Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 11 janvier 2019

Extrait de l'arrêt n° 1512018 du 8 novembre 2018 Numéro du rôle : 6740 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 1675/13, § 3, et 1675/13bis, § 2, du Code judiciaire, posée par la Cour du travail de Mons. La Cour composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman,(...)

source
cour constitutionnelle
numac
2018206146
pub.
11/01/2019
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 1512018 du 8 novembre 2018 Numéro du rôle : 6740 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 1675/13, § 3, et 1675/13bis, § 2, du Code judiciaire, posée par la Cour du travail de Mons.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et P. Nihoul, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 3 octobre 2017 en cause de S.H. contre divers créanciers, en présence de Me Anne Mureau, médiateur de dettes, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 9 octobre 2017, la Cour du travail de Mons a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 1675/13, § 3, et 1675/13bis, § 2, du Code judiciaire, qui ne confèrent pas le statut de dette incompressible à la dette d'indu en matière de sécurité sociale, ne créent-ils pas une discrimination, au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, entre : 1. le créancier dont la déclaration de créance porte sur une dette alimentaire et le créancier dont la déclaration de créance porte sur une dette d'indu en matière de sécurité sociale, notamment lorsque l'indu résulte d'un comportement constitutif d'une infraction ? 2.le créancier dont la déclaration de créance porte sur une dette constituée d'indemnité accordée pour la réparation d'un préjudice corporel causé par une infraction et le créancier dont la déclaration de créance porte sur une dette d'indu en matière de sécurité sociale, notamment lorsque l'indu résulte d'un comportement constitutif d'une infraction ? 3. le créancier dont la déclaration de créance porte sur une dette d'amende pénale et le créancier dont la déclaration de créance porte sur une dette d'indu en matière de sécurité sociale, notamment lorsque l'indu résulte d'un comportement constitutif d'une infraction ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur les articles 1675/13, § 3, et 1675/13bis, § 2, du Code judiciaire.

L'article 1675/13 du Code judiciaire dispose : « § 1er. Si les mesures prévues à l'article 1675/12, § 1er, ne permettent pas d'atteindre l'objectif visé à l'article 1673/3, alinéa 3, à la demande du débiteur, le juge peut décider toute autre remise partielle de dettes, même en capital, aux conditions suivantes : - tous les biens saisissables sont réalisés à l'initiative du médiateur de dettes. La répartition a lieu dans le respect de l'égalité des créanciers, sans préjudice des causes légitimes de préférence; - après réalisation des biens saisissables, le solde restant dû par le débiteur fait l'objet d'un plan de règlement dans le respect de l'égalité des créanciers, sauf en ce qui concerne les obligations alimentaires en cours visées à l'article 1412, alinéa 1er.

Sans préjudice de l'article 1675/15, § 2, la remise de dettes n'est acquise que lorsque le débiteur aura respecté le plan de règlement imposé par le juge et sauf retour à meilleure fortune du débiteur avant la fin du plan de règlement judiciaire. § 2. Le jugement mentionne la durée du plan de règlement judiciaire qui est comprise entre trois et cinq ans. L'article 51 n'est pas d'application. § 3. Le juge ne peut accorder de remise pour les dettes suivantes : - les dettes alimentaires; - les dettes constituées d'indemnités accordées pour la réparation d'un préjudice corporel, causé par une infraction; - les dettes d'un failli subsistant après la clôture de la faillite. § 4. Par dérogation au paragraphe précédent, le juge peut accorder la remise pour les dettes d'un failli, subsistant après une faillite dont la clôture a été prononcée en application de la loi du 18 avril 1851 sur les faillites, banqueroutes et sursis de paiement. Cette remise ne peut être accordée au failli qui a été condamné pour banqueroute simple ou frauduleuse. § 5. Dans le respect de l'article 1675/3, alinéa 3, le juge peut, lorsqu'il établit le plan, déroger aux articles 1409 à 1412 par décision spécialement motivée, sans que les revenus dont dispose le requérant puissent être inférieurs aux montants prévus à l'article 14 de la loi du 26 mai 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/05/2002 pub. 31/07/2002 numac 2002022559 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi concernant le droit à l'intégration sociale fermer concernant le droit à l'intégration sociale. § 6. Lorsqu'il établit le plan, le juge doit veiller au remboursement prioritaire des dettes qui mettent en péril le respect de la dignité humaine du requérant et de sa famille ».

