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Arrêt
publié le 12 juillet 2010

Extrait de l'arrêt n° 41/2010 du 29 avril 2010 Numéro du rôle : 4650 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 92bis, § 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et l'article 35 de l'ordonnan La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et M. Bossuyt, et des juges R. He(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 41/2010 du 29 avril 2010 Numéro du rôle : 4650 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 92bis, § 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et l'article 35 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 27 avril 1995 relative aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur, posées par le Tribunal de police de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et M. Bossuyt, et des juges R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels et T. Merckx-Van Goey, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite P. Martens, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président émérite P. Martens, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 5 février 2009 en cause du ministère public contre Michaël Henry et la SCRL « L.T. Vincent », dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 3 mars 2009, le Tribunal de police de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. Dans la mesure où la situation des services de taxis est manifestement comparable à celle des services de voitures avec chauffeur, l'article 92bis, § 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 ne viole-t-il pas les principes de non discrimination et d'égalité prévus aux articles 10 et 11 de la Constitution, en n'imposant pas aux Régions la même obligation de conclure un accord de coopération en matière de services de location de voitures avec chauffeur, qu'en matière de services de taxis ? 2. L'article 35 de l'ordonnance du 27 avril 1995 ne viole-t-il pas l'article 11, alinéa 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, en tant qu'il déroge aux peines prévues au livre 1er du Code pénal, sans que l'avis conforme du Conseil des ministres n'ait été recueilli préalablement ? ». (...) III. En droit (...) Quant aux dispositions en cause B.1. La Cour est interrogée par le Tribunal de police de Bruxelles sur la compatibilité de l'article 92bis, § 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles avec les articles 10 et 11 de la Constitution (première question préjudicielle) et sur la conformité de l'article 35 de l'ordonnance du 27 avril 1995 relative aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur à l'article 11, alinéa 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 (seconde question préjudicielle).

En ce qui concerne la première question préjudicielle B.2. Par sa première question préjudicielle, le juge a quo souhaite savoir si l'article 92bis, § 2, c), de la loi spéciale du 8 août 1980 viole les articles 10 et 11 de la Constitution en n'imposant pas aux régions de conclure un accord de coopération en ce qui concerne la réglementation des services de location de voitures avec chauffeur qui s'étendent sur le territoire de plus d'une région alors que cet article exige la conclusion d'un tel accord de coopération à propos de la réglementation des services de taxis qui s'étendent sur le territoire de plus d'une région.

B.3.1. Il apparaît cependant de la décision de renvoi que le juge a quo a posé cette question afin de déterminer s'il y avait lieu d'appliquer, au litige pendant devant lui, l'article 16 de l'ordonnance du 27 avril 1995 précitée.

B.3.2. Cet article dispose : « Nul ne peut, sans autorisation du Gouvernement, exploiter sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale un service de location de voitures avec chauffeur au moyen d'un ou de plusieurs véhicules.

Seuls les exploitants titulaires d'une autorisation délivrée par le Gouvernement peuvent effectuer des prestations de services dont le point de départ pour l'usager est situé sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.

L'autorisation d'exploiter n'emporte aucune autorisation de stationner sur des points particuliers de la voie publique ».

Telle qu'elle est interprétée par le juge a quo, cette disposition s'applique à toute prestation accomplie par une société dont le siège social est établi sur le territoire d'une autre région dès qu'une prise en charge matérielle du client de cette société a lieu sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale et ce, même lorsque cette prise en charge s'inscrit dans le cadre d'une prestation plus large, dont le point de départ initial pour le client se situe sur le territoire d'une autre région.

B.4. En vue de fournir une réponse utile à la juridiction a quo et après avoir entendu les parties à ce propos, la Cour estime dès lors nécessaire de vérifier si, en ce qu'il règle les services de location de voitures avec chauffeur s'étendant sur le territoire de plus d'une région, l'article 16 de l'ordonnance en cause viole le principe de proportionnalité dans l'exercice des compétences ou le principe de l'union économique et monétaire visé à l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 et qui est applicable à la Région de Bruxelles-Capitale en vertu de l'article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.

B.5.1. L'article 16 précité est justifié comme suit dans les travaux préparatoires : « Afin d'éviter que des services de location de voitures avec chauffeur établis sur le territoire d'autres régions et demeurant dès lors dans l'absence totale de réglementation applicable ne puissent porter atteinte aux intérêts des services de taxis d'une part et aux services de location de voitures avec chauffeur autorisés en Région de Bruxelles-Capitale d'autre part, il est prévu que seuls les exploitants titulaires d'une autorisation délivrée par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pourront effectuer des courses dont le point de départ est situé sur le territoire de la Région.

Ce critère permet d'assurer à la fois la compétence de la Région pour légiférer en cette matière et pour assurer un effet utile aux dispositions projetées » (Doc. parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1994-1995, n° A-368/1, p. 20).

