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Arrêt
publié le 24 juillet 2018

Extrait de l'arrêt n£ 107/2018 du 19 juillet 2018 Numéro du rôle : 6873 En cause : la demande de suspension des articles 68 et 69 du décret de la Région flamande du 8 décembre 2017 « modifiant diverses dispositions en matière d'aménagement du La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges J.-P. S(...)

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Extrait de l'arrêt n£ 107/2018 du 19 juillet 2018 Numéro du rôle : 6873 En cause : la demande de suspension des articles 68 et 69 du décret de la Région flamande du 8 décembre 2017 « modifiant diverses dispositions en matière d'aménagement du territoire, d'écologie, d'environnement et d'aménagement du territoire », introduite par Philip Maes et autres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, F. Daoût et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la demande et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 19 mars 2018 et parvenue au greffe le 20 mars 2018, une demande de suspension des articles 68 et 69 du décret de la Région flamande du 8 décembre 2017 « modifiant diverses dispositions en matière d'aménagement du territoire, d'écologie, d'environnement et d'aménagement du territoire [lire : en matière d'aménagement du territoire, d'écologie et d'environnement] » (publié au Moniteur belge du 20 décembre 2017, deuxième édition) a été introduite par Philip Maes, Jörg Heuvels, Johannes Van Den Assem et Robert Van Heyst, assistés et représentés par Me R. Tijs, avocat au barreau d'Anvers.

Par la même requête, les parties requérantes demandent également l'annulation des mêmes dispositions décrétales. (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions attaquées B.1.1. Les articles 68 et 69 du décret du 8 décembre 2017 « modifiant diverses dispositions en matière d'aménagement du territoire, d'écologie, d'environnement et d'aménagement du territoire » [lire : en matière d'aménagement du territoire, d'écologie et d'environnement] (ci-après : le décret du 8 décembre 2017) disposent : «

Art. 68.Au titre IV, chapitre IV, division 1, du [Code flamand de l'aménagement du territoire], modifié par le décret du 16 juillet 2010 et du 11 mai 2012, il est inséré une sous-division 7/3, libellée comme suit : ' Sous-division 7/3. - Actes dans les zones d'extraction '.

Art. 69.Dans le même Code, il est inséré dans la sous-division 7/3, insérée sous l'article 68, un article 4.4.8/3 libellé comme suit : ' Art. 4.4.8/3. Dans les zones d'extraction identifiées sur les plans de secteur et les zones qui relèvent de la sous-catégorie d'affectation de zone " zone pour l'exploitation de minerais de surface primaires ", les actes suivants, outre l'extraction de matières premières primaires, sont également admis, en ce compris les constructions amovibles nécessaires à cet effet, pour autant que l'éventuelle destination ultérieure de la zone ne soit pas compromise : 1° le traitement mécanique des minerais extraits;2° l'enrichissement des minerais extraits par mélange avec des matériaux provenant de travaux de démolition dans le cadre d'un cycle de matériaux durable au sens de l'article 3, 22°, du décret du 23 décembre 2011 relatif à la gestion durable de cycles de matériaux et de déchets.' ».

B.1.2. En adoptant les articles 68 et 69, attaqués, du décret du 8 décembre 2017, qui sont le résultat des amendements 24 et 25, le législateur décrétal entendait réaliser l'objectif de base en matière de gestion des minerais de surface, qui est de « fournir de façon durable les minerais de surface nécessaires pour répondre aux besoins actuels et futurs en matériaux de la société » (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 1149/3, p. 24) : « Grâce à cette proposition, dans [les zones d'extraction], il devient possible, en plus de l'extraction des matières premières primaires, de procéder également au traitement mécanique des minerais extraits. Pour l'activité d'extraction et pour le traitement mécanique des minerais extraits, il est permis de bâtir des infrastructures temporaires qui doivent être éliminées après l'extraction.

