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Arrêt
publié le 06 juin 2008

Extrait de l'arrêt n° 57/2008 du 19 mars 2008 Numéro du rôle : 4204 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 47, § 1 er , de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale, posées par le La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et M. Bossuyt, et des juges P. Ma(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 57/2008 du 19 mars 2008 Numéro du rôle : 4204 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 47, § 1er, de la loi du 26 mai 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/05/2002 pub. 31/07/2002 numac 2002022559 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi concernant le droit à l'intégration sociale fermer concernant le droit à l'intégration sociale, posées par le Tribunal du travail de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et M. Bossuyt, et des juges P. Martens, R. Henneuse, E. De Groot, A. Alen et E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 2 mai 2007 en cause de Souad Guirch contre le centre public d'action sociale de Bruxelles, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 10 mai 2007, le Tribunal du travail de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « L'article 47, § 1er, de la loi du 26 mai 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/05/2002 pub. 31/07/2002 numac 2002022559 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi concernant le droit à l'intégration sociale fermer concernant le droit à l'intégration sociale, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, éventuellement combinés avec le principe général de droit des droits de (la) défense et avec le droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne de protection et de sauvegarde des droits de l'homme, en ce qu'à la différence de ce qui est prévu pour les assurés sociaux qui bénéficient de l'article 23, alinéa 1er, de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la Charte de l'assuré social, il ne subordonne pas la prise de cours du délai de recours contre une décision qui n'a pas été notifiée, à la prise de connaissance de cette décision alors qu'en ce qui concerne l'exercice d'une voie de recours les assurés sociaux ne se trouvent pas dans une situation différente selon qu'ils sont demandeurs du revenu d'intégration ou d'une autre prestation sociale soumise à la Charte de l'assuré social ? »; 2. « L'article 47, § 1er, de la loi du 26 mai 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/05/2002 pub. 31/07/2002 numac 2002022559 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi concernant le droit à l'intégration sociale fermer concernant le droit à l'intégration sociale, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, éventuellement combinés avec le principe général de droit des droits de (la) défense et avec le droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne de protection et de sauvegarde des droits de l'homme, en ce qu'il traite de la même manière, - c'est-à-dire en faisant courir à leur égard un délai de recours prévu à peine de déchéance -, d'une part, les demandeurs du revenu d'intégration à qui a été notifiée une décision comportant l'ensemble des mentions imposées par l'article 21, § 3, de la loi du 26 mai 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/05/2002 pub. 31/07/2002 numac 2002022559 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi concernant le droit à l'intégration sociale fermer et, d'autre part, les demandeurs du revenu d'intégration à qui aucune décision n'a été notifiée par le C.P.A.S. dans le délai qui lui est imparti pour ce faire, alors pourtant qu'il s'agit de catégories de personnes se trouvant dans une situation radicalement différente du point de vue de l'information dont elles disposent pour former utilement leur recours ? »; 3. « L'article 47, § 1er, de la loi du 26 mai 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/05/2002 pub. 31/07/2002 numac 2002022559 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi concernant le droit à l'intégration sociale fermer concernant le droit à l'intégration sociale, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, éventuellement combinés avec le principe général de droit des droits de (la) défense et avec le droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne de protection et de sauvegarde des droits de l'homme, en ce qu'ils traitent de manière différente - en ne faisant pas courir un délai de recours prévu à peine de déchéance dans un cas et en faisant prendre cours un tel délai dans l'autre cas - d'une part, les demandeurs du revenu d'intégration à qui a été notifiée une décision ne remplissant pas toutes les exigences de l'article 21, § 3, de la loi du 26 mai 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/05/2002 pub. 31/07/2002 numac 2002022559 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi concernant le droit à l'intégration sociale fermer et, d'autre part, les demandeurs du revenu d'intégration à qui aucune décision n'a été notifiée par le C.P.A.S. dans le délai qui lui est imparti pour ce faire, alors qu'il s'agit de catégories de personnes se trouvant dans une situation comparable du point de vue de l'absence d'une information complète leur permettant de former utilement un recours ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. Les questions préjudicielles concernent l'article 47, § 1er, de la loi du 26 mai 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/05/2002 pub. 31/07/2002 numac 2002022559 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi concernant le droit à l'intégration sociale fermer concernant le droit à l'intégration sociale, qui dispose : « L'intéressé ou le ministre, ou son délégué, peuvent introduire un recours contre la décision du centre en matière de droit à l'intégration sociale auprès du tribunal du travail du domicile de l'intéressé. L'intéressé peut aussi introduire un recours contre l'absence de décision du centre en cette matière.

