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Arrêt
publié le 12 novembre 2018

Extrait de l'arrêt n° 66/2018 du 7 juin 2018 Numéro du rôle : 6526 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 35 du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996, posée par le La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, des juges L. Lavryse(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 66/2018 du 7 juin 2018 Numéro du rôle : 6526 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 35 du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996, posée par le Tribunal de première instance d'Anvers, division Malines.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite E. De Groot, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président émérite E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 26 septembre 2016 en cause de Gisela Slachmuylders, Jozef Slachmuylders et Carina Slachmuylders contre la ville de Malines et la Région flamande, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 11 octobre 2016, le Tribunal de première instance d'Anvers, division Malines, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 35 du décret relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996, viole-t-il les principes de protection du droit de propriété, tels qu'ils sont notamment consacrés par l'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, combinés pour autant que nécessaire avec les articles 10 et 11 de la Constitution, si cette disposition doit être interprétée en ce sens qu'elle prévoit un mécanisme d'indemnisation contraignant pour le juge, qui donne lieu à une indemnisation forfaitisée et incomplète du justiciable lésé par une modification d'un plan d'aménagement qui est défavorable à son patrimoine, alors que les justiciables lésés par d'autres mesures de l'autorité publique que l'adaptation d'un plan d'aménagement - qui ne sont donc pas régies par la réglementation légale relative aux dommages résultant de la planification spatiale - peuvent prétendre à une indemnisation équitable et complète, en vertu des principes et des dispositions de droit international précités, d'autant qu'en matière de bénéfices résultant de la planification spatiale, qui sont le reflet inversé du régime d'indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale, un système de taxation plus souple et intégral a été mis en oeuvre ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. Dans sa version applicable au litige a quo, l'article 35 du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996 (ci-après : le décret coordonné) dispose : « Il y a lieu à indemnité à charge, suivant le cas, de la Région flamande, de l'association intercommunale ou de la commune lorsque l'interdiction de bâtir ou de lotir résultant d'un plan revêtu de la force obligatoire met fin à l'usage auquel un bien est affecté ou normalement destiné au jour précédant l'entrée en vigueur.

La diminution de valeur, qui est prise en considération pour l'indemnisation doit être estimée en tant que la différence entre, d'une part, la valeur du bien au moment de l'acquisition, actualisée jusqu'au jour où naît le droit à l'indemnité, majorée des charges et des frais avant l'entrée en vigueur du plan, et, d'autre part, la valeur du bien au moment où naît le droit à l'indemnisation après l'entrée en vigueur du plan. Seule la diminution de valeur résultant du plan peut être prise en considération pour l'indemnisation. La valeur du bien au moment de l'acquisition est réputée correspondre au montant ayant servi d'assise pour la perception des droits d'enregistrement ou de succession sur la pleine propriété du bien, ou, à défaut de la perception précitée, à la valeur marchande du bien en pleine propriété, au jour de l'acquisition. La valeur du bien au moment où naît le droit à l'indemnisation est réputée correspondre : 1° en cas de mutation du bien, au montant ayant servi d'assise pour la perception des droits d'enregistrement ou de succession sur la pleine propriété du bien, ou, à défaut de la perception précitée, à la valeur marchande du bien en pleine propriété au jour de l'acquisition, le montant minimum étant égal à la valeur convenue;2° en cas de refus du permis de bâtir ou de lotir ou de délivrance d'un certificat d'urbanisme négatif, à la valeur marchande à cette date). La valeur du bien au moment de l'acquisition est actualisée en la multipliant par l'indice des prix à la consommation du mois civil précédant celui au cours duquel l'indemnité est fixée et en divisant le résultat ainsi obtenu par l'indice des prix à la consommation moyen de l'année d'acquisition du bien par l'ayant droit de l'indemnité, réduit, le cas échéant, sur la même base que l'indice précité.

Ensuite, la valeur actualisée est augmentée des frais d'acquisition et des dépenses faites par l'ayant droit de l'indemnité en vue de donner au bien l'affectation qu'il avait au jour précédant l'entrée en vigueur du plan visé par l'alinéa 1 du présent article.

Le droit à l'indemnisation naît soit au moment de la mutation du bien, soit lors du refus d'un permis de bâtir ou de lotir ou bien soit lors de la délivrance d'un certificat d'urbanisme négatif.