Dans le cadre d'un cycle de matériaux durable, la possibilité est également offerte de combiner ces activités avec l'enrichissement des minerais extraits en les mélangeant avec des matériaux provenant de travaux de démolition (l'on songe par exemple à la fabrication de granulats composés de minerais extraits sur place et de déchets de construction et de démolition recyclés). Les machines, les matériaux et le matériel nécessaires à cette fin (par exemple, une installation de concassage, une installation de tamisage, etc.) sont intrinsèquement liés à un tel cycle de matériaux durable. L'extraction doit demeurer l'activité principale, l'enrichissement des minerais doit rester une activité accessoire » (ibid.).

Quant à la recevabilité B.2. Le Gouvernement flamand soutient que la demande de suspension qui a été introduite est partiellement irrecevable à défaut d'exposé des moyens ou à défaut de griefs.

B.3.1. Selon le Gouvernement flamand, l'irrecevabilité résultant de l'absence d'exposé des moyens découlerait du constat que seul l'article 7 de la Convention du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement (ci-après : la Convention d'Aarhus) serait applicable, les parties requérantes n'exposant pas en quoi les articles 6 et 8 seraient violés.

B.3.2. Etant donné que les parties requérantes fondent leur premier moyen sur l'absence de participation lors de l'adoption de la réglementation attaquée mais laissent de côté la question de l'application éventuelle des articles 6 à 8 de la Convention d'Aarhus à la réglementation attaquée, spécifiquement la question de savoir si la réglementation attaquée doit être considérée comme une « décision relative à des activités particulières » (article 6), un « plan, programme ou politique relatif à l'environnement » (article 7) ou « une disposition règlementaire et/ou un instrument normatif juridiquement contraignant d'application générale » (article 8), l'examen de l'exception se confond avec celui du fond de l'affaire.

B.3.3. Selon le Gouvernement flamand, l'irrecevabilité résultant de l'absence de griefs découlerait également du constat que les parties requérantes ne développent que des griefs relatifs aux activités autorisées dans des zones d'extraction et non aux activités autorisées dans des zones pour l'exploitation de minerais de surface primaires.

B.3.4. Bien qu'il apparaisse des faits, tels qu'ils sont exposés par les parties requérantes, qu'elles habitent toutes dans les environs d'une zone qui est inscrite comme une « zone d'extraction » dans un plan de secteur et non dans les environs d'une zone qui est inscrite comme une « zone pour l'exploitation de minerais de surface primaires » dans un plan d'exécution spatial, les griefs des parties requérantes ne sont pas limités aux « zones d'extraction ». En effet, les parties requérantes s'opposent à ce qu'en vertu des dispositions attaquées, des activités supplémentaires nuisibles pour l'environnement, qui étaient auparavant interdites, puissent être autorisées dans les zones concernées.

B.3.5. Les exceptions sont rejetées.

Quant aux conditions de la suspension B.4. Aux termes de l'article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, deux conditions de fond doivent être remplies pour que la suspension puisse être décidée : - des moyens sérieux doivent être invoqués; - l'exécution immédiate de la règle attaquée doit risquer de causer un préjudice grave difficilement réparable.

Quant au préjudice grave difficilement réparable B.5. La suspension par la Cour d'une disposition législative doit permettre d'éviter que l'application immédiate des normes attaquées risque de causer aux parties requérantes un préjudice grave, qui ne pourrait être réparé ou qui pourrait difficilement l'être en cas d'annulation de ces normes.

B.6. Il ressort de l'article 22 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 que, pour satisfaire à la seconde condition de l'article 20, 1°, de cette loi, la personne qui forme une demande de suspension doit exposer, dans sa requête, des faits concrets et précis qui prouvent à suffisance que l'application immédiate des dispositions dont elle demande l'annulation risque de lui causer un préjudice grave difficilement réparable.

Cette personne doit notamment faire la démonstration de l'existence du risque de préjudice, de sa gravité et de son lien avec l'application des dispositions attaquées.

B.7.1. Les parties requérantes invoquent les nuisances irréversibles et l'atteinte permanente à leur cadre de vie.