Ce recours doit, à peine de déchéance, être introduit dans les trois mois par une requête déposée ou envoyée par lettre recommandée au greffe du tribunal du travail.

Le délai de trois mois commence à courir, selon le cas, à partir : - de la notification de la décision, visée à l'article 21, § 4; - du jour suivant l'échéance du délai au cours duquel la décision aurait dû être notifiée au plus tard en application de l'article 21, §§ 1er et 4 ».

En application de l'article 21, § 1er, alinéa 1er, de la même loi, le centre public d'action sociale prend sa décision relativement à une demande d'octroi du droit à l'intégration sociale dans les trente jours qui suivent la réception de la demande. La décision doit être écrite et motivée, et contenir les mentions énumérées par le paragraphe 3 de l'article 21 de la même loi. En vertu du paragraphe 4 de la même disposition, la décision est notifiée à l'intéressé dans les huit jours sous pli recommandé ou contre accusé de réception.

Le juge a quo considère qu'en vertu de l'article 47, § 1er, in fine, précité, le recours contre une décision prise par le centre public d'action sociale à l'égard d'une demande de revenu d'intégration qui n'a pas été notifiée au demandeur aurait dû, à peine de déchéance, être introduit dans le délai de trois mois suivant la date ultime à laquelle la décision du centre aurait dû être notifiée.

B.1.2. La Cour limite son examen à la seule question du point de départ du délai d'introduction du recours que peut exercer une personne lorsqu'un C.P.A.S. n'a pas répondu à la demande de revenu d'intégration qu'elle lui a adressée. Elle ne traite donc pas du problème général des recours que, en d'autres matières, une personne peut exercer contre un silence de l'administration.

B.2. Par la première question préjudicielle, la Cour est interrogée au sujet de la compatibilité de l'alinéa 3, dernier tiret, de l'article 47, § 1er, précité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, éventuellement combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec le principe général des droits de la défense, en ce qu'il crée une différence de traitement entre les personnes qui ont fait une demande de revenu d'intégration sociale et les assurés sociaux à qui est appliqué l'article 23, alinéa 1er, de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la Charte de l'assuré social (ci-après : « la Charte de l'assuré social »).

B.3. L'article 23 de la Charte de l'assuré social dispose : « Sans préjudice des délais plus favorables résultant des législations spécifiques, les recours contre les décisions prises par les institutions de sécurité sociale compétentes en matière d'octroi, de paiement ou de récupération des prestations, doivent, à peine de déchéance, être introduits dans les trois mois de leur notification ou de la prise de connaissance de la décision par l'assuré social en cas d'absence de notification.

Sans préjudice des délais plus favorables résultant des législations spécifiques, tout recours en reconnaissance d'un droit à l'encontre d'une institution de sécurité sociale doit également, à peine de déchéance, être introduit dans un délai de trois mois à dater de la constatation de la carence de l'institution ».

B.4. En vertu de son article 1er, les principes établis par la Charte de l'assuré social sont applicables « à toute personne et à toute institution de sécurité sociale », ce qui inclut notamment « l'ensemble des branches du régime d'aide sociale constitué par les allocations aux handicapés, le droit à un minimum de moyens d'existence, l'aide sociale, les prestations familiales garanties et le revenu garanti aux personnes âgées » (article 2, alinéa 1er, 1°, e)).

Contrairement à ce que semble soutenir le Conseil des Ministres, c'est lors de l'adoption de la Charte de l'assuré social, en 1995, que le législateur a exprimé sa volonté de rendre ses dispositions applicables à la matière du minimum de moyens d'existence, qui est devenu ensuite le droit à l'intégration sociale. La loi du 10 mars 2005Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/03/2005 pub. 06/06/2005 numac 2005022326 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi modifiant l'article 2 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la « charte de l'assuré social » fermer consacre l'application des dispositions de la Charte de l'assuré social à la matière de l'aide sociale, et ne concerne pas le droit à l'intégration sociale. Il ne peut dès lors être soutenu que les dispositions de la loi du 26 mai 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/05/2002 pub. 31/07/2002 numac 2002022559 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi concernant le droit à l'intégration sociale fermer qui seraient incompatibles avec la Charte de l'assuré social auraient été implicitement abrogées par la loi du 10 mars 2005Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/03/2005 pub. 06/06/2005 numac 2005022326 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi modifiant l'article 2 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la « charte de l'assuré social » fermer.

