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Arrêt
publié le 12 novembre 2020

Extrait de l'arrêt n° 99/2020 du 25 juin 2020 Numéro du rôle : 7233 En cause : le recours en annulation du décret de la Communauté française du 12 décembre 2018 « portant modification du décret du 13 octobre 2016 relatif à l'agrément et au su La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen(...)

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Extrait de l'arrêt n° 99/2020 du 25 juin 2020 Numéro du rôle : 7233 En cause : le recours en annulation du décret de la Communauté française du 12 décembre 2018 « portant modification du décret du 13 octobre 2016 relatif à l'agrément et au subventionnement des partenaires apportant de l'aide aux justiciables », introduit par l'ASBL « Free Clinic » et autres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, T. Giet, R. Leysen et Y. Kherbache, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 10 juillet 2019 et parvenue au greffe le 12 juillet 2019, un recours en annulation du décret de la Communauté française du 12 décembre 2018 « portant modification du décret du 13 octobre 2016 relatif à l'agrément et au subventionnement des partenaires apportant de l'aide aux justiciables » (publié au Moniteur belge du 11 janvier 2019) a été introduit par l'ASBL « Free Clinic », l'ASBL « L'Atelier des Droits Sociaux » et l'ASBL « Espace Social Télé-Service », assistées et représentées par Me R. Fonteyn, avocat au barreau de Bruxelles. (...) II. En droit (...) Quant au décret attaqué, à son contexte et à sa genèse B.1.1. Le décret de la Communauté française du 12 décembre 2018 « portant modification du décret du 13 octobre 2016 relatif à l'agrément et au subventionnement des partenaires apportant de l'aide aux justiciables » (ci-après : le décret du 12 décembre 2018) dispose : «

Article 1er.A l'article 30 du décret l'alinéa 1er est remplacé par la disposition suivante : ' Le Gouvernement peut accorder aux partenaires des subventions, calculées conformément au présent chapitre, destinées à soutenir la réalisation des missions et obligations liées à leur agrément. '

Art. 2.La présente proposition entre en vigueur au 1er janvier 2017 ».

B.1.2. Avant sa modification par le décret du 12 décembre 2018, l'article 30 du décret de la Communauté française du 13 octobre 2016 « relatif à l'agrément et au subventionnement des partenaires apportant de l'aide aux justiciables » (ci-après : le décret du 13 octobre 2016) disposait : « Pour la réalisation des missions et obligations liées à leur agrément, le Gouvernement accorde aux partenaires des subventions calculées conformément aux dispositions du présent chapitre.

Par dérogation à l'alinéa 1er, les prestations pouvant être couvertes par les subventions allouées par l'autorité fédérale en exécution de l'article 69 de la loi du 30 mars 1994Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/03/1994 pub. 07/02/2012 numac 2012000056 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales type loi prom. 30/03/1994 pub. 25/07/2011 numac 2011000468 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales Coordination officieuse en langue allemande d'extraits type loi prom. 30/03/1994 pub. 27/01/2015 numac 2015000029 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer portant des dispositions sociales et de l'article 5, § 2, de la loi du 6 décembre 2005 relative à l'établissement et au financement de plans d'action en matière de sécurité routière ne peuvent faire l'objet d'un subventionnement en vertu du présent chapitre ».

B.2. La matière de l'aide sociale aux justiciables est attribuée aux communautés.

En Communauté française, elle est régie par le décret du 13 octobre 2016, entré en vigueur le 1er janvier 2017, et par ses arrêtés d'exécution.

La Communauté française a décidé de rassembler au sein de la « Direction Partenariats » les différents services apportant, entre autres, une aide sociale aux justiciables. Ces services « partenaires » sont principalement des associations agréées et subventionnées par la Communauté française, laquelle leur confie une série de missions, dont l'aide aux justiciables.

Les trois principes qui ont présidé au décret du 13 octobre 2016 sont l'harmonisation des règles de subventionnement, la modernisation de la législation et la stabilisation globale de l'emploi et de l'expertise existante.