Selon l'article 32, § § 1er et 2, du décret du 25 avril 2014 relatif au permis d'environnement, l'autorité compétente ne dispose que d'un délai maximum de 180 jours pour statuer sur une demande de permis d'environnement. Comme le délai entre la demande et l'obtention du permis d'environnement est très limité, les parties requérantes sont confrontées au risque réel que toutes les activités dont la cessation a été ordonnée à la suite de la procédure introduite devant le Conseil d'Etat, et de l'action en cessation en matière d'environnement qui en a résulté, reprennent leur cours dans le même délai maximum de 180 jours. Les nuisances dues à la poussière, les nuisances sonores, les embarras de circulation et les nuisances lumineuses et visuelles dont les parties requérantes se plaignent pourraient reprendre immédiatement.

C'est justement en raison du délai très court dans lequel un exploitant peut obtenir un nouveau permis pour ces installations, qui ont pourtant été récemment interdites par voie judiciaire, que les parties requérantes ne peuvent se contenter de demander l'annulation des articles attaqués. En effet, le préjudice grave qu'elles subiraient en ne demandant que l'annulation, sans la suspension préalable, ne pourrait plus être réparé parce qu'il constitue une atteinte permanente au cadre de vie des parties requérantes.

B.7.2. L'exécution immédiate des articles 68 et 69, attaqués, du décret du 8 décembre 2017 permet, dans ce court délai, d'octroyer un permis d'environnement à certains exploitants de zones d'extraction ou de zones pour l'exploitation de minerais de surface primaires, autorisant ceux-ci non seulement à extraire du sol des minerais de surface par une exploitation en surface (article 2, 5°, du décret du 4 avril 2003 relatif aux minerais de surface), mais aussi à traiter mécaniquement les minerais extraits et à les enrichir en les mélangeant avec des matériaux provenant de travaux de démolition.

Le constat du Gouvernement flamand selon lequel le préjudice dont se prévalent les parties requérantes ne résulterait pas directement des dispositions attaquées mais seulement du permis d'environnement qui serait éventuellement accordé ultérieurement, n'y change rien. Compte tenu des diverses procédures civiles et administratives déjà engagées et pendantes, dans lesquelles les parties requérantes ont toujours obtenu que les activités supplémentaires qu'elles attaquent ne soient pas autorisées dans des zones d'extraction et dans des zones pour l'exploitation de minerais de surface primaires, on ne peut exiger des parties requérantes qu'elles doivent, après l'attribution d'un permis d'environnement, introduire de nouvelles procédures pour faire interdire les activités supplémentaires qui seraient autorisées par le permis afin de pouvoir protéger leur cadre de vie et qu'elles subissent, dans l'intervalle, une atteinte à celui-ci.

B.7.3. En effet, les parties requérantes ont déjà introduit une action en cessation en matière d'environnement, qui a été déclarée fondée par le Tribunal de première instance d'Anvers, par jugement du 23 mai 2017. Celui-ci a ordonné la cessation des actes qui constituent une violation manifeste ou une menace grave de violation des dispositions législatives relatives à la protection de l'environnement.La cessation immédiate des activités a été ordonnée sous peine d'une astreinte de 10 000 euros par jour ou par jour entamé.

B.7.4. Etant donné que le préjudice subi par les parties requérantes résulte de nuisances irréversibles et de l'atteinte permanente à leur cadre de vie et compte tenu de la cessation immédiate ordonnée sous peine d'une astreinte élevée, le risque de préjudice allégué doit être considéré comme grave et difficilement réparable.

Quant au caractère sérieux des moyens B.8. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 6 à 8 de la Convention d'Aarhus.

