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Arrêt
publié le 08 août 2005

Extrait de l'arrêt n° 131/2005 du 19 juillet 2005 Numéro du rôle : 3033 En cause : le recours en annulation de l'article 57, § 2, alinéa 1 er , 2°, et alinéa 2, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'actio La Cour d'arbitrage, composée du juge P. Martens, faisant fonction de président, du président A.(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 131/2005 du 19 juillet 2005 Numéro du rôle : 3033 En cause : le recours en annulation de l'article 57, § 2, alinéa 1er, 2°, et alinéa 2, de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'action sociale, telle qu'elle a été modifiée par l'article 483 de la loi-programme du 22 décembre 2003Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 22/12/2003 pub. 31/12/2003 numac 2003021248 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer, introduit par l'a.s.b.l. « Défense des Enfants - International - Belgique - Branche francophone (D.E.I. Belgique) » et autres.

La Cour d'arbitrage, composée du juge P. Martens, faisant fonction de président, du président A. Arts et des juges R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le juge P. Martens, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 28 juin 2004 et parvenue au greffe le 29 juin 2004, l'a.s.b.l. « Défense des Enfants - International - Belgique - branche francophone (D.E.I. Belgique) », dont le siège social est établi à 1000 Bruxelles, rue du Marché aux Poulets 30, et B. Sall et A. Bah, demeurant à 1080 Bruxelles, rue de Liverpool 48, ont introduit un recours en annulation de l'article 57, § 2, alinéa 1er, 2°, et alinéa 2, de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'action sociale, telle qu'elle a été modifiée par l'article 483 de la loi-programme du 22 décembre 2003Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 22/12/2003 pub. 31/12/2003 numac 2003021248 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer (publiée au Moniteur belge du 31 décembre 2003). (...) II. En droit (...) Quant à l'étendue du recours B.1. La Cour doit déterminer l'étendue du recours en annulation sur la base du contenu de la requête.

Dès lors que les moyens sont articulés contre l'article 57, § 2, alinéa 1er, 2°, et alinéa 2, de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'action sociale, tel qu'il a été modifié par l'article 483 de la loi-programme entreprise du 22 décembre 2003, la Cour limitera son examen à cette partie de la disposition précitée.

Quant au fond B.2.1. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation, par l'article 483 de la loi-programme du 22 décembre 2003Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 22/12/2003 pub. 31/12/2003 numac 2003021248 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer, des articles 22 et 23, alinéa 1er, de la Constitution, combinés avec son article 191, avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec les articles 17 et 23.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec les articles 2.1, 10.1 et 10.3 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et avec les articles 3 et 16 de la Convention relative aux droits de l'enfant, ces dispositions conventionnelles étant, le cas échéant, lues en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Dans une première branche du moyen, il est fait grief à la disposition attaquée de causer des ingérences déraisonnables dans la vie privée et familiale des intéressés en prévoyant une aide sociale limitée à l'aide matérielle indispensable pour le développement de l'enfant et exclusivement réservée à ce dernier alors que la vie privée et familiale imposerait que l'aide soit déterminée par rapport à l'ensemble des membres de la famille.

B.2.2. L'article 483 de la loi-programme du 22 décembre 2003Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 22/12/2003 pub. 31/12/2003 numac 2003021248 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer dispose : « L'article 57, § 2, alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'aide sociale, est remplacé par les alinéas suivants : ' Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, la mission du centre public d'aide sociale se limite à : 1° l'octroi de l'aide médicale urgente, à l'égard d'un étranger qui séjourne illégalement dans le Royaume;2° constater l'état de besoin suite au fait que les parents n'assument pas ou ne sont pas en mesure d'assumer leur devoir d'entretien, à l'égard d'un étranger de moins de 18 ans qui séjourne, avec ses parents, illégalement dans le Royaume. Dans le cas visés sous 2°, l'aide sociale est limitée à l'aide matérielle indispensable pour le développement de l'enfant et est exclusivement octroyée dans un centre fédéral d'accueil conformément aux conditions et modalités fixées par le Roi. ' ».

B.2.3. L'article 22 de la Constitution énonce : « Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.

La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la protection de ce droit ».

L'article 23 de la Constitution prévoit : « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. [...] ».

L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». Les articles 17 et 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques énoncent : « Article 17 1. Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ». « Article 23 1. La famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'Etat.2. Le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l'homme et à la femme à partir de l'âge nubile.3. Nul mariage ne peut être conclu sans le libre et plein consentement des futurs époux.4. Les Etats parties au présent Pacte prendront les mesures appropriées pour assurer l'égalité de droits et de responsabilités des époux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.En cas de dissolution, des dispositions seront prises afin d'assurer aux enfants la protection nécessaire ».

