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Arrêt
publié le 14 mai 2020

Extrait de l'arrêt n° 187/2019 du 20 novembre 2019 Numéro du rôle : 7011 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 52-3 du Code des droits de succession, tel qu'il est applicable en Région wallonne, posée par la Cour d'appel d La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, des juges L. Lavrysen, J(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 187/2019 du 20 novembre 2019 Numéro du rôle : 7011 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 52-3 du Code des droits de succession, tel qu'il est applicable en Région wallonne, posée par la Cour d'appel de Mons.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, P. Nihoul et J. Moerman, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du juge émérite E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 14 septembre 2018, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 18 septembre 2018, la Cour d'appel de Mons a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 52-3 du Code des droits de succession (Arrêté Royal n° 308), tel qu'applicable en Région wallonne, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il exclut de son application les obtentions entre une personne et l'enfant d'un enfant prédécédé du conjoint de cette personne, et en particulier dans le cas où il a existé une communauté de vie entre ces personnes pendant l'enfance du légataire, par comparaison : - avec l'obtention entre une personne et l'enfant de son conjoint et/ou; - avec l'obtention entre une personne et son propre petit-enfant et/ou; - avec l'obtention entre une personne et l'enfant de son conjoint suivie, au décès de cet enfant, de l'obtention entre ce dernier et son propre enfant ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 52-3 du Code des droits de succession, tel qu'il a été inséré par l'article 2 du décret de la Région wallonne du 22 octobre 2003 « visant à compléter l'article 48 du Code des droits de succession défini par l'arrêté royal n° 308 du 31 mars 1936, dans le but de réduire les inégalités en ce qui concerne les droits de succession à acquitter existant entre les enfants majeurs ou mineurs élevés au sein d'une famille recomposée » dispose : « Pour l'application du présent Code, sont assimilées à des obtentions en ligne directe, moyennant justifications à fournir par l'intéressé : 1° les obtentions entre une personne et un enfant du conjoint ou du cohabitant légal de cette personne;cette assimilation s'opère également lorsque cette obtention a lieu après le décès de ce conjoint ou de ce cohabitant légal; 2° les obtentions entre une personne et l'enfant qu'elle a élevé comme parent d'accueil au sens de l'article 1er, 5°, du décret du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse, ou comme tuteur, subrogé tuteur ou tuteur officieux au sens du titre X du livre premier du Code civil, à la condition que l'enfant, avant d'avoir atteint l'âge de vingt et un ans et pendant six années ininterrompues, ait reçu exclusivement ou principalement de cette personne, ou éventuellement de cette personne et de son conjoint ou de son cohabitant légal ensemble, les secours et les soins que les enfants reçoivent normalement de leurs parents ». B.2. La juridiction a quo demande à la Cour si l'article 52-3 du Code des droits de succession est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'en ce qui concerne le taux des droits de succession, l'assimilation d'une relation en ligne directe est limitée à la relation entre un « beau-parent » et son « bel-enfant », à l'exclusion de la relation entre un « beau-grand-parent » et son « beau-petit-enfant », en particulier lorsque le parent qui était l'enfant du conjoint du « beau-grand-parent » est prédécédé.

Il appert du dossier de la procédure que la partie appelante est le petit-fils du second conjoint prédécédé de la défunte et que celle-ci est donc la « belle-grand-mère » avec laquelle la partie appelante a entretenu une communauté de vie durant son enfance. Cette « belle-grand-mère » a institué la partie appelante comme légataire universel après le décès de l'enfant de son conjoint. La Cour limite son examen à cette hypothèse.

B.3. Il appartient au législateur fiscal compétent de fixer le tarif d'imposition et d'en établir les modalités. Lorsqu'il utilise à cet effet des critères de distinction, ceux-ci doivent être objectivement et raisonnablement justifiés. Les tarifs et modalités doivent être appliqués de manière égale pour toutes les personnes qui se trouvent dans une situation équivalente au regard de la mesure considérée et du but poursuivi, sous la réserve que le législateur fiscal doit pouvoir faire usage de catégories qui, nécessairement, n'appréhendent la diversité des situations qu'avec un certain degré d'approximation.

B.4.1. Aux termes de l'article 731 du Code civil, les successions sont déférées aux enfants et descendants du défunt, à son conjoint non divorcé ni séparé de corps, à ses ascendants, à ses parents collatéraux et, dans les limites des droits qui lui sont conférés, à son cohabitant légal, dans l'ordre et suivant les règles que la loi détermine. Ainsi, le législateur utilise deux critères pour déterminer qui sont les héritiers, à savoir le lien du sang et celui du mariage ou de la cohabitation légale. Toutes les autres personnes ne peuvent être appelées à la succession d'un défunt que par voie de testament ou par voie d'institution contractuelle.