L'article 1675/13bis du Code judiciaire dispose : « § 1er. S'il apparaît qu'aucun plan amiable ou judiciaire n'est possible en raison de l'insuffisance des ressources du requérant, le médiateur consigne cette constatation dans le procès-verbal visé à l'article 1675/11, § 1er, avec une proposition motivée justifiant l'octroi d'une remise totale des dettes et les éventuelles mesures dont elle devrait, à son estime, être accompagnée. § 2. Le juge peut, en pareil cas, accorder la remise totale des dettes sans plan de règlement et sans préjudice de l'application de l'article 1675/13, [ § ] § 1er, alinéa 1er, premier tiret, 3 et 4. § 3. Cette décision peut être assortie de mesures d'accompagnement, dont la durée ne peut être supérieure à cinq ans.

L'article 51 n'est pas d'application. § 4. La remise de dettes est acquise, sauf retour à meilleure fortune dans les cinq années qui suivent la décision. § 5. La décision peut être révoquée pendant cinq ans, dans les conditions visées à l'article 1675/15 ».

B.1.2. Il ressort de l'arrêt de renvoi et du litige soumis à la juridiction a quo que la Cour est interrogée sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, d'une éventuelle différence de traitement entre, d'une part, les créanciers d'une dette sociale dont la créance peut être intégrée dans un plan prévoyant une remise de dettes lorsque, comme en l'espèce, l'indu résulte d'un comportement constitutif d'une fraude sociale et, d'autre part, les créanciers de dettes alimentaires, les créanciers d'une indemnité accordée pour la réparation d'un préjudice corporel causé par une infraction ou les créanciers d'une amende pénale dont les créances ne peuvent pas être intégrées dans un tel plan, d'autre part.

B.2.1. La procédure en règlement collectif de dettes, instaurée par la loi du 5 juillet 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/07/1998 pub. 31/07/1998 numac 1998011215 source ministere des affaires economiques Loi relative au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis fermer relative au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis, a principalement pour objet de rétablir la situation financière d'un débiteur surendetté en lui permettant notamment, dans la mesure du possible, de payer ses dettes et en lui garantissant simultanément, ainsi qu'à sa famille, qu'ils pourront mener une vie conforme à la dignité humaine (article 1675/3, alinéa 3, du Code judiciaire, inséré par l'article 2 de la loi précitée du 5 juillet 1998). La situation financière de la personne surendettée est globalisée et celle-ci est soustraite à la pression anarchique des créanciers grâce à l'intervention d'un médiateur de dettes, nommé, aux termes de l'article 1675/6 du même Code, par le juge qui a, au préalable, statué sur l'admissibilité de la demande en règlement collectif de dettes. La décision d'admissibilité fait naître une situation de concours entre les créanciers et a pour effet la suspension du cours des intérêts et l'indisponibilité du patrimoine du requérant (article 1675/7 du même Code).

B.2.2. Le débiteur propose à ses créanciers de conclure un plan de règlement amiable par la voie d'un règlement collectif de dettes, sous le contrôle du juge; celui-ci peut imposer un plan de règlement judiciaire à défaut d'accord (article 1675/3). Cette absence d'accord est constatée par le médiateur (article 1675/11). Le plan de règlement judiciaire peut comporter un certain nombre de mesures, telles que le report ou le rééchelonnement du paiement des dettes ou la remise de dettes totale ou partielle d'intérêts moratoires, indemnités et frais (article 1675/12) et, si ces mesures ne permettent pas de rétablir la situation financière du débiteur, toute autre remise partielle de dettes, même en capital, moyennant le respect des conditions fixées par l'article 1675/13.