Toutefois, la diminution de la valeur du bien résultant de l'interdiction de bâtir ou de lotir doit être subie sans indemnité jusqu'à concurrence de vingt pour cent de cette valeur.

L'indemnité est réduite ou refusée si et dans la mesure où il est établi que le demandeur est propriétaire dans la même région d'autres biens qui tirent avantage de la mise en vigueur d'un plan d'aménagement ou des travaux exécutés aux frais des pouvoirs publics.

Il peut être satisfait à l'obligation d'indemnisation par un arrêté du Gouvernement flamand motivé qui, conformément à l'article 41, détermine de revoir ledit plan d'aménagement dans le but de rendre au bien l'affectation qu'il avait au jour précédant l'entrée en vigueur du plan.

Lorsqu'en vertu d'un plan revêtu de la force obligatoire, une interdiction de bâtir peut être opposée à celui qui a acquis une parcelle dans un lotissement, la Région flamande, l'association intercommunale ou la commune peut s'exonérer de son obligation d'indemniser en rachetant cette parcelle à l'intéressé moyennant remboursement du prix, des charges et des frais qu'il a payés.

Si l'intéressé n'est propriétaire que de la parcelle visée ci-dessus, il pourra exiger son rachat par la Région flamande, l'association intercommunale ou la commune, en signifiant sa volonté par lettre recommandée à envoyer dans les douze mois de la publication du plan prévu ci-dessus. Dans ce cas, cette parcelle devra lui être rachetée et payée dans les douze mois de la signification. Le Gouvernement flamand détermine les modalités d'application de cette disposition.

Aucune indemnité n'est due dans les cas suivants : 1° interdiction de bâtir ou de lotir résultant d'une prévision d'expropriation du bien;ce, sous réserve de l'application de l'article 33; 2° interdiction de couvrir une parcelle de constructions au-delà de ce qui est permis par le plan ou de dépasser dans un lotissement la densité d'occupation fixée par le plan;3° interdiction de continuer l'exploitation d'établissements dangereux, insalubres et incommodes au-delà de la période pour laquelle l'exploitation a été autorisée;4° interdiction de bâtir sur un terrain ne possédant pas les dimensions minimums fixées par le plan d'aménagement;5° interdiction de lotir un terrain n'ayant pas d'accès à une voie suffisamment équipée compte tenu de la situation des lieux, ou d'y bâtir;6° interdiction de bâtir ou de lotir en dehors des agglomérations en raison des nécessités impérieuses résultant de la sécurité de la circulation;7° interdiction de lotir un terrain pour lequel un permis de lotir précédemment accordé était périmé à la date de l'entrée en vigueur du plan entraînant cette interdiction;8° pour les bâtiments ou installations fixes détruits par une calamité naturelle, lorsque l'interdiction de leur reconstruction résulte de l'arrêté royal pris en exécution de l'article 12, § 3, premier alinéa, de la loi du 12 juillet 1976 relative à la réparation de certains dommages causés à des biens privés par des calamités naturelles ». L'article 35 du décret coordonné prévoit qu'une indemnité est due lorsqu'une interdiction de bâtir ou de lotir résultant d'un plan définitif met fin à l'usage auquel un bien était initialement affecté ou normalement destiné.

B.1.2. L'article 35 précité correspond en grande partie à l'article 37, repris lors de la coordination, de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme (ci-après : la loi organique de l'urbanisme), tel qu'il avait été remplacé par l'article 2 de la loi du 22 décembre 1970 et modifié par les lois des 12 juillet 1976 (article 12, § 4) et 22 décembre 1977 (articles 177 et 178).

B.1.3. Le décret coordonné, en ce compris l'article 35 précité, a été abrogé, avec effet au 1er septembre 2009, par l'article 104 du décret du 27 mars 2009 « adaptant et complétant la politique d'aménagement du territoire, des autorisations et du maintien ».

L'indemnité accordée pour des dommages résultant de la planification spatiale est désormais réglée de manière semblable par les articles 2.6.1 à 2.6.3 du Code flamand de l'aménagement du territoire.