B.4.2. Avant l'insertion de l'article 52-3 du Code des droits de succession par le décret du 22 octobre 2003, le tarif des droits de succession le moins élevé était réservé, en Région wallonne, à certaines catégories d'héritiers légitimes, à savoir les héritiers en ligne directe et le conjoint survivant. Sauf en cas d'adoption par le « beau-parent » ou par le « beau-grand-parent », les « beaux-enfants » et les « beaux-petits-enfants », qui, faute d'un lien de sang, ne sont pas des héritiers légitimes de leur « beau-parent » ou de leur « beau-grand-parent » selon les règles du droit civil, recueillaient la succession au tarif le plus élevé, appliqué « entre d'autres personnes ».

B.5. Le développement de la proposition à l'origine du décret en cause mentionne : « Toutefois, l'évolution sociale montre que le terme ' famille ' recouvre énormément de situations différentes. Une famille se définit au moins autant en termes de choix humains et de liens affectifs qu'en termes de liens de sang. Nous constatons que la ' cellule familiale ' n'est plus intangible, qu'elle n'a plus la stabilité qui a été la sienne pendant des siècles. C'est une évolution indéniable que la législation en général, et donc la législation organisant les successions en particulier, doit prendre en compte.

Comme le modèle traditionnel et uniforme de famille a disparu, faisant place à une multitude de situations diverses, on peut se poser la question de savoir qui peut être considéré comme faisant partie de la famille. Si l'on s'en tient à la législation en cours, seuls les ascendants directs, les descendants, le conjoint et les collatéraux jusqu'au quatrième degré sont concernés. Cette vision est trop restrictive pour être adaptée aux situations actuelles.

La famille actuelle est souvent ' nucléaire ', éclatée, ou, pour employer un terme plus explicite, ' recomposée '. Les liens affectifs entre hommes et femmes étant plus variables qu'avant, les familles se composent souvent non seulement d'adultes non mariés entre eux (et donc n'ayant pas les mêmes droits ni les mêmes devoirs qu'un couple marié) mais aussi d'enfants provenant d'une précédente union, d'enfants dont l'un des membres du couple a la garde alternée, d'enfants communs, etc.

Il n'appartient donc plus au législateur de défendre une vision certes historique mais totalement dépassée de la famille. En ce sens, il ne lui appartient pas non plus de décider que certains liens affectifs et familiaux sont plus importants que d'autres. Il est logique que le droit des successions, qui organise celles-ci en vue d'arriver à une certaine égalité de fait entre les successibles, permette à ceux qui le désirent d'officialiser leur lien éventuel avec un ou des enfants dont ils ne sont pas l'ascendant direct.

Pour l'heure, les enfants élevés au sein de familles recomposées n'ont presque aucun droit à l'héritage d'une personne qui les a parfois élevés pendant de nombreuses années, simplement parce qu'ils ne sont pas de son sang. Et si le défunt a organisé son testament en leur faveur, ces personnes devront payer le taux maximum de droits de succession à l'Etat comme s'ils étaient pour le défunt de parfaits étrangers (au sens légal du terme). Ce taux peut aller, dans certains cas, jusqu'à 80 % de droits à payer ! [...] Sans se pencher pour l'instant sur une nécessaire réforme qui réorganiserait en profondeur les droits de succession, ni sur les taux en vigueur en Région wallonne, ni sur la possibilité de créer un ' contrat de vie commune ' comparable à celui qui existe dans plusieurs pays européens, le présent décret veut s'attaquer à l'une des inégalités engendrées par la législation actuelle: celle qui frappe les enfants élevés dans une famille recomposée, que nous appellerons ' les enfants-accueillis '.

Actuellement, si une personne veut faire d'un enfant qui n'est pas le sien son héritier, seule l'adoption permettra que cet enfant ait des droits équivalant à ceux des autres héritiers légaux et ne paie pas le taux de succession maximal. Bien entendu, l'adoption n'est pas toujours possible. Même s'il est élevé la plupart du temps par un adulte qui n'est pas son parent direct, un enfant a souvent encore ses deux parents biologiques en vie. C'est souvent le cas lors d'un divorce puis d'un remariage par exemple. Il est donc inadoptable, sauf cas de déchéance parentale.

Si l'on veut rétablir une certaine égalité successorale au sein de ces familles recomposées, de plus en plus nombreuses, il faut donc trouver une deuxième voie, parallèle à celle de l'adoption mais ne la remplaçant pas, permettant de « reconnaître » un enfant qui n'est pas le sien. Le moyen pour ce faire, proposé par ce décret, est de permettre aux enfants-accueillis de bénéficier du taux de droits de succession actuellement réservé aux successibles en ligne directe et entre époux. [...] » (Doc. parl., Parlement wallon, 2000-2001, 176, n° 1, pp. 2 et 3).