Il appert des travaux préparatoires de l'article 1675/13, § 1er, du Code judiciaire que ce paragraphe a été conçu et adopté dans le but de tenir compte de la réalité du surendettement : « des débiteurs sont insolvables, et la logique économique ne peut admettre que ces personnes se cantonnent dans l'économie souterraine et restent un poids pour la société. Il faut les réintégrer dans le système économique et social en leur permettant de prendre un nouveau départ » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, nos 1073/1 et 1074/1, p. 45).

B.2.3. Si aucun plan amiable ou judiciaire n'est possible en raison de l'insuffisance des ressources du requérant, l'article 1675/13bis, inséré par la loi du 13 décembre 2005Documents pertinents retrouvés type loi prom. 13/12/2005 pub. 21/12/2005 numac 2005009983 source service public federal justice Loi portant des dispositions diverses relatives aux délais, à la requête contradictoire et à la procédure en règlement collectif de dette fermer portant des dispositions diverses relatives aux délais, à la requête contradictoire et à la procédure en règlement collectif de dette, autorise le juge à accorder la remise totale des dettes, à l'exception des dettes énumérées à l'article 1675/13, § 3.

B.2.4. Il ressort encore des travaux préparatoires de l'article 1675/13 que le législateur a posé des conditions sévères à la remise de dettes au principal : « Le principe est le règlement judiciaire sans remise de dettes au principal.

En outre, à la demande du débiteur, le juge peut décider des remises de dettes plus étendues que celles visées à l'article précédent en particulier sur le principal, mais moyennant le respect de conditions et modalités fort sévères, en particulier la réalisation de tous les biens saisissables, conformément aux règles relatives aux exécutions forcées.

Il va de soi que cette mesure ne sera décidée que si le juge l'estime indispensable, face à des situations de surendettement particulièrement délabrées, où le débiteur ne dispose pas de moyens suffisants pour rembourser ses créanciers » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, nos 1073/1 et 1074/1, p. 44).

B.2.5. De même, lorsqu'il a inséré l'article 1675/13bis, le législateur a précisé qu'il s'indiquait de permettre au juge d'accorder une remise totale de dettes « lorsqu'il s'agit de la seule réponse socialement admissible, et de nature à assurer au principe du respect de la dignité humaine sa pleine effectivité » et que « des mesures d'accompagnement peuvent être décidées par le juge » (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-1309/001, p. 21).

B.3. Lorsque le législateur entend protéger une catégorie de personnes afin de les « réintégrer dans le système économique et social en leur permettant de prendre un nouveau départ » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, nos 1073/1 et 1074/1, p. 45) et qu'il permet à cette fin qu'un plan de règlement judiciaire comporte une remise de dettes, il relève de son pouvoir d'appréciation de désigner les catégories de créanciers auxquelles cette remise de dettes ne peut être imposée. Ce faisant, il ne peut toutefois créer des différences de traitement injustifiées.

B.4.1. Le législateur n'a pas subordonné l'admissibilité de la requête en règlement collectif à la condition que les dettes n'aient pas pour origine une faute volontaire ou une faute lourde. Par ailleurs, il n'a exclu de la possibilité de remise partielle ou totale par le juge ni les dettes fiscales, ni les dettes sociales, ni les dettes constituées d'amendes pénales, sous réserve de l'article 464/1, § 8, alinéa 5, du Code d'instruction criminelle, aux termes duquel « la remise ou réduction des peines dans le cadre d'une procédure collective d'insolvabilité ou d'une procédure de saisie civile ne peut être accordée qu'en application des articles 110 et 111 de la Constitution ».

B.4.2. Il a en revanche exclu de la remise partielle ou totale dans le cadre du règlement collectif de dettes celles qui sont constituées d'indemnités accordées pour la réparation d'un préjudice corporel causé par une infraction, cette exclusion étant justifiée par la considération que la remise de ces dettes serait dans ce cas particulièrement inéquitable (Doc. parl., Sénat, 1997-1998, n° 1-929/5, p. 46).