B.2. En vertu de l'article 7.4.11, alinéa 2, du Code flamand de l'aménagement du territoire, les demandes de paiement d'indemnités pour des dommages résultant de la planification spatiale qui ont été intentées sur la base de plans d'aménagement antérieurs doivent toujours être réglées conformément aux dispositions du décret coordonné.

Quant à la recevabilité de l'intervention de l'ASBL « Avala » B.3. Selon le Gouvernement flamand, l'intervention de l'ASBL « Association du Val d'Amblève, Lienne et Affluents » (Avala) serait irrecevable au motif que, conformément à ses statuts, celle-ci exerce uniquement ses activités sur le territoire de la vallée de l'Amblève, c'est-à-dire en Région wallonne. Dès lors que l'article 35, en cause, du décret coordonné ne s'applique pas en Région wallonne, il ne saurait être question d'un effet direct de la procédure préjudicielle sur la situation personnelle de l'ASBL, laquelle n'étaye l'intérêt à l'intervention d'aucune autre manière.

B.4.1. L'article 87, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle dispose : « Lorsque la Cour constitutionnelle statue, à titre préjudiciel, sur les questions visées à l'article 26, toute personne justifiant d'un intérêt peut adresser un mémoire à la Cour dans les trente jours de la publication prescrite par l'article 74. Elle est, de ce fait, réputée partie au litige ».

B.4.2. Les personnes qui fournissent la preuve suffisante de la conséquence directe qu'aura pour leur situation personnelle la réponse que la Cour donnera à une question préjudicielle justifient ainsi d'un intérêt à intervenir devant la Cour.

B.4.3. La requête en intervention a été introduite par l'ASBL « Avala », qui a pour objet social de « défendre l'environnement et le cadre de vie des vallées de l'Amblève et de ses affluents, de susciter et d'encourager toute initiative en harmonie avec la vocation naturelle de cette région ».

Dès lors que la réglementation en cause ne s'applique pas en Région wallonne, la partie intervenante ne justifie pas de l'intérêt requis.

B.4.4. La requête en intervention est irrecevable.

Quant à la recevabilité et à la portée de la question préjudicielle B.5.1. Selon la ville de Malines et le Gouvernement flamand, la question préjudicielle ne serait pas recevable, puisque les catégories de personnes à comparer seraient insuffisamment précises et définies en termes trop généraux. Une définition vague et ouverte de la catégorie de personnes par rapport à laquelle les parties demanderesses devant le juge a quo se sentent discriminées ne permettrait pas avec certitude d'identifier cette seconde catégorie.

B.5.2. La question préjudicielle concerne la compatibilité de l'article 35 du décret coordonné avec les « principes de protection du droit de propriété, tels qu'ils sont notamment consacrés par l'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, combinés pour autant que nécessaire avec les articles 10 et 11 de la Constitution ».

B.5.3. Le contrôle de normes législatives, confié à la Cour, au regard des articles 10 et 11 de la Constitution implique qu'une catégorie de personnes déterminée prétendument discriminée fasse l'objet d'une comparaison pertinente par rapport à une autre catégorie. En l'espèce, le juge a quo ne précise pas quels sont les justiciables qui sont « lésés par d'autres mesures de l'autorité publique que l'adaptation d'un plan d'aménagement » et qui pourraient prétendre à une « indemnisation équitable et complète ».

Toutefois, lorsque, pour répondre à une question préjudicielle, la Cour est invitée à se prononcer sur la compatibilité d'une disposition législative avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec des droits fondamentaux, la question porte sur la constitutionnalité d'une différence de traitement entre, d'une part, les personnes qui sont victimes d'une violation de ces droits fondamentaux et, d'autre part, les personnes qui jouissent de ces droits, et ces deux catégories de personnes doivent dès lors être comparées.

B.5.4. La question préjudicielle est recevable. La Cour doit examiner si la disposition en cause limite le droit de propriété de manière discriminatoire.

Quant au fond B.6. Le litige porté devant le juge a quo concerne les propriétaires de parcelles qui subissent une diminution de valeur du fait de l'entrée en vigueur d'un plan particulier d'aménagement réaffectant en grande partie leurs terrains constructibles en zone de vallée, de sorte que ces derniers ne sont plus constructibles. L'expert désigné par le juge a quo constate toutefois qu'en vertu de la disposition en cause, les demandeurs ne peuvent prétendre à une indemnisation de dommages résultant de la planification spatiale, étant donné que la valeur d'acquisition actualisée des parcelles concernées est inférieure à leur valeur résiduelle actuelle après réaffectation.

