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Arrêt
publié le 22 septembre 2020

Extrait de l'arrêt n° 24/2020 du 13 février 2020 Numéro du rôle : 7144 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 21, alinéa 2, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, posée par le Conseil d'Etat. La composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, T. Merckx-Van Goey, P. Nihou(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 24/2020 du 13 février 2020 Numéro du rôle : 7144 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 21, alinéa 2, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, posée par le Conseil d'Etat.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet et J. Moerman, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 243.866 du 1er mars 2019, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 18 mars 2019, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 21, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, viole-t-il le droit d'accès au juge consacré par l'article 13 de la Constitution lu en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce qu'il prévoit une sanction disproportionnée à la lumière du but visé par le législateur, à savoir celui d'absorber l'arriéré au Conseil d'Etat, alors qu'il n'existe plus d'arriéré au Conseil d'Etat comme cela ressort explicitement des rapports annuels et d'activités des années 2012-2013, 2013-2014, 2014-2015 et 2015-2016 ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur l'article 21, alinéa 2, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, qui dispose : « Lorsque la partie requérante ne respecte pas les délais prévus pour l'envoi du mémoire en réplique ou du mémoire ampliatif, la section statue sans délai, les parties entendues à leur demande, en constatant l'absence de l'intérêt requis ».

B.2. La Cour est interrogée sur la compatibilité de la disposition en cause avec l'article 13 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, « en ce qu' [elle] prévoit une sanction disproportionnée à la lumière du but visé par le législateur, à savoir celui d'absorber l'arriéré au Conseil d'Etat, alors qu'il n'existe plus d'arriéré au Conseil d'Etat comme cela ressort explicitement des rapports annuels et d'activités des années 2012-2013, 2013-2014, 2014-2015 et 2015-2016 ».

B.3.1. L'article 13 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne ».

B.3.2. L'article 13 de la Constitution implique un droit d'accès au juge compétent. Ce droit serait vidé de tout contenu s'il n'était pas satisfait aux exigences du procès équitable garanti notamment par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.3.3. L'accès au juge peut être soumis à des conditions de recevabilité. Ces conditions ne peuvent restreindre l'accès au juge d'une manière qui porte atteinte à sa substance même. Tel serait le cas d'une restriction qui ne serait pas raisonnablement proportionnée à un but légitime.

La compatibilité d'une telle limitation avec le droit d'accès à un tribunal dépend des particularités de la procédure en cause et s'apprécie au regard de l'ensemble du procès (CEDH, 24 février 2009, L'Erablière A.S.B.L. c. Belgique, § 36; 29 mars 2011, R.T.B.F. c.

Belgique, § 70; 18 octobre 2016, Miessen c. Belgique, § 64; 17 juillet 2018, Ronald Vermeulen c. Belgique, § 48).

B.3.4. Plus particulièrement, les règles relatives aux formalités et aux délais fixés pour former un recours visent à assurer une bonne administration de la justice et à écarter les risques d'insécurité juridique. Si la simplification et l'accélération de la procédure constituent des objectifs légitimes (CEDH, 18 octobre 2016, Miessen c.

Belgique, § 71), les règles de procédure ne peuvent toutefois pas, en raison d'un formalisme excessif, empêcher les justiciables de se prévaloir des voies de recours disponibles.

La Cour européenne des droits de l'homme rappelle ainsi que l'application par les juridictions internes de formalités à respecter pour former un recours est susceptible de violer le droit d'accès à un tribunal, notamment quand l'interprétation par trop formaliste de la légalité ordinaire faite par une juridiction empêche, de fait, l'examen au fond du recours exercé par l'intéressé (CEDH, 24 février 2009, L'Erablière A.S.B.L. c. Belgique, § 38; 29 mars 2011, R.T.B.F. c. Belgique, § 71;18 octobre 2016, Miessen c. Belgique, § 66).

B.4. La règle selon laquelle l'absence de transmission d'un mémoire en réplique dans le délai imparti commande au Conseil d'Etat de constater en principe l'absence de l'intérêt requis a été insérée dans les lois coordonnées par l'article 1er de la loi du 17 octobre 1990. L'article 21 a été remplacé dans son intégralité par l'article 8 de la loi du 20 janvier 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 20/01/2014 pub. 03/02/2014 numac 2014000082 source service public federal interieur Loi portant réforme de la compétence, de la procédure et de l'organisation du Conseil d'Etat fermer « portant réforme de la compétence, de la procédure et de l'organisation du Conseil d'Etat ». Le contenu de l'alinéa 2 n'a toutefois pas été modifié à cette occasion.

Attachant « des conséquences graves au non-respect » de ce délai, cette disposition fait partie d'une série de mesures visant à réduire la durée de la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat, afin de résorber l'arriéré de cette juridiction (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-1, pp. 1-3; ibid., n° 984-2, p.2).

Cette présomption d'absence d'intérêt doit se comprendre comme ayant des effets analogues à la présomption de désistement d'instance prévue par l'article 21, alinéa 6, des lois coordonnées.

