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Arrêt
publié le 16 juin 2021

Extrait de l'arrêt n° 61/2021 du 22 avril 2021 Numéro du rôle : 7299 En cause : le recours en annulation de l'article 10 du décret de la Région wallonne du 2 mai 2019 « modifiant le Code wallon du Logement et de l'Habitat durable et le décret La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et L. Lavrysen, et des juges T. Merc(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 61/2021 du 22 avril 2021 Numéro du rôle : 7299 En cause : le recours en annulation de l'article 10 du décret de la Région wallonne du 2 mai 2019 « modifiant le Code wallon du Logement et de l'Habitat durable et le décret du 15 mars 2018 relatif au bail d'habitation », introduit par la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie » et l'ASBL « Ligue des familles ».

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et L. Lavrysen, et des juges T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 19 novembre 2019 et parvenue au greffe le 21 novembre 2019, un recours en annulation de l'article 10 du décret de la Région wallonne du 2 mai 2019 « modifiant le Code wallon du Logement et de l'Habitat durable et le décret du 15 mars 2018 relatif au bail d'habitation » (publié au Moniteur belge du 28 mai 2019, deuxième édition) a été introduit par la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie » et l'ASBL « Ligue des familles », assistées et représentées par Me E. Van Nuffel, avocat au barreau de Bruxelles. (...) II. En droit (...) Quant à la disposition attaquée et son contexte B.1. L'article 10, attaqué, du décret de la Région wallonne du 2 mai 2019 « modifiant le Code wallon du Logement et de l'Habitat durable et le décret du 15 mars 2018 relatif au bail d'habitation » (ci-après : le décret du 2 mai 2019) insère un article 185ter dans le Code wallon du logement et de l'habitat durable, actuellement Code wallon de l'habitation durable, sous le titre III (« Des acteurs de la politique régionale du logement »), chapitre IV (« Du Fonds du logement des familles nombreuses de Wallonie »), section 4 (« De l'administration et du contrôle »).

L'article 185ter dispose : « § 1er. Conformément aux dispositions de l'article 15quater du décret du 12 février 2004 relatif au statut de l'administrateur public inséré par le décret du 29 mars 2008 [lire : 2018] modifiant les décrets du 12 février 2004 relatif au statut de l'administrateur public et du décret du 12 février 2004 relatif aux commissaires du Gouvernement et aux missions de contrôle des réviseurs au sein des organismes d'intérêt public en vue de prévenir les conflits d'intérêts et d'assurer la transparence des activités et des revenus privés [lire : modifiant les décrets des 12 février 2004 relatif au statut de l'administrateur public et du 12 février 2004 relatif aux commissaires du Gouvernement et aux missions de contrôle des réviseurs au sein des organismes d'intérêt public, visant à renforcer la gouvernance et l'éthique au sein des organismes wallons], le Conseil d'administration du Fonds constitue en son sein un Comité d'audit portant la dénomination de Comité d'audit interne.

Le Comité d'audit interne est composé de trois membres issus du Conseil d'administration.

Le président du Comité d'audit interne est désigné par les membres du Comité.

Au moins un membre du Comité d'audit interne dispose d'une expérience pratique ou de connaissances techniques en matière de comptabilité ou d'audit.