L'article 2.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels prévoit : « Chacun des Etats parties au présent Pacte s'engage à agir, tant par son effort propre que par l'assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d'assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l'adoption de mesures législatives ».

Les articles 10.1 et 10.3 du même Pacte disposent : « Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent que : 1. Une protection et une assistance aussi larges que possible doivent être accordées à la famille, qui est l'élément naturel et fondamental de la société, en particulier pour sa formation et aussi longtemps qu'elle a la responsabilité de l'entretien et de l'éducation d'enfants à charge.Le mariage doit être librement consenti par les futurs époux. [...] 3. Des mesures spéciales de protection et d'assistance doivent être prises en faveur de tous les enfants et adolescents, sans discrimination aucune pour des raisons de filiation ou autres.Les enfants et adolescents doivent être protégés contre l'exploitation économique et sociale. Le fait de les employer à des travaux de nature à compromettre leur moralité ou leur santé, à mettre leur vie en danger ou à nuire à leur développement normal doit être sanctionné par la loi. Les Etats doivent aussi fixer des limites d'âge au-dessous desquelles l'emploi salarié de la main-d'oeuvre enfantine sera interdit et sanctionné par la loi ».

Enfin, les articles 3 et 16 de la Convention relative aux droits de l'enfant énoncent : « Article 3 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.2. Les Etats parties s'engagent à assurer à l'enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.3. Les Etats parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l'existence d'un contrôle approprié ». « Article 16 1. Nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.2. L'enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ». B.3.1. Telle qu'elle est formulée, la première branche du premier moyen invite la Cour à se prononcer sur l'absence d'octroi d'une aide sociale aux membres de la famille du mineur concerné.

B.3.2. La lecture des travaux préparatoires de la loi révèle qu'en adoptant la mesure critiquée, le législateur entendait tirer les conséquences de l'arrêt n° 106/2003, prononcé par la Cour le 22 juillet 2003, en octroyant une aide sociale aux mineurs illégaux dont les parents ne sont pas en mesure d'assurer l'entretien, tout en évitant que l'aide ainsi octroyée ne soit détournée de son objet initial (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0473/001 et DOC 51-0474/001, pp. 223-224, et DOC 51-0473/029).

Pour les motifs exposés dans l'arrêt n° 106/2003, les parents n'ont en principe pas droit, pour eux-mêmes, à l'aide sociale autre que l'aide médicale urgente. Une telle aide irait à l'encontre de l'objectif du législateur qui est, ainsi qu'il est exposé notamment dans l'arrêt n° 51/94 et tel qu'il a été rappelé à l'occasion des discussions parlementaires qui ont précédé l'adoption de la disposition attaquée, d'inciter l'étranger qui séjourne illégalement sur le territoire à obéir à l'ordre de quitter le territoire.

B.4. La Cour doit toutefois encore examiner si, par les mesures qu'elle prévoit, la loi attaquée rend impossible l'existence d'une vie familiale. Un tel grief, qui participe du même reproche formulé par les parties requérantes dans les deuxième, troisième et quatrième branches de leur premier moyen, doit être examiné conjointement avec ces autres branches.

Les parties requérantes soutiennent qu'en forçant l'enfant à résider dans un centre fédéral d'accueil, sans qu'aucune mesure ne soit prise pour y accueillir ses parents, la disposition attaquée porterait atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale et méconnaîtrait gravement les obligations positives de l'Etat par l'instauration de mesures qui ne seraient nullement protectrices des familles puisqu'au contraire, elles auraient pour effet de les fragmenter.

B.5.1. Les droits que garantissent l'article 22 de la Constitution et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ne sont pas absolus. Bien que l'article 22 de la Constitution reconnaisse à chacun le droit au respect de sa vie privée et familiale, cette disposition ajoute en effet immédiatement : « sauf dans les cas et conditions fixés par la loi ».

Les dispositions précitées exigent que toute ingérence des autorités dans le droit au respect de la vie privée et familiale soit prescrite par une disposition législative, suffisamment précise, qu'elle corresponde à un besoin social impérieux et qu'elle soit proportionnée à l'objectif légitime poursuivi.