B.5.2. Dans son arrêt n° 56/96 du 15 octobre 1996, la Cour a jugé : « B.7.3. Il ressort du texte de l'article 16 précité et des travaux préparatoires y afférents qu'une autorisation est seulement requise pour des prestations dont le point de départ pour l'usager est situé sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.

Cette disposition n'empêche pas que des déplacements pour une prestation de service avec chauffeur dont le point de départ est situé hors de la Région de Bruxelles-Capitale puissent être poursuivis sur le territoire de cette région sans qu'une autorisation soit nécessaire à cette fin. Elle ne porte donc pas une atteinte disproportionnée à la libre prestation des services.

Par ailleurs, l'élément pris en considération, à savoir le point de départ de la prestation de service, constitue un critère de rattachement pertinent permettant de localiser la matière à régler exclusivement dans la sphère de compétence territoriale de la Région de Bruxelles-Capitale.

B.7.4. Il s'ensuit que les dispositions litigieuses ne portent pas atteinte aux règles énoncées à l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, de telle sorte que le législateur régional n'a pas violé les compétences que lui attribuent les articles 2 et 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 ».

B.5.3. La Cour relève toutefois que, depuis l'arrêt n° 56/96 précité, la Région wallonne et la Région flamande se sont dotées d'une législation propre en la matière soumettant à autorisation l'exercice, par un prestataire de services établi sur leur territoire, de l'activité de location de voitures avec chauffeur.

Selon le principe de reconnaissance mutuelle, inhérent à l'union économique et monétaire entre les composantes de l'Etat, une personne proposant des services sur le territoire d'une de ces composantes en se conformant aux règles qui y sont applicables est présumée pouvoir exercer librement cette activité sur le territoire de toute autre composante de l'Etat, sauf pour cette dernière à établir la nécessité d'imposer des règles plus strictes afin d'atteindre un objectif légitime.

La volonté de protéger les prestataires de services établis sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale contre la concurrence d'autres opérateurs économiques, au seul motif que ceux-ci sont établis en Région wallonne ou en Région flamande est, par essence, incompatible avec le principe même de l'union économique et monétaire et ne saurait être considérée comme un objectif légitime.

Pour le surplus, il n'apparaît pas que l'obligation de satisfaire aux conditions prévues par le législateur décrétal wallon ou flamand ne permettrait pas d'atteindre les objectifs poursuivis par la disposition en cause.

B.6. Il s'ensuit que la disposition en cause viole le principe de l'union économique et monétaire en ce qu'elle réglemente les services de location de voitures avec chauffeur s'étendant sur le territoire de plus d'une région.

B.7. Il n'est dès lors plus nécessaire d'examiner la compatibilité de l'article 92bis, § 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, ce contrôle ne pouvant aboutir à une autre conclusion.

En ce qui concerne la seconde question préjudicielle B.8. Par sa seconde question préjudicielle, le juge a quo demande à la Cour si l'article 35, § 1er, alinéa 3, et § 2, alinéa 2, de l'ordonnance du 27 avril 1995 précitée est conforme à l'article 11, alinéa 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Selon le juge a quo, cette disposition aurait prévu d'autres peines que celles figurant au livre Ier du Code pénal, sans qu'ait été recueilli préalablement l'avis conforme du Conseil des ministres.

B.9.1. L'article 35 de l'ordonnance en cause dispose : « § 1. Sans préjudice des dommages-intérêts s'il y a lieu, sont punis d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de 500 francs à 10 000 francs ou d'une de ces peines seulement, ceux qui exploitent sans autorisation un service de taxis ou un service de location de voitures avec chauffeur.

Est punie des mêmes peines, toute personne qui aura donné les apparences d'un taxi ou d'une voiture de location avec chauffeur à un véhicule soumis aux dispositions de la présente ordonnance et de ses arrêtés d'application alors que ce véhicule n'a pas fait l'objet, selon le cas, d'une autorisation d'exploiter un service de taxis ou un service de location de voitures avec chauffeur.

Dans tous ces cas, le juge ordonne la confiscation du ou des véhicules à l'aide duquel ou desquels l'infraction aura été commise. § 2. Sont punis d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de 26 francs à 10 000 francs ou d'une de ces peines seulement, sans préjudice des dommages-intérêts s'il y a lieu, ceux qui commettent une autre infraction à la présente ordonnance, aux arrêtés pris en exécution de celle-ci ou aux conditions de l'autorisation d'exploiter.

En outre, le juge peut ordonner la confiscation du ou des véhicules appartenant au condamné et à l'aide duquel ou desquels l'infraction aura été commise. § 3. Les dispositions du livre Ier du Code pénal, y compris le chapitre VII et l'article 85, sont applicables à ces infractions.

Toutefois, sans préjudice de l'article 56 du Code pénal, la peine ne peut, en cas de récidive dans les deux ans à partir de la condamnation, être inférieure au double de la peine prononcée antérieurement du chef de la même infraction. § 4. Les dommages-intérêts alloués à la personne préjudiciée par l'infraction sont privilégiés sur le véhicule qui a servi à commettre l'infraction quand la propriété en appartient à l'auteur, au coauteur ou au complice de l'infraction. Ce privilège prend rang immédiatement après celui qui est prévu à l'article 20, 5°, de la loi du 16 décembre 1851.