Le Directeur général du Fonds est invité aux réunions, avec voix consultative. § 2. Le Comité d'audit interne est assisté par : 1° un représentant de la Cour des Comptes;2° les réviseurs désignés conformément à l'article 185bis;3° les commissaires du Gouvernement, dans les conditions fixées à l'article 185;4° un membre de la Cellule d'Information financière;5° deux représentants de la Région, désignés par le Gouvernement au sein du Département de la Trésorerie du Service public de Wallonie Budget, Logistique et Technologies de l'Information et de la Communication et de l'Inspection des Finances. § 3. Le Conseil d'administration définit les missions du Comité d'audit interne, lesquelles comprennent au minimum les missions suivantes : 1° la communication au Conseil d'administration d'informations sur les résultats du contrôle légal des comptes annuels et d'explications sur la façon dont le contrôle légal des comptes annuels a contribué à l'intégrité de l'information financière et sur le rôle que le Comité d'audit interne a joué dans ce processus;2° le suivi du processus d'élaboration de l'information financière et la présentation de recommandations ou de propositions pour en garantir l'intégrité;3° le suivi de l'efficacité des systèmes de contrôle interne et de gestion des risques de l'organisme ainsi que le suivi de l'audit interne et de son efficacité;4° le suivi du contrôle légal des comptes annuels, en ce compris le suivi des questions et recommandations formulées par les commissaires du Gouvernement;5° la formulation d'avis, de recommandations et de propositions à destination du Conseil d'administration qu'il conseille en matière de gestion financière. Le Comité d'audit interne fait régulièrement rapport au Conseil d'administration sur l'exercice de ses missions, au moins lors de l'établissement par celui-ci des comptes annuels. § 4. Le mode de fonctionnement du Comité d'audit interne ainsi que la rémunération de ses membres sont définis dans les statuts du Fonds.

Le nombre de réunions du Comité d'audit interne donnant lieu à l'octroi d'un jeton de présence ne peut pas dépasser trois par an ».

B.2.1. L'article 179 du Code wallon de l'habitation durable définit les missions de la SCRL « Fonds du Logement des Familles nombreuses de Wallonie ».

Il dispose : « Afin de mettre en oeuvre le droit au logement, la société coopérative ' Fonds du logement des familles nombreuses de Wallonie ', ci-après dénommée le Fonds, poursuit les missions d'utilité publique suivantes : 1° fournir aux familles nombreuses de catégorie 1, 2 ou 3 les moyens de construire, d'acheter, de réhabiliter, de restructurer, d'adapter, de conserver, d'améliorer ou de préserver la propriété d'un premier logement en Région wallonne destiné à l'occupation personnelle, par l'octroi de crédits hypothécaires sociaux ou de prêts économiseurs d'énergie;2° fournir principalement aux familles nombreuses de catégorie 1 ou 2 les moyens de prendre un logement en location;3° proposer au Gouvernement l'agrément des organismes à finalité sociale visés au chapitre VI du présent titre, les conseiller, les contrôler, assurer leur coordination et leur financement;4° promouvoir l'expérimentation et la réflexion dans ces domaines et proposer au Gouvernement des politiques nouvelles. Le budget du Fonds est établi et approuvé par l'organe de gestion. Le budget ou, à défaut, un projet de budget, est joint à l'exposé particulier visé à l'article 9, § 1er, 2°, du décret du 15 décembre 2011 portant organisation du budget, de la comptabilité et du rapportage des unités d'administration publique wallonnes.

Le Gouvernement communique le budget définitif du Fonds pour information au Parlement wallon dans les deux mois de son approbation ».

B.2.2. Les activités de la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie » sont subventionnées par le Gouvernement wallon. En outre, le Fonds peut bénéficier d'une garantie régionale pour les emprunts qu'il contracte.

L'article 183 du Code wallon de l'habitation durable dispose : « § 1er. Le Fonds peut être autorisé par le Gouvernement à contracter des emprunts garantis par la Région. La garantie couvre également les opérations de gestion financière afférentes à ces emprunts.

Le montant, les conditions et les modalités de ces emprunts et de ces opérations doivent être approuvés par le Gouvernement.

Par dérogation à l'alinéa 1er, le Fonds peut, moyennant autorisation du Gouvernement, contracter des emprunts non garantis par la Région, sur le marché des capitaux, en vue de financer les prêts économiseurs d'énergie. § 2. Dans la limite des crédits inscrits au budget et moyennant le respect de l'article 180, le Gouvernement subventionne les activités du Fonds, notamment par la couverture des pertes sur intérêt des emprunts qu'il contracte et par des dotations en capital. § 2bis. La Région peut accorder une subvention au Fonds pour toute opération de démolition, de construction, d'acquisition, de réhabilitation ou de restructuration de logements.

