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Arrêt
publié le 12 juillet 2021

Extrait de l'arrêt n° 62/2021 du 22 avril 2021 Numéro du rôle : 7355 En cause : la question préjudicielle relative à l'article XX.173, § 2, du Code de droit économique, posée par le Tribunal de l'entreprise d'Anvers, division Tongres.

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 62/2021 du 22 avril 2021 Numéro du rôle : 7355 En cause : la question préjudicielle relative à l'article XX.173, § 2, du Code de droit économique, posée par le Tribunal de l'entreprise d'Anvers, division Tongres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et F. Daoût, et des juges J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne et D. Pieters, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 4 février 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 6 février 2020, le Tribunal de l'entreprise d'Anvers, division Tongres, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article XX.173, § 2, du Code de droit économique viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle le délai de trois mois après la publication du jugement de faillite pour introduire une requête en effacement est un délai de forclusion, en ce que le failli-personne physique qui n'introduit pas une requête en effacement en temps utile perd, de ce fait, irrévocablement et intégralement le droit à l'effacement, contrairement au failli-personne physique qui introduit une requête en effacement en temps utile et qui (à défaut d'opposition formée conformément à l'article XX.173, § 3, du Code de droit économique) obtiendra l'effacement automatiquement et sans que le tribunal dispose d'un pouvoir d'appréciation à cet égard ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. L'article 70, alinéa 1er, de la loi du 11 août 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 11/08/2017 pub. 11/09/2017 numac 2017012998 source service public federal justice Loi portant insertion du Livre XX "Insolvabilité des entreprises", dans le Code de droit économique, et portant insertion des définitions propres au livre XX, et des dispositions d'application au Livre XX, dans le Livre I du Code de droit économique fermer « portant insertion du Livre XX 'Insolvabilité des entreprises', dans le Code de droit économique, et portant insertion des définitions propres au livre XX, et des dispositions d'application au Livre XX, dans le Livre I du Code de droit économique », a abrogé la loi du 8 août 1997 sur les faillites, sous réserve de son application aux procédures de faillite en cours au 1er mai 2018.

En vertu de l'article 76 de la loi du 11 août 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 11/08/2017 pub. 11/09/2017 numac 2017012998 source service public federal justice Loi portant insertion du Livre XX "Insolvabilité des entreprises", dans le Code de droit économique, et portant insertion des définitions propres au livre XX, et des dispositions d'application au Livre XX, dans le Livre I du Code de droit économique fermer, les procédures de faillite ouvertes à partir du 1er mai 2018 tombent sous le champ d'application du nouveau livre XX du Code de droit économique. En adoptant cette réforme du droit des faillites, le législateur poursuit plusieurs objectifs, parmi lesquels le fait de « promouvoir la seconde chance qui encourage l'entreprenariat et permet un nouveau départ » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2407/001, p. 3). Cet objectif est notamment mené à bien par le remplacement du système de l'excusabilité du failli par le système de l'effacement du solde de ses dettes à la clôture de la faillite (ibid., pp. 4 et 98).

B.1.2. L'effacement du solde des dettes est régi par l'article XX.173 du Code de droit économique, qui dispose : « § 1er. Si le failli est une personne physique, il sera libéré envers les créanciers du solde des dettes, sans préjudice des sûretés réelles données par le failli ou un tiers.

L'effacement est sans effet sur les dettes alimentaires du failli et celles qui résultent de l'obligation de réparer le dommage lié au décès ou à l'atteinte à l'intégrité physique d'une personne qu'il a causé par sa faute. § 2. L'effacement est uniquement octroyé par le tribunal à la requête du failli, requête qu'il doit ajouter à son aveu de faillite ou déposer dans le registre au plus tard trois mois après la publication du jugement de faillite, même si la faillite est clôturée avant l'expiration du délai. La requête est notifiée par le greffier au curateur. Au plus tard après un mois, celui-ci dépose un rapport dans le registre sur les circonstances pouvant donner lieu au constat de fautes graves et caractérisées visées au § 3.