La Cour limite son examen à cette situation.

B.7.1. L'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.

Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».

B.7.2. L'article 1 du Premier Protocole additionnel offre une protection non seulement contre l'expropriation ou la privation de propriété (alinéa 1er, seconde phrase) mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (alinéa 1er, première phrase) et contre toute réglementation de l'usage des biens (alinéa 2).

La restriction du droit de propriété découlant d'une modification du plan « réglemente l'usage des biens conformément à l'intérêt général », au sens du second alinéa de l'article 1 du Premier Protocole additionnel, et relève donc de l'application de cette disposition conventionnelle, combinée avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.7.3. Toute ingérence dans le droit de propriété doit réaliser un juste équilibre entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens. Il faut qu'existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.

B.7.4. Le seul fait que l'autorité impose des restrictions au droit de propriété dans l'intérêt général n'a pas pour conséquence qu'elle est tenue à indemnisation.

Une indemnité n'est requise que lorsque et dans la mesure où les effets de la servitude d'utilité publique excèdent la charge qui peut être imposée à un particulier dans l'intérêt général.

B.7.5. Une mesure restrictive du droit de propriété qui consiste à interdire toute construction sur des parcelles qui étaient constructibles antérieurement affecte fondamentalement le propriétaire dans son droit de propriété. Une telle mesure ne saurait généralement être imposée sans une indemnisation raisonnable de la moins-value de la parcelle (CEDH, 13 juillet 2006, Housing Association of War Disabled and Victims of War of Attica e.a. c. Grèce, § 39; 19 juillet 2011, Varfis c. Grèce, § 30; 1er octobre 2013, Hüseyin Kaplan c.

Turquie, § 46; 11 octobre 2016, Barcza e.a. c. Hongrie, § 47).

Lorsque, dans un tel cas, aucune indemnité n'est accordée, la décision doit être justifiée sur la base des particularités du cas, telles que les comportements antérieurs du propriétaire ou l'attente raisonnable qu'une telle mesure restrictive du droit de propriété soit imposée (CEDH, 13 juillet 2006, Kortessi c. Grèce, § 40; 6 octobre 2016, Malfatto et Mielle c. France, § 69).

B.7.6. C'est au législateur compétent qu'il appartient de déterminer les cas dans lesquels une limitation du droit de propriété peut donner lieu à une indemnité et les conditions auxquelles cette indemnité peut être octroyée, sous réserve du contrôle exercé par la Cour quant au caractère raisonnable et proportionné de la mesure prise. Le législateur décrétal dispose d'un large pouvoir d'appréciation lorsqu'il arrête sa politique en matière d'urbanisme et d'aménagement du territoire.

Les plans d'exécution spatiaux et les plans d'aménagement peuvent à tout moment être remplacés, en tout ou en partie (article 2.2.2, § 2, alinéa 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire et article 2, § 1er, alinéa 3, du décret coordonné), de sorte que les justiciables ne peuvent pas légitimement tabler sur le maintien sans modification, dans le futur, des prescriptions urbanistiques qu'ils contiennent (voir, entre autres, CE, 17 mars 2010, n° 202.011).

B.8. L'indemnité accordée pour des dommages résultant de la planification spatiale est calculée, selon l'article 35 du décret coordonné, comme étant la différence entre « d'une part, la valeur du bien au moment de l'acquisition, actualisée jusqu'au jour où naît le droit à l'indemnité, majorée des charges et des frais avant l'entrée en vigueur du plan et, d'autre part, la valeur du bien au moment où naît le droit à l'indemnisation après l'entrée en vigueur du plan ».

Comme valeur du bien au moment de l'acquisition, il faut prendre en compte « le montant ayant servi d'assise pour la perception des droits d'enregistrement ou de succession sur la pleine propriété du bien, ou, à défaut de la perception précitée, [...] la valeur marchande du bien en pleine propriété, au jour de l'acquisition » (article 35, alinéa 2, du décret coordonné).

