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Arrêt
publié le 24 février 2003

Extrait de l'arrêt n° 157/2002 du 6 novembre 2002 Numéros du rôle : 2243 et 2244 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 30ter de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité so La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, (...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 157/2002 du 6 novembre 2002 Numéros du rôle : 2243 et 2244 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 30ter de la loi du 27 juin 1969Documents pertinents retrouvés type loi prom. 27/06/1969 pub. 24/01/2011 numac 2010000730 source service public federal interieur Loi révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. - Coordination officieuse en langue allemande fermer révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, posée par la Cour du travail d'Anvers.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe et E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêts du 14 septembre 2001 en cause de la s.p.r.l. Asfaltwerken Beylemans et de la s.p.r.l. Luvatri contre l'Office national de sécurité sociale (O.N.S.S.), dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour d'arbitrage le 21 septembre 2001, la Cour du travail d'Anvers a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 30ter de la loi du 27 juin 1969Documents pertinents retrouvés type loi prom. 27/06/1969 pub. 24/01/2011 numac 2010000730 source service public federal interieur Loi révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. - Coordination officieuse en langue allemande fermer viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 144 et 145 de la Constitution, 580 du Code judiciaire et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi qu'avec les principes généraux du droit, - en tant que l'indemnité imposée à l'article 30ter , § 6, B, alinéa 1er, de cette loi (tel que celui-ci était libellé à la suite de sa modification par la loi du 20 juillet 1991 portant des dispositions sociales et fiscales [lire diverses] et la loi du 6 août 1993Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/08/1993 pub. 18/12/1998 numac 1998015163 source ministere des affaires etrangeres, du commerce exterieur et de la cooperation au developpement Loi portant assentiment à la Convention n° 148 concernant la protection des travailleurs contre les risques professionnels dus à la pollution de l'air, au bruit et aux vibrations sur les lieux de travail, adoptée à Genève le 20 juin 1977 par la Conférence internationale du travail lors de sa soixante-troisième session type loi prom. 06/08/1993 pub. 04/06/2015 numac 2015000253 source service public federal interieur Loi portant approbation et exécution de la Convention internationale portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, faite à Bruxelles le 18 décembre 1971, et portant exécution des Protocoles à cette Convention, faits à Londres le 27 novembre 1992 et le 16 mai 2003. - Coordination officieuse en langue allemande fermer) constitue une indemnité forfaitaire de réparation que l'Office national de sécurité sociale pourrait décider, en fonction de l'opportunité et sans critères objectifs, d'imposer ou non, d'en fixer l'importance dans les limites indiquées, d'opter en faveur d'une stratégie de recouvrement et de s'adresser ou non aux entrepreneurs principaux et aux sous-traitants dans un ordre qu'il fixerait lui-même; - et en tant que l'article 30ter , § 6, C, alinéa 1er, doit se comprendre en ce sens que les fonctionnaires et agents désignés par le Roi pourraient, ici aussi par simple opportunité et sans critères objectifs et justification à l'Office national de sécurité sociale, renoncer à signaler les infractions à cet Office et se limiter à un avertissement; - alors qu'aucun accès complet à des juridictions impartiales et indépendantes ne serait ouvert contre ce procédé et le recouvrement qui en découle pour le contrevenant afin de mener la défense par laquelle il poursuit soit un traitement égal soit un traitement inégal (par exemple, réduction ou diminution de l'indemnité de réparation, avertissement) à l'égard d'autres contrevenants aux obligations formelles prévues par cet article selon qu'il estime pouvoir démontrer, en fonction de critères objectifs et sur la base du principe de proportionnalité, dans quelles circonstances égales ou inégales il a commis l'infraction ? » La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour. (...) IV. En droit (...) B.1. En vertu de l'article 30ter de la loi du 27 juin 1969Documents pertinents retrouvés type loi prom. 27/06/1969 pub. 24/01/2011 numac 2010000730 source service public federal interieur Loi révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. - Coordination officieuse en langue allemande fermer révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, avant son abrogation, au 1er janvier 1999, par l'article 2 de l'arrêté royal du 26 décembre 1998, lequel a été confirmé par l'article 2, 4°, de la loi du 23 mars 1999, tout entrepreneur principal devait, avant d'entamer un chantier, communiquer à l'Office national de sécurité sociale les informations nécessaires destinées à en évaluer l'importance et, le cas échéant, à en identifier les sous traitants, à quelque stade que ce soit (§ 5, alinéa 1er). Une disposition analogue figure actuellement à l'article 30bis de la même loi (§ 7, alinéa 1er).