Les tribunaux de police connaissent des infractions prévues par le présent article ».

Il ressort des faits de la cause que la seconde question préjudicielle porte exclusivement sur la conformité à l'article 11, alinéa 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 des paragraphes 1er, alinéa 3, et 2, alinéa 2, de cet article 35.

B.9.2. L'article 11, alinéa 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose : « L'avis conforme du Conseil des ministres est requis pour toute délibération au sein du Gouvernement de Communauté ou de Région sur un avant-projet de décret reprenant une peine ou une pénalisation non prévue au livre Ier du Code pénal ».

Cette disposition est applicable à la Région de Bruxelles-Capitale en vertu de l'article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.

B.10. L'article 11, alinéa 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 n'exige l'obtention de l'avis conforme du Conseil des ministres que lorsqu'il s'agit d'instaurer des peines et des incriminations qui sont neuves, d'un point de vue matériel.

B.11.1. L'article 42 du Code pénal dispose : « La confiscation spéciale s'applique : 1° Aux choses formant l'objet de l'infraction et à celles qui ont servi ou qui ont été destinées à la commettre, quand la propriété en appartient au condamné;2° Aux choses qui ont été produites par l'infraction.3° Aux avantages patrimoniaux tirés directement de l'infraction, aux biens et valeurs qui leur ont été substitués et aux revenus de ces avantages investis ». A moins qu'elle puisse être considérée comme une mesure de sûreté, le législateur ordonnanciel est, sauf avis conforme du Conseil des ministres, incompétent pour autoriser la confiscation de moyens de transport même lorsqu'ils n'appartiennent pas au condamné, car il créerait ainsi une confiscation autre que celle qui est réglée dans le livre Ier du Code pénal.

B.11.2. L'article 35, § 1er, alinéa 3, de l'ordonnance en cause prévoit que le juge ordonne la confiscation du ou des véhicules à l'aide duquel ou desquels l'infraction, visée aux alinéas 1er ou 2 du même article, a été commise, sans distinguer selon que ces véhicules appartiennent ou non au condamné. Cette sévérité est justifiée, dans les travaux préparatoires, par la volonté de dissuader efficacement la commission d'infractions « qui mettent en péril l'effet utile du projet » (Doc. parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1994-1995, A-368/1, p. 26).

Le législateur ordonnanciel établit de la sorte une nouvelle peine au sens de l'article 11, alinéa 2, de la loi spéciale du 8 août 1980.

La Cour constate que l'avis conforme relatif à cette disposition n'a pas été donné par le Conseil des ministres, de telle sorte qu'il n'est pas satisfait à la condition de l'article 11, alinéa 2, de la loi spéciale du 8 août 1980.

B.11.3. Dans cette mesure, la seconde question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

B.12.1. L'article 43 du Code pénal dispose : « La confiscation spéciale s'appliquant aux choses visées aux 1° et 2° de l'article 42 sera toujours prononcée pour crime ou délit. [...] ».

B.12.2. L'article 35, § 2, alinéa 2, de l'ordonnance en cause prévoit que le juge peut ordonner la confiscation de véhicules appartenant au condamné et à l'aide duquel ou desquels aura été commise une infraction à ladite ordonnance, aux arrêtés qui l'exécutent ou aux conditions de l'autorisation d'exploiter, autre que les infractions visées à l'article 35, § 1er, alinéas 1er et 2.

Le législateur ordonnanciel déroge ainsi à l'article 43 du Code pénal en ce qu'il permet au juge d'apprécier s'il y a lieu d'ordonner la confiscation du véhicule à l'aide duquel un des délits auxquels cet article se réfère a été commis.

Toutefois, l'octroi d'une telle faculté ne fait que modifier la manière dont le législateur fédéral entendait que soit infligée une peine prévue par le livre Ier du Code pénal. Le fait de prévoir cette modalité particulière ne s'assimile pas à l'instauration d'une peine qui est neuve au point de vue matériel.

Il s'ensuit que l'article 35, § 2, alinéa 2, de l'ordonnance en cause est conforme à l'article 11, alinéa 2, de la loi spéciale du 8 août 1980.

B.12.3. Dans cette mesure, la seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - En ce qu'il s'applique à toute prestation accomplie par une société dont le siège social est établi sur le territoire d'une autre région, l'article 16 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 27 avril 1995 relative aux services de taxis et aux services de location de voitures avec chauffeur viole l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, qui est applicable à la Région de Bruxelles-Capitale en vertu de l'article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises. - L'article 35, § 1er, alinéa 3, de la même ordonnance viole l'article 11, alinéa 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 précitée, applicable à la Région de Bruxelles-Capitale en vertu de l'article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989. - L'article 35, § 2, alinéa 2, de la même ordonnance ne viole pas l'article 11, alinéa 2, précité.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 29 avril 2010.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, P. Martens.

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