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Arrêt
publié le 20 mai 2021

Extrait de l'arrêt n° 121/2020 du 24 septembre 2020 Numéro du rôle : 7165 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 145 24 , 145 31 , 145 33 et 105, 2°, du Code des impôts sur les revenus 1992, tel La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges J.-P. Moerm(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 121/2020 du 24 septembre 2020 Numéro du rôle : 7165 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 14524, 14531, 14533 et 105, 2°, du Code des impôts sur les revenus 1992, tels qu'ils étaient applicables pour les exercices d'imposition 2008 à 2013, posée par le Tribunal de première instance du Hainaut, division Mons.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, R. Leysen, M. Pâques et Y. Kherbache, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 12 mars 2019, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 24 avril 2019, le Tribunal de première instance du Hainaut, division Mons, a posé la question préjudicielle suivante : « Lorsqu'une imposition commune est établie, les articles 14524, 14531, 14533 et 105, 2° (ancien), du Code des impôts sur les revenus, tels qu'applicables pour les exercices d'imposition concernés, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, tels qu'interprétés en ce qu'ils imposent l'imputation partielle des réductions d'impôt ou déductions pour les dépenses faites en vue d'économiser l'énergie, pour les frais de sécurisation et pour les libéralités dans le chef du conjoint qui dispose d'un revenu imposable, même lorsque ledit revenu est exonéré en vertu d'une disposition de droit international prévoyant son exonération sous réserve de progressivité, entraînant ainsi la perte partielle de bénéfice de ces avantages fiscaux pour le ménage ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de plusieurs articles du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992) qui instaurent diverses réductions et déductions d'impôt, interprétés en ce sens que ces articles prévoient l'imputation partielle de celles-ci dans le chef du conjoint qui dispose d'un revenu considéré comme imposable, même lorsque ledit revenu est exonéré en vertu d'une disposition de droit international prévoyant son exonération sous réserve de progressivité, ce qui donne lieu à une perte partielle du bénéfice de ces avantages fiscaux pour le ménage.

B.1.2. Il ressort des faits du litige soumis au juge a quo que la question préjudicielle porte sur des avantages fiscaux dont la méthode d'imputation suit la « règle proportionnelle en fonction des revenus », tels qu'ils sont applicables aux exercices fiscaux concernés dans le litige devant le juge a quo. Il s'agit, premièrement, de la réduction d'impôt relative aux dépenses d'économie d'énergie dans une habitation (ci-après : la réduction pour économie d'énergie), prévue à l'article 14524 du CIR 1992, dans ses versions applicables aux exercices d'imposition 2010 à 2012 inclus, deuxièmement, de la réduction d'impôt relative aux dépenses de sécurisation des habitations contre le vol et l'incendie (ci-après : la réduction pour frais de sécurisation), prévue à l'article 14531 du CIR 1992, dans ses versions applicables aux exercices d'imposition 2012 et 2013, troisièmement, de la déduction d'impôt pour libéralités, prévue à l'article 105, 2°, du CIR 1992, dans ses versions applicables aux exercices d'imposition 2008 à 2012 inclus, et enfin, quatrièmement, de la réduction d'impôt pour libéralités, prévue à l'article 14533, du CIR 1992, dans sa version applicable à l'exercice d'imposition 2013.

