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Arrêt
publié le 23 décembre 2020

Extrait de l'arrêt n° 68/2020 du 14 mai 2020 Numéro du rôle : 7059 En cause: la question préjudicielle relative à l'article 11bis, alinéa 1 er , des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, posée par le Conseil d'E La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges J.-P. Moerm(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 68/2020 du 14 mai 2020 Numéro du rôle : 7059 En cause: la question préjudicielle relative à l'article 11bis, alinéa 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, posée par le Conseil d'Etat.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques et Y. Kherbache, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par l'arrêt n° 242.967 du 16 novembre 2018, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 26 novembre 2018, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 11bis des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat du 12 janvier 1973, inséré par la loi du 6 janvier 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/01/2014 pub. 31/01/2014 numac 2014021007 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi relative à la Sixième Réforme de l'Etat concernant les matières visées à l'article 77 de la Constitution type loi prom. 06/01/2014 pub. 31/01/2014 numac 2014200332 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi relative à la Sixième Réforme de l'Etat concernant les matières visées à l'article 78 de la Constitution fermer relative à la sixième réforme de l'Etat concernant les matières visées à l'article 77 de la Constitution viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il ne fait supporter la charge de l'indemnité réparatrice qu'à l'auteur de l'acte annulé, à l'exclusion des parties qui ont concouru à l'élaboration de cet acte et qui ont été maintenues à la procédure en qualité de parties adverses dans le cadre de la procédure en annulation de l'acte en question ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur la compatibilité de l'article 11bis des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 (ci-après : les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat), avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que seul l'auteur de l'acte administratif illégal peut être condamné au paiement d'une indemnité réparatrice, à l'exclusion des autres parties adverses désignées comme telles et maintenues à la cause par la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat, qui ont concouru à l'élaboration de l'acte, sans en être l'auteur.

B.1.2. Tel qu'il a été inséré par l'article 6 de la loi du 6 janvier 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/01/2014 pub. 31/01/2014 numac 2014021007 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi relative à la Sixième Réforme de l'Etat concernant les matières visées à l'article 77 de la Constitution type loi prom. 06/01/2014 pub. 31/01/2014 numac 2014200332 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi relative à la Sixième Réforme de l'Etat concernant les matières visées à l'article 78 de la Constitution fermer « relative à la Sixième Réforme de l'Etat concernant les matières visées à l'article 77 de la Constitution », l'article 11bis des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat dispose : « Toute partie requérante ou intervenante qui poursuit l'annulation d'un acte, d'un règlement ou d'une décision implicite de rejet en application de l'article 14, § 1er ou § 3, peut demander à la section du contentieux administratif de lui allouer par voie d'arrêt une indemnité réparatrice à charge de l'auteur de l'acte si elle a subi un préjudice du fait de l'illégalité de l'acte, du règlement ou de la décision implicite de rejet, en tenant compte des intérêts publics et privés en présence.

La demande d'indemnité est introduite au plus tard dans les soixante jours qui suivent la notification de l'arrêt ayant constaté l'illégalité. Il est statué sur la demande d'indemnité dans les douze mois qui suivent la notification de l'arrêt ayant constaté l'illégalité.

En cas d'application de l'article 38, la demande d'indemnité doit être introduite au plus tard soixante jours après la notification de l'arrêt qui clôt la procédure de recours. Il est statué sur la demande d'indemnité dans les douze mois qui suivent la notification de l'arrêt qui clôt la procédure de recours.

La partie qui a introduit la demande d'indemnité ne peut plus intenter une action en responsabilité civile pour obtenir une réparation du même préjudice.

Toute partie qui intente ou a intenté une action en responsabilité civile ne peut plus demander à la section du contentieux administratif une indemnité pour le même préjudice ».

Quant à la recevabilité B.2.1. Selon le Conseil des ministres, la question préjudicielle ne relève pas de la compétence de la Cour, en ce que la différence de traitement en cause résulterait d'un choix du Constituant.

B.2.2. L'article 144, alinéa 2, de la Constitution, inséré le 6 janvier 2014, dispose : « Toutefois, la loi peut, selon les modalités qu'elle détermine, habiliter le Conseil d'Etat ou les juridictions administratives fédérales à statuer sur les effets civils de leurs décisions ».

B.2.3. Dans la mesure où il limite la compétence de la Cour, le choix du Constituant doit être interprété de manière restrictive. La Cour doit dès lors vérifier, à l'égard de la différence de traitement qui lui est soumise, si celle-ci vise des dispositions législatives dont le Constituant s'est approprié les choix.

B.2.4. Le Constituant a habilité le législateur, « selon les modalités qu'il détermine » (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2242/1, p. 1;

Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3211/002, p. 3), à permettre au Conseil d'Etat ou aux juridictions administratives fédérales de statuer eux-mêmes sur les effets civils de leurs décisions, par dérogation à l'article 144, alinéa 1er, de la Constitution.

