Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 27 janvier 2004

Extrait de l'arrêt n° 136/2003 du 22 octobre 2003 Numéro du rôle : 2526 En cause : les questions préjudicielles concernant l'arrêté-loi du 29 décembre 1945 portant interdiction des inscriptions sur la voie publique, posées par la Cour d'ap La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges R. Henneuse, E(...)

source
cour d'arbitrage
numac
2003202035
pub.
27/01/2004
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

Extrait de l'arrêt n° 136/2003 du 22 octobre 2003 Numéro du rôle : 2526 En cause : les questions préjudicielles concernant l'arrêté-loi du 29 décembre 1945 portant interdiction des inscriptions sur la voie publique, posées par la Cour d'appel de Gand.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe et E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt du 2 octobre 2002 en cause du ministère public contre X. Depourcq, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 11 octobre 2002, la Cour d'appel de Gand a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « L'arrêté-loi du 29 décembre 1945, publié au Moniteur belge du 4 janvier 1946, eu égard à son objectif défini dans le ' rapport au Régent ' préliminaire et eu égard au principe de proportionnalité, notamment en ce que sont visées toutes sortes d'affichages sans distinction, est-il contraire aux articles 10 et/ou 11, et/ou 21 de la Constitution, lus en combinaison avec le droit à la liberté d'expression défini, entre autres mais pas exclusivement, à l'article 19 de la Constitution, à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et à l'article 19 du Pacte international du 19 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques et cet arrêté-loi instaure-t-il un traitement disproportionné entre, d'une part, la catégorie de citoyens qui souhaitent diffuser leur opinion par voie d'affiche et, d'autre part, la catégorie de citoyens qui souhaitent diffuser leur opinion par d'autres canaux ? » 2.« L'arrêté-loi du 29 décembre 1945, publié au Moniteur belge du 4 janvier 1946, eu égard à son objectif défini dans le ' rapport au Régent ' préliminaire et eu égard au principe de proportionnalité, notamment en ce que sont visées toutes sortes d'affichages sans distinction, est-il contraire aux articles 10 et/ou 11, et/ou 21 de la Constitution, lus en combinaison avec le droit à la liberté d'expression défini, entre autres mais pas exclusivement, à l'article 19 de la Constitution, à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et à l'article 19 du Pacte international du 19 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques et cet arrêté-loi instaure-t-il un traitement disproportionné entre, d'une part, la catégorie de citoyens qui diffusent leur opinion au moyen d'une affiche sans autorisation écrite préalable du propriétaire ou de celui qui a la jouissance du lieu, et d'autre part, la catégorie de citoyens qui diffusent leur opinion par d'autres canaux parmi lesquels des moyens de communication modernes comme le fax, l'e-mail, le SMS, etc. qui ne sont donc pas soumis aux restrictions imposées par l'arrêté-loi du 29 décembre 1945 et qui le font également sans autorisation écrite préalable du propriétaire et/ou de l'utilisateur du support du message ? » 3. « L'arrêté-loi du 29 décembre 1945, publié au Moniteur belge du 4 janvier 1946, eu égard à son objectif défini dans le ' rapport au Régent ' préliminaire et eu égard au principe de proportionnalité, notamment en ce que sont visées toutes sortes d'affichages sans distinction, est-il contraire aux articles 10 et/ou 11, et/ou 21 de la Constitution, lus en combinaison avec le droit à la liberté d'expression défini, entre autres mais pas exclusivement, à l'article 19 de la Constitution, à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et à l'article 19 du Pacte international du 19 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques et cet arrêté-loi instaure-t-il un traitement disproportionné entre, d'une part, la catégorie de citoyens qui, par le biais de l'affichage, souhaitent diffuser une opinion ou une information contenant des écrits subversifs contre l'autorité établie et de nature à troubler l'ordre public et la sécurité et, d'autre part, la catégorie de citoyens qui, par le biais de l'affichage, souhaitent diffuser une opinion ou une information qui ne contient pas d'écrits subversifs contre l'autorité établie et qui n'est pas de nature à troubler l'ordre public et la sécurité ? » (...) III. En droit (...) B.1. Le juge a quo pose trois questions préjudicielles relatives à la compatibilité de l'arrêté-loi du 29 décembre 1945 « portant interdiction des inscriptions sur la voie publique » avec les articles 10, 11 et 21 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 19 de la Constitution, avec l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui garantissent la liberté d'expression.

B.2. En tant que la Cour est interrogée au sujet de la compatibilité avec l'article 21 de la Constitution, ces questions ne peuvent être prises en compte, dès lors que la Cour n'aperçoit pas le rapport entre l'arrêté-loi litigieux et cette disposition constitutionnelle.