Ce décret a introduit deux nouveautés : d'une part, les missions des partenaires sont définies en fonction des bénéficiaires et non plus en fonction des acteurs et, d'autre part, les subventions sont fixées d'après les missions exécutées selon les besoins du justiciable, c'est-à-dire par prestation et non plus par service.

Pour pouvoir exercer leurs missions, les associations doivent demander un agrément au Gouvernement, en vue de bénéficier d'une subvention pour les réaliser. Les subventions sont accordées en fonction des missions effectuées. L'agrément couvre un ou plusieurs arrondissements judiciaires et il est valable pour une durée de six ans.

B.3. L'agrément constitue donc le préalable à l'octroi des subventions. Cependant, les points de vue divergeaient en ce qui concerne l'interprétation à donner à l'article 30 précité du décret du 13 octobre 2016, en particulier sur le point de savoir si, une fois l'agrément donné, le Gouvernement était aussi tenu d'accorder des subventions ou si l'octroi de ces dernières n'était qu'une faculté.

C'est dans ce contexte que le décret du 12 décembre 2018 attaqué a été adopté.

Quant au deuxième moyen B.4.1. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 23, alinéas 1er, 2 et 3, 2°, de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les principes de la sécurité juridique et de la non-rétroactivité.

Les parties requérantes dénoncent la rétroactivité du décret du 12 décembre 2018, lequel s'applique à des situations qui existaient avant son entrée en vigueur, et elles allèguent qu'il aurait pour effet d'influencer dans un sens déterminé l'issue des procédures juridictionnelles qu'elles ont diligentées. Elles ajoutent que l'intention initiale du législateur décrétal, développée dans les travaux préparatoires, serait douteuse parce que, selon elles, un lien direct aurait été établi à l'origine entre l'agrément et le subventionnement.

B.4.2. Le Gouvernement de la Communauté française soutient que le décret attaqué est un décret interprétatif, ce qui ressortirait des travaux préparatoires, et que, partant, il est de la nature d'un tel acte qu'il ait un effet rétroactif à la date d'entrée en vigueur de l'acte initial.

B.5. Aux termes de l'article 133 de la Constitution, l'interprétation des décrets par voie d'autorité n'appartient qu'au décret.

Une disposition décrétale est interprétative quand elle confère à une disposition décrétale le sens que, dès son adoption, le législateur décrétal a voulu lui donner et qu'elle pouvait raisonnablement recevoir. C'est donc le propre d'une telle disposition décrétale de sortir ses effets à la date d'entrée en vigueur la disposition décrétale qu'elle interprète.

Toutefois, la garantie de la non-rétroactivité des décrets ne pourrait être éludée par le seul fait qu'une disposition décrétale ayant un effet rétroactif serait présentée comme une disposition décrétale interprétative.

B.6.1. Les travaux préparatoires du décret attaqué mentionnent : « Le décret du 13 octobre 2016 [...] permet aux organismes qui offrent une aide aux justiciables de solliciter leur agrément en qualité de ' partenaires ' de l'Administration. [...] Au-delà de cette reconnaissance officielle, l'agrément permet également au partenaire de solliciter des subventions destinées à soutenir la réalisation des missions et obligations liées à cet agrément.

L'enveloppe dédiée à ces subventions ne permet toutefois pas de soutenir l'ensemble des organismes qui offrent une aide aux justiciables dans le respect des conditions d'agrément. Le gouvernement a donc décidé de soutenir en priorité les partenaires qui étaient déjà subventionnés en vertu des législations que le décret du 13 octobre 2016 est venu remplacer. Cette décision a été prise afin de se conformer aux objectifs du législateur, à savoir la favorisation de la stabilité des emplois (art. 4, 3° du décret), ainsi que la constitution et la pérennisation de l'expertise interne des partenaires (art. 4, 4° du décret).