Le Gouvernement détermine les conditions de mise à disposition, le mode de calcul, la fixation et les modalités de paiement de la subvention.

Le Gouvernement peut octroyer des aides spécifiques ou adapter la subvention conformément à l'article 79. § 3. La Région n'accorde sa garantie de bonne fin aux emprunts visés au § 1er qu'à la condition que le Fonds se soit engagé au préalable à consacrer une partie de ses programmes d'investissement au financement de l'acquisition, de la construction, de la réhabilitation, de la restructuration ou de l'adaptation de logements destinés à être loués ou vendus à des personnes qui occupent un logement améliorable ou non améliorable. Cette quotité est fixée par le Gouvernement ».

B.3.1. Le paragraphe premier de l'article 185ter du Code wallon de l'habitation durable, inséré par la disposition attaquée, prévoit la constitution, au sein de la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie », d'un comité d'audit interne « conformément » à l'article 15quater du décret de la Région wallonne du 12 février 2004 « relatif au statut de l'administrateur public » (ci-après : le décret du 12 février 2004).

B.3.2.1. L'article 15quater, précité, tel qu'il a été inséré par le décret du 29 mars 2018 « modifiant les décrets des 12 février 2004 relatif au statut de l'administrateur public et du 12 février 2004 relatif aux commissaires du Gouvernement et aux missions de contrôle des réviseurs au sein des organismes d'intérêt public, visant à renforcer la gouvernance et l'éthique au sein des organismes wallons », dispose : « § 1er. L'organe de gestion d'un organisme constitue en son sein un comité d'audit.

Le comité d'audit est composé de membres du conseil d'administration qui ne sont pas membres du bureau exécutif. Le nombre maximum de membres du comité d'audit n'est pas supérieur à vingt-cinq pour cent du nombre de membres du conseil d'administration.

Le président du comité d'audit est désigné par les membres du comité.

Au moins un membre du comité d'audit dispose d'une expérience pratique ou de connaissances techniques en matière de comptabilité ou d'audit.

Le gestionnaire de l'organisme est invité aux réunions, avec voix consultative. § 2. Le conseil d'administration définit les missions du comité d'audit, lesquelles comprennent au minimum les missions suivantes : 1° la communication au conseil d'administration d'informations sur les résultats du contrôle légal des comptes annuels et d'explications sur la façon dont le contrôle légal des comptes annuels et, le cas échéant, des comptes consolidés ont contribué à l'intégrité de l'information financière et sur le rôle que le comité d'audit a joué dans ce processus;2° le suivi du processus d'élaboration de l'information financière et présentation de recommandations ou de propositions pour en garantir l'intégrité;3° le suivi de l'efficacité des systèmes de contrôle interne et de gestion des risques de l'organisme ainsi que du suivi de l'audit interne et de son efficacité;4° le suivi du contrôle légal des comptes annuels, en ce compris le suivi des questions et recommandations formulées par le commissaire du Gouvernement. Le comité d'audit fait régulièrement rapport au conseil d'administration sur l'exercice de ses missions, au moins lors de l'établissement par celui-ci des comptes annuels ».

B.3.2.2. L'« organisme » dont il est question à l'article 15quater, § 1er, précité, est défini par l'article 2, alinéa 1er, 4°, du décret du 12 février 2004 comme une « personne morale de droit public; ou une entité contrôlée par une personne morale de droit public ou dans laquelle une personne morale de droit public détient une participation qualifiée ».

L'« organe de gestion » vise, quant à lui, « le conseil d'administration de la personne morale visée aux articles 3 et 17 ou, à défaut, tout autre organe, quelle que soit sa dénomination, qui dispose de tous les pouvoirs nécessaires à la réalisation de la mission ou de l'objet social de la personne morale » (article 2, alinéa 1er, 3°, du décret du 12 février 2004).

La SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie » est une personne morale qui est expressément visée par l'article 3, § 1er, 32°, du décret du 12 février 2004.

L'article 15quater lui est donc applicable, ce que confirme l'article 3, § 1er, du décret du 12 février 2004 qui rend les articles 1er à 16, 18, 18bis et 19 expressément applicables aux administrateurs publics et aux gestionnaires exerçant leurs fonctions dans les personnes morales qu'il cite.

B.3.3. Le décret du 12 février 2004 ne s'applique toutefois pas, en vertu de son article 3, § 4, aux personnes morales existantes ou à créer qui ont la forme d'une association sans but lucratif.

Tel est le cas de l'ASBL « Ligue des familles ».

B.4.1. L'article 185bis du Code wallon de l'habitation durable, tel qu'il a été inséré par l'article 398 du décret-programme du 17 juillet 2018 « portant des mesures diverses en matière d'emploi, de formation, d'économie, d'industrie, de recherche, d'innovation, de numérique, d'environnement, de transition écologique, d'aménagement du territoire, de travaux publics, de mobilité et de transports, d'énergie, de climat, de politique aéroportuaire, de tourisme, d'agriculture, de nature, de forêt, des pouvoirs locaux et de logement » et avant son remplacement par l'article 9 du décret du 2 mai 2019, prévoyait la création d'un comité de gestion financière au sein de la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie ».

Il disposait : « § 1er. Le comité de gestion financière conseille le Conseil d'administration en matière de gestion financière. § 2. Le comité de gestion financière se compose de six membres : 1° quatre administrateurs désignés par le Conseil d'administration du Fonds;2° deux représentants de la Région, désignés par le Gouvernement au sein du Département de la trésorerie de Direction générale transversale Budget, Logistique et Technologies de l'information et de la communication du Service public de Wallonie et de l'Inspection des Finances. Le comité de gestion financière élit en son sein un président.

Le comité de gestion financière est assisté par : 1° un représentant de la Cour des Comptes;2° les réviseurs désignés conformément à l'article 185bis;3° les commissaires du Gouvernement, dans les conditions fixées à l'article 185;4° le directeur général du Fonds;5° un membre de la Cellule d'Information financière. § 3. Le comité de gestion financière se réunit trimestriellement.

Le mode de fonctionnement du comité de gestion financière est défini dans les statuts du Fonds ».

B.4.2. Cette disposition a fait l'objet d'un recours en annulation devant la Cour, introduit par les parties requérantes (affaire inscrite sous le numéro n° 7160).

B.4.3. Depuis son remplacement par l'article 9 du décret du 2 mai 2019, l'article 185bis dudit Code dispose : « § 1er. Le contrôle de la situation financière, des comptes annuels et de la régularité des opérations à constater dans les comptes annuels au regard notamment du Code des sociétés et des statuts de la Société est confié à un ou plusieurs réviseurs et à un représentant de la Cour des Comptes, agissant collégialement. § 2. Le ou les réviseurs sont nommés par l'assemblée générale, parmi les membres, personnes physiques ou morales, de l'Institut des réviseurs d'entreprises. Le représentant de la Cour des Comptes est désigné sur la proposition de cette dernière par l'assemblée générale. § 3. Le rapport visé à l'article 143 du Code des sociétés est transmis, en même temps qu'au conseil d'administration de la Société, au Gouvernement ».

B.4.4. En conséquence de ce remplacement et de la disposition attaquée, les parties requérantes se sont désistées de leur recours en annulation dans l'affaire n° 7160. Ce désistement a été décrété par la Cour dans l'arrêt n° 45/2020 du 12 mars 2020.

Quant à la recevabilité B.5. Le Gouvernement wallon soulève une exception d'irrecevabilité en faisant valoir que ni la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie », ni l'ASBL « Ligue des familles » ne disposent d'un intérêt à agir.

