procédure visé à l'article 127 du Code d'instruction criminelle) pour un juge de paix, visé à l'article 479 du Code d'instruction criminelle, alors qu'une telle procédure est prévue à l'égard de l'inculpé d'une infraction connexe à une infraction commise par une personne ayant l'une des qualités mentionnées à l'article 481 du Code d'instruction criminelle, la Cour de cassation devant dans ce cas se prononcer sur la saisine, conformément à l'article 482 du Code d'instruction criminelle ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. Les questions préjudicielles portent sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution de l'article 479 du Code d'instruction criminelle, combiné avec les articles 483 et 503bis du même Code.

B.1.2. Dans la première question préjudicielle, la Cour est invitée à se prononcer sur la compatibilité de ces dispositions avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dans la mesure où elles ne prévoient pas une procédure de règlement de la procédure pour l'inculpé d'une infraction connexe à une infraction commise par une personne visée par l'article 479 du Code d'instruction criminelle, alors que l'inculpé qui relève de la procédure de droit commun bénéficie d'un règlement de la procédure conformément aux articles 127 et 130 du Code d'instruction criminelle.

B.1.3. Dans les deuxième et quatrième questions préjudicielles, la Cour est invitée à se prononcer sur la compatibilité de ces dispositions avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dans la mesure où elles ne prévoient pas une « procédure de filtrage » qui est comparable au règlement de la procédure pour l'inculpé d'une infraction connexe à une infraction commise par une personne visée par l'article 479 du Code d'instruction criminelle ainsi que pour un juge de paix mentionné dans cette disposition, alors qu'une telle procédure est prévue à l'article 482 du même Code à l'égard de l'inculpé d'une infraction connexe à une infraction commise par une personne visée par l'article 481 du même Code.

B.1.4. Enfin, la troisième question préjudicielle vise la différence de traitement qui est instaurée par les dispositions précitées entre, d'une part, l'inculpé d'une infraction connexe à une infraction commise par une personne visée par l'article 479 du Code d'instruction criminelle, pour laquelle une « procédure de filtrage » qui est comparable au règlement de la procédure n'est pas prévue et, d'autre part, les ministres fédéraux et les membres des gouvernements de communauté ou de région ainsi que leurs coauteurs et complices, pour lesquels un tel règlement est prévu par les articles 9, 16 et 29 des lois ordinaire et spéciale du 25 juin 1998 réglant la responsabilité pénale des ministres fédéraux, d'une part, et des membres des gouvernements de communauté ou de région, d'autre part.

B.2. Les articles 479 à 482bis, 483, 484 et 503bis du Code d'instruction criminelle, qui font partie du livre II, titre IV (« De quelques procédures particulières »), chapitre III (« Des crimes commis par des juges, hors de leurs fonctions et dans l'exercice de leurs fonctions »), de ce Code, disposent : «

Art. 479.Lorsqu'un juge de paix, un juge au tribunal de police, un juge au tribunal de première instance, au tribunal du travail ou au tribunal de commerce, un conseiller à la cour d'appel ou à la cour du travail, un conseiller à la Cour de cassation, un magistrat du parquet près un tribunal ou une cour, un référendaire près la Cour de cassation, un membre de la Cour des comptes, un membre du Conseil d'Etat de l'auditorat ou du bureau de coordination près le Conseil d'Etat, un membre de la Cour constitutionnelle, un référendaire près cette Cour, les membres du Conseil du Contentieux des étrangers, un gouverneur de province est prévenu d'avoir commis, hors de ses fonctions, un délit emportant une peine correctionnelle, le procureur général près la cour d'appel le fait citer devant cette cour, qui prononce sans qu'il puisse y avoir appel.

Art. 480.S'il s'agit d'une infraction punissable d'une peine criminelle, le procureur général près la cour d'appel et le premier président de cette cour désigneront, le premier, le magistrat qui exercera les fonctions d'officier de police judiciaire; le second, le magistrat qui exercera les fonctions de juge d'instruction.

Art. 481.Si c'est un membre de cour d'appel ou un officier exerçant près d'elle le ministère public, qui soit inculpé d'avoir commis un [délit] ou un crime hors de ses fonctions, l'officier qui aura reçu les dénonciations ou les plaintes sera tenu d'en envoyer de suite des copies au Ministre de la justice, sans aucun retard de l'instruction qui sera continuée comme il est précédemment réglé, et il adressera pareillement au Ministre de la justice une copie des pièces.