Il n'en demeure pas moins que certains organismes, non subventionnés précédemment, et pour lesquels aucun budget complémentaire n'est actuellement disponible, ont demandé également leur agrément en vertu du décret du 13 octobre 2016. Or, ces organismes offrent aux justiciables des prestations de qualité qui méritent une reconnaissance officielle de la part de la Communauté française, même non accompagnée - dans un premier temps - d'un subventionnement.

La rédaction actuelle du présent décret manque de clarté sur la possibilité laissée au gouvernement d'agréer un partenaire qui le demande, sans pour autant le subventionner. Pourtant, rien dans le décret n'oblige le gouvernement à subventionner l'ensemble des prises en charges du partenaire. En vertu de l'article 33, il lui appartient même de fixer le nombre annuel de prises en charge subventionnées et ce nombre peut très bien être fixé à zéro si les finances publiques ne permettent pas un subventionnement (en raison du caractère limitatif des crédits budgétaires). Par ailleurs, la différence de traitement ainsi réalisée entre les partenaires est objective et légalement fondée sur la volonté du législateur de favoriser la stabilité de l'emploi subventionné et la pérennisation de l'expertise existante.

A l'appui de cette interprétation, rappelons que lors du passage du projet de décret en commission, il avait été précisé ceci : ' [le décret] prévoit la possibilité de subventionner les partenaires agréés par période de trois années, se déroulant par conséquent sur un sextennat d'agrément. Toutefois, la mise en oeuvre de ces principes sera progressive. Les services existants voient leur pérennité garantie, notamment sur le plan des moyens alloués. ' (Doc., Parl.

Com. fr., 2015-2016, n° 330 - 3, pp. 4 et 5).

En conséquence, il est souhaitable de clarifier la situation en faisant valider l'interprétation précitée par le Parlement, afin de lui conférer une authenticité légale. Dans un souci de sécurité juridique, il convient donc de faire rétroagir cette interprétation authentique à la date d'entrée en vigueur du décret du 13 octobre 2016, soit le 1er janvier 2017. Il est renvoyé au commentaire de l'article 2 quant au détail de la modification rédactionnelle proposée. [...] Article 2 Cet article visant à rétablir l'intention initiale du législateur (voir l'exposé des motifs), il convient, dans un souci de sécurité juridique, de le faire rétroagir au jour de l'entrée en vigueur du décret du 13 octobre 2016, à savoir le 1er janvier 2017 » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2018-2019, n° 699/1, pp. 3-4).

Les travaux préparatoires mentionnent encore : « M. le ministre précise que le gouvernement a approuvé le dépôt de la présente proposition de décret afin, comme l'ont exposé les déposants, de procéder à une modification qui vise à clarifier une disposition présente dans le décret du 13 octobre 2016 relatif à l'agrément et au subventionnement des partenaires des maisons de justice.

En effet, certains services, qui n'étaient précédemment pas financés par les autorités compétentes avant la sixième réforme de l'Etat, et pour lesquels aucun budget n'est actuellement disponible, ont sollicité, comme d'autres services d'ailleurs, leur agrément en vertu du ' décret partenariat '.

Or, ces services offrent aux justiciables des prestations de qualité qui méritent une reconnaissance officielle de la part de la Fédération Wallonie-Bruxelles et ce, même si dans un premier temps, ils ne bénéficient pas d'un financement.

Dès lors et vu que la rédaction actuelle du décret est sujette à différentes interprétations quant à la possibilité laissée au gouvernement d'agréer un partenaire qui le demande, sans pour autant le subventionner, il est proposé de modifier le décret afin de clarifier cette disposition qui va formellement dans le sens présenté lors des travaux parlementaires au moment des discussions du décret. [Un membre] souhaite obtenir une réponse quant à la nécessité de prévoir une rétroactivité.