B.5. Bien que les travaux préparatoires relatifs au projet de loi qui allait devenir la loi du 26 mai 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/05/2002 pub. 31/07/2002 numac 2002022559 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi concernant le droit à l'intégration sociale fermer concernant le droit à l'intégration sociale indiquent que le législateur avait l'intention « d'intégrer les droits découlant de la charte [de l'assuré social] et les droits propres à la loi concernant le droit à l'intégration sociale » et qu'il souhaitait renforcer les droits des usagers, notamment en ce qui concernait « la prolongation des délais de recours » (Doc. parl., Chambre, 2001-2002, DOC 50-1603/001, p. 9), le législateur a, par la disposition en cause, créé une différence de traitement entre les demandeurs du revenu d'intégration sociale et les autres assurés sociaux.

B.6. En effet, en prévoyant que le délai de trois mois pour introduire un recours contre l'absence de décision ou contre une décision du centre public d'action sociale qui n'a pas été notifiée au demandeur commence à courir le lendemain du dernier jour du délai imparti par la loi au centre pour notifier sa décision, la disposition en cause permet que le délai de recours débute et prenne fin à l'insu du demandeur, à un moment où il n'a connaissance ni du fait que le centre a pris une décision relativement à sa demande, ni, a fortiori, du contenu de cette décision. En revanche, l'article 23 de la Charte de l'assuré social garantit aux assurés sociaux auxquels il s'applique qu'aucun délai de recours contre une décision qui ne leur a pas été notifiée ne commence à courir tant qu'ils n'ont pas eu une connaissance effective de la décision les concernant ou qu'ils n'ont pas constaté la carence de l'institution.

B.7. Le Conseil des Ministres soutient que l'article 23 de la Charte de l'assuré social doit primer la disposition en cause, de telle sorte que cet article 23 s'appliquerait à toutes les catégories d'assurés sociaux et que les différences de traitement mentionnées dans les première et deuxième questions préjudicielles n'existeraient pas, le délai de recours ne commençant à courir, dans toutes les hypothèses, qu'à dater soit de la prise de connaissance effective de la décision par l'intéressé, soit de la constatation effective par l'intéressé de la carence du C.P.A.S. B.8. En instituant la Charte de l'assuré social, le législateur entendait instaurer pour les assurés sociaux un système garantissant la sécurité juridique. Il avait pour but de « réaliser une meilleure prise en charge de l'assuré social dont l'exercice des droits requiert trois conditions préalables : connaître l'existence du droit, vouloir en bénéficier, pouvoir en demander l'application » (Doc. parl., Chambre, S.E. 1991-1992, n° 353/1, pp. 1-2). Par l'article 23 précité, le législateur a marqué son intention de voir cette disposition s'appliquer de manière large à tous les domaines de la sécurité sociale concernés et sa volonté d'abroger implicitement les dispositions antérieures qui étaient moins favorables pour les assurés sociaux. Quant aux dispositions législatives qui sont postérieures à l'article 23 de la Charte et qui instituent ou ont pour effet d'instituer un régime moins favorable pour les assurés sociaux, elles créent une différence de traitement qui ne peut être jugée compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution qu'à la condition de faire l'objet d'une justification spécifique pertinente.

En l'espèce, non seulement cette justification n'est pas alléguée, mais les travaux préparatoires cités en B.5 la contredisent et la position du Conseil des ministres résumée en B.7 confirme son inexistence.

En l'absence d'une telle justification, la disposition en cause viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.9. La première question préjudicielle appelle une réponse positive.

B.10. Il n'y a pas lieu d'examiner les deuxième et troisième questions préjudicielles, qui ne pourraient aboutir à un constat d'inconstitutionnalité plus étendu.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 47, § 1er, de la loi du 26 mai 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/05/2002 pub. 31/07/2002 numac 2002022559 source ministere des affaires sociales, de la sante publique et de l'environnement Loi concernant le droit à l'intégration sociale fermer concernant le droit à l'intégration sociale viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 19 mars 2008.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Melchior.

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