Quant à l'arrêté-loi du 29 décembre 1945 B.3.1. L'arrêté-loi du 29 décembre 1945, dans la rédaction applicable à l'instance principale, dispose : « Art.1. Il est interdit d'apposer des inscriptions, des affiches, des reproductions picturales et photographiques, des tracts et des papillons sur la voie publique et sur les arbres, plantations, panneaux, pignons, façades, murs, clôtures, supports, poteaux, bornes, ouvrages d'art, monuments et autres objets qui la bordent ou sont situés à proximité immédiate de la voie publique à des endroits autres que ceux déterminés pour les affichages par les autorités communales ou autorisés, au préalable et par écrit, par le propriétaire ou par celui qui en a la jouissance, pour autant que le propriétaire ait également marqué son accord préalable et écrit.

Art.2. Les infractions aux dispositions de l'article 1er sont punies d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de 26 à 1.000 francs.

Les dispositions du Livre I du Code pénal, y compris le chapitre VII et l'article 85, sont applicables aux infractions prévues à l'article 1er.

Art. 3.Le présent arrêté-loi entrera en vigueur le jour de sa publication au Moniteur . » B.3.2. Le Rapport au Régent précédant l'arrêté-loi litigieux énonce : « La loi du 7 septembre 1939 donnant au Roi des pouvoirs extraordinaires, Lui permet de prendre les mesures urgentes et nécessaires, notamment pour assurer la tranquillité publique.

Des éléments qui cherchent manifestement à troubler l'ordre, recourent systématiquement à l'apposition d'inscriptions, d'affiches, de reproductions picturales et photographiques, de tracts et de papillons sur la voie publique et sur les arbres, plantations, panneaux, pignons, façades, murs, clôtures, supports, poteaux, bornes, ouvrages d'art, monuments et autres objets qui la bordent ou sont situés à proximité immédiate de la voie publique. De tels agissements ont pour effet d'introduire dans le pays une atmosphère de troubles qui non seulement porte atteinte à la tranquillité publique et incite dans bien des cas à des actes délictueux mais qui est également de nature à compromettre les résultats de la politique de rénovation nationale poursuivie par le gouvernement.

Il importe donc de mettre un terme à ces pratiques.

A cette fin, il y a lieu d'interdire toute apposition d'inscriptions, d'affiches, de reproductions picturales et photographiques, de tracts et de papillons, quelle qu'en soit la teneur, à des endroits autres que ceux déterminés pour les affichages par les autorités communales ou autorisées, au préalable et par écrit, par le propriétaire ou par celui qui en a la jouissance, pour autant que le propriétaire ait également marqué son accord préalable et écrit » (Moniteur belge , 4 janvier 1946, pp. 65-66).

B.3.3. Le préambule de l'arrêté-loi du 29 décembre 1945 indique que celui-ci a été adopté sur la base de la loi du 7 septembre 1939 donnant au Roi des pouvoirs extraordinaires, notamment « pour assurer la tranquillité publique ». Le Rapport au Régent précité fait apparaître que l'arrêté-loi litigieux visait en particulier à assurer l'ordre public.

Il n'empêche que l'arrêté-loi revêt une portée générale, ainsi qu'il ressort de l'article 1er, qui n'établit aucune distinction en fonction de la nature et du contenu des « inscriptions » et des affiches. C'est ce que confirme le Rapport au Régent, selon lequel l'arrêté-loi porte sur les affiches « quelle qu'en soit la teneur ».

Quant aux première et deuxième questions préjudicielles B.4.1. L'arrêté-loi litigieux violerait le principe d'égalité et de non-discrimination, lu en combinaison avec la liberté d'expression, garantie par les dispositions invoquées dans les questions, en ce qu'il concernerait tous les types d'affichage, sans distinction.

Des discriminations seraient ainsi établies entre : - d'une part, la catégorie des personnes qui souhaitent diffuser leur opinion au moyen d'affiches et, d'autre part, la catégorie des personnes qui souhaitent diffuser leur opinion via d'autres canaux (première question); - d'une part, la catégorie des personnes qui diffusent leur opinion au moyen d'affiches, sans accord écrit préalable du propriétaire ou de l'usager et, d'autre part, la catégorie des personnes qui diffusent leur opinion via d'autres canaux, notamment les moyens de communication modernes (fax, courrier électronique, SMS), mais ne sont pas soumises aux restrictions émises par l'arrêté-loi litigieux (deuxième question).

B.4.2. Eu égard à leur connexité, la Cour examine les deux questions ensemble.