Les travaux préparatoires relatifs à la révision de l'article 144 de la Constitution indiquent : « La circonstance que cette proposition de loi soit déposée concomitamment à la proposition de révision de l'article constitutionnel dont elle tend à assurer l'application ne signifie évidemment pas que le législateur ne puisse fixer d'autres modalités que celles prévues par cette disposition » (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2242/1, p. 2; Doc. parl., Sénat, 2013-2014, n° 5-2232/5, p. 94).

Le législateur qui fait usage de cette habilitation du Constituant n'est pas dispensé de l'obligation de respecter aussi les autres dispositions constitutionnelles, y compris le principe d'égalité et de non-discrimination.

B.2.5. L'article 144, alinéa 2, de la Constitution ne détermine pas l'autorité qui doit être considérée comme étant l'auteur de l'acte illégal.

La différence de traitement soumise à la Cour trouve son fondement dans la disposition en cause, qui prévoit que l'indemnité réparatrice est mise à charge de l'« auteur de l'acte ».

Il s'ensuit que la Cour n'est pas interrogée sur une disposition constitutionnelle, ni sur des choix du Constituant que la disposition en cause traduirait, de sorte que la Cour est compétente pour répondre à la question préjudicielle.

L'exception est rejetée.

Quant au fond B.3. Par la question préjudicielle, la Cour est invitée à examiner si la différence de traitement entre, d'une part, la partie adverse qui est l'auteur de l'acte administratif illégal, seule susceptible d'être condamnée au paiement d'une indemnité réparatrice, et, d'autre part, la partie adverse désignée comme telle et maintenue à la cause par le Conseil d'Etat qui n'est pas l'auteur de l'acte administratif illégal et qui, de ce fait, n'est pas susceptible d'être condamnée au paiement d'une indemnité réparatrice, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.4. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.5.1. En conférant à la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat la compétence d'octroyer une indemnité réparatrice, le législateur a voulu éviter que la partie requérante qui a obtenu gain de cause devant cette juridiction doive introduire une nouvelle procédure devant le juge civil pour obtenir une réparation du préjudice qu'elle a subi en raison de l'illégalité de l'acte administratif attaqué.

Il ressort en effet des travaux préparatoires relatifs à la disposition en cause : « Actuellement, la partie qui obtient gain de cause devant le Conseil d'Etat mais dont le préjudice n'est pas entièrement réparé par l'annulation de l'acte est contrainte d'introduire une nouvelle action devant les juridictions civiles. Cela impose à un nouveau juge de réexaminer l'ensemble du dossier, ce qui entraîne de nouveaux frais de justice et de nouveaux délais de procédure.

Conformément à l'Accord institutionnel du 11 octobre 2011 sur la Sixième Réforme de l'Etat, la loi permet au Conseil d'Etat d'accorder une indemnité réparatrice à la partie requérante ou à une partie intervenante, si elle en fait la demande. La possibilité de formuler cette demande n'est toutefois ouverte à la partie intervenante que si elle vient en appui de la partie requérante et poursuit l'annulation de l'acte, la demande d'indemnité réparatrice constituant un accessoire du recours en annulation. Dans les autres hypothèses, le droit commun de la responsabilité civile reste seul d'application.

Cette compétence nouvelle du Conseil d'Etat permettra d'éviter à la partie qui a fait constater une illégalité par le Conseil d'Etat de devoir saisir ensuite une juridiction civile pour obtenir un dédommagement du préjudice qu'elle aurait subi du fait de cet acte. [...] » (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2233/1, p. 6).

En permettant à la partie requérante d'obtenir une indemnité réparatrice devant le Conseil d'Etat pour le préjudice subi en raison de l'illégalité constatée, tant le Constituant que le législateur ont poursuivi l'objectif légitime tenant à l'économie de procédure, telle la diminution des coûts de la procédure, ce qui profite à l'ensemble des parties à la cause, y compris à l'auteur de l'acte illégal (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2242/1, p. 1; Doc. parl., Sénat, 2013-2014, n° 5-2232/5, p. 94).

B.5.2. Il ne ressort toutefois pas des travaux préparatoires qu'en poursuivant cet objectif de l'économie de procédure, le législateur a également voulu éviter que des parties autres que la partie requérante, telles la partie intervenante qui a soutenu la légalité de l'acte ou la partie adverse, doivent introduire ultérieurement une procédure devant le juge civil pour obtenir une indemnisation d'un préjudice qu'elles auraient subi.

Il ressort en effet des travaux préparatoires : « La possibilité de formuler cette demande n'est toutefois ouverte à la partie intervenante que si elle vient en appui de la partie requérante et poursuit l'annulation de l'acte, la demande d'indemnité réparatrice constituant un accessoire du recours en annulation. Dans les autres hypothèses, le droit commun de la responsabilité civile reste seul d'application » (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2233/1, p. 6); « [...] la disposition proposée vise à éviter que la partie qui poursuit l'annulation d'un acte illégal ne doive ensuite s'adresser aux cours et tribunaux pour obtenir réparation du préjudice que cet acte lui a causé. En ce sens, la demande d'indemnité réparatrice constitue un accessoire de sa demande. Cet objectif touchant à l'économie de la procédure ne peut s'appliquer qu'à la seule partie qui a mu l'action ou à la partie qui s'y engage. Le bénéficiaire d'une autorisation se trouve en fait dans une situation distincte parce que son intervention dans la cause sert à attaquer la validité de l'acte.