Art. 482.Le Ministre de la Justice transmettra les pièces à la Cour de cassation, qui renverra l'affaire, s'il y a lieu, soit à un tribunal de police correctionnelle, soit à un juge d'instruction, pris l'un et l'autre hors du ressort de la cour à laquelle appartient le membre inculpé.

S'il s'agit de prononcer la mise en accusation, le renvoi sera fait à une autre cour d'appel.

Art. 482bis.Les coauteurs et les complices de l'infraction pour laquelle un fonctionnaire de la qualité exprimée à l'article 479 est poursuivi, et les auteurs des infractions connexes sont poursuivis et jugés en même temps que le fonctionnaire.

L'alinéa 1er ne s'applique toutefois pas aux auteurs de crimes et de délits politiques et délits de presse qui sont connexes avec l'infraction pour laquelle le fonctionnaire est poursuivi ». «

Art. 483.Lorsqu'un juge de paix, un juge au tribunal de police, un juge au tribunal de première instance, au tribunal du travail ou au tribunal de commerce, un conseiller à la cour d'appel ou à la cour du travail, un conseiller à la Cour de cassation, un magistrat du parquet près un tribunal ou une cour, un référendaire près la Cour de cassation, un membre de la Cour des comptes, un membre [du] Conseil d'Etat, de l'auditorat ou du bureau [de] coordination près le Conseil d'Etat, un membre de la Cour constitutionnelle, un référendaire près cette Cour, les membres du Conseil du Contentieux des étrangers, un gouverneur de province est prévenu d'avoir commis, dans l'exercice de ses fonctions, un délit emportant une peine correctionnelle, ce délit est poursuivi et jugé comme il est dit à l'article 479.

Art. 484.Lorsque des fonctionnaires de la qualité exprimée en l'article précédent seront prévenus d'avoir commis un crime, les fonctions ordinairement dévolues au juge d'instruction et au procureur du Roi seront immédiatement remplies par le premier président et le procureur général près la cour d'appel, chacun en ce qui le concerne, ou par tels autres officiers qu'ils auront respectivement et spécialement désignés à cet effet.

Jusqu'à la délégation, et dans le cas où il existerait un corps de délit, il pourra être constaté par tout officier de police judiciaire; et pour le surplus de la procédure, on suivra les dispositions générales du présent Code ». «

Art. 503bis.Les coauteurs et les complices de l'infraction visée à la présente section, pour laquelle un fonctionnaire de la qualité exprimée à l'article 483 ou un tribunal visé à l'article 485, est poursuivi, et les auteurs des infractions connexes sont poursuivis et jugés en même temps que le fonctionnaire ou le tribunal.

L'alinéa 1er ne s'applique toutefois pas aux auteurs de crimes et de délits politiques et délits de presse qui sont connexes avec l'infraction pour laquelle le fonctionnaire ou le tribunal est poursuivi ».

B.3.1. Il ressort de l'arrêt de renvoi que le litige pendant devant la juridiction a quo concerne deux juges de paix, dont l'un revêt également la qualité de juge suppléant au tribunal de première instance, qui sont prévenus d'avoir commis une infraction dans l'exercice de leurs fonctions, ainsi qu'une personne qui est prévenue d'avoir commis une infraction connexe.

La juridiction a quo estime ainsi que le litige en question relève des articles 479, 483 et 503bis du Code d'instruction criminelle. La Cour limite son examen à ces dispositions.

B.3.2. Les articles 482bis et 503bis du Code d'instruction criminelle aboutissent à faire application, aux justiciables attraits devant une cour d'appel en même temps que les magistrats précités, de l'article 479 du même Code et, partant, à les priver d'une procédure de règlement de la procédure ou d'une procédure comparable à celle-ci.

Une différence de traitement est ainsi créée entre ces justiciables et les justiciables cités devant le juge que le droit commun de la procédure leur assigne ainsi que les inculpés d'une infraction connexe à une infraction commise par un magistrat d'appel, un ministre fédéral ou un membre d'un gouvernement de communauté ou de région pour lesquels une telle procédure est prévue.