Sans attendre la clôture de la faillite et dès que le délai de six mois est écoulé, le failli peut demander au tribunal de se prononcer sur l'effacement. A la demande du failli, le tribunal communique à ce dernier, par le biais du registre, dans un délai d'un an à partir de l'ouverture de la faillite, les motifs qui justifient qu'il ne s'est pas prononcé sur l'effacement sans que cette communication ne préjuge de la décision qui sera rendue sur l'effacement.

Le tribunal se prononce sur la demande d'effacement au plus tard lors de la clôture de la faillite ou, si la demande visée à l'alinéa 1er n'est pas encore introduite au moment de la clôture, dans un délai d'un mois après la demande.

Le jugement ordonnant l'effacement du débiteur est communiqué par le greffier au curateur et est déposé au registre. Il est publié par extrait par les soins du curateur au Moniteur belge. § 3. Tout intéressé, en ce compris le curateur ou le ministère public peut, par requête communiquée au failli par le greffier, à partir de la publication du jugement de faillite, demander que l'effacement ne soit que accordé partiellement ou refusé totalement par décision motivée, si le débiteur a commis des fautes graves et caractérisées qui ont contribué à la faillite. La même demande peut être introduite par le biais d'une tierce opposition par requête au plus tard trois mois à compter de la publication du jugement accordant l'effacement.

Lorsque le failli est un titulaire d'une profession libérale, le greffier notifie à l'ordre ou à l'institut une copie du jugement accordant partiellement ou refusant entièrement l'effacement ».

B.1.3. L'effacement du solde des dettes diffère notablement de l'excusabilité du failli, qui était réglée par les anciens articles 80 à 82 de la loi sur les faillites.

B.1.4. L'effacement du solde des dettes est un droit subjectif du failli sur lequel le tribunal de l'entreprise se prononce en principe au moment de la clôture de la faillite. Ce jugement a un effet déclaratif et entraîne l'effacement du solde des dettes qui subsiste après la liquidation des biens saisissables (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2407/001, pp. 89 et 97-98). Ce droit dépend toutefois du respect de deux conditions : « Le failli doit demander l'effacement. Dès qu'il l'a fait, il aura la quasi-certitude qu'il est libéré des dettes résiduaires et peut entamer une nouvelle activité dont il aura seul le bénéfice. Ensuite, les intéressés peuvent dans des cas exceptionnels s'opposer à cet effacement » (ibid., p. 97).

Si le failli demande l'effacement du solde des dettes, le greffier en informe le curateur. Ensuite, le curateur fait rapport dans un délai maximum d'un mois sur les circonstances pouvant donner lieu au constat de fautes graves et caractérisées (article XX.173, § 2, alinéa 1er).

Le tribunal se prononce sur la demande d'effacement au plus tard lors de la clôture de la faillite ou, si la demande d'effacement n'est pas encore introduite à ce moment, dans un délai d'un mois après l'introduction de la demande (article XX.173, § 2, alinéa 3). Si aucun jugement de clôture n'a été prononcé six mois après l'introduction de la requête en effacement, le failli peut demander au tribunal de se prononcer sur l'effacement. Si le tribunal ne s'est pas encore prononcé sur cette demande un an après l'ouverture de la faillite, le failli peut demander au tribunal de lui communiquer les motifs qui justifient ce retard, sans que cette communication ne préjuge de la décision qui sera rendue sur l'effacement (article XX.173, § 2, alinéa 2). Tout intéressé, en ce compris le curateur et le ministère public, peut demander que l'effacement ne soit accordé que partiellement ou soit refusé totalement (article XX.173, § 3). Il incombe à la partie qui introduit une telle réclamation de démontrer que le failli a commis des fautes graves et caractérisées qui ont contribué à la faillite. Si aucune réclamation n'est introduite, le juge ne dispose d'aucune marge d'appréciation et doit ordonner l'effacement du solde des dettes qui a été demandé dans les délais.