B.2. La question préjudicielle porte sur l'article 30ter , § 6, B et C, de la loi précitée, qui énonçait : « B. L'entrepreneur principal qui ne se conforme pas aux obligations du § 5 est redevable à l'Office national de sécurité sociale d'une somme au moins équivalente à 5 p.c. du montant total des travaux, non comprise la taxe sur la valeur ajoutée, qui n'ont pas été déclarés à l'Office national précité et au maximum à 5 p.c. du montant total des travaux, non comprise la taxe sur la valeur ajoutée, qui lui sont concédés sur le chantier en cause. La somme qui est réclamée à l'entrepreneur principal est diminuée à concurrence du montant qui a été payé effectivement à l'Office national précité par le sous-traitant en application de la disposition de l'alinéa qui suit.

Le sous-traitant qui ne se conforme pas aux dispositions du § 5, alinéa 2, est redevable à l'Office national précité d'une somme égale à 5 p.c. du montant total des travaux, non comprise la taxe sur la valeur ajoutée, qu'il a concédés à son ou à ses sous-traitants sur le chantier en cause.

C. Lors de la constatation du non-respect des obligations prévues par les §§ 4 et 5, les fonctionnaires et agents chargés de la surveillance, de l'application de la présente loi et de ses arrêtés d'exécution ont le droit de donner des avertissements tel que prévu par l'article 9, alinéa 1er, de la loi du 16 novembre 1972Documents pertinents retrouvés type loi prom. 16/11/1972 pub. 17/08/2007 numac 2007000738 source service public federal interieur Loi concernant l'inspection du travail fermer concernant l'inspection du travail.

Un tel avertissement ne peut cependant être donné qu'à la suite de circonstances exceptionnelles ou lorsqu'il s'agit d'une première infraction aux présentes dispositions dans le chef du contrevenant. Le Roi détermine ce qu'il faut entendre par circonstances exceptionnelles. » B.3. La question préjudicielle postule qu « aucun accès complet à des juridictions impartiales et indépendantes ne serait ouvert » à celui qui se voit réclamer la « somme » préveu par l'article 30ter , § 6, B, de la loi du 27 juin 1969Documents pertinents retrouvés type loi prom. 27/06/1969 pub. 24/01/2011 numac 2010000730 source service public federal interieur Loi révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, et que cette personne ne pourrait obtenir « par exemple, réduction ou diminution de l'indemnité de réparation. » Les arrêts qui interrogent la Cour se fondent sur une « interprétation » de l'article 30ter selon laquelle la « somme » dont il impose le paiement serait une indemnité forfaitaire de nature civile.

Le juge a quo demande à la Cour si cette disposition, ainsi interprétée, viole les articles 10 et 11 de la Constitution combinés, notamment, avec les articles 144 et 145 de la Constitution et avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.4. Les droits et libertés reconnus aux Belges doivent, en vertu des articles 10 et 11 de la Constitution, être assurés sans discrimination et ils comprennent les garanties résultant des principes généraux du droit pénal et de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

S'il appartient aux juridictions d'interpréter les lois qu'elles appliquent, en revanche, il incombe à la Cour d'arbitrage, quand elle est saisie d'une question préjudicielle qui allègue la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés notamment avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, de rechercher si la mesure soumise à son contrôle doit être qualifiée de pénale afin de veiller au respect des garanties résultant des principes généraux du droit pénal et de l'article 6 précité.

Ces principes s'imposant au législateur, ils s'appliquent indépendamment de la qualification de pénales ou de non pénales que la loi pourrait donner aux mesures qu'elle prescrit.

B.5.1. La Cour ne pourrait donc s'en tenir à la qualification choisie par le législateur, sous peine de méconnaître les garanties déduites en particulier des articles 12 et 14 de la Constitution ainsi que les principes généraux du droit pénal. Elle doit notamment examiner si le système mis en place par le législateur n'aboutit pas, dans l'interprétation que lui donne le juge a quo , à priver, de manière discriminatoire, une catégorie de personnes du contrôle juridictionnel effectif garanti, en matière pénale, par ces dispositions et ces principes.

B.5.2. Comme l'observe également la Cour européenne des droits de l'homme, pour déterminer si un acte sanctionné par la législation d'un Etat entre dans le champ d'application de l'article 6 de la Convention, il convient non seulement d'examiner si le droit de l'Etat concerné qualifie l'infraction en cause de pénale, mais aussi de tenir compte du caractère punitif et par là dissuasif de la sanction.