B.4. Les articles 9, 16 et 29 de la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021266 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi spéciale réglant la responsabilité pénale des membres des gouvernements de communauté ou de région fermer réglant la responsabilité pénale des ministres, également mentionnés dans les questions préjudicielles, disposent : «

Art. 9.Lorsque le procureur général ne requiert pas d'autres actes d'instruction, il requiert le règlement de la procédure devant la chambre de mises en accusation de la cour d'appel compétente, pour autant que la Chambre des représentants ait donné l'autorisation à cette fin ». «

Art. 16.Lorsque la chambre des mises en accusation est d'avis que le fait n'est ni un crime, ni un délit, ni une contravention ou qu'il n'existe aucune charge contre l'inculpé, elle déclare qu'il n'y a pas lieu à poursuivre.

Elle peut, si nécessaire, ordonner des actes d'instruction complémentaires.

Lorsque la chambre des mises en accusation est d'avis qu'il existe des charges suffisantes à l'encontre de l'inculpé, elle le renvoie devant la cour d'appel compétente ». «

Art. 29.Les coauteurs et les complices de l'infraction pour laquelle le ministre est poursuivi et les auteurs des infractions connexes sont poursuivis et jugés en même temps que le ministre.

L'alinéa précédent ne s'applique toutefois pas aux auteurs de crimes et de délits politiques et délits de presse qui sont connexes avec l'infraction pour laquelle le ministre est poursuivi ».

Les articles 9, 16 et 29 de la loi spéciale du 25 juin 1998 réglant la responsabilité pénale des membres des gouvernements de communauté ou de région prévoient des règles identiques, étant entendu qu'est prévue une intervention non pas de la Chambre des représentants mais bien du parlement devant lequel le membre concerné est ou était responsable pour donner l'autorisation de poursuivre.

B.5. Les articles 127 et 130 du Code d'instruction criminelle, également mentionnés dans les questions préjudicielles, disposent : «

Art. 127.§ 1er. Lorsque le juge d'instruction juge son instruction terminée, il communique le dossier au procureur du Roi.

Si le procureur du Roi ne requiert pas l'accomplissement d'autres devoirs, il prend des réquisitions en vue du règlement de la procédure par la chambre du conseil. § 2. La chambre du conseil fait indiquer, quinze jours au moins d'avance, dans un registre spécial tenu au greffe, les lieu, jour et heure de la comparution. Ce délai est réduit à trois jours lorsqu'un des inculpés est en détention préventive. Le greffier avertit, par télécopie ou par lettre recommandée à la poste, l'inculpé, la partie civile, celui qui a fait une déclaration de personne lésée et leurs conseils, que le dossier est mis à leur disposition au greffe en original ou en copie, qu'ils peuvent en prendre connaissance et en lever copie. § 3. L'inculpé et la partie civile peuvent demander au juge d'instruction, dans le délai fixé au § 2, l'accomplissement d'actes d'instruction complémentaires, conformément à l'article 61quinquies.

Dans ce cas, le règlement de la procédure est suspendu. Lorsque la demande a été définitivement traitée, l'affaire est à nouveau fixée devant la chambre du conseil suivant les formes et les délais prévus au § 2. § 4. La chambre du conseil statue sur le rapport du juge d'instruction, le procureur du Roi, la partie civile et l'inculpé entendus.

Les parties peuvent se faire assister d'un conseil ou être représentées par lui. La chambre du conseil peut néanmoins ordonner la comparution personnelle des parties, par vidéoconférence ou non lorsque l'inculpé se trouve en détention préventive. Cette ordonnance n'est pas susceptible de recours. L'ordonnance est signifiée à la partie qu'elle concerne à la requête du procureur du Roi et emporte citation à comparaître à la date fixée. Si ladite partie ne comparaît pas, la chambre du conseil statue et l'ordonnance est réputée contradictoire.

Lorsque la chambre du conseil tient la cause en délibéré pour prononcer son ordonnance, elle fixe le jour de cette prononciation ». «

Art. 130.Si la chambre du conseil constate que l'infraction relève de la compétence du tribunal correctionnel, l'inculpé est renvoyé devant ce tribunal ou, après l'instruction judiciaire dans le cas visé à l'article 57bis, § 1er, de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié infraction et à la réparation du dommage causé par ce fait, à la chambre spécifique du tribunal de la jeunesse ».

B.6.1. Les articles 479 à 503bis du Code d'instruction criminelle prévoient une procédure dérogeant au droit commun de la procédure pénale pour les infractions commises par les magistrats et par certains autres titulaires de fonctions publiques. Cette procédure particulière qu'implique le « privilège de juridiction » a été instaurée en vue de garantir, à l'égard de ces personnes, une administration de la justice impartiale et sereine. Les règles spécifiques d'instruction, de poursuite et de jugement tendent à éviter, d'une part, que des poursuites téméraires, injustifiées ou vexatoires soient intentées contre les personnes concernées et, d'autre part, que ces mêmes personnes soient traitées avec trop de sévérité ou trop de clémence.

