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Arrêt
publié le 16 mars 2002

Extrait de l'arrêt n° 5/2002 du 9 janvier 2002 Numéro du rôle : 2082 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 135, § 2, du Code d'instruction criminelle, tel qu'il a été modifié par l'article 30 de la loi du 12 mars 1998 La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, (...)

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Extrait de l'arrêt n° 5/2002 du 9 janvier 2002 Numéro du rôle : 2082 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 135, § 2, du Code d'instruction criminelle, tel qu'il a été modifié par l'article 30 de la loi du 12 mars 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/03/1998 pub. 02/04/1998 numac 1998009267 source ministere de la justice Loi relative à l'amélioration de la procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction fermer, posée par la Cour d'appel de Gand.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, M. Bossuyt, A. Alen, J.-P. Moerman et E. Derycke, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt du 23 novembre 2000 en cause du ministère public contre J. Goekint et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 28 novembre 2000, la Cour d'appel de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 135, § 2, du Code d'instruction criminelle, modifié par l'article 30 de la loi du 12 mars 1968 (lire : 1998) (Moniteur belge du 2 avril 1998, errata Moniteur belge du 7 août 1998), viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée du 17 février 1994 et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme en tant qu'il ne permet pas à l'inculpé, en dehors du cas de l'article 539 du Code d'instruction criminelle, d'interjeter appel d'une ordonnance de la chambre du conseil qui l'a renvoyé au tribunal correctionnel s'il n'a pas déposé de conclusions écrites au sujet des irrégularités, omissions ou causes de nullité visées à l'article 131, § 1er, du Code d'instruction criminelle, alors que l'appel dirigé contre les ordonnances de la chambre du conseil prises en vertu des articles 128, 129 et 130 du Code d'instruction criminelle est ouvert de manière inconditionnelle au ministère public et à la partie civile ? » (...) IV. En droit (...) B.1. L'article 135 du Code d'instruction criminelle, tel qu'il a été modifié par la loi du 12 mars 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/03/1998 pub. 02/04/1998 numac 1998009267 source ministere de la justice Loi relative à l'amélioration de la procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction fermer relative à l'amélioration de la procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction, dispose : « § 1er. Le ministère public et la partie civile peuvent interjeter appel de toutes les ordonnances de la chambre du conseil. § 2. En cas d'irrégularités, d'omissions ou de causes de nullité visées à l'article 131, § 1er, ou relatives à l'ordonnance de renvoi, l'inculpé peut interjeter appel des ordonnances de renvoi prévues aux articles 129 et 130, sans préjudice de l'appel visé à l'article 539 du présent Code. Il en va de même pour les causes d'irrecevabilité ou d'extinction de l'action publique. En cas d'irrégularités, d'omissions ou de causes de nullité visées à l'article 131, § 1er, l'appel n'est recevable que si le moyen a été invoqué par conclusions écrites devant la chambre du conseil. Il en va de même pour les causes d'irrecevabilité ou d'extinction de l'action publique, sauf lorsque ces causes sont acquises postérieurement aux débats devant la chambre du conseil. [...] » Les articles 128 à 131, § 1er, et l'article 539 du même Code disposent : «

Art. 128.Si la chambre du conseil est d'avis que le fait ne présente ni crime, ni délit, ni contravention, ou qu'il n'existe aucune charge contre l'inculpé, elle déclare qu'il n'y a pas lieu à poursuivre.

Art. 129.Si elle est d'avis que le fait n'est qu'une simple contravention de police ou l'un des délits prévus à l'article 138, l'inculpé sera renvoyé devant le tribunal de police.

Les dispositions du présent article et de l'article précédent ne pourront préjudicier aux droits de la partie civile ou de la partie publique, ainsi qu'il sera expliqué ci-après.

Art. 130.Si le délit est reconnu de nature à être puni par des peines correctionnelles, à l'exception du cas prévu à l'article 129, alinéa 1er, l'inculpé sera renvoyé au tribunal correctionnel.

Art. 131.§ 1er. La chambre du conseil prononce, s'il y a lieu, la nullité de l'acte et de tout ou partie de la procédure subséquente lorsqu'elle constate une irrégularité, une omission ou une cause de nullité affectant : 1° un acte d'instruction;2° l'obtention de la preuve. [...] » «

Art. 539.Lorsque l'inculpé, le prévenu ou l'accusé, l'officier chargé du ministère public ou la partie civile, aura excipé de l'incompétence d'un tribunal de première instance ou d'un juge d'instruction, ou proposé un déclinatoire, soit que l'exception ait été admise ou rejetée, nul ne pourra recourir à la Cour de cassation pour être réglé de juges; sauf à se pourvoir devant la cour d'appel contre la décision portée par le tribunal de première instance ou le juge d'instruction, et à se pourvoir en cassation, s'il y a lieu, contre l'arrêt rendu par la cour d'appel. » B.2. L'article 135, § 2, du Code d'instruction criminelle soumet l'appel formé par l'inculpé contre l'ordonnance de renvoi de la chambre du conseil à une condition de recevabilité. En cas d'irrégularités, d'omissions ou de causes de nullité visées à l'article 131, § 1er, l'inculpé ne peut interjeter appel de manière recevable que si le moyen a été invoqué par conclusions écrites devant la chambre du conseil. La même condition de recevabilité ne s'applique pas à l'appel formé par le ministère public et par la partie civile contre les ordonnances de la chambre du conseil.