B.5.2. Bien que, en utilisant le terme « loi », l'article 8.2 de la Convention européenne précitée n'exige pas que l'ingérence qu'il permet soit prévue par une « loi », au sens formel du terme, le même mot « loi » utilisé à l'article 22 de la Constitution désigne une disposition législative. Cette exigence constitutionnelle s'impose au législateur belge, en vertu de l'article 53 de la Convention européenne, selon lequel les dispositions de la Convention ne peuvent être interprétées comme limitant ou portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales reconnues notamment par le droit interne.

B.5.3. La disposition attaquée autorise l'octroi d'une aide matérielle au mineur dans un centre fédéral d'accueil, « conformément aux conditions et modalités fixées par le Roi ».

On peut lire dans les travaux préparatoires de la loi que la ministre de l'Intégration sociale se disait « défavorable à l'inscription dans la loi-programme d'un droit garanti aux parents. En l'occurrence, c'est l'enfant qui ouvre le droit à l'aide sociale. Elle précise toutefois que, dans la définition des modalités de l'aide à octroyer, l'arrêté royal veillera à ce que la séparation n'intervienne que dans des cas vraiment exceptionnels. Elle se dit en effet convaincue que dans la plupart des cas, l'épanouissement des enfants est conditionné par la présence des parents à leurs côtés » (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0473/029, p. 28).

B.5.4. La Cour européenne des droits de l'homme considère que pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale, la prise en charge de l'enfant par l'autorité publique ne mettant pas fin aux relations familiales naturelles (dans ce sens, notamment les arrêts W., B. et R. c. Royaume-Uni du 8 juillet 1987, § 59; Gnahoré c. France du 19 septembre 2000, § 50).

La Cour européenne des droits de l'homme considère également que si l'article 8 de la Convention tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, « il met de surcroît à charge de l'Etat des obligations positives inhérentes à un ' respect ' effectif de la vie familiale. Ainsi, là où l'existence d'un lien familial se trouve établi, l'Etat doit en principe agir de manière à permettre à ce lien de se développer et prendre les mesures propres à réunir le parent et l'enfant concernés » (arrêts Eriksson c. Suède du 22 juin 1989, § 71, Margarita et Roger Andersson c. Suède du 25 février 1992, § 91, Olsson c. Suède du 24 mars 1988, § 90, Keegan c. Irlande du 26 mai 1994, § 44, et Hokkanen c. Finlande du 23 septembre 1994, § 54). B.5.5. En prévoyant que l'aide matérielle indispensable au développement de l'enfant sera exclusivement octroyée dans un centre fédéral d'accueil, la disposition attaquée constitue une ingérence dans la vie privée et familiale de l'intéressé. Une telle ingérence doit donc répondre aux exigences de légalité et de prévisibilité posées par l'article 22 de la Constitution et par l'article 8 de la Convention, poursuivre un but légitime et se trouver par rapport à ce but dans un juste rapport de proportionnalité.

Si les termes de la loi n'excluent pas formellement que les parents accompagnent leur enfant dans un centre d'accueil afin qu'il puisse recevoir l'aide indispensable à son épanouissement, il n'est pas précisé dans quelles hypothèses la présence des parents sera, ou non, admise.

La Cour relève au demeurant les déclarations de la ministre de l'Intégration sociale : « En l'occurrence, c'est l'enfant qui ouvre le droit à l'aide sociale.

Elle précise toutefois que, dans la définition des modalités de l'aide à octroyer, l'arrêté royal veillera à ce que la séparation n'intervienne que dans des cas vraiment exceptionnels. Elle se dit en effet convaincue que dans la plupart des cas, l'épanouissement des enfants est conditionné par la présence des parents à leurs côtés » (Doc. Parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0473/029, p. 28).

Il ressort également de la circulaire du ministre de l'Intégration sociale adressée le 16 août 2004 aux présidents des centres publics d'action sociale que la présence des parents auprès de leur enfant était considérée comme un élément indispensable à son épanouissement.

B.6. La disposition attaquée est contraire à l'article 22 de la Constitution et aux dispositions conventionnelles qui ont une portée analogue en ce qu'elle prévoit que l'aide matérielle indispensable pour le développement de l'enfant est exclusivement octroyée dans un centre fédéral d'accueil sans que la disposition elle-même ne garantisse que les parents puissent également y être accueillis afin qu'ils n'en soient pas séparés.

B.7.1. Dans une cinquième branche du premier moyen, les parties requérantes soutiennent qu'en limitant l'aide accordée à l'enfant en situation illégale à l'aide sociale matérielle, la disposition attaquée porterait atteinte au droit à la dignité humaine de l'intéressé.