Si le failli ne demande pas l'effacement du solde des dettes ou si le tribunal de l'entreprise rejette sa demande à la suite de la réclamation d'un intéressé, « le créancier recouvre ses droits et peut, en l'absence d'un titre exécutoire, obtenir un jugement du tribunal pour sa créance. A l'inverse, si le créancier a déjà un titre exécutoire, il peut procéder à la mise en oeuvre selon le droit commun de l'exécution forcée » (ibid., p. 98).

B.1.5. Conformément à l'article XX.173, § 2, en cause, du Code de droit économique, le failli qui est déclaré en faillite de sa propre initiative peut choisir d'introduire la requête en effacement du solde des dettes en même temps que son aveu de faillite ou de la déposer séparément au plus tard trois mois après la publication du jugement de faillite. Le failli qui est cité en faillite ne dispose que de cette dernière possibilité.

Conformément à la disposition en cause et à l'article XX.102, alinéa 2, du Code de droit économique, cette requête doit être introduite dans les deux hypothèses par voie électronique par l'intermédiaire du Registre Central de la Solvabilité (ci-après : « RegSol »). Le dépôt de cette requête au greffe n'est possible que lorsque le débiteur se trouve dans l'impossibilité de faire la déclaration par voie électronique. Dans ce cas, la déclaration est convertie en un document électronique.

RegSol se compose de formulaires types à compléter par le failli.

Celui qui doit être utilisé lors d'un aveu de faillite contient « une rubrique dans laquelle le débiteur signale son souhait [de] bénéficier » d'un effacement (ibid., p. 89).

B.2.1. Le juge a quo demande à la Cour si l'article XX.173, § 2, du Code de droit économique est compatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination dans l'interprétation selon laquelle le délai de trois mois après la publication du jugement de faillite pour introduire une requête en effacement est un délai de forclusion, en ce qu'un failli-personne physique qui n'introduit pas une requête en effacement du solde des dettes dans ce délai perd irrévocablement le droit à l'effacement, alors qu'un failli-personne physique qui introduit une requête en effacement dans le respect de ce délai est pratiquement assuré que le solde de ses dettes sera effacé.

B.2.2. Les parties ne peuvent modifier ou faire modifier la portée de la question préjudicielle posée par la juridiction a quo.

La Cour n'examine dès lors pas la différence de traitement soulevée par la partie intervenante entre des faillis-personnes physiques selon que leur procédure en faillite prend plus ou moins de trois mois.

B.3. Dans l'interprétation que lui donne le juge a quo, l'article XX.173, § 2, du Code de droit économique prévoit un délai de forclusion de trois mois pour introduire une requête en effacement.

Il appartient en règle au juge a quo d'interpréter les dispositions qu'il estime applicables, sous réserve d'une lecture manifestement erronée de la disposition en cause, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Bien que la disposition en cause ne l'indique pas formellement, le délai de trois mois à compter de la publication du jugement de faillite pour demander l'effacement du solde des dettes doit être considéré comme un délai de forclusion. Il ressort en effet des travaux préparatoires que si l'effacement n'est pas demandé « dans l'aveu de la faillite ou dans une période limitée dans le temps après la déclaration de faillite, le débiteur perdra son droit à l'effacement de la dette » (ibid., p. 89).

La Cour examine en conséquence la disposition en cause dans l'interprétation soumise par le juge a quo.

B.4.1. Le droit d'accès au juge, qui constitue un aspect du droit à un procès équitable, peut également être soumis à des conditions de recevabilité, notamment en ce qui concerne l'introduction d'une voie de recours. Ces conditions ne peuvent cependant aboutir à restreindre le droit de manière telle que celui-ci s'en trouve atteint dans sa substance même. Tel serait le cas si les restrictions imposées ne tendaient pas vers un but légitime et s'il n'existait pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. La compatibilité de ces limitations avec le droit d'accès à un tribunal dépend des particularités de la procédure en cause et s'apprécie au regard de l'ensemble du procès (CEDH, 24 février 2009, L'Erablière A.S.B.L. c. Belgique, § 36; 29 mars 2011, RTBF c.

Belgique, § 69; 18 octobre 2016, Miessen c. Belgique, § 64; 17 juillet 2018, Ronald Vermeulen c. Belgique, § 43).