B.5.1. Lorsqu'il notifie le mémoire en réponse de la « partie adverse » à la « partie requérante », le greffe du Conseil d'Etat fait mention du texte de l'article 21, alinéa 2, de sorte que l'auteur du recours en annulation est à nouveau informé des conséquences du non-respect du délai de soixante jours dans lequel il lui est permis de transmettre son mémoire en réplique.

Le contenu de ce mémoire peut se limiter à la manifestation par la « partie requérante » de la persistance de son intérêt.

Si le délai précité de soixante jours n'est pas respecté, le greffe du Conseil d'Etat informe l'auteur du recours en annulation et les autres parties que la section du contentieux administratif constatera l'absence de l'intérêt requis dans le chef de l'auteur du recours en annulation, à moins que l'une de ces parties ne demande à être entendue (article 14bis, § 1er, alinéa 1er, de l'arrêté du Régent du 23 août 1948, remplacé par l'article 1er d'un arrêté royal du 26 juin 2000). Dans le cas où une telle demande est formulée, toutes les parties sont convoquées à comparaître à bref délai et entendues (article 14bis, § 1er, alinéa 3, du même arrêté du Régent, remplacé par l'article 1er du même arrêté royal). La « partie requérante » est alors libre d'exposer les raisons pour lesquelles elle a transmis son mémoire en réplique après l'expiration du délai imparti (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-1, p. 3).

B.5.2. Le droit d'être entendu donne aux parties requérantes l'occasion d'expliquer pourquoi elles n'ont pas respecté le délai imparti. Les parties requérantes peuvent, si elles démontrent l'existence d'un cas fortuit ou d'une force majeure, échapper à la sanction d'irrecevabilité de leur recours. Il appartient au Conseil d'Etat, au regard de l'explication des parties requérantes, de veiller à ne pas interpréter de manière trop formaliste ces causes de justification.

B.6.1. Sur la base des éléments précités, la Cour a jugé à plusieurs reprises que la limitation du droit d'accès au Conseil d'Etat qu'entraîne la disposition en cause n'est pas sans justification raisonnable (voir par exemple l'arrêt no 112/2013 du 31 juillet 2013).

Dans l'affaire présentement examinée, la Cour est interrogée en substance sur la nécessité de revoir cette jurisprudence au regard de l'évolution de l'arriéré du Conseil d'Etat.

B.6.2. Sans se pencher sur la question de savoir si la Cour est à même d'évaluer, sur la base de ses rapports d'activité, la charge de travail du Conseil d'Etat et l'effet de la disposition en cause sur cette charge de travail, force est de constater qu'en adoptant la disposition en cause, le législateur poursuivait plusieurs objectifs.

La disposition en cause confirmait en partie une pratique que le Conseil d'Etat appliquait déjà pour faire face au grand nombre d'affaires pendantes. Il ressort néanmoins des travaux préparatoires que le législateur avait en outre également pour objectif d'accélérer le déroulement des différentes procédures : « L'intention du législateur est de remédier à la longueur voulue ou non par les parties en cause dans les recours introduits devant le Conseil d'Etat » (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 984-1, p. 3).

Même si, pour la partie requérante, l'application de la disposition en cause ne donne pas lieu à l'examen du fond de la cause, elle a tout de même pour effet de mettre fin, pour toutes les parties concernées, à la procédure devant le Conseil d'Etat. En outre, indépendamment de l'existence ou non d'un arriéré, il s'ensuit que d'autres affaires pendantes peuvent être traitées plus rapidement.

B.6.3. De plus, comme il est dit en B.4, la disposition en cause, bien qu'elle ait été introduite à l'origine en 1990, a été reprise intégralement dans le cadre de la réforme du Conseil d'Etat de 2014.

Par cette réforme, le législateur a notamment entendu continuer à réduire l'arriéré qui, à ce moment, avait déjà considérablement diminué, mais également parer à l'éventualité d'un nouvel arriéré consécutif à l'extension des compétences du Conseil d'Etat (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2277/1, p. 39).

B.6.4. Enfin, par son arrêt n° 40/2019 du 28 février 2019, la Cour a annulé le terme « annulé » dans l'article 2244, § 1er, alinéa 3, du Code civil, inséré par l'article 2 de la loi du 25 juillet 2008Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/07/2008 pub. 22/08/2008 numac 2008009714 source service public federal justice Loi modifiant le Code civil et les lois coordonnées du 17 juillet 1991 sur la comptabilité de l'Etat en vue d'interrompre la prescription de l'action en dommages et intérêts à la suite d'un recours en annulation devant le Conseil d'Etat fermer « modifiant le Code civil et les lois coordonnées du 17 juillet 1991 sur la comptabilité de l'Etat en vue d'interrompre la prescription de l'action en dommages et intérêts à la suite d'un recours en annulation devant le Conseil d'Etat ». L'application de la disposition en cause n'empêche dès lors pas que le recours en annulation interrompe la prescription de l'action en responsabilité civile.

B.6.5. A la lumière de ces objectifs, la disposition en cause est compatible avec l'article 13 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme.

La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 21, alinéa 2, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, ne viole pas l'article 13 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 13 février 2020.

Le greffier, Le président, F. Meersschaut F. Daoût

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