B.2.1. L'article 14524 du CIR 1992, dans sa version applicable aux exercices d'imposition 2010 à 2012, dispose : « § 1er. Il est accordé une réduction d'impôt pour les dépenses énumérées ci-après qui sont effectivement payées pendant la période imposable en vue d'une utilisation plus rationnelle de l'énergie dans une habitation dont le contribuable est propriétaire, possesseur, emphytéote, superficiaire, usufruitier ou locataire : 1° dépenses pour le remplacement des anciennes chaudières ou l'entretien d'une chaudière; 2° dépenses pour l'installation d'un système de chauffage de l'eau [...] par le recours à l'énergie solaire; 3° dépenses pour l'installation de panneaux photovoltaïques pour transformer l'énergie solaire en énergie électrique; 3°bis dépenses pour l'installation de tous autres dispositifs de production d'énergie géothermique; 4° dépenses pour l'installation de double vitrage;5° dépenses pour l'isolation du toit, des murs et des sols;6° dépenses pour le placement d'une régulation d'une installation de chauffage central au moyen de vannes thermostatiques ou d'un thermostat d'ambiance à horloge;7° dépenses pour un audit énergétique de l'habitation. [...] Lorsqu'une imposition commune est établie, la réduction d'impôt pour les dépenses relatives à l'habitation visée à l'alinéa 1er est répartie proportionnellement en fonction du revenu imposable de chaque conjoint dans l'ensemble des revenus imposables des deux conjoints. [...] § 2. Une réduction d'impôt est accordée au contribuable qui, en tant que propriétaire, possesseur, emphytéote ou superficiaire, investit dans : 1° la construction d'une habitation basse énergie, d'une habitation passive ou d'une habitation zéro énergie;2° l'acquisition à l'état neuf d'une habitation basse énergie, d'une habitation passive ou d'une habitation zéro énergie;3° la rénovation totale ou partielle d'un bien immobilier en vue de le transformer en une habitation basse énergie, une habitation passive ou une habitation zéro énergie. [...] Lorsqu'une imposition commune est établie, la réduction d'impôt pour les dépenses relatives à l'habitation visée à l'alinéa 1er est répartie proportionnellement en fonction du revenu imposable de chaque conjoint dans l'ensemble des revenus imposables des deux conjoints. [...] § 3. Une réduction d'impôt est accordée au contribuable visé au § 1er, alinéa 1er, pour les intérêts qui se rapportent à des contrats de prêt visés à l'article 2 de la loi de relance économique du 27 mars 2009. [...] [...] Lorsqu'une imposition commune est établie, la réduction d'impôt visée à l'alinéa 1er est répartie proportionnellement en fonction du revenu imposable de chaque conjoint dans l'ensemble des revenus imposables des deux conjoints. [...] ».

B.2.2. L'article 14531 du CIR 1992, dans sa version applicable aux exercices d'imposition 2012 et 2013, dispose : « § 1er. Il est accordé une réduction d'impôt pour les dépenses qui sont effectivement payées pendant la période imposable pour sécuriser une habitation contre le vol ou l'incendie dont le contribuable est propriétaire, possesseur, emphytéote, superficiaire, usufruitier ou locataire. [...] Lorsqu'une imposition commune est établie, la réduction d'impôt est répartie suivant la règle proportionnelle en fonction du revenu imposable de chacun des conjoints dans l'ensemble des revenus imposables des deux conjoints. [...] ».

B.2.3. L'article 105 du CIR, dans sa version applicable aux exercices d'imposition 2008 à 2012 inclus, dispose : « Lorsqu'une imposition commune est établie, les déductions visées à l'article 104 sont imputées comme suit : [...] 2° ensuite, les déductions visées à l'article 104, 3° à 8°, sont imputées, suivant la règle proportionnelle, sur l'ensemble des revenus nets des deux contribuables; [...] ».

L'article 104, 3° à 8°, du CIR 1992, dans ses versions applicables aux mêmes exercices d'imposition, énumère une série de libéralités en argent qui peuvent faire l'objet de la déduction visée à l'article 105 du CIR 1992.

B.2.4. L'article 14533, § 1er, du CIR 1992, dans sa version applicable à l'exercice d'imposition 2013, dispose : « Il est accordé une réduction d'impôt pour les dépenses suivantes qui sont effectivement payées pendant la période imposable : 1° les libéralités faites en argent : [...] 2° les libéralités faites en argent aux institutions qui assistent les pays en développement et qui sont agréées comme telles par le ministre des Finances et par le ministre qui a la coopération au développement dans ses attributions ou à des institutions similaires d'un autre Etat membre de l'Espace économique européen qui sont agréées de manière analogue;3° les libéralités faites en argent aux associations et institutions qui aident les victimes d'accidents industriels majeurs et qui sont agréées comme telles par le ministre des Finances ou son délégué et par le ministre des Affaires étrangères ou à des associations et institutions similaires d'un autre Etat membre de l'Espace économique européen qui sont agréées de manière analogue; 4° les libéralités faites aux musées de l'Etat et, sous condition d'affectation à leurs musées, les libéralités faites aux Communautés, aux Régions, aux provinces, aux communes et aux centres publics d'action sociale (...). [...] Lorsqu'une imposition commune est établie, la réduction d'impôt est répartie suivant la règle proportionnelle en fonction du revenu imposable de chacun des conjoints sur l'ensemble des revenus imposables des deux conjoints ».

B.3.1. Le revenu imposable est défini à l'article 6 du CIR 1992 : « Le revenu imposable est constitué de l'ensemble des revenus nets, diminué des dépenses déductibles.