Le législateur a prévu des dispositions similaires pour les infractions commises par les magistrats en dehors de leurs fonctions (articles 479 à 482bis), ainsi que pour les infractions commises dans l'exercice de leurs fonctions (articles 483 à 503bis). Le litige dont est saisie la juridiction a quo concerne cette dernière situation.

B.6.2. En vertu de l'article 483 du Code d'instruction criminelle, combiné avec l'article 479 du même Code, seul le procureur général près la cour d'appel est compétent pour mettre l'action publique en mouvement à charge des magistrats visés dans ces dispositions qui sont soupçonnés d'avoir commis un délit ou un crime dans l'exercice de leurs fonctions.

Si le procureur général près la cour d'appel estime qu'une mise à l'instruction est souhaitable, il demande au premier président de la cour d'appel de désigner le magistrat qui exercera les fonctions de juge d'instruction (article 484 du Code d'instruction criminelle).

Bien que l'article 484 concerne uniquement les crimes, la possibilité d'instruction pour un délit est admise, aux mêmes conditions (Cass., 31 juillet 1882, Pas., 1882, I, 332). Au terme de l'information ou de l'instruction, seul le procureur général décide, sans l'intervention d'une juridiction d'instruction, des suites à réserver à la procédure.

Il peut, ce faisant, décider de ne pas poursuivre ou, s'il estime qu'il existe des charges suffisantes, saisir, par citation directe, la cour d'appel, qui statue en premier et dernier ressort. Ce n'est que dans l'hypothèse où le procureur général estime que l'affaire doit être renvoyée devant la cour d'assises qu'il doit, conformément au droit commun, demander le règlement de la procédure par la chambre des mises en accusation (articles 217 et suivants du Code d'instruction criminelle).

En vertu de l'article 503bis du Code d'instruction criminelle, les coauteurs et les complices de l'infraction pour laquelle un magistrat visé à l'article 483 de ce Code est poursuivi ainsi que les auteurs d'infractions connexes sont poursuivis et jugés en même temps que ce magistrat. Ils sont donc soumis eux aussi à la procédure spéciale, telle qu'elle est réglée par les dispositions précitées dans le cadre du « privilège de juridiction ».

B.6.3. Les articles 481 et 482 du Code d'instruction criminelle prévoient des garanties supplémentaires à l'égard des magistrats des cours d'appel. Bien que ces dispositions concernent les infractions commises par les magistrats en dehors de l'exercice de leurs fonctions, il est admis que ces dispositions s'appliquent également aux infractions commises par les magistrats des cours d'appel dans l'exercice de leurs fonctions (Cass., 28 janvier 1946, Pas., 1946, p. 35).

L'article 481 du Code d'instruction criminelle prévoit que les dénonciations ou les plaintes reçues au sujet d'un délit ou d'un crime qui aurait été commis par un magistrat de la cour d'appel sont immédiatement transmises au ministre de la Justice. Des copies des actes d'instruction déjà accomplis doivent également être adressées au ministre.

Celui-ci envoie ensuite les pièces à la Cour de cassation, qui, statuant en chambre du conseil, décide des suites à réserver à la procédure (article 482 du Code d'instruction criminelle). Elle peut donc décider qu'il n'y a pas lieu de renvoyer l'affaire compte tenu de l'absence d'infraction ou de charges suffisantes (Cass., 5 février 2002, Pas., 2002, n° 88). Elle peut également décider qu'une instruction complémentaire s'impose et renvoyer l'affaire au premier président d'une autre cour d'appel que celle du ressort du magistrat concerné afin qu'il désigne un magistrat qui exercera les fonctions de juge d'instruction (Cass., 21 juin 1995, Pas., 1995, n° 320). Enfin, la Cour de cassation peut encore renvoyer directement l'affaire devant la cour d'appel d'un ressort différent de celui auquel appartient le magistrat concerné, ou le cas échéant, devant la chambre des mises en accusation d'une autre cour d'appel si l'affaire est renvoyée à la cour d'assises.