B.7.2. La ministre a précisé, à l'occasion des discussions parlementaires qui ont précédé l'adoption de la disposition attaquée, que l'objectif de l'aide accordée au mineur était d'assurer l'aide nécessaire à son développement, conformément à l'arrêt n° 106/2003 de la Cour. Le C.P.A.S. doit par conséquent analyser chaque situation et identifier au cas par cas les besoins de l'enfant. La ministre a ajouté : « La disposition en projet n'entend pas énoncer les solutions concrètes mais tend à éviter une dérive : l'arrêt de la Cour d'arbitrage pourrait en effet être interprété comme obligeant à dispenser une aide financière à l'ensemble des mineurs concernés, ce qui serait intenable. L'arrêté royal précisera les formes que pourra revêtir l'aide sociale (colis scolaire, colis alimentaire, logement...) » (Doc. Parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0473/029, p. 27).

Dans son arrêt n° 106/2003, la Cour a jugé qu'il importait de concilier les objectifs énumérés aux articles 2, 3, 24.1, 26 et 27 de la Convention relative aux droits de l'enfant avec l'objectif de ne pas inciter les adultes en séjour illégal à se maintenir sur le territoire (B.7.6).

Ainsi, elle a considéré qu'une aide sociale devait pouvoir être accordée : « à la triple condition que les autorités compétentes aient constaté que les parents n'assument pas ou ne sont pas en mesure d'assumer leur devoir d'entretien, qu'il soit établi que la demande concerne des dépenses indispensables au développement de l'enfant au bénéfice duquel elle est formulée et que le centre s'assure que l'aide sera exclusivement consacrée à couvrir ces dépenses. Il appartient donc au centre - sous réserve d'une intervention du législateur qui adopterait d'autres modalités appropriées - d'accorder une telle aide mais à la condition qu'elle le soit dans la limite des besoins propres à l'enfant, et sous la forme d'une aide en nature ou d'une prise en charge de dépenses au profit de tiers qui fournissent une telle aide afin d'exclure tout détournement éventuel au profit des parents, étant entendu que cette aide ne fait pas obstacle à ce que la mesure d'éloignement des parents et de leurs enfants soit exécutée » (B.7.7).

B.7.3. Pour des motifs identiques à ceux qui viennent d'être rappelés, il ne pourrait être reproché au législateur d'avoir opté pour une aide sociale matérielle.

B.8. Le premier moyen, en sa cinquième branche, n'est pas fondé.

B.9.1. Les parties requérantes soutiennent, dans la sixième branche du premier moyen, que dans la mesure où les dispositions conventionnelles invoquées par le moyen devraient être lues en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, il est évident qu'en instituant un régime d'aide sociale restrictif pour les enfants en séjour illégal ou pour leur famille, la loi attaquée introduit une discrimination entre ceux-ci et les enfants en séjour légal ou leur famille, instaurant deux conceptions distinctes de l'intérêt de l'enfant selon la légalité du séjour en Belgique.

B.9.2. En ce qu'il se rattache au grief fait à la norme d'obliger les enfants à séjourner dans un centre fédéral d'accueil sans que la présence des parents à leur côté soit garantie, le moyen, qui ne peut mener à une annulation plus étendue, ne doit pas être examiné.

B.9.3. Etant donné que tant le mineur dont les parents séjournent illégalement sur le territoire que celui dont les parents séjournent régulièrement sur le territoire, ont droit à une aide sociale, il n'existe pas, à cet égard, de différence de traitement discriminatoire entre ces deux catégories.

La circonstance que les modalités de l'aide accordée varient selon le caractère régulier ou non du séjour des parents ne modifie rien à ce constat.

Il appartient, en effet, à l'Agence fédérale pour l'accueil des demandeurs d'asile d'établir un projet individualisé d'accueil dans lequel est assurée une aide matérielle adaptée aux besoins du mineur et indispensable pour son développement.

Les modalités qui viennent d'être décrites ne sont pas discriminatoires dès lors qu'elles entendent concilier les objectifs énumérés aux dispositions de la Convention sur les droits de l'enfant avec l'objectif de ne pas inciter les parents en séjour illégal à se maintenir sur le territoire.

B.10.1. Dans un deuxième moyen, les parties requérantes allèguent la violation, par la disposition attaquée, de l'article 23, alinéas 2 et 3, de la Constitution, des articles 11 et 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, des articles 27, 28 et 29 de la Convention relative aux droits de l'enfant et des articles 16 et 17 de la Charte sociale révisée, ces dispositions conventionnelles lues le cas échéant en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Il est reproché à la disposition attaquée de restreindre de manière discriminatoire l'aide sociale telle qu'elle est prévue par l'article 1er de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer, ou à tout le moins d'entraîner une régression flagrante dans la mise en oeuvre des dispositions précitées en négligeant le développement de l'enfant dans ses aspects non strictement matériels, tels ceux qui découlent du droit à l'éducation.