Il se fonde à cet égard sur l'arrêt n° 196/2004 du 8 décembre 2004 par lequel la Cour n'a pas reconnu à la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie » un intérêt à introduire un recours en annulation à l'encontre de l'article 185bis, § § 1er et 2, du Code wallon du logement, inséré par l'article 117 du décret de la Région wallonne du 15 mai 2003 « modifiant le Code wallon du Logement et l'article 174 du Code wallon de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme et du Patrimoine ». En vertu de cette disposition, le contrôle de la situation financière, des comptes annuels et de la régularité des opérations à constater dans les comptes annuels de la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie » ont été confiés à plusieurs réviseurs et à un représentant de la Cour des comptes.

B.6. Pour justifier leur intérêt à agir, les parties requérantes se fondent, quant à elles, sur l'arrêt n° 9/2020 du 16 janvier 2020 par lequel la Cour a reconnu un intérêt à agir à la SA « Integrale », société à participation publique locale significative, qui avait introduit un recours en annulation contre le décret de la Région wallonne du 29 mars 2018 « modifiant le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue de renforcer la gouvernance et la transparence dans l'exécution des mandats publics au sein des structures locales et supra-locales et de leurs filiales ». En vertu de ce décret, la SA « Integrale » a été soumise à des contrôles supplémentaires de la Région wallonne et à une série de contraintes dans son fonctionnement interne.

B.7.1. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.

B.7.2. Bien qu'elle soit investie par voie décrétale de missions d'utilité publique et qu'elle bénéficie d'un financement de la Région wallonne, la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie » justifie de l'intérêt requis pour introduire un recours à l'encontre d'une disposition qui lui impose d'instaurer un nouvel organe en son sein, qui est amené à exercer des missions d'information et de contrôle. Il est indifférent à cet égard que l'instauration de cet organe vise à protéger des intérêts publics relevant de l'intérêt général.

Pour le surplus, l'examen de la portée exacte des missions de ce nouvel organe se confond avec l'examen au fond.

La SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie » disposant d'un intérêt à agir, il n'est pas nécessaire de vérifier si l'ASBL « Ligue des familles » dispose d'un intérêt.

B.7.3. L'exception d'irrecevabilité est rejetée.

Quant au premier moyen B.8. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation de l'article 27 de la Constitution, en ce que la disposition attaquée impose la création d'un comité d'audit interne au sein de la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie » qui contrôlerait le conseil d'administration et qui serait susceptible d'influencer les décisions de celui-ci.

B.9.1. L'article 27 de la Constitution dispose : « Les Belges ont le droit de s'associer; ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive ».

B.9.2. L'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. 2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat ».

B.9.3. Lorsqu'une disposition conventionnelle liant la Belgique a une portée analogue à celle d'une des dispositions constitutionnelles dont le contrôle relève de la compétence de la Cour et dont la violation est alléguée, les garanties consacrées par cette disposition conventionnelle constituent un ensemble indissociable avec les garanties inscrites dans les dispositions constitutionnelles concernées.

Il s'ensuit que, dans le contrôle qu'elle exerce au regard de l'article 27 de la Constitution, la Cour tient compte de l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit des droits ou libertés analogues.

B.9.4. La liberté d'association consacrée par l'article 27 de la Constitution a pour objet de garantir la création d'associations privées et la participation à leurs activités. Elle implique le droit de s'associer et celui de déterminer librement l'organisation interne de l'association, mais également le droit de ne pas s'associer.

L'autonomie organisationnelle des associations constitue un aspect important de la liberté d'association protégée par l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH, 4 avril 2017, Lovri c. Croatie, § 71). B.10. Indépendamment de savoir si elle constitue une autorité administrative au sens de l'article 14 des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie » est une association privée au sens de l'article 27 de la Constitution, puisqu'elle est issue d'une initiative privée. La circonstance que les missions d'intérêt général qu'elle accomplit sont définies par décret et qu'elle bénéficie d'un subventionnement public ne modifie pas ce constat.