Plus particulièrement, les règles relatives aux formalités et délais fixés pour former un recours visent à assurer une bonne administration de la justice et à écarter les risques d'insécurité juridique.

Toutefois, ces règles ne peuvent empêcher les justiciables de se prévaloir des voies de recours disponibles.

De surcroît, « les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure, et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois » (CEDH, 26 juillet 2007, Walchli c. France, § 29; 25 mai 2004, Kadlec et autres c. République tchèque, § 26). « En effet, le droit d'accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente » (CEDH, 24 mai 2011, Sabri Günes c. Turquie, § 58; 13 janvier 2011, Evaggelou c. Grèce, § 19; 18 octobre 2016, Miessen c. Belgique, § 66).

B.4.2. En matière de délais de forclusion, le législateur doit pouvoir disposer d'un large pouvoir d'appréciation. La différence de traitement entre les personnes qui exercent leurs droits dans le délai de forclusion applicable et celles qui ne le font pas n'est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si l'application du délai de forclusion entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.

B.5.1. Il ne ressort pas des travaux préparatoires pourquoi le législateur a choisi de subordonner à une demande expresse du failli la décision quant à l'effacement du solde des dettes, ni pourquoi il soumet cette demande à un délai de forclusion. En outre, le législateur ne tient pas compte de ce que la nécessité de cet effacement pourrait seulement apparaître plus tard.

B.5.2. Nonobstant la facilité avec laquelle l'effacement du solde des dettes peut être demandé par le failli, la disposition en cause impose une formalité à laquelle le failli doit satisfaire, sous peine de déchéance pour bénéficier de cet effacement. Il s'ensuit que, dans l'hypothèse où le failli néglige de demander en temps utile l'effacement du solde des dettes, l'objectif du législateur, considéré comme essentiel, consistant à promouvoir l'entreprenariat de la seconde chance est compromis par la disposition en cause.

B.5.3. Le moment auquel le failli demande l'effacement n'a aucune incidence sur la gestion de la masse, sur la déclaration et la vérification des créances, ou sur la liquidation de la faillite.

Le moment auquel les créanciers, le ministère public ou le curateur demandent, en vertu de l'article XX.173, § 3, du Code de droit économique, de n'accorder l'effacement que partiellement ou de le refuser totalement est également indifférent. Cette disposition leur permet du reste d'introduire déjà cette demande dès la publication du jugement de faillite, même si le failli n'a pas encore demandé l'effacement à ce moment. Par ailleurs, cette disposition ne soumet pas leur demande au cours de la procédure de faillite à un quelconque délai de forclusion et leur permet même de l'introduire par le biais d'une tierce opposition au plus tard dans les trois mois de la publication du jugement d'effacement.

Bien qu'en vertu de la disposition en cause, la demande d'effacement émane du failli, la charge de la preuve des fautes graves et caractérisées qui ont contribué à la faillite incombe par ailleurs aux parties qui s'opposent à l'effacement total.

Dans ces circonstances, le délai de forclusion en cause ne saurait être considéré comme une mesure pertinente en vue du règlement rapide de la faillite.

B.5.4. Par ailleurs, le dépassement du délai de forclusion en cause produit des effets disproportionnés pour le failli-personne physique qui perd de ce fait toute possibilité qu'un juge se prononce sur l'effacement du solde de ses dettes et qui doit dès lors irrévocablement continuer à supporter sur l'ensemble de son patrimoine les dettes qui n'ont pas été réglées par la liquidation de la masse.

B.5.5. La disposition en cause a également des effets disproportionnés pour le conjoint, l'ex-conjoint, le cohabitant légal ou l'ex-cohabitant légal du failli qui est obligé personnellement à la dette contractée par le failli du temps du mariage ou de la cohabitation légale.

B.6. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article XX.173, § 2, du Code de droit économique viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que le failli-personne physique qui n'introduit pas une requête en effacement du solde des dettes dans le délai de forclusion de trois mois après la publication du jugement de faillite perd irrévocablement le droit à cet effacement.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 22 avril 2021.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, L. Lavrysen

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