S'il s'avère que l'autorité lui a causé un préjudice en posant un acte illégal, une éventuelle indemnité réparatrice ne constitue pas un accessoire dans son chef et nécessite de ce fait d'engager une action distincte. En réalité, il n'est nullement privé du droit de former une telle action, étant donné que, comme aujourd'hui, il peut disposer de la faculté d'obtenir des dommages et intérêts devant les cours et tribunaux dans le cadre d'une procédure au civil » (Doc. parl., Sénat, 2013-2014, n° 5-2232/5, p. 359).

B.5.3. A propos de la situation spécifique de la partie adverse, l'assemblée générale de la section de législation du Conseil d'Etat a observé, dans son avis sur l'avant-projet de loi devenu la loi du 6 janvier 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/01/2014 pub. 31/01/2014 numac 2014021007 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi relative à la Sixième Réforme de l'Etat concernant les matières visées à l'article 77 de la Constitution type loi prom. 06/01/2014 pub. 31/01/2014 numac 2014200332 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi relative à la Sixième Réforme de l'Etat concernant les matières visées à l'article 78 de la Constitution fermer : « 3.2. En retenant l'illégalité de l'acte comme fait générateur du dommage, la nouvelle disposition fait perdre, dans le contentieux porté devant le Conseil d'Etat, toute portée utile à la controverse sur l'unité ou la dualité des notions de faute et d'excès de pouvoir, qui a traversé la jurisprudence et la doctrine pendant une quarantaine d'années. La sécurité juridique y gagne. L'autorité sera en principe tenue de réparer le préjudice en l'absence de toute faute et donc lorsque l'illégalité provient de circonstances qui lui sont étrangères.

Lorsque l'illégalité constatée par le Conseil d'Etat provient d'une faute ou erreur commise par le bénéficiaire de l'acte (renseignements erronés transmis à l'autorité administrative, par exemple), la circonstance que l'autorité a agi de bonne foi, en faisant preuve de la prudence requise, mais a été abusée par des informations erronées, s'apparente à l'hypothèse de la responsabilité sans faute. Il appartiendra au Conseil d'Etat d'apprécier au cas par cas si un lien de causalité peut être établi entre l'acte illégal et le préjudice, autrement dit si celui-ci est bien directement imputable à l'acte illégal, quitte à ce que l'administration se retourne, devant les cours et tribunaux, contre le bénéficiaire de l'acte qui l'a induite en erreur » (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2233/2, pp. 6-7).

B.5.4. Cette responsabilité objective de l'auteur de l'acte illicite implique qu'il n'y a pas lieu d'examiner s'il a commis une faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil.

B.6.1. Eu égard à l'objectif de l'économie de procédure mentionné en B.5.1 et B.5.2, il est pertinent d'instaurer un régime de responsabilité objective à charge du seul auteur de l'acte illégal. En effet, la circonstance que la partie requérante ne doit pas établir de faute dans le chef de l'auteur de l'acte illégal et que le débiteur de l'indemnité réparatrice peut être identifié aisément facilite le débat devant le Conseil d'Etat et augmente dès lors l'intérêt pour la partie requérante d'opter pour cette procédure plutôt que pour une action civile fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil.

B.6.2. Par son arrêt n° 70/2019 du 23 mai 2019, la Cour a jugé que la circonstance que la partie adverse ne peut en conséquence faire valoir qu'elle n'a pas commis d'illégalité constitutive d'une faute dans son chef est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution : « B.13. La circonstance que la partie adverse, dans le cadre de l'indemnité réparatrice, ne peut faire valoir utilement que l'illégalité constatée ne constitue pas une faute est une conséquence du choix du législateur de prendre en considération non pas la faute, mais bien l'illégalité en tant que cause du dommage indemnisable. Ce choix correspond à la logique du système fondé sur une responsabilité objective.

Le préjudice qui en découle pour la partie adverse est compensé par le fait que le Conseil d'Etat, contrairement au juge civil, fixe l'indemnité réparatrice ' en tenant compte des intérêts publics et privés en présence '. De telles circonstances peuvent donner lieu à l'octroi d'un montant inférieur à l'indemnisation intégrale (CE, 8 décembre 2016, n° 236.697). Le Conseil d'Etat peut tenir compte, entre autres, de la circonstance que la partie adverse ' ne dispose pas de la possibilité de choisir la voie procédurale qu'elle estime la plus avantageuse, puisqu'elle est liée par le choix opéré par la partie qui demande l'indemnité ' (Doc. Parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2233/1, p. 7) ». B.7. La circonstance que seule la partie adverse qui est l'auteur de l'acte illégal peut être condamnée par le Conseil d'Etat au paiement d'une indemnité réparatrice ne produit pas d'effets disproportionnés à son égard, cette autorité disposant de la possibilité d'introduire devant le juge civil une action en responsabilité dirigée contre l'autorité qui a contribué, totalement ou partiellement, à l'illégalité de l'acte au cours de l'élaboration de celui-ci.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 11bis des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 mai 2020.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût

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