B.6. La Cour constate que la mesure en cause provient des dispositions législatives suivantes : a) La loi du 27 juin 1969Documents pertinents retrouvés type loi prom. 27/06/1969 pub. 24/01/2011 numac 2010000730 source service public federal interieur Loi révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. - Coordination officieuse en langue allemande fermer révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs comportait, dans son chapitre IV consacré à la perception et au recouvrement des cotisations de sécurité sociale, une section 2 intitulée « sanctions civiles.» L'article 28 disposait que l'employeur qui ne verse pas les cotisations dans les délais fixés par le Roi est redevable envers l'Office national de sécurité sociale d'une majoration de cotisation qui ne peut être supérieure à 10 p.c. des cotisations dues et d'un intérêt de retard qui ne peut excéder 10 p.c. l'an. L'article 29 habilitait le Roi à fixer le montant de l'indemnité due par l'employeur qui ne fait pas parvenir la déclaration dans le délai prévu. b) L'article 61 de la loi du 4 août 1978 de réorientation économique a introduit un article 30bis dans la loi du 27 juin 1969Documents pertinents retrouvés type loi prom. 27/06/1969 pub. 24/01/2011 numac 2010000730 source service public federal interieur Loi révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. - Coordination officieuse en langue allemande fermer.Cet article 61 figure dans le titre III de la loi du 4 août 1978 qui contient les « mesures destinées à combattre les pratiques frauduleuses des pourvoyeurs de main-d'oeuvre. » L'article 30bis figure dans une nouvelle section de la loi du 27 juin 1969Documents pertinents retrouvés type loi prom. 27/06/1969 pub. 24/01/2011 numac 2010000730 source service public federal interieur Loi révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, la section 2bis , intitulée « Paiement par un responsable solidaire. » Il a pour objet essentiel de rendre celui qui fait appel à un entrepreneur non enregistré solidaire des dettes fiscales et sociales de celui-ci et il l'oblige, en outre, à effectuer, au bénéfice du fisc et de l'O.N.S.S., des retenues sur tout paiement fait à ce cocontractant. Le produit des retenues payées à l'O.N.S.S. est affecté principalement au recouvrement des cotisations sociales du cocontractant ou de son sous-traitant, le solde étant restitué à la personne qui a fait la retenue.

Les travaux préparatoires soulignent que les pratiques des pourvoyeurs de main-d'oeuvre aboutissent à « des distorsions concurrentielles, une perturbation du marché de l'emploi et des escroqueries fiscales. » Il est précisé que ces mesures « ont un caractère préventif » (Doc. parl. , Sénat, 1977-1978, n° 415/2, p. 93). c) L'article 30ter a été introduit dans la loi du 29 juin 1979 par l'article 18 de la loi du 22 janvier 1985 de redressement contenant des dispositions sociales.A l'origine, cet article se borne à étendre la retenue et le versement, visés à l'article 30bis , aux personnes qui, pour l'exécution d'activités déterminées par le Roi, font appel à un entrepreneur enregistré. L'objectif est de contrecarrer la pratique consistant à se faire enregistrer sous la forme d'une société commerciale et puis à disparaître avant que l'O.N.S.S. n'ait procédé au recouvrement des cotisations impayées (Doc. parl. , Chambre, 1984-1985, n° 1075/21, p. 107). d) C'est l'article 22 de la loi-programme du 6 juillet 1989 qui a introduit dans l'article 30ter les obligations relatives à la tenue de documents sociaux, aux renseignements que le sous-traitant doit communiquer à l'entrepreneur principal et aux informations qui doivent être fournies à l'O.N.S.S. Il est prévu que l'entrepreneur principal qui ne se conforme pas aux obligations du paragraphe 5 est redevable d'une somme équivalente à 5 p.c. du montant total des travaux qui lui sont concédés sur le chantier en cause.

Il est précisé, dans les travaux préparatoires, que ` ce n'est pas la sous-traitance en tant que telle qui est visée par ces mesures, mais seulement la sous-traitance de main-d'oeuvre dans le seul but d'échapper à des obligations fiscales ou sociales ` (Doc. parl. , Sénat, 1988-1989, n° 736-5, p. 7). e) L'article 24 de la loi du 20 juillet 1991 portant des dispositions sociales et diverses a modifié la sanction précitée : désormais, la somme dont est redevable l'entrepreneur principal qui ne se conforme pas aux obligations du paragraphe 5 est au moins équivalente à 5 p.c. du montant total des travaux qui n'ont pas été déclarés à l'O.N.S.S. et au maximum à 5 p.c. du montant total des travaux qui lui sont concédés sur le chantier en cause.