M. le ministre répond qu'il existe deux interprétations des services.

Le Centre d'expertise juridique considère que le décret en l'état permet d'agréer sans subventionner alors que l'Inspection des finances est d'un avis contraire. Il s'agit par conséquent d'assurer la sécurité juridique du texte » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2018-2019, n° 699/2, p. 3).

B.6.2. Les travaux préparatoires du décret du 13 octobre 2016 confirment l'intention initiale du législateur décrétal : « Pour conclure son exposé, M. le Ministre indique que ce décret permettra l'agrément, par le Gouvernement, des associations partenaires des Maisons de Justice pour autant qu'elles respectent certaines obligations et conditions pour une durée de six années reconductibles. De plus, il prévoit la possibilité de subventionner des partenaires agréés par période de trois années, se déroulant par conséquent sur un sextennat d'agrément.

Toutefois, la mise en oeuvre de ces principes sera progressive. Les services existants voient leur pérennité garantie, notamment sur le plan des moyens alloués. A cette fin, les arrêtés d'exécution en cours d'élaboration, en concertation avec le secteur, comprendront les modalités de mise en oeuvre » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2015-2016, n° 330/3, pp. 4-5).

De même, il a été clairement précisé, au cours des travaux préparatoires du décret du 13 octobre 2016, que le subventionnement devait respecter les principes de la stabilisation de l'emploi et de l'expertise existante, motifs pour lesquels le subventionnement a lieu, aux termes du commentaire de l'article 31, « dans la limite des crédits budgétaires, sur la base d'une analyse triennale des besoins et missions existants dans l'arrondissement judiciaire » (ibid., n° 330/1, p. 13).

B.7. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'intention du législateur décrétal a toujours été de considérer que l'agrément d'un partenaire était la condition nécessaire pour qu'il puisse demander une subvention, sans que ce soit toutefois une condition suffisante.

En adoptant le décret attaqué, le législateur décrétal a cherché à remédier à l'insécurité juridique née des interprétations divergentes de l'article 30 du décret du 13 octobre 2016. L'article 1er du décret attaqué donne à cet article un sens que, dès son adoption, le législateur décrétal a voulu lui donner et qu'il pouvait raisonnablement recevoir.

Quant à l'article 2 du décret du 12 décembre 2018, c'est le propre d'une disposition interprétative de sortir ses effets à la date d'entrée en vigueur de la disposition décrétale qu'elle interprète, puisqu'elle confère au texte interprété le sens que, raisonnablement, il aurait dû avoir dès son adoption.

B.8. Le deuxième moyen n'est pas fondé.

Quant aux premier et troisième moyens examinés conjointement B.9. Par le premier moyen, les parties requérantes soutiennent en substance que le décret du 12 décembre 2018, en ne prévoyant pas que le subventionnement est obligatoire dès lors que l'agrément a été obtenu, a pour effet de diminuer sensiblement le niveau de protection offert aux bénéficiaires de l'aide juridique qui ont recours à leur service.

Par le troisième moyen, les parties requérantes soutiennent que le décret du 12 décembre 2018 fait naître une différence de traitement injustifiée entre, d'une part, les organismes d'aide juridique de première ligne qui avaient été reconnus et subventionnés avant l'entrée en vigueur du décret du 13 octobre 2016 et, d'autre part, les organismes qui étaient agréés mais non subventionnés avant cette date, semblant considérer que les premiers sont automatiquement subventionnables, alors que les seconds ne le sont pas d'office, malgré un agrément en bonne et due forme.

B.10. Le décret attaqué étant un décret interprétatif, il ne modifie pas la portée du décret qu'il interprète. Le subventionnement non automatique des partenaires qui sont autorisés par un agrément à dispenser une aide juridique aux justiciables, tel qu'il est prévu par les articles 30 et suivants, a été créé par le décret du 13 octobre 2016. Les griefs formulés et la différence de traitement dénoncée ne trouvent dès lors pas leur origine dans le décret attaqué. B.11. Les premier et troisième moyens sont non fondés.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 25 juin 2020.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, F. Daoût

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