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Arrêt
publié le 09 février 2015

Extrait de l'arrêt n° 168/2014 du 27 novembre 2014 Numéro du rôle : 5742 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 1 er , 3°, de l'article 3 de la loi du 14 juillet 1976 relative aux dro(...) La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De G(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 168/2014 du 27 novembre 2014 Numéro du rôle : 5742 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 1er, 3°, de l'article 3 (Dispositions transitoires) de la loi du 14 juillet 1976 relative aux droits et devoirs respectifs des époux et aux régimes matrimoniaux, posées par le Tribunal de première instance de Tournai.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 7 octobre 2013 en cause de Francine Janssens contre Yves Symkens, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 4 novembre 2013, le Tribunal de première instance de Tournai a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « L'article 1er, 3°, de l'article III (dispositions transitoires) de la loi du 14 juillet 1976 relative aux droits et devoirs respectifs des époux et aux régimes matrimoniaux viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il implique que l'article 1435 nouveau du Code civil ne soit pas applicable aux époux mariés avant l'entrée en vigueur de cette loi sous un régime de séparation de biens avec une société d'acquêts soumise aux règles de la communauté légale, alors que ce même article est applicable aux époux mariés postérieurement sous le même régime ? »;2. « L'article 1er, 3°, de l'article III (dispositions transitoires) de la loi du 14 juillet 1976 relative aux droits et devoirs respectifs des époux et aux régimes matrimoniaux viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il implique que l'article 1435 nouveau du Code civil ne soit pas applicable aux époux mariés avant l'entrée en vigueur de cette loi sous un régime de séparation de biens avec une société d'acquêts soumise aux règles de la communauté légale, alors qu'il l'est aux époux mariés avant l'entrée en vigueur de cette loi sous le régime légal pour les récompenses dont la cause naît après un délai d'un an suivant cette entrée en vigueur ? ». (...) III. En droit (...) B.1. Les questions préjudicielles portent sur l'article 1er 3°, de l'article 3 (Dispositions transitoires) de la loi du 14 juillet 1976 relative aux droits et devoirs respectifs des époux et aux régimes matrimoniaux (ci-après : la loi du 14 juillet 1976).

Il est rédigé comme suit : « Les dispositions de la présente loi sont applicables, suivant les règles ci-après, aux époux mariés avant la date de son entrée en vigueur sans avoir établi de conventions matrimoniales ou après avoir adopté un régime en communauté ou après avoir choisi le régime de la séparation de biens ou celui des biens dotaux comportant une société d'acquêts régie par les articles 1498 et 1499 du Code civil : 1° Pendant un délai d'un an prenant cours à l'entrée en vigueur de la présente loi, les époux peuvent déclarer devant notaire qu'ils entendent maintenir sans changement, leur régime matrimonial légal ou conventionnel.2° A défaut de pareille déclaration, les époux qui n'avaient pas établi de conventions matrimoniales ou avaient adopté le régime de la communauté légale, seront dès l'expiration du délai, soumis aux dispositions des articles 1398 à 1450 concernant le régime légal, sans préjudice des clauses de leur contrat de mariage comportant des avantages aux deux époux ou à l'un d'eux. Ils peuvent toutefois, sans attendre l'expiration de ce délai, déclarer devant notaire, qu'ils entendent se soumettre immédiatement aux dispositions régissant le régime légal. 3° A défaut de la déclaration visée au 1°, les époux qui avaient adopté la communauté réduite aux acquêts ou la communauté universelle seront, dès l'expiration du délai, soumis aux dispositions des articles 1415 à 1426 pour tout ce qui concerne la gestion de la communauté et de leurs biens propres, ainsi qu'à celles des articles 1408 à 1414 définissant les dettes communes et réglant les droits des créanciers. Il en sera de même pour les époux ayant choisi le régime de la séparation de biens ou le régime dotal, tout en ayant stipulé une société d'acquêts régie par les articles 1498 et 1499 du Code civil mais en ce qui concerne cette société seulement ».

B.2. Par une première question préjudicielle, la Cour est interrogée sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de la disposition précitée en ce qu'elle implique que l'article 1435 du Code civil n'est pas applicable aux époux mariés avant l'entrée en vigueur de la loi du 14 juillet 1976 sous un régime de séparation de biens avec une société d'acquêts soumise aux règles de la communauté légale, alors que ce même article est applicable aux époux mariés postérieurement sous le même régime.