Les parties requérantes critiquent la différence de traitement instaurée entre les citoyens selon qu'ils sont riverains ou non d'une zone d'extraction ou d'une zone pour l'exploitation de minerais de surface primaires. Les citoyens qui habitent dans le voisinage d'une telle zone n'ont jamais eu le droit de participer à l'élaboration des nouvelles possibilités d'exploitation pour des zones d'extraction et des zones pour l'exploitation de minerais de surface primaires instaurées par voie décrétale, alors que les citoyens qui habitent dans le voisinage de zones ayant une autre destination prévue par le plan ont le droit de participer à l'élaboration de nouvelles possibilités qui seraient créées puisque cette création n'est permise qu'en adoptant un plan d'exécution spatial régional.

B.9. Le moyen sérieux ne se confond pas avec le moyen fondé.

Pour qu'un moyen soit considéré comme sérieux au sens de l'article 20, 1°, de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle, il ne suffit pas qu'il ne soit pas manifestement non fondé au sens de l'article 72, mais il faut aussi qu'il revête une apparence de fondement au terme d'un premier examen des éléments dont la Cour dispose à ce stade de la procédure.

B.10.1. La différence de traitement exposée dans le moyen repose sur un critère objectif, en l'occurrence le fait d'habiter ou non à proximité d'une zone de destination qualifiée de « zone d'extraction » ou de « zone pour l'exploitation de minerais de surface primaires ».

Seuls les citoyens proches de ces zones n'ont pas eu la possibilité d'exercer leur droit de participation, alors que cette possibilité existe bien pour les citoyens qui habitent à proximité d'une autre zone de destination, et alors que cette possibilité de participation leur offre une garantie pour la sauvegarde du droit à la protection d'un environnement sain (article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution).

B.10.2. En adoptant les articles 68 et 69, attaqués, du décret du 8 décembre 2017, le législateur décrétal entendait promouvoir le développement durable et le cycle de matériaux durable dans des zones d'extraction et des zones pour l'exploitation de minerais de surface primaires (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 1149/3, p. 24). Cette motivation peut également être appliquée à d'autres zones de destination où le développement durable et la création d'un cycle de matériaux durable pourraient également justifier l'autorisation de possibilités d'exploitation supplémentaires.

B.10.3. Autoriser le traitement mécanique de minerais extraits et leur enrichissement soit dans une zone d'extraction, soit dans une zone pour l'exploitation de minerais de surface primaires implique non seulement une présence constante de machines, de matériaux et de matériel (Doc. parl., Parlement flamand, ibid., p. 24), mais aussi des flux entrants et sortants permanents de déchets, ce qui aura une incidence significative sur l'environnement, même si l'enrichissement des minerais doit rester une activité accessoire.

La zone de destination qualifiée de « zone d'extraction » ou de « zone pour l'exploitation de minerais de surface primaires » n'a qu'un caractère temporaire puisque, lorsque les extractions sont terminées, la destination primitive ou future correspondant à la teinte de fond inscrite sur le plan doit être respectée. Des conditions d'assainissement du site doivent être imposées pour que la destination indiquée puisse être réalisée (article 17.6.3, alinéa 3, de l'arrêté royal du 28 décembre 1972 relatif à la présentation et à la mise en oeuvre des projets de plans et des plans de secteur).

En outre, il est également possible d'étendre les possibilités d'exploitation de zones de destination en adoptant un plan d'exécution spatial, qui prévoit effectivement des possibilités de participation, comme le précise le chapitre II (« Plans d'exécution spatiaux ») du Code flamand de l'aménagement du territoire.

B.11. Dans le cadre limité de l'examen auquel la Cour peut procéder lors du traitement de la demande de suspension, le moyen pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution doit être considéré comme sérieux au sens de l'article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle. A ce stade, il n'y a donc pas lieu d'examiner les autres moyens.

B.12. Les deux conditions de fond prescrites par l'article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle pour que la suspension puisse être décidée étant remplies, il y a lieu de l'ordonner.

Par ces motifs, la Cour suspend les articles 68 et 69 du décret de la Région flamande du 8 décembre 2017 « modifiant diverses dispositions en matière d'aménagement du territoire, d'écologie, d'environnement et d'aménagement du territoire ».

Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 juillet 2018.

Le greffier, Le président,P.-Y. Dutilleux A. Alen

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