Cette faculté laissée à l'administration de fixer la somme dans les limites précisées est ainsi justifiée : « L'expérience acquise depuis, atteste que le régime des sanctions mis en place n'offre pas toute la souplesse voulue qui permettrait de moduler les sanctions pour faire une distinction entre le cas des véritables pourvoyeurs de main-d'oeuvre et celui des entreprises qui, accidentellement, se trouvent elles aussi en infraction. » (Doc. parl. , Sénat, 1990-1991, n° 1374-1, p. 15).

Il est également souligné que la sanction qui frappe l'entrepreneur principal et le sous-traitant « est fonction de l'importance du manquement » (ibid. , p. 16). Enfin, comme une sanction identique est infligée à l'entrepreneur principal et au sous-traitant, la loi précise que la sanction qui frappe le premier est réduite du montant de celle qui frappe le second. f) L'article 21, 1°, de la loi du 6 août 1993Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/08/1993 pub. 18/12/1998 numac 1998015163 source ministere des affaires etrangeres, du commerce exterieur et de la cooperation au developpement Loi portant assentiment à la Convention n° 148 concernant la protection des travailleurs contre les risques professionnels dus à la pollution de l'air, au bruit et aux vibrations sur les lieux de travail, adoptée à Genève le 20 juin 1977 par la Conférence internationale du travail lors de sa soixante-troisième session type loi prom. 06/08/1993 pub. 04/06/2015 numac 2015000253 source service public federal interieur Loi portant approbation et exécution de la Convention internationale portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, faite à Bruxelles le 18 décembre 1971, et portant exécution des Protocoles à cette Convention, faits à Londres le 27 novembre 1992 et le 16 mai 2003. - Coordination officieuse en langue allemande fermer portant des dispositions sociales et diverses étend la sanction prévue à l'article 30ter , § 6, A, au cas où l'entrepreneur ne tient pas le livre journalier visé au paragraphe 4, cette extension étant ainsi justifiée : « Une forme de fraude révélée par la pratique des contrôles sur chantier pourra ainsi être sanctionnée.» (Doc. parl. , Chambre, 1992-1993, n° 1040/1, p. 11) Enfin, l'article 21, 2°, a introduit dans l'article 30ter , § 6, C, un alinéa 2 selon lequel l'avertissement ne peut être donné « qu'à la suite de circonstances exceptionnelles ou lorsqu'il s'agit d'une première infraction aux présentes dispositions dans le chef du contrevenant. » Cette restriction à la possibilité de ne donner qu'un avertissement est ainsi justifiée : « Il est en effet apparu que cette procédure était trop souvent utilisée en vue d'éviter l'application de sanctions pécuniaires dans le chef des entrepreneurs principaux qui n'ont pas respecté les obligations qui leur sont imposées par l'article 30ter .

Or, une telle pratique nuit considérablement à l'efficacité de la lutte contre les pourvoyeurs de main-d'oeuvre et au rendement des sanctions pécuniaires.

Ces dernières doivent en effet avoir un effet dissuasif, lequel est considérablement amoindri par l'utilisation systématique de la procédure d'avertissement.

Cette dernière est par conséquent limitée à des circonstances exceptionnelles et lorsqu'il s'agit d'une première infraction dans le chef du contrevenant.

Par cette limitation, l'effet dissuasif propre à cet avertissement sera augmenté, dans la mesure où il constituera désormais une admonestation plus sérieuse dans le chef dudit contrevenant. » (ibid. ) B.7. Il ressort de tous ces éléments que la mesure qui fait l'objet de la question préjudicielle s'inscrit dans un ensemble de mesures destinées à lutter contre des pratiques constituant à la fois des fraudes sociales et des fraudes fiscales et qui perturbent gravement la concurrence, principalement dans le secteur de la construction.

Cette mesure s'applique indifféremment à tout entrepreneur, qu'il soit entrepreneur principal ou sous-traitant, qui ne satisfait pas à certaines obligations qui ne sont pas des formalités administratives quelconques : elles ont pour objectif de punir ceux qui emploient des travailleurs « au noir » et, surtout, de dissuader ceux qui seraient tentés d'y recourir.

B.8. En prévoyant que l'entrepreneur principal qui ne se conforme pas aux obligations du paragraphe 5 est redevable d'une somme équivalente à 5 p.c. du montant total des travaux non déclarés, le législateur a pris une mesure qui pourrait s'analyser comme une indemnisation forfaitaire du préjudice subi par l'O.N.S.S., privé des cotisations relatives à des travailleurs occupés sur un chantier dont l'existence lui a été cachée.