B.6. Il découle de ce qui précède que le législateur décrétal souhaitait traiter de la même manière l'obtention entre un « beau-parent » et un « bel-enfant » et l'obtention entre un enfant d'une personne qui cohabite avec le défunt, ou qui est le second conjoint du défunt, et le défunt. Il souhaitait ainsi rétablir le principe d'égalité en matière de droits de succession en faveur des enfants élevés au sein de familles recomposées, compte tenu du caractère diversifié des formes de vie en dehors du mariage et dans le mariage, ainsi que du caractère variable des liens affectifs entre les personnes.

Aucun élément dans les travaux préparatoires ne fait apparaître que le législateur décrétal a voulu appliquer l'assimilation prévue en faveur des « beaux-enfants » aux legs consentis par les « beaux-grands-parents » au profit de leurs « beaux-petits-enfants ».

B.7.1. La différence de traitement, en matière de droits de succession, entre les « beaux-enfants » qui héritent de leurs « beaux-parents » et les « beaux-petits-enfants » qui héritent de leurs « beaux-grands-parents » repose sur un critère objectif et pertinent, qui est la solidité du lien familial, étant donné qu'il s'agit, dans le premier cas, d'une famille nucléaire, ce qui n'est, en principe, pas vrai dans le second cas.

Il découle du lien de parenté entre grands-parents et petits-enfants qu'ils sont tenus les uns à l'égard des autres à l'obligation d'entretien prévue par les articles 205 et 207 du Code civil. Cette obligation d'entretien ne s'applique pas entre les « beaux-grands-parents » et les « beaux-petits-enfants ».

B.7.2. Etant donné que le fait d'accorder le tarif avantageux aux « beaux-enfants » constitue une exception à la règle précédemment en vigueur, en vertu de laquelle seules certaines catégories d'héritiers légitimes bénéficiaient de ce tarif, le législateur décrétal pouvait, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, concevoir cette dérogation de manière restrictive.

B.7.3. Les « beaux-petits-enfants » ne sont pas affectés de manière disproportionnée par le montant plus élevé des droits de succession, puisque l'on peut considérer que, ne faisant en principe pas partie de la famille nucléaire du défunt, ils ne sont pas liés de la même manière que les « beaux-enfants » au patrimoine familial que le défunt transmet à son décès. Si le « beau-petit-enfant » avait habité avec son « beau-grand-parent » et qu'il avait été élevé par lui, il pourrait, conformément aux conditions fixées par l'article 52-3, 2°, du Code des droits de succession tel qu'il est applicable en Région wallonne, bénéficier du tarif des droits de succession applicable aux enfants dont les parents sont qualifiés par cette disposition de « parents d'accueil » ou aux enfants qui ont été élevés par un tuteur au sens de cette même disposition.

La transmission par voie testamentaire du patrimoine du défunt à son « beau-petit-enfant », ne prouve pas en soi l'existence d'un lien d'affection à ce point spécial entre le défunt et le légataire, qui justifierait l'application du « tarif en ligne directe » à cette succession.

Comme l'indiquent les travaux préparatoires mentionnés en B.5, le législateur décrétal a pu considérer que l'institution de l'adoption remplissait le rôle de reconnaissance de ce lien privilégié entre le « beau-grand-parent » et le « beau-petit-enfant » sans que ce lien justifie, en soi, l'application du tarif dérogatoire prévu désormais entre les « beaux-parents » et les « beaux-enfants ».

B.7.4. La circonstance que l'héritier soit l'enfant d'un enfant prédécédé du conjoint du défunt est sans incidence, puisque, comme il a été indiqué en B.7.1, que le parent de l'enfant soit prédécédé ou non, seule l'existence d'un lien de parenté en ligne directe juridiquement établi entre le petit-enfant et le défunt justifie l'application de l'échelle tarifaire « en ligne directe », ce lien s'accompagnant d'une obligation d'entretien.

B.7.5. Enfin, on ne saurait utilement comparer l'obtention successorale par l'enfant d'un enfant prédécédé du conjoint qui hérite de son « beau-grand-parent » à l'obtention par un « bel-enfant » qui hérite de son « beau-parent », suivie de l'obtention entre ce « bel-enfant » et son propre enfant.

En effet, alors que dans le premier cas il n'y a eu qu'une seule transmission par décès, dans le second cas, il y a deux transmissions en ligne directe, qui font chacune l'objet du paiement de droits de succession à ce tarif.

B.8. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 52-3 du Code des droits de succession, tel qu'il a été inséré par l'article 2 du décret de la Région wallonne du 22 octobre 2003 « visant à compléter l'article 48 du Code des droits de succession défini par l'arrêté royal n° 308 du 31 mars 1936, dans le but de réduire les inégalités en ce qui concerne les droits de succession à acquitter existant entre les enfants majeurs ou mineurs élevés au sein d'une famille recomposée », ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 20 novembre 2019.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux F. Daoût

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