B.3. L'article 1435 du Code civil organise la revalorisation des récompenses lors de la dissolution des régimes matrimoniaux. Il dispose : « La récompense ne peut être inférieure à l'appauvrissement du patrimoine créancier. Toutefois, si les sommes et fonds entrés dans le patrimoine débiteur ont servi à acquérir, conserver ou améliorer un bien, la récompense sera égale à la valeur ou à la plus-value acquise par ce bien, soit à la dissolution du régime, s'il se trouve à ce moment dans le patrimoine débiteur, soit au jour de son aliénation s'il a été aliéné auparavant; si un nouveau bien a remplacé le bien aliéné, la récompense est évaluée sur ce nouveau bien ».

B.4. L'article 1er, 3°, de l'article 3 (Dispositions transitoires) de la loi du 14 juillet 1976 en cause instaure une différence de traitement entre les époux mariés avant la date d'entrée en vigueur de ladite loi, selon qu'ils se sont mariés sous le régime légal (article 1er, 2°), ou en ayant adopté le régime conventionnel de la communauté universelle, de la communauté réduite aux acquêts (article 1er, 3°, alinéa 1er), de la séparation de biens avec une société d'acquêts, comme dans l'espèce soumise au juge a quo, ou encore du régime dotal avec une société d'acquêts (article 1er, 3°, alinéa 2). Les règles instaurées par la loi du 14 juillet 1976 en ce qui concerne la liquidation et le partage, et en particulier l'article 1435 du Code civil invoqué dans l'instance principale, sont applicables à la première catégorie de conjoints mais non à la seconde.

B.5. La différence de traitement entre les deux catégories de conjoints repose sur un critère objectif, à savoir la nature du régime matrimonial que les époux ont adopté avant l'entrée en vigueur de la loi du 14 juillet 1976, en ayant ou non conclu un contrat de mariage.

B.6. La pertinence de cette distinction a été justifiée comme suit : « Partant de l'idée qu'un contrat de mariage constitue une convention entre époux, qui fait la loi des parties contractantes, il n'en modifie le contenu qu'en introduisant dans le régime choisi par eux les nouvelles règles de gestion de la communauté ou des biens propres » (Doc. parl., Sénat, 1975-1976, n° 683/2, p. 92).

B.7.1. La loi du 14 juillet 1976 a pour objectif principal de concrétiser, dans la législation relative aux régimes matrimoniaux, l'émancipation juridique de la femme mariée consacrée par la loi du 30 avril 1958 relative aux droits et devoirs respectifs des époux : « Dès l'instant où l'on reconnaît à la femme mariée une pleine capacité juridique, [...] cette indépendance doit trouver sa contrepartie normale dans le domaine des régimes matrimoniaux. L'une des réformes ne va pas sans l'autre. Consacrer la capacité civile de la femme mariée, sans modifier ou aménager les régimes matrimoniaux, serait faire oeuvre théorique et pratiquement illusoire » (Doc. parl., Sénat, 1964-1965, n° 138, p. 1; Doc. parl., Sénat, 1976-1977, n° 683/2, p. 1).

Le but du législateur a été de faire en sorte que l'adaptation de la législation sur les régimes matrimoniaux à la capacité juridique de la femme mariée puisse se concilier avec le respect de l'autonomie de la volonté des parties.

B.7.2. Quant aux dispositions transitoires prévues par la loi, elles ont été précisées comme suit : « [Le projet du gouvernement] introduit une distinction importante selon que les époux sont liés par des conventions matrimoniales, quelles qu'elles soient, ou qu'à défaut d'avoir fait recevoir par notaire leur contrat de mariage, ils se trouvent soumis de plein droit au régime de la communauté légale.

Partant de l'idée qu'un contrat de mariage constitue une convention entre époux, qui fait la loi des parties contractantes, il n'en modifie le contenu qu'en introduisant dans le régime choisi par eux les nouvelles règles de gestion de la communauté ou des biens propres.

Le choix d'un autre régime leur est toutefois possible à charge de respecter les règles des articles 8 à 10 (devenus 1394 à 1396).