B.11.1. Il ressort des travaux préparatoires du décret du 2 mai 2019 que plusieurs dispositions, dont la disposition attaquée, visent à harmoniser le Code wallon de l'habitation durable et le décret du 12 février 2004 « relatif au statut de l'administrateur public », tel qu'il a été modifié par le décret du 29 mars 2018, en ce qui concerne les organes de gestion financière et d'audit des trois principaux acteurs de la politique régionale du logement.

Concrètement, le législateur décrétal a souhaité fusionner le « comité d'audit » prévu par l'article 15quater du décret 12 février 2004, inséré par le décret du 29 mars 2018, et les « comités de gestion financière », prévus par le Code wallon de l'habitation durable, au sein de la SA de droit public « Société wallonne du Logement », de la SA de droit public « Société wallonne du Crédit social » et de la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie » (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, n° 1313/1, pp. 3 à 5; ibid., n° 1313/2, p. 3). Comme l'expose l'un des auteurs de la proposition de décret en commission : « La présente proposition de décret vise en quelque sorte à fusionner le comité de gestion financière avec le comité d'audit bonne gouvernance plutôt que de devoir créer un organe complémentaire, en vue de se conformer au décret bonne gouvernance, sachant que les missions de ce dernier sont déjà exercées aujourd'hui » (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, n° 1313/2, p. 3).

B.11.2. En harmonisant les prescriptions du Code wallon de l'habitation durable et celles du décret du 12 février 2004, tel qu'il a été modifié par le décret du 29 mars 2018, pour ce qui concerne la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie », par la fusion du « comité de gestion financière » avec le « comité d'audit », le législateur décrétal a rendu applicable audit « Fonds du Logement » les nouvelles règles en matière de bonne gouvernance et de transparence en matière de logement, établies sur la base des recommandations de la commission d'enquête parlementaire chargée d'examiner la transparence et le fonctionnement du Groupe PUBLIFIN (Doc. parl., Parlement wallon, 2016-2017, n° 861/1). Le comité d'audit, tel qu'il est prévu par le décret du 29 mars 2018, vise en effet à donner suite aux recommandations de cette commission d'enquête parlementaire (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1051/1, p. 9).

B.12. En rendant applicables des règles de bonne gouvernance et de transparence à la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie » qui jouit d'un subventionnement public, le législateur décrétal poursuit un but légitime. Il s'agit de permettre à la Région wallonne et aux citoyens de disposer d'une information fiable sur la situation financière et comptable de cette société subventionnée et de garantir une utilisation transparente des deniers publics qui lui sont alloués. La poursuite de ce but légitime contribue indirectement à l'effectivité du droit à un logement décent, garanti par l'article 23 de la Constitution.

B.13.1. L'obligation de créer un « comité d'audit interne » limite la liberté d'organisation de l'association.

B.13.2. Cette intrusion dans la liberté d'association n'est toutefois pas sans justification raisonnable.

B.13.3.1. L'article 27 de la Constitution interdit de soumettre la liberté d'association à des mesures préventives, mais n'empêche pas que des associations qui participent à la réalisation d'une mission d'intérêt général et qui sont subventionnées par des pouvoirs publics puissent être soumises à des modalités de fonctionnement et de contrôle pour autant qu'elles n'altèrent pas la substance de cette liberté.

B.13.3.2. En l'espèce, le contrôle exercé par les autorités régionales au travers du comité d'audit interne est très limité. Composé exclusivement de membres du conseil d'administration, le comité d'audit interne n'est qu'une émanation de celui-ci. Si les commissaires du gouvernement qui exercent une tutelle sur le Fonds, des représentants de la Région wallonne et un membre de la Cellule d'information financière de la Région wallonne assistent le comité d'audit interne, ils n'en font pas partie.