On actualise cette valeur d'acquisition « en la multipliant par l'indice des prix à la consommation du mois civil précédant celui au cours duquel l'indemnité est fixée et en divisant le résultat ainsi obtenu par l'indice des prix à la consommation moyen de l'année d'acquisition du bien par l'ayant droit de l'indemnité, réduit, le cas échéant, sur la même base que l'indice précité » (article 35, alinéa 3, du décret coordonné). La valeur ainsi obtenue est ensuite encore majorée « des frais d'acquisition et des dépenses faites par l'ayant droit de l'indemnité en vue de donner au bien l'affectation qu'il avait au jour précédant l'entrée en vigueur du plan » (article 35, alinéa 3, du décret coordonné).

La valeur du bien au moment où naît le droit à l'indemnisation est réputée correspondre : « 1° en cas de mutation du bien, au montant ayant servi d'assise pour la perception des droits d'enregistrement ou de succession sur la pleine propriété du bien, ou, à défaut de la perception précitée, à la valeur marchande du bien en pleine propriété au jour de l'acquisition, le montant minimum étant égal à la valeur convenue; 2° en cas de refus du permis de bâtir ou de lotir ou de délivrance d'un certificat d'urbanisme négatif, à la valeur marchande à cette date » (article 35, alinéa 2, du décret coordonné). Le propriétaire reçoit pour réparation des dommages résultant de la planification spatiale 80 % de la différence ainsi obtenue entre la valeur d'acquisition et la valeur au moment où naît le droit à l'indemnisation. La diminution de valeur doit en effet être subie sans indemnité jusqu'à concurrence de 20 % (article 35, alinéa 5, du décret coordonné). Par son arrêt n° 140/2016 du 10 novembre 2016, la Cour a jugé que le régime similaire contenu dans l'article 2.6.2, § 2, du Code flamand de l'aménagement du territoire est compatible avec les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

B.9. Selon les travaux préparatoires du décret du 19 décembre 1998 « contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1999 », le calcul des dommages résultant de la planification spatiale « selon les titres d'acquisition s'inscrit [...] entièrement dans la philosophie de l'indemnité pour les dommages résultant du plan, qui constitue une indemnité forfaitaire » (Doc. parl., Parlement flamand, 1998-1999, n° 1214-1, p. 13).

Les travaux préparatoires mentionnent en outre : « La réglementation prévue par l'arrêté royal du 24 octobre 1978 n'a pas pour objectif d'indemniser intégralement les dommages résultant de la planification spatiale mais bien de calculer, dans les limites définies par les articles 35 et 36 du décret relatif à l'aménagement du territoire, l'indemnité que le législateur souhaite octroyer du fait de la limitation du droit de propriété résultant de la servitude d'utilité publique qui grève ce droit en faveur de la collectivité.

Une telle indemnité exceptionnelle peut ainsi être forfaitaire et limitée sans aller à l'encontre d'aucune prescription légale ou constitutionnelle. [...] Le fait que l'indemnité pour les dommages résultant de la planification spatiale soit une indemnité forfaitaire se justifie déjà en ce qu'il s'agit d'une exception au principe selon lequel les servitudes d'utilité publique ne donnent pas lieu à dédommagement pour le justiciable. Par conséquent, on peut dire que la modification décrétale envisagée actuellement est efficace, objective, sérieuse, adéquate et proportionnée au but fixé » (ibid., p. 14).

B.10.1. En vertu de la disposition en cause, le juge doit arrêter la valeur d'acquisition des parcelles concernées à partir du montant ayant servi de base à la perception des droits d'enregistrement ou de succession sur la pleine propriété du bien. Ce n'est qu'en l'absence d'une telle perception que le juge a la possibilité de tenir compte de la valeur vénale réelle du bien en pleine propriété au jour de l'acquisition.

La disposition en cause a donc pour effet que, notamment dans les cas où le bien appartient à un même propriétaire depuis plusieurs années, la plus-value réelle du bien avant l'entrée en vigueur du plan d'aménagement obligatoire n'est bien souvent pas prise en compte.

L'actualisation de la valeur d'acquisition initiale sur la base de l'indexation des prix à la consommation ne reflète en effet pas la plus-value réelle que le bien a acquise entre-temps.

