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Arrêt
publié le 11 mai 2004

Extrait de l'arrêt n° 35/2004 du 10 mars 2004 Numéro du rôle : 2687 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 5ter de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, inséré par l'article 20 de la La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, P(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 35/2004 du 10 mars 2004 Numéro du rôle : 2687 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 5ter de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, inséré par l'article 20 de la loi spéciale du 13 juillet 2001, posée par le Conseil d'Etat.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman et E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 118.134 du 8 avril 2003 en cause de l'a.s.b.l. Vlaams Komitee Brussel contre la Région de Bruxelles-Capitale, la Commission communautaire commune et l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 14 avril 2003, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 19 (lire : 20) de la loi spéciale du 13 juillet 2001 portant transfert de diverses compétences aux régions et communautés, qui a inséré un article 5ter dans la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, aux termes duquel la suspension d'une norme ou d'un acte peut être ordonnée par la Cour d'arbitrage ou le Conseil d'Etat si des moyens sérieux sont susceptibles de justifier l'annulation de la norme ou de l'acte sur la base de l'article 5bis, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que cet article autorise la suspension de cette norme ou de cet acte sans qu'il y ait lieu de constater l'existence d'un préjudice grave difficilement réparable, alors que toute autre norme ou tout autre acte ne peuvent être suspendus que s'il est constaté qu'il existe un préjudice grave difficilement réparable en vertu de l'article 17, § 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, de sorte que cet article établit une différence de traitement insusceptible de justification raisonnable et proportionnée entre, d'une part, les autorités qui édictent des normes et actes à l'égard desquels est invoqué un moyen qui justifie l'annulation de la norme ou de l'acte sur la base de l'article 5bis et, d'autre part, les autorités qui édictent toute autre norme ou tout autre acte ? » (...) III. En droit (...) B.1.1. L'article 5ter en cause de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises est libellé comme suit : « La suspension d'une norme ou d'un acte peut être ordonnée par la Cour d'arbitrage ou le Conseil d'Etat si des moyens sérieux sont susceptibles de justifier l'annulation de la norme ou de l'acte sur base de l'article 5bis. » B.1.2. L'article 5bis de la même loi spéciale dispose : « Les ordonnances, règlements et actes administratifs ne peuvent porter préjudice au caractère bilingue et aux garanties dont bénéficient les personnes d'appartenance linguistique française et néerlandaise dans les communes de la Région de Bruxelles-Capitale, existantes au moment de l'entrée en vigueur de la présente disposition. » B.1.3. La disposition en cause concerne aussi bien la procédure de suspension devant la Cour d'arbitrage que la procédure de suspension devant le Conseil d'Etat. Dès lors que la question préjudicielle concerne uniquement la constitutionnalité de cette disposition en tant qu'elle déroge à l'article 17, § 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, la Cour limite son examen à la procédure devant cette juridiction.

B.2.1. En vertu de l'article 17, § 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, la suspension de l'exécution ne peut être ordonnée que si des moyens sérieux susceptibles de justifier l'annulation de l'acte ou du règlement attaqué sont invoqués et à condition que l'exécution immédiate de l'acte ou du règlement risque de causer un préjudice grave difficilement réparable.

La disposition en cause déroge à cette règle en ce qu'elle autorise la suspension si des moyens sérieux sont invoqués, mais sans que la preuve d'un préjudice grave difficilement réparable doive être apportée.

B.2.2. A la règle générale selon laquelle la suspension d'un acte administratif par le Conseil d'Etat est subordonnée à deux conditions cumulatives, le législateur, fût-il spécial, ne pourrait apporter d'exception qu'à la condition que la différence de traitement qui en résulte soit objectivement et raisonnablement justifiée.