Il se déduit du paragraphe 3 de la disposition attaquée que les missions du comité d'audit interne définies par voie décrétale se limitent à l'information et au conseil ainsi qu'au suivi des contrôles comptables et financiers existants. Si le but de ces missions est d'éclairer le conseil d'administration et de guider celui-ci lorsqu'il prend des décisions liées à la situation comptable et financière du Fonds, le pouvoir de décision demeure exclusivement entre les mains du conseil d'administration.

B.14. Le premier moyen n'est pas fondé.

Quant au second moyen B.15. Les parties requérantes prennent un second moyen de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que la disposition attaquée impose à la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie » la création d'un comité d'audit interne, à l'instar de la SA « Société wallonne du Logement » et la SA « Société wallonne du Crédit social » qui sont toutefois des personnes morales de droit public.

B.16. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s'oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.17. Comme il est dit en B.11 et B.12, l'objectif poursuivi est d'assurer une application harmonieuse des règles de la Région wallonne en matière de bonne gouvernance et de transparence aux trois principaux acteurs de la politique régionale du logement, en vue de disposer d'une image fidèle et correcte de leur situation financière et comptable et, dès lors, de garantir une utilisation transparente des deniers publics qui leur sont alloués.

B.18. L'instauration d'un comité d'audit interne auprès de la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie » est une mesure pertinente pour atteindre cet objectif. Par ailleurs, pour les motifs mentionnés en B.13, cette mesure est proportionnée.

B.19. Indépendamment de la question de savoir si la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie », qui est une association privée, d'une part, et la SA « Société wallonne du Logement » et la SA « Société wallonne du Crédit social », qui sont des personnes morales de droit public actives dans le service public du logement, d'autre part, se trouvent dans des situations essentiellement différentes, l'identité de traitement critiquée est raisonnablement justifiée.

B.20.1. Les parties requérantes font valoir que l'identité de traitement est d'autant moins justifiée que la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie » se voit appliquer les règles moins strictes du décret de la Région wallonne du 15 décembre 2011 « portant organisation du budget, de la comptabilité et du rapportage des unités d'administration publique wallonnes » (ci-après : le décret du 15 décembre 2011) que les règles du même décret qui sont appliquées à la Société wallonne du Logement et à la Société wallonne du Crédit social.

B.20.2. Le fait que la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Wallonie » est soumise, en vertu du décret du 15 décembre 2011, à des règles moins strictes en matière de budget, de comptabilité et de rapportage que les deux sociétés précitées ne signifie pas qu'une différence de traitement entre le Fonds du logement et les deux acteurs publics du service public du logement doit nécessairement aussi exister quant à la création d'un comité d'audit interne.

Au contraire, l'application de ce décret du 15 décembre 2011 témoigne plutôt de ce que tant la SCRL « Fonds du Logement des Familles Nombreuses de Belgique » que la SA « Société wallonne du Logement » et la SA « Société wallonne du Crédit social » constituent des « unités d'administration publiques » (article 2, 27°, du décret du 15 décembre 2011) en matière de logement et font dès lors partie intégrante du « périmètre de consolidation » de la Région wallonne au regard du système européen des comptes nationaux et régionaux, dit SEC 2010 (article 2, 25° et 26°, du décret du 15 décembre 2011).Cela signifie que l'information financière issue des comptes de ces unités est prise en compte pour calculer la dette et le déficit publics de la Région wallonne et donc de la Belgique, informations qui sont transmises ensuite par la Belgique aux autorités européennes (Eurostat).

B.20.3. Compte tenu de cette circonstance, le législateur décrétal a raisonnablement pu imposer l'instauration d'un comité d'audit interne pour toutes les unités d'administration publiques en matière de logement, qu'elles constituent des personnes morales de droit privé ou de droit public.

B.21. Le second moyen n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 22 avril 2021.

Le greffier, Le président, F. Meersschaut F. Daoût

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