L'ensemble des revenus nets est égal à la somme des revenus nets des catégories suivantes : 1° les revenus des biens immobiliers;2° les revenus des capitaux et biens mobiliers;3° les revenus professionnels;4° les revenus divers ». Les revenus professionnels sont définis à l'article 23 du CIR 1992, qui dispose, pour les exercices d'imposition visés : « § 1er. Les revenus professionnels sont les revenus qui proviennent, directement ou indirectement, d'activités de toute nature, à savoir : 1° les bénéfices;2° les profits;3° les bénéfices ou profits d'une activité professionnelle antérieure;4° les rémunérations;5° les pensions, rentes et allocations en tenant lieu. § 2. Le montant net des revenus professionnels s'entend du montant total de ces revenus, à l'exception des revenus exonérés et après exécution des opérations suivantes : 1° le montant brut des revenus de chacune des activités professionnelles est diminué des frais professionnels qui grèvent ces revenus;2° les pertes professionnelles éprouvées pendant la période imposable, en raison d'une activité professionnelle quelconque, sont déduites des revenus des autres activités professionnelles;3° des revenus professionnels déterminés conformément aux 1° et 2°, sont déduites les pertes professionnelles des périodes imposables antérieures; 4° ... § 3. Le Roi détermine les modalités et l'ordre selon lesquels s'opèrent les exonérations et les déductions ».

B.3.2. Les dispositions en cause, en ce qu'elles portent sur des réductions d'impôts, doivent être lues à la lumière de l'article 155 du CIR 1992, qui porte sur la réduction de l'impôt pour revenus d'origine étrangère. L'article reste substantiellement identique pour les exercices d'imposition en cause et dispose : « Les revenus exonérés en vertu de conventions internationales préventives de la double imposition sont pris en considération pour la détermination de l'impôt, mais celui-ci est réduit proportionnellement à la partie des revenus exonérés dans le total des revenus.

Il en est de même pour : - les revenus exonérés en vertu d'autres traités ou accords internationaux, pour autant que ceux-ci prévoient une clause de réserve de progressivité; [...] Lorsqu'une imposition commune est établie, la réduction est calculée par contribuable sur l'ensemble de ses revenus nets ».

B.3.3. Par un arrêt du 30 octobre 2015 (F.14.0160.F), la Cour de cassation a jugé : « En vertu de l'article 6 du Code des impôts sur les revenus 1992, le revenu imposable à l'impôt des personnes physiques est constitué de l'ensemble des revenus nets, diminué des dépenses déductibles, cet ensemble étant égal à la somme des revenus nets des catégories suivantes : 1° les revenus des biens immobiliers; 2° les revenus des capitaux et biens mobiliers; 3° les revenus professionnels; 4° les revenus divers.

Suivant l'article 23, § 2, de ce Code, le montant net des revenus professionnels s'entend du montant total de ces revenus, à l'exception des revenus exonérés et après déduction successive des frais professionnels et des pertes professionnelles. [...] En vertu de l'article 3, alinéa 1er, du Protocole additionnel du 6 juillet 1970 à la Convention internationale de coopération pour la sécurité de la navigation aérienne ' Eurocontrol ' du 13 décembre 1960, modifié par l'article 1er du Protocole du 21 novembre 1978, les membres du personnel de l'organisation sont soumis à un impôt au profit de celle-ci sur les traitements et salaires qu'elle leur verse et, à la date d'application de cet impôt, les traitements et salaires sont exonérés de l'impôt national sur le revenu, les Etats contractants pouvant toutefois tenir compte des traitements et salaires exonérés lorsqu'ils déterminent le montant de l'impôt applicable à tout autre revenu.

Usant de cette faculté, l'article 155 du Code des impôts sur les revenus 1992, dans sa version applicable à partir de l'exercice d'imposition 2006, prévoit, en son alinéa 2, combiné avec l'alinéa 1er, que les revenus exonérés en vertu de traités ou accords internationaux qui comportent une clause de réserve de progressivité sont pris en considération pour la détermination de l'impôt belge sur les revenus mais que cet impôt est réduit proportionnellement à la partie des revenus exonérés dans le total des revenus et, en son alinéa 3, que, lorsqu'une imposition commune est établie, la réduction est calculée par contribuable sur l'ensemble de ses revenus nets.

Il suit de ces dispositions que, si les traitements et salaires payés par l'organisation internationale Eurocontrol à un membre de son personnel qui est habitant du royaume doivent être exonérés de l'impôt belge des personnes physiques, cette exonération n'est pas mise en oeuvre, comme le prévoit l'article 23, § 2, du même code pour des revenus professionnels qui sont exonérés sans réserve liée au calcul de l'impôt afférent à d'autres revenus, par une exclusion de ceux-ci de la base imposable de l'intéressé mais, en raison de la réserve de progressivité assortissant ladite exonération, par l'octroi à ce dernier d'une réduction d'impôt.