L'article 30ter , § 6, B, autorise toutefois l'administration à porter cette somme « au maximum à 5 p.c. du montant total des travaux » qui sont concédés à l'entrepreneur principal. Le législateur a ainsi permis que cette somme atteigne des montants considérables qui sont sans rapport avec le montant des cotisations dont l'O.N.S.S. a été privé.

De surcroît, il a laissé à l'administration un large pouvoir d'appréciation pour en fixer elle-même le montant, dans les limites du minimum et du maximum indiqués, cette fixation devant se faire, selon les travaux préparatoires précités de la loi du 20 juillet 1991, « en fonction de l'importance du manquement et en distinguant les véritables pourvoyeurs de main-d'oeuvre des entrepreneurs négligents. » Ces mêmes manquements sont en outre passibles des sanctions pénales visées à l'article 35 de la loi du 27 juin 1969Documents pertinents retrouvés type loi prom. 27/06/1969 pub. 24/01/2011 numac 2010000730 source service public federal interieur Loi révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. - Coordination officieuse en langue allemande fermer.

B.9. En prévoyant que la somme due par l'entrepreneur principal est diminuée de celle qui a été payée par le sous-traitant s'il concède lui-même des travaux à d'autres sous-traitants (article 30ter , § 6, B, alinéa 1er, in fine , et alinéa 2), le législateur a veillé à ce que, sans préjudice de l'application de l'article 35 de la loi, le même manquement ne soit pas réprimé deux fois, mais cette déduction ne fait pas perdre aux indemnités leur caractère dissuasif.

B.10. Il se déduit de ces éléments qu'afin de lutter contre l'activité illicite des pourvoyeurs de main-d'oeuvre, la sanction prévue par l'article 30ter , § 6, B, de la loi du 27 juin 1969Documents pertinents retrouvés type loi prom. 27/06/1969 pub. 24/01/2011 numac 2010000730 source service public federal interieur Loi révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. - Coordination officieuse en langue allemande fermer punit des personnes qui ont éludé des obligations imposées par la loi, qu'elle est destinée à exercer par voie de répression un effet dissuasif et qu'elle peut atteindre des montants considérables dont la fixation est laissée, dans les limites fixées par la loi, à l'autorité, laquelle doit moduler la somme non pas en visant à indemniser, fût-ce forfaitairement, un préjudice subi mais en tenant compte de la gravité du manquement commis.

Une telle sanction a un caractère répressif dominant et ne peut être considérée comme une sanction civile.

B.11. Dès lors qu'il apparaît que la qualification de la mesure prévue par l'article 30ter , § 6, B, qui est donnée par le juge a quo et exprimée dans la question préjudicielle, est en contradiction avec la notion de sanction pénale telle qu'elle se dégage des principes généraux du droit pénal et de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour ne pourrait répondre à la question telle qu'elle est libellée sans porter atteinte à ces principes et à cette disposition.

B.12. La Cour observe toutefois que le texte des dispositions soumises à son contrôle n'impose pas que la qualification incompatible avec la notion de sanction pénale telle qu'elle se dégage des principes généraux du droit pénal et de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme soit retenue, de préférence à l'autre interprétation qui, qualifiant de pénales les mesures prévues par ces dispositions, les rend compatibles avec ces principes.

B.13. La disposition en cause n'interdit pas au tribunal du travail, saisi d'un recours contre une amende infligée en application de l'article 30ter , § 6, B, d'exercer un contrôle de pleine juridiction.

Le juge peut ainsi vérifier si une décision administrative est justifiée en fait et en droit et si elle respecte les dispositions législatives et principes généraux qui s'imposent à l'administration, parmi lesquels le principe de proportionnalité. Le cas échéant, il pourra moduler l'amende, c'est-à-dire la supprimer dans les cas prévus à l'article 30ter , § 6, C, alinéa 2, ou la diminuer dans les limites fixées à l'article 30ter , § 6, B. Dans cette interprétation, qui permet d'attribuer à la mesure en cause une qualification compatible avec la notion de sanction pénale telle qu'elle se dégage des principes généraux du droit pénal et de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 30ter , § 6, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 144 et 145 de la Constitution et avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 30ter , § 6, B, de la loi du 27 juin 1969Documents pertinents retrouvés type loi prom. 27/06/1969 pub. 24/01/2011 numac 2010000730 source service public federal interieur Loi révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. - Coordination officieuse en langue allemande fermer révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, dans l'interprétation qui lui est donnée en B.13, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les principes généraux du droit pénal et avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 6 novembre 2002.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, A. Arts.

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