Par contre, il prévoit pour les époux mariés sans contrat de mariage la faculté, soit de maintenir le régime de communauté, soit de faire choix d'un autre régime; cette faculté s'exerce par acte notarié établi dans les trente-six mois de l'entrée en vigueur de la loi; le choix d'un autre régime autorise, sans en faire une obligation, la liquidation du régime précédent. Aussi longtemps que les époux n'ont pas adopté un autre régime ou s'ils déclarent maintenir le régime de communauté légale, leurs pouvoirs de gestion sont, dès l'entrée en vigueur de la loi, réglés par les dispositions de celle-ci » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1974, n° 683/2, p. 92).

B.8. L'absence de renvoi, par la disposition en cause, à l'article 1435 du Code civil et, partant, la non-application de celui-ci aux époux qui se sont mariés avant le 28 septembre 1976 sous le régime conventionnel de la séparation de biens avec société d'acquêts, ne saurait être considérée comme disproportionnée à l'objectif poursuivi par le législateur en adoptant la loi du 14 juillet 1976 en général et les dispositions transitoires relatives à la liquidation et au partage en particulier.

B.9. La confirmation de la capacité civile de la femme mariée ne s'imposait en effet qu'en ce qui concerne la gestion de la communauté et des biens propres (articles 1415 à 1426 du Code civil) et en ce qui concerne la question, qui y est indissolublement liée, du règlement des dettes communes et des droits des créanciers (articles 1408 à 1414 du Code civil), et elle n'exigeait dès lors pas nécessairement l'application des règles régissant la liquidation et le partage du régime matrimonial. Le législateur pouvait donc considérer, en se basant sur le principe de la prévisibilité pour les époux concernés et compte tenu de la diversité des modalités pouvant caractériser un régime matrimonial conventionnel, que cette problématique demeurerait régie par les dispositions qui étaient applicables au moment de l'adoption de ce régime.

La disposition de l'article 47, § 3, de l'article IV de la loi du 14 juillet 1976, qui contient des dispositions abrogatoires et modificatives et déclare les articles énumérés aux paragraphes 1er et 2 applicables dans la mesure où ils sont nécessaires à la liquidation du régime matrimonial, ne fait que confirmer l'exclusion de l'application des nouvelles dispositions régissant la liquidation et le partage à cette catégorie d'époux ayant adopté, avant l'entrée en vigueur de cette loi, un régime matrimonial conventionnel.

Rien n'empêche du reste cette catégorie d'époux de modifier leur régime conventionnel, pour y inclure celles des mesures que le législateur n'a pas prévues pour eux.

Le but du législateur a été de faire en sorte que l'adaptation impérative de la législation sur les régimes matrimoniaux à la capacité juridique de la femme mariée puisse se concilier avec le respect de l'autonomie de la volonté des parties.

B.10. La première question préjudicielle appelle une réponse négative.

B.11. Par une seconde question préjudicielle, la Cour est interrogée sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de la même disposition en ce qu'elle implique que l'article 1435 du Code civil n'est pas applicable aux époux mariés avant l'entrée en vigueur de cette loi sous un régime de séparation de biens avec société d'acquêts soumise aux règles de la communauté légale, alors qu'il l'est aux époux mariés avant l'entrée en vigueur de cette loi sous le régime légal pour les récompenses dont la cause naît après un délai d'un an suivant cette entrée en vigueur.

B.12. Comme il est dit en B.5, la différence de traitement entre les deux catégories de conjoints visées repose sur un critère objectif, à savoir la nature du régime matrimonial que les époux ont adopté avant l'entrée en vigueur de la loi du 14 juillet 1976, en ayant ou non conclu un contrat de mariage.

B.13. Pour des motifs identiques à ceux qui ont été exposés en B.6 à B.9, la seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 1er, 3°, de l'article 3 (Dispositions transitoires) de la loi du 14 juillet 1976 relative aux droits et devoirs respectifs des époux et aux régimes matrimoniaux, interprété en ce sens que l'article 1435 du Code civil ne s'applique pas aux catégories d'époux qui se sont mariés avant le 28 septembre 1976 sous le régime conventionnel de la séparation de biens avec société d'acquêts, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 27 novembre 2014.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels

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