Ce mode d'exonération implique que, pour la détermination de l'impôt des personnes physiques, les salaires et traitements payés par Eurocontrol soient, dans un premier temps, considérés comme des revenus professionnels imposables de leur bénéficiaire au sens des dispositions du Code des impôts sur les revenus 1992 régissant cet impôt et qu'ensuite seulement, une fois l'impôt déterminé sur cette base, la réduction d'impôt soit appliquée au prorata des salaires et traitements exonérés.

Après avoir constaté que le défendeur était un fonctionnaire de l'organisation internationale Eurocontrol et qu'il avait, comme la défenderesse, la qualité d'habitant du royaume assujetti à l'impôt des personnes physiques pour l'exercice d'imposition 2006, l'arrêt n'a pu, sans violer les articles 6, 23, § 2, et 155 précités, considérer que les traitements et salaires qu'il a perçus de cette organisation ne font pas partie de ses revenus imposables pour l'application des articles 134, § 1er, alinéa 2, et 14523 du Code des impôts sur les revenus 1992 et décider, sur cette base, qu'en dépit de l'imposition commune des défendeurs, les réductions d'impôt pour enfants à charge et celles pour prestations payées avec des titres-services doivent être appliquées exclusivement en fonction des revenus de la défenderesse ».

B.4. L'interprétation des notions de « revenus imposables » et de « revenus exonérés » étant déterminée par la jurisprudence précitée, la Cour est amenée à se prononcer sur la constitutionnalité des avantages fiscaux en cause à la lumière de ces concepts. Par conséquent, l'exception soulevée par le Conseil des ministres selon laquelle l'enjeu réel du litige porte sur les notions de « revenus imposables » et de « revenus exonérés » et non sur les avantages fiscaux énumérés est rejetée.

B.5.1. Les dispositions du CIR 1992 en cause, combinées à la mesure prescrite par l'article 155 du CIR 1992, ont pour effet que les réductions en cause sont imputées dans une proportion plus élevée dans le chef du contribuable qui a le revenu imposable le plus élevé. Il en résulte que les couples de résidents qui font l'objet d'une imposition commune et dont l'un des membres - en l'occurrence celui qui perçoit effectivement les revenus les plus élevés - perçoit des traitements d'une organisation internationale conventionnellement exonérés sous réserve de progressivité ne bénéficient pas d'une partie de l'avantage fiscal instauré par ces dispositions.

B.5.2. Le juge a quo interroge la Cour sur deux différences de traitement qui résulteraient de la règle proportionnelle retenue par le législateur pour déterminer la répartition entre les conjoints de l'imputation des avantages fiscaux pour économie d'énergie, pour frais de sécurisation et pour libéralités.

Une première différence de traitement existerait entre les couples de résidents tels que celui dans l'affaire en cause et les couples dont aucun des membres ne perçoit des revenus exonérés.

Une deuxième différence de traitement existerait entre les couples de résidents tels que celui dans l'affaire en cause et les couples qui comprennent un membre fonctionnaire de l'Union européenne, lequel, bénéficiant de revenus exemptés sans clause de réserve de progressivité, est assimilé à un contribuable isolé et peut dès lors déterminer librement qui, au sein du ménage, bénéficiera des réductions fiscales.

B.6.1. L'exposé des motifs de la loi 27 mars 2009 de relance économique, concernant la réduction pour économie d'énergie, mentionne : « Lorsqu'une imposition commune est établie, cette nouvelle réduction d'impôt est répartie entre les conjoints proportionnellement en fonction du revenu imposable de chaque conjoint dans l'ensemble des revenus imposables des deux conjoints. En outre, cette règle est insérée dans les paragraphes 1er et 2 du même article 14524, CIR 92 afin d'éviter qu'en cas d'imposition commune, il y ait plusieurs systèmes d'application pour la répartition de la réduction d'impôt entre les conjoints suivant le type d'investissement » (Doc. parl.

Chambre, 2008-2009, DOC 52-1788/001, p. 8).