Etant donné que la valeur du bien est arrêtée à deux moments distincts, les valeurs obtenues peuvent donc être considérablement différentes à mesure que ces moments s'éloignent dans le temps.

B.10.2. Le mode de calcul précité de la valeur d'acquisition du bien lésé par des dommages résultant de la planification spatiale fait donc naître de grandes différences entre les propriétaires en ce qui concerne le montant versé pour l'indemnisation de dommages résultant de la planification spatiale. Certains propriétaires recevront donc une part substantielle de la moins-value réelle, tandis que d'autres propriétaires ne recevront qu'un montant symbolique, voire ne se verront pas accorder la moindre indemnité pour des dommages résultant de la planification spatiale. Pourtant, ces propriétaires peuvent se trouver dans des situations comparables, étant donné qu'il peut s'agir de parcelles de même superficie et qu'ils pouvaient avoir des projets similaires par rapport à ces parcelles.

B.11. Il ressort de la genèse de l'indemnité accordée pour des dommages résultant de la planification spatiale que le législateur et, après lui, le législateur décrétal n'ont pas voulu tenir compte de l'évolution des prix sur le marché de l'immobilier et n'ont pas voulu, pour cette raison, autoriser le juge à fixer la valeur réelle du bien à partir de points de comparaison.

Le régime prévu initialement dans la loi organique de l'urbanisme visait à ce que « le droit à indemnité [soit] en tout cas limité au cas de dommage certain, actuel et objectivement déterminable » (Doc. parl., Sénat, 1959-1960, n° 275, p. 57).

Dans les travaux préparatoires des modifications législatives qui ont succédé à cette réglementation, il a été souligné que « le législateur [...] a formellement exclu de l'indemnisation le manque à gagner » (Doc. parl., Sénat, 1968-1969, n° 559, p. 24), étant donné que la réglementation ne vise pas à contribuer à « réaliser des plus-values de nature occasionnelle ou spéculative » (Doc. parl., Chambre, 1977-1978, n° 113/1, p. 55). L'indemnité pour les dommages résultant de la planification spatiale doit pour cette raison être calculée sur la base de « la moins-value effective du bien » (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 181-2, p. 97).

Il ressort des travaux préparatoires du décret du 19 décembre 1998 que le législateur décrétal a expressément rejeté l'option visant à « fixer les valeurs d'acquisition sur la base de points de comparaison ». Le calcul, pour les dommages résultant du plan, de l'indemnité selon les titres d'acquisition « s'inscrit d'ailleurs entièrement dans la philosophie de l'indemnité pour les dommages résultant du plan, qui constitue une indemnité forfaitaire » (Doc. parl., Parlement flamand, 1998-1999, n° 1214/1, pp. 13-14).

B.12.1. La Cour doit encore examiner si le mode de calcul de l'indemnité pour les dommages résultant de la planification spatiale n'a pas de conséquences manifestement déraisonnables pour les propriétaires concernés.

B.12.2. En instaurant l'indemnité pour les dommages résultant de la planification spatiale, le législateur décrétal a choisi de faire participer la collectivité aux frais inhérents à la modification de la politique de l'aménagement du territoire et d'alléger les charges imposées dans l'intérêt général aux propriétaires concernés. En même temps, le législateur décrétal a uniquement voulu indemniser le dommage effectif et non les augmentations de prix sur le marché de l'immobilier.

B.12.3. Il n'est toutefois pas exclu que le mode de calcul décrétal porte dans certains cas atteinte aux droits des propriétaires concernés. Tel peut entre autres être le cas lorsque l'autorité a déjà délivré un permis et a ainsi suscité une attente légitime que la parcelle concernée pouvait être bâtie ou lotie. Tel peut également être le cas lorsque la nouvelle affectation des parcelles ne permet plus aucun aménagement et les rend quasi invendables ou si les propriétaires ont payé, pour les parcelles concernées, des droits de succession qui ne sont pas pris en compte dans l'indemnité pour les dommages résultant de la planification spatiale.

B.12.4. C'est toutefois au législateur décrétal qu'il appartient de préciser à quelles conditions il peut être dérogé au mode de calcul décrétal.

B.13. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 35 du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 7 juin 2018.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, E. De Groot

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