B.7.1. La loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021266 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi spéciale réglant la responsabilité pénale des membres des gouvernements de communauté ou de région fermer réglant la responsabilité pénale des ministres et la loi spéciale du 25 juin 1998 réglant la responsabilité pénale des membres des gouvernements de communauté ou de région (ci-après : les lois ordinaire et spéciale du 25 juin 1998) prévoient une procédure particulière pour les infractions commises par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions ou en dehors de l'exercice de leurs fonctions mais jugées au cours de l'exercice de leurs fonctions.

Lors de l'adoption des règles relatives au « privilège de juridiction » des ministres, le législateur a voulu reprendre le système existant du « privilège de juridiction » des magistrats : « La pondération des différentes alternatives a abouti à la conclusion qu'il n'est pas opportun de créer un nouveau régime pour le seul jugement de ministres. C'est la raison pour laquelle le choix s'est porté sur le régime du privilège de juridiction tel qu'il existe actuellement pour les juges et les autres personnes énumérées [aux articles] 479 et suivants du Code d'instruction criminelle, étant donné que la philosophie qui sous-tend ce privilège de juridiction paraît parfaitement applicable aux ministres » (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1258/1, p. 5). « Le régime du privilège de juridiction devient applicable aux ministres, conformément au système en vigueur pour les magistrats (articles 479 et suivants du Code d'instruction criminelle), ce qui signifie que les intéressés seront jugés directement par la cour d'appel » (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1258/5, p. 6).

B.7.2. Bien que le législateur ait donc entendu rapprocher les régimes du « privilège de juridiction » applicables aux magistrats et ministres, il existe des différences substantielles entre les deux régimes en ce qui concerne les règles relatives à l'instruction pénale.

Certes, pour les ministres aussi, le procureur général près la cour d'appel est seul compétent pour mettre l'action publique en mouvement, l'instruction est menée par un magistrat qui est désigné par le premier président de la cour d'appel compétente et seule la cour d'appel est compétente pour juger les ministres en premier et dernier ressort (articles 103, alinéa 4, et 125, alinéa 4, de la Constitution et articles 3 et 4 des lois ordinaire et spéciale du 25 juin 1998).

Toutefois, à la différence des magistrats, au terme de l'instruction, il est prévu, pour les ministres, un règlement de la procédure par la chambre des mises en accusation de la cour d'appel compétente, qui peut décider qu'il n'y a pas lieu à poursuivre, qui peut ordonner des actes d'instruction complémentaires ou renvoyer l'affaire à la cour d'appel compétente (articles 9 et 16 des lois ordinaire et spéciale du 25 juin 1998). Pour le surplus, le procureur général près la cour d'appel doit, tant pour la demande de règlement de la procédure que pour la citation directe, recevoir l'autorisation préalable du parlement devant lequel le ministre doit ou devait se justifier (articles 10, 11 et 13 des lois ordinaire et spéciale du 25 juin 1998).

B.7.3. En vertu de l'article 29 des lois ordinaire et spéciale du 25 juin 1998, les coauteurs et les complices de l'infraction pour laquelle le ministre est poursuivi ainsi que les auteurs d'infractions connexes sont poursuivis et jugés en même temps que le ministre.

B.8.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité des articles 479, 483 et 503bis du Code d'instruction criminelle avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'ils ne prévoient pas pour un magistrat visé par l'article 479 du Code d'instruction criminelle autre que ceux visés par l'article 481 et un inculpé d'une infraction connexe un règlement de la procédure ou une procédure de filtrage qui y est similaire lors de la conclusion de l'instruction.

Les questions préjudicielles concernent la différence de traitement qui est ainsi instaurée avec un inculpé qui relève de la procédure de droit commun, pour lequel le règlement de la procédure est prévu par l'article 127 du Code d'instruction criminelle (première question), avec un inculpé d'une infraction connexe à une infraction commise par un magistrat de la cour d'appel visé par l'article 481 du même Code, pour lequel l'article 482 du même Code prévoit une procédure de filtrage avec intervention de la Cour de cassation (deuxième et quatrième questions), et avec les ministres fédéraux et les membres des gouvernements de communauté ou de région et leurs coauteurs et complices, pour lesquels les articles 9, 16 et 29 des lois ordinaire et spéciale du 25 juin 1998 prévoient une procédure de filtrage (troisième question).

B.8.2. Eu égard à leur connexité, la Cour examine les différentes questions préjudicielles conjointement.