B.4.3. Par ses arrêts n° 175/2006 du 22 novembre 2006 et n° 162/2012 du 20 décembre 2012, la Cour a jugé que cette exclusion n'est pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

B.5.1. Le législateur a aussi expressément prévu que les dettes d'un failli subsistant après la clôture de la faillite ne pouvaient pas faire l'objet d'une remise. Cette exclusion a été justifiée par le fait qu'« il est logique que, lorsque le tribunal de commerce a décidé de refuser à un failli le bénéfice de l'excusabilité [sur la base des articles 80 et suivants de la loi du 8 août 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/08/1997 pub. 28/10/1997 numac 1997009766 source ministere de la justice Loi sur les faillites type loi prom. 08/08/1997 pub. 24/08/2001 numac 2001009578 source ministere de la justice Loi relative au Casier judiciaire central fermer sur les faillites], et donc d'une remise de dettes, cette décision ne puisse être revue dans le cadre d'une procédure ultérieure de règlement collectif » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, nos 1073/1 et 1074/1, p. 47).

B.5.2. En excluant les dettes subsistant après la clôture de la faillite de la possibilité de faire l'objet d'une remise, le législateur visait à aligner la législation en matière de faillites et celle régissant le règlement collectif de dettes, en ce qui concerne la remise de dettes. Il entendait éviter, en particulier, que des personnes déclarées faillies en tant que commerçants personnes physiques puissent obtenir ultérieurement, à la suite d'une procédure civile, la remise des dettes qui subsistaient après la clôture de la faillite pour laquelle ils n'avaient pas été déclarés excusables. Il ne souhaitait pas que la décision du juge de commerce et celle du juge des saisies puissent se contredire sur ce point.

B.5.3. Par ses arrêts n° 83/2004 du 12 mai 2004 et n° 139/2004 du 22 juillet 2004, la Cour a jugé que l'exclusion des dettes subsistant après la clôture de la faillite de la possibilité de faire l'objet d'une remise de dettes dans le cadre du règlement collectif est raisonnablement justifiée.

B.6.1. Le législateur a encore expressément prévu que « les dettes sociales ne bénéficient d'aucun sort privilégié : elles sont traitées comme les autres dettes ». Répondant à la question d'un sénateur l'interrogeant sur « la situation d'une personne qui pendant 25 ans a touché indûment des allocations familiales et qui a une dette considérable à l'égard de sa Caisse d'allocations familiales », le ministre « répète que le projet du Gouvernement n'a jamais prévu un sort privilégié pour les dettes sociales » (Doc. parl., Sénat, 1997-1998, n° 1-929/5, pp. 16-17).

B.6.2. Comme il est dit en B.3, il relève du pouvoir d'appréciation du législateur, compte tenu de l'objectif qu'il poursuit en instituant le règlement collectif de dettes, de décider quelles sont les dettes qui ne peuvent pas faire l'objet d'une remise partielle ou totale par le juge. Dès lors, ce ne sont ni des considérations d'ordre public, ni le fait que des dettes constituées d'indemnités accordées pour la réparation d'un préjudice corporel puissent être la conséquence d'une infraction, mais des considérations tenant à l'équité qui ont guidé le choix du législateur dans la détermination du caractère incompressible de certaines dettes. En ce qui concerne les amendes pénales, qui, contrairement aux autres dettes, ne sont pas de nature civile, le législateur n'a pas exclu qu'elles puissent faire l'objet d'une remise mais il a subordonné cette dernière au respect des règles constitutionnelles applicables en matière d'exécution des peines, et en particulier à l'article 110 de la Constitution qui accorde au Roi le droit de remettre ou de réduire les peines prononcées par les juges.

Par ailleurs, l'exclusion de ces dettes est raisonnablement justifiée au regard des objectifs poursuivis par le législateur quant aux remises de dettes énoncées en B.2.2 à B.2.5.

Il en résulte que le législateur n'a pas violé les articles 10 et 11 de la Constitution en considérant qu'il n'était pas opportun d'exclure en outre les dettes nées d'une infraction à la législation sociale de la possibilité d'être intégrées dans un plan de règlement judiciaire prévoyant une remise de dettes.

B.7. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 1675/13, § 3, et 1675/13bis, § 2, du Code judiciaire ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils n'excluent pas les créances des institutions de sécurité sociale victimes de fraude sociale de la possibilité d'être intégrées dans un plan de règlement judiciaire prévoyant une remise de dettes.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 8 novembre 2018.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût

^