B.3.1. Les dispositions en cause s'inscrivent dans le cadre du transfert aux régions des compétences en matière de législation organique des provinces et des communes, opéré par l'article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale du 13 juillet 2001 portant transfert de diverses compétences aux régions et communautés. Elles doivent être lues en combinaison avec les articles 16bis et 16ter de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et visent, dans le cadre de la régionalisation de la législation organique des pouvoirs subordonnés, à instaurer des garanties en faveur des néerlandophones, des francophones et des germanophones dans les communes à statut linguistique spécial ou dans les communes de la Région de Bruxelles-Capitale (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, DOC 50-1280/003, p. 10; Doc. parl., Sénat, 2000-2001, n° 2-709/1, pp. 9, 21 et 23).

B.3.2. Alors que les articles 5bis et 5ter de la loi spéciale du 12 janvier 1989 visent les garanties dont bénéficient les personnes d'appartenance linguistique française et néerlandaise dans les communes de la Région de Bruxelles-Capitale, les articles 16bis et 16ter de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles organisent une protection analogue des francophones dans les communes énumérées à l'article 7 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, et des néerlandophones, des francophones et des germanophones dans les communes énumérées à l'article 8 des mêmes lois.

B.4.1. Les dispositions en cause sont dictées par le souci du législateur spécial de réaliser un équilibre entre les intérêts des différentes communautés et régions au sein de l'Etat belge.

Il ressort des travaux préparatoires que le législateur spécial a considéré que les intérêts en cause étaient à ce point dignes de protection qu'il a renforcé la possibilité de suspension des normes ou des actes administratifs qui y porteraient atteinte en limitant les conditions de suspension à la formulation de moyens sérieux (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, DOC 50-1280/003, p. 10; Doc. parl., Sénat, 2000-2001, n° 2-709/1, pp. 21, 22 et 24, et n° 2-709/7, p. 158).

B.4.2. Sous réserve d'une appréciation manifestement déraisonnable, il appartient au législateur spécial de décider si l'objectif poursuivi de pacification entre les communautés et les régions nécessite de déroger à la procédure ordinaire de suspension devant le Conseil d'Etat.

B.5.1. La question préjudicielle vise à demander à la Cour si la disposition en cause viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elle crée une différence de traitement entre, d'une part, les autorités qui édictent des normes tombant sous l'application de l'article 5bis de la loi spéciale du 12 janvier 1989 et, d'autre part, les autorités qui édictent des normes tombant sous l'application de l'article 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat.

B.5.2. Il y a lieu, pour contrôler la disposition en cause, de tenir compte de la ratio legis de la demande de suspension.

La possibilité de demander la suspension et l'annulation d'actes administratifs est organisée dans l'intérêt de l'ordre juridique en général et des justiciables en particulier.

B.5.3. Les autorités administratives ne peuvent agir que lorsqu'elles y sont habilitées par la Constitution ou par une norme législative.

Elles doivent, à cette occasion, respecter les normes constitutionnelles et législatives.

Lorsque l'article 5bis de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises prescrit que les règlements et les actes administratifs ne peuvent porter préjudice au caractère bilingue et aux garanties existantes au moment de l'entrée en vigueur de cette disposition, dont bénéficient les personnes d'appartenance linguistique française et néerlandaise dans les communes de la Région de Bruxelles-Capitale, les autorités administratives sont censées respecter ces règles.

B.5.4. On ne peut raisonnablement soutenir qu'une autorité publique serait discriminée par une règle législative visant à préserver l'ordre juridique et le justiciable d'actes de l'autorité au sujet desquels existent des indices sérieux qu'ils violent des normes constitutionnelles ou législatives.

B.5.5. La disposition en cause ne permet d'ailleurs pas que les actes concernés de l'autorité soient suspendus sans fondement. Les requérants doivent toujours invoquer des moyens sérieux à l'appui de leur demande. Toutes les règles de la procédure devant le Conseil d'Etat demeurent par ailleurs maintenues (Doc. parl., Sénat, 2000-2001, n° 709/7, p. 157), de sorte que les requérants doivent aussi justifier de l'intérêt requis au recours en annulation et à la demande de suspension qui l'accompagne.

B.6. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 5ter de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, inséré par l'article 20 de la loi spéciale du 13 juillet 2001 portant transfert de diverses compétences aux régions et communautés, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution dans le chef des autorités publiques.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 10 mars 2004.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, A. Arts.

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