B.9.1. Il appartient en principe au législateur de décider pour quelles fonctions publiques il y a lieu de prévoir des règles dérogatoires aux règles ordinaires de la procédure pénale afin d'atteindre les objectifs d'intérêt général tels que ceux qui sont cités en B.6.1.

Le fait que des règles procédurales différentes soient prévues dans le cadre du régime de « privilège de juridiction » pour les magistrats des cours d'appel, pour les autres magistrats visés par l'article 479 du Code d'instruction criminelle et pour les ministres ne peut être tenu pour discriminatoire en soi.

B.9.2. Il n'est pas davantage discriminatoire en soi que les auteurs d'une infraction connexe à une infraction commise par une personne visée par l'article 479 du Code d'instruction criminelle soient poursuivis et jugés en même temps que cette dernière et selon les mêmes règles de procédure spécifiques.

A cet égard, la Cour a jugé par son arrêt n° 60/96 du 7 novembre 1996 : « B.8. [...] Toutefois, la nécessité d'une bonne administration de la justice justifie l'organisation d'un procès unique et complet, qui assure une cohérence dans l'appréciation des faits et des responsabilités. Il est conforme au principe fondamental de la contradiction des débats de permettre à plusieurs personnes poursuivies à propos des mêmes faits de comparaître devant la même juridiction. A défaut, la multiplicité des instructions, puis des débats, serait de nature à faire obstacle à la manifestation de la vérité judiciaire, notamment quant à la détermination du rôle respectif des différentes personnes poursuivies.

En outre, les droits de défense tant des personnes mentionnées à l'article 479 que des autres personnes poursuivies pour les mêmes faits pourraient être méconnus si des prévenus devaient se défendre devant une juridiction alors qu'une autre juridiction aurait déjà statué sur la réalité, l'imputabilité et la qualification pénale des faits qui leur sont reprochés. La nature des principes en cause ne permet donc pas de considérer la différence de traitement critiquée comme dépourvue de justification ».

B.9.3. Il y aurait toutefois une discrimination si la différence de traitement qui découle de l'application de ces règles procédurales emportait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées à cet égard.

B.10.1. L'article 13 de la Constitution implique un droit d'accès au juge compétent. Ce droit est également garanti par l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et par un principe général de droit.

B.10.2. Comme l'a jugé la Cour européenne des droits de l'homme, le fait pour les Etats d'accorder généralement des « privilèges de juridiction » aux magistrats constitue une pratique de longue date, destinée à assurer le bon fonctionnement de la justice. En ce qui concerne plus particulièrement les règles spécifiques belges en matière d'instruction, de poursuite et de jugement qu'implique le « privilège de juridiction », la Cour européenne a souligné que ces règles visent à éviter, d'une part, que des poursuites téméraires, injustifiées ou vexatoires soient intentées contre les personnes auxquelles ce régime est applicable et, d'autre part, que ces mêmes personnes soient traitées avec trop de sévérité ou trop de clémence.

D'après la Cour européenne, de tels objectifs doivent être tenus pour légitimes (CEDH, 15 octobre 2003, Ernst et autres c. Belgique, § 50).

La Cour européenne a par ailleurs jugé que le « privilège de juridiction » organisé par les autorités nationales ne viole pas l'article 6 de la Convention européenne pour autant que les droits garantis, dont est privé le bénéficiaire, soient compensés raisonnablement par d'autres moyens (CEDH, 15 octobre 2003, Ernst et autres c. Belgique, § 53; 30 avril 2003, Cordova c. Italie, § 65).

B.11. Par dérogation à la procédure pénale de droit commun, les dispositions en cause ne prévoient pas, pour les magistrats, l'intervention d'une juridiction d'instruction afin de régler la procédure au terme de l'instruction.

B.12.1. En ce qui concerne les magistrats des cours d'appel, la Cour a jugé, par son arrêt n° 131/2016 du 20 octobre 2016 : « B.10.2. [...] Le législateur a pu considérer qu'en ce qui concerne les magistrats des cours d'appel, le fait que les fonctions de juge d'instruction soient exercées par un magistrat désigné à cette fin par le premier président de la cour d'appel d'un ressort autre que le leur, le fait qu'ils soient jugés par le plus haut juge du fond qui relève d'un ressort autre que le leur et l'intervention de la Cour de cassation, qui doit décider des suites qu'il y a lieu de réserver à la procédure, offrent des garanties suffisantes. Comme il est dit en B.5.3, la Cour de cassation, statuant en chambre du conseil, peut décider à cette occasion qu'il n'y a pas lieu à poursuivre ou à renvoyer directement l'affaire à la cour d'appel si les charges sont suffisantes, ou encore à requérir des actes d'instruction complémentaires.