B.6.2. L'exposé des motifs de la loi du 13 décembre 2012Documents pertinents retrouvés type loi prom. 13/12/2012 pub. 20/12/2012 numac 2012003381 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales et financières fermer « portant des dispositions fiscales et financières », qui concerne la méthode d'imputation de la réduction pour dépenses de sécurisation, fait apparaître la volonté du législateur d'adapter la législation à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle : « En ce qui concerne la réduction d'impôt pour les dépenses de sécurisation des habitations contre le vol et l'incendie (article 14531, CIR 92), il est proposé de modifier la règle de répartition déjà à partir de l'exercice d'imposition 2012.

En effet, dans son arrêt du 8 mars 2012, la Cour constitutionnelle a jugé que l'article 14524, § 1er, alinéa 5, premier tiret, CIR 92, tel qu'il était applicable pour l'exercice d'imposition 2009, viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution dans la mesure ou en cas d'imposition commune, la réduction d'impôt pour les dépenses faites en vue d'économiser l'énergie dans une habitation est répartie en fonction de la quotité de chaque conjoint dans le revenu cadastral de cette habitation pour les conjoints qui sont propriétaires et non en fonction du revenu imposable de chaque conjoint dans l'ensemble des revenus imposables des deux conjoints, comme c'est le cas pour les locataires.

La règle de répartition en cas d'imposition commune pour la réduction d'impôt pour les dépenses de sécurisation des habitations contre vol et incendie (article 14531, alinéa 5, CIR 92) est la même que la règle de répartition jugée inconstitutionnelle pour la Cour.

Par conséquent, on peut raisonnablement s'attendre à ce que les cours et les tribunaux arrivent également à la même conclusion pour l'article 14531, alinéa 5, CIR 92 » (Doc. parl. Chambre, 2012-2013, DOC 53-2458/001, p. 14).

En ce qui concerne la réduction pour libéralités, qui remplace la déduction pour libéralités, le même document indique : « En cas d'imposition commune, la réduction sera répartie entre les conjoints en fonction de leur revenu imposable (c.à.d. après déduction des rentes alimentaires). Cette règle de répartition est la règle type applicable à la plupart des réductions d'impôt » (ibid., p. 16).

B.6.3. Ainsi que le relève le Conseil des ministres, le législateur ne poursuit pas le même objectif par l'article 134 du CIR 1992 et par les articles du même Code qui sont en cause. En effet, par l'article 134 du CIR 1992, le législateur vise à maximiser l'effet de l'avantage fiscal au profit du couple dans son ensemble. Tel n'est pas le cas en ce qui concerne les dispositions en cause, qui visent à répartir l'avantage fiscal entre chacun des contribuables lorsqu'une imposition commune est établie. Quant aux avantages fiscaux liés à l'habitation, la répartition se faisait initialement en proportion des droits réels que chacun des conjoints possédait sur le bien concerné par les travaux donnant droit aux réductions d'impôts. Ces avantages ont ensuite été répartis entre eux de manière proportionnelle, en fonction des revenus imposables de chacun.

Il en ressort que le législateur n'a pas eu la volonté de faire des avantages fiscaux en cause une réduction d'impôt commune au couple.

B.7. Le juge a quo estime que les réductions en cause, réparties proportionnellement entre les membres du couple, pour la partie attribuée à celui qui perçoit des revenus exonérés en application de l'article 3 de l'annexe III du Protocole du 27 juin 1997 coordonnant la Convention internationale de coopération pour la sécurité de la navigation aérienne « Eurocontrol » du 13 décembre 1960, ne peuvent, compte tenu de cette exonération, profiter au membre du couple qui perçoit ces revenus, quelle que soit la proportion précise. Il en résulte que les couples concernés seraient traités défavorablement par rapport aux couples dont aucun des membres ne perçoit des revenus exonérés.

B.8. Comme il ressort des extraits des exposés des motifs cités en B.6.1 et B.6.2, l'imputation proportionnelle est devenue la règle en ce qui concerne les avantages fiscaux en cause. Contrairement à la règle d'imputation totale dans le chef du membre du couple qui perçoit les revenus les plus élevés, comme en matière de supplément de quotité de revenu exemptée d'impôt pour enfant à charge, qui était en cause dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour n° 111/2017 du 12 octobre 2017, la règle d'imputation proportionnelle poursuit un objectif de répartition équitable de l'avantage entre les membres du couple. L'objectif de la méthode d'imputation est par conséquent différent de celui qui prévaut quant à l'application de la réduction pour enfant à charge considérée dans l'arrêt n° 111/2017 précité, qui visait à maximiser l'effet de l'avantage au profit du couple dans son ensemble et à neutraliser les choix de vie du couple. Les avantages fiscaux en cause ne sont pas conçus au bénéfice du ménage dans son ensemble mais revêtent un caractère individuel, lié à la capacité contributive de chacun.