La question préjudicielle interroge la Cour sur le point de savoir si la différence de traitement concernant la recevabilité de l'appel constitue une violation des articles 10 et 11 de la Constitution et de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.3. Ni l'article 142 de la Constitution, ni la loi spéciale du 6 janvier 1989 n'ont conféré à la Cour le pouvoir de contrôler directement des dispositions législatives au regard de traités internationaux.

B.4. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.5. Il existe, entre le ministère public et l'inculpé, une différence fondamentale qui repose sur un critère objectif : le premier accomplit, dans l'intérêt de la société, les missions de service public relatives à la recherche et à la poursuite des infractions (articles 22 à 47bis du Code d'instruction criminelle) et il exerce l'action publique (article 138 du Code judiciaire); le second défend son intérêt personnel. Cette différence justifie raisonnablement que, jusqu'à la saisine de la chambre du conseil, le ministère public jouisse de prérogatives dont la constitutionnalité ne peut être appréciée en procédant à une comparaison de sa situation avec celle de l'inculpé.

B.6. Toutefois, dès lors que le législateur instaure à l'issue de l'instruction une procédure devant la chambre du conseil nettement distincte de celle qui se déroule devant la juridiction de jugement, qu'il permet un débat contradictoire entre le ministère public et l'inculpé, qu'il permet à la partie civile, qui défend des intérêts privés, de prendre part à ce débat et qu'enfin il organise un recours contre la décision de la chambre du conseil, les conditions de recevabilité de ce recours ne peuvent varier selon la personne qui l'exerce que si cette différence de traitement est objectivement et raisonnablement justifiée.

B.7. Il n'existe pas de principe général de droit du double degré de juridiction. Toutefois, lorsque le législateur prévoit la voie de recours de l'appel, il doit à cette occasion garantir un déroulement équitable de la procédure.

Le droit d'accès au juge, qui constitue un aspect du droit à un procès équitable, peut être soumis à des conditions de recevabilité, notamment en ce qui concerne l'usage d'une voie de recours. Ces conditions ne peuvent toutefois restreindre le droit de manière telle que celui-ci s'en trouve atteint dans sa substance même. Tel serait le cas si les restrictions imposées ne tendaient pas vers un but légitime ou s'il n'existait pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

Le principe d'égalité des armes, qui constitue également un aspect du droit à un procès équitable, implique l'obligation d'offrir à chaque partie la possibilité de faire valoir ses arguments dans des conditions qui ne la désavantagent pas d'une manière manifeste par rapport à la partie adverse.

B.8. La possibilité d'interjeter appel devant la chambre des mises en accusation, sur la base d'irrégularités, d'omissions ou de causes de nullité qui auraient une influence sur un acte d'instruction ou sur l'obtention de la preuve, vise à purger l'instruction de ces irrégularités avant que l'affaire soit déférée à la juridiction de jugement.

Selon les travaux préparatoires, la condition en vertu de laquelle le moyen doit avoir été invoqué devant la chambre du conseil pour qu'il puisse être interjeté appel de manière recevable contre l'ordonnance de renvoi a été instaurée afin d'éviter que des moyens soient soulevés inconsidérément devant la chambre du conseil. Le fait d'exiger que le moyen soit invoqué par conclusions écrites vise à éviter les problèmes de preuve concernant la recevabilité de l'appel (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 857/1, p. 64, et n° 857/17, p. 16).

B.9. Vu cette préoccupation, la mesure en cause n'est pas déraisonnable. Elle n'impose pas à l'inculpé une obligation disproportionnée puisqu'il sait, à l'avance, qu'il doit déposer des conclusions écrites s'il veut se réserver la faculté d'interjeter appel de l'ordonnance de la chambre du conseil.

B.10. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 135, § 2, du Code d'instruction criminelle, en tant qu'il dispose que l'appel interjeté par l'inculpé contre l'ordonnance de renvoi de la chambre du conseil, sur la base des irrégularités, omissions ou causes de nullité visées à l'article 131, § 1er, n'est recevable que si le moyen a été invoqué par conclusions écrites devant la chambre du conseil, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 9 janvier 2002.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, A. Arts.

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