Les magistrats des cours d'appel ont donc la garantie que la Cour de cassation, comme une juridiction d'instruction dans la procédure pénale de droit commun, procède au règlement de la procédure et examine à cette occasion si les charges sont suffisantes et si la procédure est régulière.

B.11.1. Cependant, la procédure dans l'affaire soumise à la juridiction a quo fait apparaître que, lorsque la Cour de cassation a requis des devoirs complémentaires et a, à cette fin, renvoyé l'affaire au premier président d'une cour d'appel autre que celle du ressort du magistrat concerné afin qu'il désigne un magistrat instructeur, le procureur général près cette cour d'appel est réputé compétent pour décider, au terme de l'instruction requise, si l'affaire doit ou non être renvoyée à la juridiction de jugement, sans qu'une nouvelle décision de la Cour de cassation soit requise en la matière.

Dès lors, dans la mesure où, au terme de l'instruction requise par la Cour de cassation, il n'y a pas d'intervention d'un organe juridictionnel qui procède, dans le cadre d'une procédure contradictoire, au règlement de la procédure et examine ce faisant si les charges sont suffisantes et si la procédure est régulière, il est porté une atteinte disproportionnée aux droits des magistrats des cours d'appel concernés et de leurs coauteurs et complices.

B.11.2. Dans l'interprétation mentionnée en B.11.1, les dispositions en cause ne sont pas compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution et les questions préjudicielles appellent une réponse affirmative.

B.12. Les dispositions en cause peuvent toutefois faire l'objet d'une autre interprétation selon laquelle, au terme de l'instruction requise par la Cour de cassation, l'affaire doit être renvoyée à cette Cour, dont la compétence est, dans cette procédure, comparable à celle d'une juridiction d'instruction et qui procède, dans le cadre d'une procédure contradictoire, au règlement de la procédure et examine à cette occasion si les charges sont suffisantes et si la procédure est régulière.

Le magistrat de la cour d'appel poursuivi et ses coauteurs et complices disposent alors de la possibilité de soulever d'éventuelles objections, nullités ou irrégularités et de demander, le cas échéant, à la Cour de cassation de requérir des actes d'instruction complémentaires.

Dans cette interprétation, les dispositions en cause sont compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution et les questions préjudicielles appellent une réponse négative ».

B.12.2. En ce qui concerne les magistrats visés par l'article 479 du Code d'instruction criminelle autres que ceux visés à l'article 481, en confiant les fonctions de juge d'instruction à un magistrat désigné à cette fin par le premier président de la cour d'appel et en prévoyant que les magistrats concernés doivent être jugés par le plus haut juge du fond, le législateur a entendu leur offrir des garanties déterminées de nature à assurer une administration de la justice impartiale et sereine, conformément à l'objectif mentionné en B.6.1.

B.12.3. Cependant, comme il est dit en B.6.2, le procureur général près la cour d'appel est seul compétent pour décider, au terme de l'instruction requise, si l'affaire doit ou non être renvoyée à la juridiction de jugement. Dans la mesure où, au terme de l'instruction, il n'y a pas, pour les magistrats visés par l'article 479 du Code d'instruction criminelle autres que ceux visés à l'article 481 et les auteurs d'une infraction connexe, d'intervention d'une juridiction d'instruction qui procède, dans le cadre d'une procédure contradictoire, au règlement de la procédure et examine ce faisant si les charges sont suffisantes et si la procédure est régulière, comme c'est le cas de la Cour de cassation pour les magistrats des cours d'appel, les dispositions en cause portent une atteinte disproportionnée aux droits des personnes concernées.

B.12.4. [Les articles 479, 483 et 503bis du Code d'instruction criminelle] ne sont dès lors pas compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.13. Les questions préjudicielles appellent une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : [Les articles 479, 483 et 503bis du Code d'instruction criminelle] violent les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils ne prévoient pas, au terme de l'instruction, l'intervention d'une juridiction d'instruction qui procède, dans le cadre d'une procédure contradictoire, au règlement de la procédure et examine ce faisant si les charges sont suffisantes et si la procédure est régulière.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 22 mars 2018.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, E. De Groot [Texte modifié à la suite de l'ordonnance en rectification du 16 mai 2018]

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