B.9. Le législateur dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour instaurer des impôts et autoriser des déductions et réductions d'impôt au titre d'incitant à la réalisation de certains buts politiques. Il lui appartient d'opérer un choix entre les différentes mesures qu'il estime nécessaires à cet effet. Il pouvait dès lors instaurer une modalité d'imputation des avantages fiscaux fondée sur une répartition proportionnelle en fonction de la part du revenu imposable de chaque conjoint dans l'ensemble de leurs revenus imposables.

Lorsqu'une différence de traitement apparaît à l'occasion de ce choix, et plus précisément, en l'espèce, en ce qui concerne les modalités de cette réduction d'impôt en cas d'imposition commune, la Cour se doit toutefois d'examiner si elle repose sur une justification raisonnable.

B.10. Rien ne contraint le législateur, lorsqu'il crée une déduction ou une réduction d'impôt, à garantir le bénéfice de celle-ci au ménage ou à la cellule familiale considérée dans son ensemble. Le législateur dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour déterminer si une réduction d'impôt doit bénéficier au couple dans son ensemble ou à chacun de ses membres en particulier, même en cas d'imposition commune, qui ne constitue qu'une modalité de calcul de l'impôt pour le ménage. Il n'existe en outre aucune obligation de prévoir un mécanisme de report d'un solde non imputé sur le conjoint.

B.11. Conformément à l'article 155 du CIR 1992, tel qu'il est interprété par la Cour de cassation, les salaires et traitements payés par Eurocontrol sont considérés comme des revenus professionnels imposables de leur bénéficiaire. Une fois l'impôt déterminé sur cette base, les réductions d'impôt sont appliquées au prorata des salaires et traitements exonérés. Cependant, pour déterminer d'abord l'impôt dû sur cette base, en application de la règle d'imputation proportionnelle, applicable aux avantages fiscaux en cause, ceux-ci sont imputés au demandeur devant le juge a quo jusqu'à épuisement de sa part, sans possibilité de report sur son conjoint. Les demandeurs devant le juge a quo se trouvent en l'espèce dans la même situation qu'un couple de résidents belges dont aucun ne perçoit de revenus exonérés sous réserve de progressivité, dont les revenus imposables sont déterminés de la même manière, compte tenu de leurs revenus nets, et qui ne disposent pas non plus d'une possibilité de report de solde sur le conjoint.

B.12. Il résulte de ce qui précède que les dispositions en cause ne créent pas de différence de traitement entre les ménages visés par le juge a quo.

B.13. Les dispositions en cause sont compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.14.1. La différence de traitement entre les couples de résidents susvisés et les couples qui comprennent un membre fonctionnaire de l'Union européenne découle d'une disposition du droit de l'Union européenne, à savoir l'article 12 du Protocole (n° 7) sur les privilèges et immunités de l'Union européenne (JO C 326 du 26 octobre 2012), qui s'applique exclusivement aux fonctionnaires et autres agents de l'Union. Le Protocole est interprété par la Cour de justice de l'Union européenne « en ce sens qu'est interdite toute imposition nationale, quelles que soient sa nature ou ses modalités de perception, qui a pour effet de grever, directement ou indirectement, les fonctionnaires ou autres agents [de l'Union], en raison du fait qu'ils sont bénéficiaires d'une rémunération versée par [l'Union], même si l'impôt en cause n'est pas calculé en proportion du montant de cette rémunération » (CJUE, 24 février 1988, Commission c. Belgique, C-260/86, point 10; 22 mars 1990, Tither, C-333/88, point 12, et 25 mai 1993, Kristoffersen, C-263/91, point 14). L'exonération prévue n'est donc pas assortie d'une clause de réserve de progressivité.

B.14.2. Dès lors que les fonctionnaires d'Eurocontrol perçoivent des salaires et traitements exonérés sous réserve de progressivité, ces revenus sont pris en compte pour le calcul de la base imposable, en application de l'article 155 du CIR 1992, tel qu'il est interprété par la Cour de cassation. Par conséquent, leur situation n'est pas comparable à celle des fonctionnaires et autres agents de l'Union européenne, de sorte que la différence de traitement précitée n'est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 14524, 14531, 14533 et 105, 2°, du Code des impôts sur les revenus 1992, tels qu'ils sont applicables pour les exercices d'imposition concernés, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 24 septembre 2020.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût

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