B.5.1. Il ressort de l'article 1er de l'arrêté-loi litigieux que la possibilité d'afficher est limitée à certains endroits, notamment ceux qui sont désignés à cet effet par la commune et ceux pour lesquels le propriétaire ou l'usager ont donné au préalable leur autorisation écrite. L'arrêté-loi règle de la sorte une série de modalités de l'affichage, sans toutefois prévoir des mesures préventives. Ainsi la possibilité d'afficher n'est-elle nullement subordonnée à une appréciation préalable du contenu du message. En effet, l'arrêté-loi litigieux n'habilite aucunement l'autorité à contrôler ou interdire a priori la manifestation d'une opinion et ce, quelle qu'en soit la nature, mais il ne fait que prévoir des sanctions a posteriori .

B.5.2. Dans l'hypothèse où, sans justification, les communes omettraient toutefois d'indiquer les endroits auxquels des affiches peuvent être apposées, le droit d'afficher selon les modalités prévues par l'arrêté-loi pourrait être compromis. Pareille négligence, dans l'hypothèse où elle serait commise, ne pourrait cependant être justifiée par référence à l'arrêté-loi litigieux.

B.6.1. En soumettant l'apposition d'affiches à certaines formalités, l'arrêté-loi litigieux limite la mise en oeuvre concrète de la liberté d'expression garantie par la Constitution et par des dispositions conventionnelles internationales.

L'article 19 de la Constitution énonce : « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés. » L'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations. 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.» L'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose : « 1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. 2. Toute personne a droit à la liberté d'expression;ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. 3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales.Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d'autrui;b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.» B.6.2. La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique. Elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui choquent, inquiètent ou heurtent l'Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lequel il n'est pas de société démocratique (Cour européenne des droits de l'homme, 7 décembre 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, § 49; 20 septembre 1994, Otto-Preminger-Institut c/ Autriche, § 49).

La liberté d'expression n'est toutefois pas absolue.

Indépendamment de ce que chacun est tenu de respecter la liberté d'opinion d'autrui constitutionnellement protégée, il résulte de l'article 19 de la Constitution combiné avec l'article 10.2 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 19.3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques que la liberté d'expression peut être soumise à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent, dans une société démocratique, des mesures nécessaires à la protection des objectifs explicitement mentionnés dans les dispositions conventionnelles précitées.

B.6.3. En interdisant l'affichage à d'autres endroits que ceux qui sont désignés par les autorités communales ou en subordonnant l'affichage à l'autorisation préalable et écrite de l'usager ou du propriétaire, l'arrêté-loi litigieux vise à assurer l'ordre public et à protéger les droits d'autrui.

Les dispositions litigieuses répondent ainsi à une nécessité sociale impérieuse et ne sont pas disproportionnées aux objectifs poursuivis par le législateur. En effet, une possibilité d'affichage illimitée aux endroits faisant partie du domaine public ou de propriétés privées pourrait conduire à une perturbation de l'ordre public, à une pollution visuelle, à des nuisances environnementales et à une atteinte aux droits de propriété de tiers.

Les interdictions édictées par l'arrêté-loi du 29 décembre 1945 n'excèdent dès lors pas les limites et conditions dans lesquelles le législateur peut restreindre la mise en oeuvre de la liberté d'expression. On ne se trouve donc pas en présence d'une atteinte illicite et discriminatoire à la liberté d'expression.

Ne change en rien ce constat que d'autres moyens de communication modernes (notamment le fax et le courrier électronique) ne sont pas soumis aux règles litigieuses. Abstraction faite de la question de savoir si l'apposition d'affiches peut être comparée utilement à l'usage de ces moyens de communication modernes à la lumière d'un contrôle au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, la Cour constate que l'usage de moyens de communication modernes ne génère pas les mêmes problèmes qu'en cas d'apposition d'affiches, de sorte que la non-application de l'arrêté-loi à ces moyens de communication n'est pas dénuée de justification.

B.6.4. Les première et deuxième questions préjudicielles appellent une réponse négative.

Quant à la troisième question préjudicielle B.7.1. L'arrêté-loi litigieux établirait en outre une discrimination entre, d'une part, la catégorie des personnes qui souhaitent diffuser, par voie d'affiches, une opinion subversive et, d'autre part, la catégorie des personnes qui souhaitent diffuser par voie d'affiches une opinion non subversive.

B.7.2. La Cour n'aperçoit pas en quoi ce traitement différent pourrait découler de l'arrêté-loi du 29 décembre 1945, dès lors que cet arrêté-loi, ainsi qu'il est indiqué en B.3.3, revêt une portée générale et n'établit aucune distinction fondée sur le contenu du message affiché.

La troisième question préjudicielle procède dès lors d'une lecture erronée de l'arrêté-loi litigieux.

B.7.3. La troisième question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'arrêté-loi du 29 décembre 1945 « portant interdiction des inscriptions sur la voie publique » ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 19 de la Constitution, avec l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 22 octobre 2003.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, A. Arts.

^