B.10.2. Il ressort du mémoire en réponse introduit par les parties requérantes qu'en ce qu'il vise le droit à l'éducation de l'enfant, le moyen reproche à la disposition attaquée d'opérer un recul significatif dans le droit des enfants à vivre conformément à la dignité humaine en les forçant à se séparer de leurs parents. Ce moyen, qui ne peut aboutir à une annulation plus étendue que celle qu'entraîne le B.6, ne doit pas être examiné.

B.11.1. Les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 2.2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de l'article 2 de la Convention relative aux droits de l'enfant, éventuellement lus en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Il est soutenu que la disposition attaquée créerait une différence de traitement discriminatoire entre, d'une part, l'enfant qu'elle vise et, d'autre part, l'enfant créancier de l'aide sociale qui séjourne illégalement sur le territoire sans ses parents ou l'enfant en séjour légal qui est créancier de l'aide sociale pour une raison différente du fait que ses parents n'assument pas ou ne sont pas en mesure d'assumer leur devoir d'entretien.

B.11.2. L'enfant qui séjourne illégalement sur le territoire sans ses parents est soumis aux mesures prévues par l'article 479 de la loi-programme du 24 décembre 2002Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 24/12/2002 pub. 31/12/2002 numac 2002021488 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme (1) type loi-programme prom. 24/12/2002 pub. 31/12/2002 numac 2002021495 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme (1) fermer relatif à la tutelle des mineurs étrangers non accompagnés et par l'arrêté royal du 22 décembre 2003 « portant exécution du Titre XIII, Chapitre 6 ' Tutelle des mineurs étrangers non accompagnés ' de la loi-programme du 24 décembre 2002Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 24/12/2002 pub. 31/12/2002 numac 2002021488 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme (1) type loi-programme prom. 24/12/2002 pub. 31/12/2002 numac 2002021495 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme (1) fermer ».

La circonstance que des mesures différentes sont prévues pour les mineurs en situation illégale, selon qu'ils sont, ou non, accompagnés de leurs parents n'est pas discriminatoire en soi. Il peut, en effet, raisonnablement se justifier que des mineurs qui bénéficient de la présence de leurs parents à leur côté fassent l'objet de mesures d'aide différentes de celles dont bénéficient les mineurs à l'égard desquels personne n'exerce l'autorité parentale.

B.11.3. Le moyen n'est, en cette branche, pas fondé.

B.11.4. Quant à la différence de traitement dénoncée entre les mineurs en séjour illégal soumis à la loi attaquée et ceux qui sont en séjour légal sur le territoire, le moyen n'est pas fondé, pour des motifs identiques à ceux énoncés en B.9.3.

Quant à la portée de l'annulation et quant au maintien des effets de la disposition annulée B.12.1. Il découle des B.7 à B.11 que l'article 57, § 2, dernier alinéa, de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer ne viole aucune des dispositions invoquées dans le recours en ce qu'il dispose que « l'aide sociale est limitée à l'aide matérielle indispensable pour le développement de l'enfant et est exclusivement octroyée dans un centre fédéral d'accueil conformément aux conditions et modalités fixées par le Roi ».

B.12.2. Il découle du B.6 que cette disposition viole l'article 22 de la Constitution ainsi que les dispositions conventionnelles qui ont une portée analogue, mais uniquement en ce qu'elle ne garantit pas elle-même que les parents puissent également être accueillis dans le centre où leur enfant reçoit l'aide matérielle.

B.12.3. Afin de laisser le temps au législateur pour rendre la disposition compatible avec l'article 22 de la Constitution et les dispositions conventionnelles de portée analogue, il convient, en application de l'article 8, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, d'en maintenir les effets.

Par ces motifs, la Cour - annule, compte tenu de ce qui est dit en B.12.1 et B.12.2, le dernier alinéa de l'article 483 de la loi-programme du 22 décembre 2003Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 22/12/2003 pub. 31/12/2003 numac 2003021248 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer; - maintient les effets de la disposition annulée jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle disposition et au plus tard jusqu'au 31 mars 2006.

Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 19 juillet 2005, par le président M. Melchior, en remplacement du juge P. Martens, légitimement empêché d'assister au prononcé du présent arrêt.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Melchior.

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